Cela se passait près d’un lac
Chapitre 4
En attendant l’arrivée
de l’hélicoptère, Paul décide de faire le « tour du propriétaire ».
Probablement, se dit-il, que le père Bouchard a retrouvé le corps de ce pauvre Simon-Pierre
Courtemanche tout à fait par hasard; mais ce n’est probablement pas par hasard qu’il se soit retrouvé flottant
dans le lac Dansereau. Plusieurs hypothèses sont à envisager: celle d’un
accident ou d’une chute, celle d’un accident « provoqué », par
exemple on aurait pu pousser le journaliste dans le lac, ou encore celle plus
dramatique qu’il aurait été assassiné dans un tout autre lieu et que le ou les
meurtriers ne seraient débarrasser de son corps ici; et dans de cas, il faudra
se poser la question : pourquoi « ici » ?
Il faudra considérer
chacune de ces hypothèses une à une. L’autopsie produira quelques éléments de
réponses; tout comme les investigations auprès de gens qui habitent les
environs; tout comme l’examen des lieux. C’est ainsi que Paul se met à errer
dans le grand chalet des jésuites. Ah oui, et il y a Turgeon qui explore le
bord du lac. Juste à ce moment son téléphone se met à sonner. Tiens, c’est lui justement !
-Oui, Turgeon…
-Chef, j’ai pas mal
fini mes recherches…
-Et alors ?
-Alors… je n’ai rien
trouvé du tout, ni indices, ni traces, ni pistes. Il ne me semble pas qu’on se
soit promené dans le coin récemment.
-Tu as pris de
photos ?
-Bien sûr; j’ai fait
des prises de vue de divers angles…
-Bon… autre chose
avant que je t’envoie le bateau ?...
-Commandez-moi un
uniforme sec ! Je suis mouillé jusqu’aux aisselles !!
Paul pénètre dans le
chalet par la porte arrière, celle qui donne sur le lac. Elle est entourée d’une
grande galerie et elle donne sur une vaste salle de séjour, très agréablement
éclairée par les lueurs du jour qui pénètrent par les baies vitrées; la salle
est rustiquement mais élégamment meublée. Quelques fauteuils en demi-lune font
face à un foyer. Il y a aussi dans un coin un piano et des étagères de livres
et de revues. Une douzaine de table entourent une table rectangulaire à
rallonge. C’est probablement la table à
manger commune. Sur le côté droit, se trouvent quatre tabourets devant un
petit bar. Il ne se privent de rien les
pères jésuites. Du l’autre côté, un petit escalier en colimaçon s’enfonce
dans le mur. Les deux ailes avec les chambres se déploient de chaque côté. Par acquis
de conscience, Paul ouvre une ou deux portes; elle se ressemblent : un lit,
une chaise, une table de chevet, un petit lavabo. Les toilettes doivent être au
bout de l’allée.
Paul entend du bruit qui provient de la cuisine à sa
gauche. Ce doit être le père Bouchard qui tourne un peu en rond. Paul s’approche;
c’est lui, en effet.
-Bonjour…
-Ah ? c’est vous ? Capitaine Duval…
-Capitaine Quesnel…
-Pardon : capitaine Quesnel ! J’avoue que je ne
comprends l’attitude de vos hommes… de vos « femmes » plutôt : m’interdire
de sortir pour vous aider ! On me traite comme un criminel alors que c’est moi
qui ait téléphoné au 911 ! J’avoue que je ne comprends. Non, vraiment !
-On ne vous a pas traité en criminel père Bouchard.
Mais mes « hommes » ont simplement fait ce qu’on fait d’habitude, c’est-à-dire
éloigner les civils quand nous récupérons des corps. Ce n’est pas un joli
spectacle, vous savez.
-Je l’avais déjà vu ce matin votre « corps »
! C’est moi qui l’avait trouvé, imaginez-vous, capitaine !
Paul sait qu’il doit amadouer son interlocuteur s’il
veut en tirer quoi que ce soit.
-Oui, je le sais. Et je vous remercie d’avoir eu le
bon réflexe d’appeler la police plutôt que d’essayer de le sortir de l’eau
vous-mêmes. En ne touchant à rien, vous nous avez bien aidés.
-Heu… heu… Merci à vous aussi.
-Et vous savez ? J’ai encore besoin de votre aide…
-Ah oui ?... Et en quoi puis-je vous être utile.
-Premièrement… venez avec moi. J’ai vu un escalier en
colimaçon dans la salle de séjour… Ici… Où est-ce que ça mène ?
-À la chapelle, bien sûr. Elle est construite en
partie surélevée au-dessus du salon. C’était le meilleur endroit pour nos
célébrations. Quand nous avons nos matines, nous avons une magnifique vue sur
le lac tout brumeux. Contempler le lac d’en haut, il n’y a rien de mieux pour
la méditation… Voulez-vous aller voir ?
-Volontiers; je vous suis.
Le père Bouchard grimpe allègrement les marches de l’escalier,
tout heureux de montrer au policier qu’il n’est ni sénile ni impotent. La vue
sur le lac était, en effet, grandiose à partir des fenêtres de la chapelle. Il
y avait un petit autel avec une croix posée dessus, quelques bancs de bois, un
prie-Dieu, et dans un coin un petit tabernacle.
-En effet… devant une telle vue moi-même je me
mettrais bien à méditer moi aussi.
Le père Bouchard laisse aller un petit rire franc.
-Vous êtes le bienvenu.
Une fois redescendu Paul montre du doigt une autre
porte qui laisse entrevoir un autre escalier.
-Et cet escalier, où mène-t-il ?
-Au sous-sol !...
-Il y a un sous-sol au chalet ?
-Oui, bien sûr. C’est mieux pour l’isolation. Mail il
n’y a rien d’intéressant… Ça nous sert de débarras pour toutes sortes de choses.
-Descendons quand même; moi ça m’intéresse les
sous-sols.
Effectivement, lorsque le père Bouchard allume la
lumière, Paul découvre une empilade où s’entremêlent des planches, des meubles
usagés, des chaises crevées, des matelas, des outils petits et gros, des boites
de conserve vides, des boîtes de cartons pleine ou vides, des vieux pneus, de
la tuyauterie… Il fait quelques pas dans le capharnaüm en humant l’air presque
inconsciemment. Il s’arrête en hochant la tête. Tout à coup, il a une drôle d’impression.
Il y a quelque chose qui cloche. Mais
quoi ?
La voix du père Bouchard le sort de sa réflexion.
-Vous voyez… il n’y a rien d’intéressant.
-Très bien; remontons, répond en jetant un dernier
coup d’œil.
En haut de l’escalier, Paul reprend :
-Père Bouchard, je sais que mes agents vous ont déjà
posé la question, mais n’avez-vous rien vu d’anormal ou de singulier, ou même d’inhabituel
ces derniers jours.
-Non, non… Je n’ai rien vu de ce genre. Sauf peut-être
le bateau des frères Couture.
-Le bateau des frères Couture ?
-Oui, sur l’autre lac, le lac voisin, le lac Farmer. À
cause d’une erreur administrative ils peuvent naviguer sur le lac en bateau à
moteur alors que c’est interdit pour tout le monde. Et ils en profitent :
le matin, le soir, la nuit…
-Pourquoi vous dites « une erreur administrative »
?
-Parce que pour maintenir la quiétude des lieux, les
propriétaires autour du lac ont conjointement adopté toutes une série de restrictions
et d’interdictions sur la construction de nouveaux bâtiments, sur le droit de
chasser, de circuler en véhicules tout terrain, etc… Mais personne n’avait
pensé à interdire la navigation en hors-bord. Et les frères Couture, Marc-André
et Couture, en ont profité quand leur père est mort et qu’ils ont hérité de son
chalet. Maintenant il y en a un règlement sur la navigation à moteur, mais pour
eux c’était trop tard, et ils en profitent. Les autres propriétaires sont
exaspérés. Ces derniers jours, on la entendu encore plus souvent que d’habitude
! Tiens, ça m’étonne même qu’on ne les a pas encore entendus. Peut-être qu’ils
ont vu les gyrophares et qu’ils ont peur de la police !...
Le père Jean-Marc Bouchard s’arrête subitement de
parler, réalisant, soudain, la portée de ce qu’il vient de dire. Paul a fait le
même raisonnement.
-Père Bouchard, vous êtes libres de vos mouvements.
Vous pouvez et venir comme bon vous semble; je vous demanderais seulement de ne
pas interférer avec le travail de mes agents sur le terrain.
-Oh, dès que vous serez partis, je ferme le chalet
pour l’hiver et je m’en vais à Montréal.
-Je vous laisse ma carte. Si dans les jours qui
viennent un détail vous revient en mémoire, n’hésitez pas à me téléphoner.
-J’ai répondu à toutes vos questions.
-C’est vrai, mais des fois les plus petits détails,
même ceux qui peuvent sembler anodins, peuvent avoir leur importance.
Les deux hommes se serrent la main, et Paul sort du chalet.
Les deux hommes se serrent la main, et Paul sort du chalet.
Au même moment, il commence à percevoir des bruits de
moteur : c’est l’hélicoptère qui approche.
Paul se dirige vers
son auto-patrouille où Benoît a déjà le casque d’écoute sur les oreilles.
-Alors ?
-Oui, ils
approchent. Roxanne propose par faire un grand tour pour avoir une vie d’ensemble,
puis ensuite ils s’approcheront plus bas.
-Très bien. Passe-la
moi.
Mais ça ne se déroulera pas exactement comme
prévu.
Aussitôt le tour du
lac commencé, Roxanne crie au pilote en pointant un endroit bien précis : « Par
là ! Par là ! Approche-toi ! Regarde ! Ça explique tout ! »
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