lundi 13 novembre 2017

Cela se passait près d’un lac
Chapitre 4

                En attendant l’arrivée de l’hélicoptère, Paul décide de faire le « tour du propriétaire ». Probablement, se dit-il, que le père Bouchard a retrouvé le corps de ce pauvre Simon-Pierre Courtemanche tout à fait par hasard; mais ce n’est probablement pas par hasard qu’il se soit retrouvé flottant dans le lac Dansereau. Plusieurs hypothèses sont à envisager: celle d’un accident ou d’une chute, celle d’un accident « provoqué », par exemple on aurait pu pousser le journaliste dans le lac, ou encore celle plus dramatique qu’il aurait été assassiné dans un tout autre lieu et que le ou les meurtriers ne seraient débarrasser de son corps ici; et dans de cas, il faudra se poser la question : pourquoi « ici » ?
                Il faudra considérer chacune de ces hypothèses une à une. L’autopsie produira quelques éléments de réponses; tout comme les investigations auprès de gens qui habitent les environs; tout comme l’examen des lieux. C’est ainsi que Paul se met à errer dans le grand chalet des jésuites. Ah oui, et il y a Turgeon qui explore le bord du lac. Juste à ce moment son téléphone se met à sonner. Tiens, c’est lui justement !
                -Oui, Turgeon…
                -Chef, j’ai pas mal fini mes recherches…
                -Et alors ?
                -Alors… je n’ai rien trouvé du tout, ni indices, ni traces, ni pistes. Il ne me semble pas qu’on se soit promené dans le coin récemment.
                -Tu as pris de photos ?
                -Bien sûr; j’ai fait des prises de vue de divers angles…
                -Bon… autre chose avant que je t’envoie le bateau ?...
                -Commandez-moi un uniforme sec ! Je suis mouillé jusqu’aux aisselles !!

                Paul pénètre dans le chalet par la porte arrière, celle qui donne sur le lac. Elle est entourée d’une grande galerie et elle donne sur une vaste salle de séjour, très agréablement éclairée par les lueurs du jour qui pénètrent par les baies vitrées; la salle est rustiquement mais élégamment meublée. Quelques fauteuils en demi-lune font face à un foyer. Il y a aussi dans un coin un piano et des étagères de livres et de revues. Une douzaine de table entourent une table rectangulaire à rallonge. C’est probablement la table à manger commune. Sur le côté droit, se trouvent quatre tabourets devant un petit bar. Il ne se privent de rien les pères jésuites. Du l’autre côté, un petit escalier en colimaçon s’enfonce dans le mur. Les deux ailes avec les chambres se déploient de chaque côté. Par acquis de conscience, Paul ouvre une ou deux portes; elle se ressemblent : un lit, une chaise, une table de chevet, un petit lavabo. Les toilettes doivent être au bout de l’allée.
Paul entend du bruit qui provient de la cuisine à sa gauche. Ce doit être le père Bouchard qui tourne un peu en rond. Paul s’approche; c’est lui, en effet.
-Bonjour…
-Ah ? c’est vous ? Capitaine Duval…
-Capitaine Quesnel…
-Pardon : capitaine Quesnel ! J’avoue que je ne comprends l’attitude de vos hommes… de vos « femmes » plutôt : m’interdire de sortir pour vous aider ! On me traite comme un criminel alors que c’est moi qui ait téléphoné au 911 ! J’avoue que je ne comprends. Non, vraiment !
-On ne vous a pas traité en criminel père Bouchard. Mais mes « hommes » ont simplement fait ce qu’on fait d’habitude, c’est-à-dire éloigner les civils quand nous récupérons des corps. Ce n’est pas un joli spectacle, vous savez.
-Je l’avais déjà vu ce matin votre « corps » ! C’est moi qui l’avait trouvé, imaginez-vous, capitaine !
Paul sait qu’il doit amadouer son interlocuteur s’il veut en tirer quoi que ce soit.
-Oui, je le sais. Et je vous remercie d’avoir eu le bon réflexe d’appeler la police plutôt que d’essayer de le sortir de l’eau vous-mêmes. En ne touchant à rien, vous nous avez bien aidés.
-Heu… heu… Merci à vous aussi.
-Et vous savez ? J’ai encore besoin de votre aide…
-Ah oui ?... Et en quoi puis-je vous être utile.
-Premièrement… venez avec moi. J’ai vu un escalier en colimaçon dans la salle de séjour… Ici… Où est-ce que ça mène ?
-À la chapelle, bien sûr. Elle est construite en partie surélevée au-dessus du salon. C’était le meilleur endroit pour nos célébrations. Quand nous avons nos matines, nous avons une magnifique vue sur le lac tout brumeux. Contempler le lac d’en haut, il n’y a rien de mieux pour la méditation… Voulez-vous aller voir ?
-Volontiers; je vous suis.
Le père Bouchard grimpe allègrement les marches de l’escalier, tout heureux de montrer au policier qu’il n’est ni sénile ni impotent. La vue sur le lac était, en effet, grandiose à partir des fenêtres de la chapelle. Il y avait un petit autel avec une croix posée dessus, quelques bancs de bois, un prie-Dieu, et dans un coin un petit tabernacle.
-En effet… devant une telle vue moi-même je me mettrais bien à méditer moi aussi.
Le père Bouchard laisse aller un petit rire franc.
-Vous êtes le bienvenu.
Une fois redescendu Paul montre du doigt une autre porte qui laisse entrevoir un autre escalier.
-Et cet escalier, où mène-t-il ?
-Au sous-sol !...
-Il y a un sous-sol au chalet ?
-Oui, bien sûr. C’est mieux pour l’isolation. Mail il n’y a rien d’intéressant… Ça nous sert de débarras pour toutes sortes de choses.
-Descendons quand même; moi ça m’intéresse les sous-sols.
Effectivement, lorsque le père Bouchard allume la lumière, Paul découvre une empilade où s’entremêlent des planches, des meubles usagés, des chaises crevées, des matelas, des outils petits et gros, des boites de conserve vides, des boîtes de cartons pleine ou vides, des vieux pneus, de la tuyauterie… Il fait quelques pas dans le capharnaüm en humant l’air presque inconsciemment. Il s’arrête en hochant la tête. Tout à coup, il a une drôle d’impression. Il y a quelque chose qui cloche. Mais quoi ?
La voix du père Bouchard le sort de sa réflexion.
-Vous voyez… il n’y a rien d’intéressant.
-Très bien; remontons, répond en jetant un dernier coup d’œil.

En haut de l’escalier, Paul reprend :
-Père Bouchard, je sais que mes agents vous ont déjà posé la question, mais n’avez-vous rien vu d’anormal ou de singulier, ou même d’inhabituel ces derniers jours.
-Non, non… Je n’ai rien vu de ce genre. Sauf peut-être le bateau des frères Couture.
-Le bateau des frères Couture ?
-Oui, sur l’autre lac, le lac voisin, le lac Farmer. À cause d’une erreur administrative ils peuvent naviguer sur le lac en bateau à moteur alors que c’est interdit pour tout le monde. Et ils en profitent : le matin, le soir, la nuit…
-Pourquoi vous dites « une erreur administrative » ?
-Parce que pour maintenir la quiétude des lieux, les propriétaires autour du lac ont conjointement adopté toutes une série de restrictions et d’interdictions sur la construction de nouveaux bâtiments, sur le droit de chasser, de circuler en véhicules tout terrain, etc… Mais personne n’avait pensé à interdire la navigation en hors-bord. Et les frères Couture, Marc-André et Couture, en ont profité quand leur père est mort et qu’ils ont hérité de son chalet. Maintenant il y en a un règlement sur la navigation à moteur, mais pour eux c’était trop tard, et ils en profitent. Les autres propriétaires sont exaspérés. Ces derniers jours, on la entendu encore plus souvent que d’habitude ! Tiens, ça m’étonne même qu’on ne les a pas encore entendus. Peut-être qu’ils ont vu les gyrophares et qu’ils ont peur de la police !...
Le père Jean-Marc Bouchard s’arrête subitement de parler, réalisant, soudain, la portée de ce qu’il vient de dire. Paul a fait le même raisonnement.
-Père Bouchard, vous êtes libres de vos mouvements. Vous pouvez et venir comme bon vous semble; je vous demanderais seulement de ne pas interférer avec le travail de mes agents sur le terrain.
-Oh, dès que vous serez partis, je ferme le chalet pour l’hiver et je m’en vais à Montréal.
-Je vous laisse ma carte. Si dans les jours qui viennent un détail vous revient en mémoire, n’hésitez pas à me téléphoner.
-J’ai répondu à toutes vos questions.
-C’est vrai, mais des fois les plus petits détails, même ceux qui peuvent sembler anodins, peuvent avoir leur importance.
                Les deux hommes se serrent la main, et Paul sort du chalet.

Au même moment, il commence à percevoir des bruits de moteur : c’est l’hélicoptère qui approche.
                Paul se dirige vers son auto-patrouille où Benoît a déjà le casque d’écoute sur les oreilles.
                -Alors ?
                -Oui, ils approchent. Roxanne propose par faire un grand tour pour avoir une vie d’ensemble, puis ensuite ils s’approcheront plus bas.
                -Très bien. Passe-la moi.
                 Mais ça ne se déroulera pas exactement comme prévu.

                Aussitôt le tour du lac commencé, Roxanne crie au pilote en pointant un endroit bien précis : « Par là ! Par là ! Approche-toi ! Regarde ! Ça explique tout ! »

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