lundi 12 juin 2017

Un lieu de repos
Chapitre 11

                Comme prévu l’équipe technique a terminé son travail de fouilles minutieuses dans le milieu de l’après-midi et comme l’avait laissé deviner Sébastien Dumoulin les recherches n’ont pas donné grand-chose; on a ramassé des papiers-mouchoirs considérablement détériorés par les intempéries, quelques détritus comme des emballages de barres tendres, des petits décapsuleurs de cannette de boissons gazeuses… On avait aussi des petits objets, mais que rien ne semblait relier aux deux victimes : un pendant d’oreille de jeunes filles, un sifflet en plastique, et même un dé à coudre à moitié rouillé.
                -Le terrain est bien entretenu et régulièrement nettoyé; ce sont de toutes des petites choses qui passent inaperçues et qu’on a oublié de ramasser; qui sont passées, comme on pourrait dire « entre les griffes du râteau ». On va en faire les analyses au microscope, mais d’après moi, ça ne donnera rien.
                -Vous avez fait tout ce qui était possible, toi et ton équipe, ne peut que constater Paul. Vous pouvez tout remballer et partir.
Paul a aussi dû libérer tous les locataires, l’un après l’autre. À première vue, rien ne semble les relier aux deux victimes. Certes il faudra faire des recherches plus poussées dans les registres policiers et judiciaires et même administratives de leurs villes d’origine, faire des recoupements sur les emplois qu’ils ont occupés, les voyages qu’ils ont faits, les lieux où ils ont habité, les écoles qu’ils ont fréquentées, les amis ou les connaissances qu’ils pourraient potentiellement avoir en commun. Tout un travail long et fastidieux et parfois frustrant et tout à fait invisible, dont personne n’a jamais connaissance. Les gens pensent souvent que pour une enquête il suffit de bien observer, de bien réfléchir pour arriver à tout résoudre instantanément. Tout le monde ignore l’énorme labeur caché, qui ne se voit pas, qui se fait en arrière de la scène, qui prend des heures et des jours, et qui est pourtant essentiel…
Les curieux sont toujours là, massés derrière le cordon de sécurité, trépignant d’excitation. Ils vont rester là toute la soirée et d’autres prendront la relève. Les voitures de polices sont presque toutes parties. Paul a renvoyé au poste la majorité de ses agents n’en gardant sur place que quatre, dont Isabelle, pour assurer la sécurité des lieux.
Il faudra aller fouiller sur leurs comptes facebook et les autres réseaux sociaux sur lesquels ils sont présents. Et aller fouiller leur passé… notamment le passé de Martin Brisson. Pourquoi s’être arrêté au Gîte du Pèlerin ? Pourquoi justement la même journée où s’y trouvaient également Madeleine Chaput et Antoine Meilleur ? Est-ce juste une coïncidence ? Et pourquoi cette insistance presque toxique à partir de nuit ? Instance qui a failli faire dérailler leur expédition ? Est-ce qu’il voulait fuir quelque chose ? Et, durant toutes ces années dans la sécurité, il a dû tremper dans bien des affaires illicites ? Impossible… impossible qu’il en soit autrement…
Ses pas le ramènent vers le banc où les deux corps ont été retrouvés à l’extrémité du Sentier du pèlerin. Il le fixe intensément. Il récapitule la suite des événements. Cinq des cyclistes seraient partis faire le tour du sentier en soirée; puis ils seraient rentrés pour aller se coucher. Se sont-ils assis sur ce même banc ? Ont-ils pris des photos ?... Hey, je n’ai pas vérifié ça !... Peut-être y aurait-il dans ces photos des indices, des détails importants !... Punaise de punaise ! Il faut absolument vérifier… Je vais envoyer quelqu’un pour aller vérifier… Où ont-ils dit qu’ils s’arrêteraient ? Ah oui, Montebello. Ça ne devrait pas être trop difficile de les retrouver… Puis plus tard dans cette soirée d’hier, ça aurait le tour du couple Chaput-Meilleur de venir faire un tour. À quelle heure sont-ils sortis ? Ont-ils été suivis ? Qui était de garde le soir ? Sœur Annette, il faudra le lui demander…Est-ce que d’autres des locataires sont allés se promener ?... Isabelle le leur a demandé, mais ils ont dit qu’ils n’avaient rien vu…
-Pardon, monsieur l’inspecteur…
Il sursaut légèrement. Sœur Gisèle est à côté de lui; il ne l’a pas entendue venir.
-Oh, pardon, je ne voulais vous déranger…
-Ça ne fait rien. Qu’est-ce que je peux faire pour vous, sœur Gisèle ?
-C’est que, vous pensez bien, notre train-train quotidien complètement chamboulé… Nous ne savons pas si nous pouvons reprendre nos activités normales. Toute notre clientèle est partie et maintenant les chambres sont vides. Je ne sais ce que dois dire à notre personnel, si les filles peuvent faire le ménage des chambres et les préparer pour les prochains pensionnaires… Dois-je accepter les réservations de ce soir ? Qu’est-ce qu’on doit dire aux gens qui appellent ? Le téléphone ne dérougit pas…
-C’est vrai… Pour ce qui est des chambres, vous pouvez y faire le ménage sauf bien sûr dans celle qu’occupait le couple Chaput-Meilleur, bien sûr, qui doit rester verrouillée. Pour les gens qui appellent, je ne sais pas ce qu’ont raconté les médias, mais dites-leur la vérité ! Vous pouvez les recevoir, ça va; je ne crois pas que nous aurons besoin de faire de plus amples perquisitions à l’intérieur, mais le sentier restera inaccessible pour au moins tout aujourd’hui et la journée de demain.
-Mais bien des gens viennent exprès pour faire le Sentier des Pèlerins !... C’est l’un des attraits principaux de notre centre de repos…
-Sans doute, mais confidence pour confidence j’ai encore beaucoup trop de questions en tête. Je vais tâcher de le libérer le plus vite possible, mais vous comprendrez que les circonstances sont exceptionnelles.
-Je le sais; notre petite communauté est passablement perturbée par tous ces événements; nous essayons bien de nous rassurer les unes les autres mes compagnes et moi. Heureusement qu’il nous reste la prière.
-Oui… en effet… Ah, sœur Gisèle, je sais que nous lui avons déjà parlé, mais je voudrais m’entretenir à nouveau avec sœur Annette.
-Très bien je vais aller la chercher.
Ils marchent lentement quelques instants côte à côte en silence. Quelques oiseaux chantent tout près.
-Inspecteur…
Paul sourit toujours intérieurement quand on l’interpelle ainsi.
-Oui ?
-Voulez-vous mon avis ?
-Oui, bien sûr.
-Je crois qu’il se sont suicidés.
-Et qu’est-ce qui vous fait croire ça ?
-Nous en avons parlé entre nous; bien sûr, on ne pouvait pas s’en empêcher, et il ne faut pas croire que les religieuses vivent à l’extérieur du monde. Nous en constant contact avec les gens, des gens qui viennent de partout, des gens de toutes les tendances; nous connaissons bien la nature humaine. Il ne fait pas croire que nous sommes des automates arriérés qui n’ont aucune émotion. Et, en parlant de ce qui est arrivé, nous ne croyons pas possible que quelqu’un se soit introduit dans ce lieu de repos pour commettre sciemment, intentionnellement deux meurtres. Ça ne se peut tout simplement pas !
-Je ne sais pas, répond Paul à sœur Gisèle sans trop réfléchir, si je connais aussi bien que vous la nature humaine, mais il y une chose que je peux vous dire : c’est que durant ma carrière j’en ai vu des choses qui ne se pouvaient tout simplement pas et qui pourtant étaient bel et bien arrivées.

Sœur Annette n’apprendra pas grand-chose de plus à Paul. 
« Oui, dira-telle, peut -être que certaines personnes sont sorties dans le sentier, mais moi je quitte mon poste à 21 heures. Les gens ont leurs clés qui et la même pour ouvrir leur chambre et la porte de côté. »
-Et avant 21 heures ?

-Avant 21 heures, il y a eu bien sûr le groupe des cyclistes… et plusieurs autres personnes aussi, mais juste après souper. Bien des gens aiment aller faire le sentier après avoir mangé. Mais j’ai l’impression qu’ils sont tous rentrés avant 21 heures, avant que je parte pour les vêpres.

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