Un lieu de repos
Chapitre 11
Comme prévu l’équipe technique a
terminé son travail de fouilles minutieuses dans le milieu de l’après-midi et
comme l’avait laissé deviner Sébastien Dumoulin les recherches n’ont pas donné
grand-chose; on a ramassé des papiers-mouchoirs considérablement détériorés par
les intempéries, quelques détritus comme des emballages de barres tendres, des
petits décapsuleurs de cannette de boissons gazeuses… On avait aussi des petits
objets, mais que rien ne semblait relier aux deux victimes : un pendant
d’oreille de jeunes filles, un sifflet en plastique, et même un dé à coudre à
moitié rouillé.
-Le terrain est bien entretenu
et régulièrement nettoyé; ce sont de toutes des petites choses qui passent
inaperçues et qu’on a oublié de ramasser; qui sont passées, comme on pourrait
dire « entre les griffes du râteau ». On va en faire les analyses au
microscope, mais d’après moi, ça ne donnera rien.
-Vous avez fait tout ce qui
était possible, toi et ton équipe, ne peut que constater Paul. Vous pouvez tout
remballer et partir.
Paul a aussi
dû libérer tous les locataires, l’un après l’autre. À première vue, rien ne
semble les relier aux deux victimes. Certes il faudra faire des recherches plus
poussées dans les registres policiers et judiciaires et même administratives de
leurs villes d’origine, faire des recoupements sur les emplois qu’ils ont
occupés, les voyages qu’ils ont faits, les lieux où ils ont habité, les écoles
qu’ils ont fréquentées, les amis ou les connaissances qu’ils pourraient potentiellement
avoir en commun. Tout un travail long et
fastidieux et parfois frustrant et tout à fait invisible, dont personne n’a jamais
connaissance. Les gens pensent souvent que pour une enquête il suffit de bien observer,
de bien réfléchir pour arriver à tout résoudre instantanément. Tout le monde
ignore l’énorme labeur caché, qui ne se voit pas, qui se fait en arrière de la
scène, qui prend des heures et des jours, et qui est pourtant essentiel…
Les curieux sont toujours là, massés derrière le cordon de sécurité,
trépignant d’excitation. Ils vont rester là toute la soirée et d’autres
prendront la relève. Les voitures de polices sont presque toutes parties. Paul
a renvoyé au poste la majorité de ses agents n’en gardant sur place que quatre,
dont Isabelle, pour assurer la sécurité des lieux.
Il faudra aller fouiller sur leurs comptes facebook
et les autres réseaux sociaux sur lesquels ils sont présents. Et aller fouiller
leur passé… notamment le passé de Martin Brisson. Pourquoi s’être arrêté au
Gîte du Pèlerin ? Pourquoi justement la même journée où s’y trouvaient
également Madeleine Chaput et Antoine Meilleur ? Est-ce juste une
coïncidence ? Et pourquoi cette insistance presque toxique à partir de nuit ?
Instance qui a failli faire dérailler leur expédition ? Est-ce qu’il voulait
fuir quelque chose ? Et, durant toutes ces années dans la sécurité, il a dû
tremper dans bien des affaires illicites ? Impossible… impossible qu’il en soit
autrement…
Ses pas le ramènent vers le banc où les deux corps ont été retrouvés à
l’extrémité du Sentier du pèlerin. Il le fixe intensément. Il récapitule la
suite des événements. Cinq des cyclistes
seraient partis faire le tour du sentier en soirée; puis ils seraient rentrés
pour aller se coucher. Se sont-ils assis sur ce même banc ? Ont-ils pris des
photos ?... Hey, je n’ai pas vérifié ça !... Peut-être y aurait-il dans ces
photos des indices, des détails importants !... Punaise de punaise ! Il faut
absolument vérifier… Je vais envoyer quelqu’un pour aller vérifier… Où ont-ils
dit qu’ils s’arrêteraient ? Ah oui, Montebello. Ça ne devrait pas être trop
difficile de les retrouver… Puis plus tard dans cette soirée d’hier, ça aurait
le tour du couple Chaput-Meilleur de venir faire un tour. À quelle heure
sont-ils sortis ? Ont-ils été suivis ? Qui était de garde le soir ? Sœur
Annette, il faudra le lui demander…Est-ce que d’autres des locataires sont
allés se promener ?... Isabelle le leur a demandé, mais ils ont dit qu’ils
n’avaient rien vu…
-Pardon, monsieur l’inspecteur…
Il sursaut légèrement. Sœur Gisèle est à côté de lui; il ne l’a pas
entendue venir.
-Oh, pardon, je ne voulais vous déranger…
-Ça ne fait rien. Qu’est-ce que je peux faire pour vous, sœur Gisèle ?
-C’est que, vous pensez bien, notre train-train quotidien complètement
chamboulé… Nous ne savons pas si nous pouvons reprendre nos activités normales.
Toute notre clientèle est partie et maintenant les chambres sont vides. Je ne
sais ce que dois dire à notre personnel, si les filles peuvent faire le ménage
des chambres et les préparer pour les prochains pensionnaires… Dois-je accepter
les réservations de ce soir ? Qu’est-ce qu’on doit dire aux gens qui appellent
? Le téléphone ne dérougit pas…
-C’est vrai… Pour ce qui est des chambres, vous pouvez y faire le
ménage sauf bien sûr dans celle qu’occupait le couple Chaput-Meilleur, bien
sûr, qui doit rester verrouillée. Pour les gens qui appellent, je ne sais pas
ce qu’ont raconté les médias, mais dites-leur la vérité ! Vous pouvez les
recevoir, ça va; je ne crois pas que nous aurons besoin de faire de plus amples
perquisitions à l’intérieur, mais le sentier restera inaccessible pour au moins
tout aujourd’hui et la journée de demain.
-Mais bien des gens viennent exprès pour faire le Sentier des Pèlerins
!... C’est l’un des attraits principaux de notre centre de repos…
-Sans doute, mais confidence pour confidence j’ai encore beaucoup trop
de questions en tête. Je vais tâcher de le libérer le plus vite possible, mais
vous comprendrez que les circonstances sont exceptionnelles.
-Je le sais; notre petite communauté est passablement perturbée par tous
ces événements; nous essayons bien de nous rassurer les unes les autres mes
compagnes et moi. Heureusement qu’il nous reste la prière.
-Oui… en effet… Ah, sœur Gisèle, je sais que nous lui avons déjà parlé,
mais je voudrais m’entretenir à nouveau avec sœur Annette.
-Très bien je vais aller la chercher.
Ils marchent lentement quelques instants côte à côte en silence. Quelques
oiseaux chantent tout près.
-Inspecteur…
Paul sourit toujours intérieurement quand on l’interpelle ainsi.
-Oui ?
-Voulez-vous mon avis ?
-Oui, bien sûr.
-Je crois qu’il se sont suicidés.
-Et qu’est-ce qui vous fait croire ça ?
-Nous en avons parlé entre nous; bien sûr, on ne pouvait pas s’en
empêcher, et il ne faut pas croire que les religieuses vivent à l’extérieur du
monde. Nous en constant contact avec les gens, des gens qui viennent de
partout, des gens de toutes les tendances; nous connaissons bien la nature humaine.
Il ne fait pas croire que nous sommes des automates arriérés qui n’ont aucune
émotion. Et, en parlant de ce qui est arrivé, nous ne croyons pas possible que
quelqu’un se soit introduit dans ce lieu de repos pour commettre sciemment,
intentionnellement deux meurtres. Ça ne se peut tout simplement pas !
-Je ne sais pas, répond Paul à sœur Gisèle sans trop réfléchir, si je
connais aussi bien que vous la nature humaine, mais il y une chose que je peux
vous dire : c’est que durant ma carrière j’en ai vu des choses qui ne se pouvaient
tout simplement pas et qui pourtant étaient bel et bien arrivées.
Sœur Annette n’apprendra pas grand-chose de plus à Paul.
« Oui,
dira-telle, peut -être que certaines personnes sont sorties dans le sentier,
mais moi je quitte mon poste à 21 heures. Les gens ont leurs clés qui et la
même pour ouvrir leur chambre et la porte de côté. »
-Et avant 21 heures ?
-Avant 21 heures, il y a eu bien sûr le groupe des cyclistes… et plusieurs
autres personnes aussi, mais juste après souper. Bien des gens aiment aller
faire le sentier après avoir mangé. Mais j’ai l’impression qu’ils sont tous
rentrés avant 21 heures, avant que je parte pour les vêpres.
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