Cela se passait près d’un lac
Chapitre 3
Paul et les membres de son équipe regardaient l’ambulance
s’éloigner, une ambulance qui ne transportait pas un blessé mais un cadavre,
celui de Simon-Pierre Courtemanche, journaliste au faits divers à l’hebdomadaire
régionale de la Vallée de l’Outaouais, Au
Courant. Sans vouloir trop se l’avouer pour l’instant cette mort les affectait :
il s’agissait de quelqu’un - quelqu’un qu’ils avaient côtoyé, avec qui ils
avaient collaboré, qui leur était proche. On pouvait dire que « tout le
monde aimait Simon-Pierre Courtemanche »; on ne pouvait faire autrement :
Il était foncièrement et naturellement sympathique. Il faisait son travail avec
beaucoup de rigueur, beaucoup de sérieux, même si lui ne semblait pas se
prendre au sérieux.
C’était vrai surtout dans le cas de Paul qui le
connaissait depuis son arrivée dans la région il y a plus de vingt ans et qui
peut-être par solidarité générationnelle avait développé au fil du temps un
certaine complicité avec lui. Il y a une décennie l’un de ses hommes avait été
grièvement blessé dans une attaque à la hache, mais, à part le décès de son
père qui avait longtemps était malade d’un diabète qu’à la fin ça avait été une
délivrance, il n’avait jamais vécu la mort d’un proche. Et pourquoi
Simon-Pierre Courtemanche ? Ça me donne envie de tout lâcher, de tout laisser
tomber; tiens, partir faire un long voyage avec Juliette, ça serait une bonne
idée !
-Alors, mon chef, qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
Quand ils étaient seuls dans le bureau de l’un ou de l’autre,
Roxanne disait toujours « Papa » à son père, mais elle ne le faisait
pas trop devant leurs collègues et jamais devant les témoins d’une affaire en
cours. Elle avait jugé que « Capitaine », ou « Commandant »
étaient trop cérémonieux, et le simple « Chef », un peu trop froid et
même refroidissant. Et dire « Patron » la faisait pouffer de rire à
chaque fois. Elle avait donc opté pour « Mon chef », qui restait
hiérarchique avec une petite touche de proximité.
Paul était allé récupérer le corps en bateau avec ses
deux hommes, Daniel Turgeon et Benoît Roy-Buffo, se disait qu’il faudrait
certainement user de force physique, et il avait chargé ses trois officières et
agentes de sécuriser l’endroit pendant ce temps.
Ça ne leur avait pris que quelques instants pour
traverser le lac dans le sens de la largeur - ce qui affectait le lac d’une
certaine forme de pollution pour la toute première fois depuis sa création
formation lors du retrait de la Mer de Champlain il y a 10 000 ans - pour
atteindre le corps. C’était bien lui, Simon-Pierre Courtemanche, pas de doute
là-dessus. Son visage était ravagé par son séjour dans l’eau et ses yeux et une
partie de ses lèvres avaient disparus - grugés par le poissons - mais on ne pouvait
pas se tromper. Il portait ses vêtements de travail, c’est-à-dire sans veste
sans manche aux nombreuses poches qui lui était si caractéristique. On aurait
même pu s’attendre à voir son appareil de photos pendre à son cou.
-Bon, il faut le grimper à bord. Toi, Benoît mets-toi de l’autre côté pour stabiliser le bateau. Il ne manquerait plus que l’on bascule ! Viens, Daniel on va le hisser par les épaules.
-Bon, il faut le grimper à bord. Toi, Benoît mets-toi de l’autre côté pour stabiliser le bateau. Il ne manquerait plus que l’on bascule ! Viens, Daniel on va le hisser par les épaules.
Même en unissant leurs forces Paul et Daniel avaient passablement
peiné pour faire passer dans le bateau le corps imbibé d’eau de ce pauvre Simon-Pierre
Courtemanche. Paul remarque rapidement qu’il a tous ses morceaux, qu’il n’a pas
de grosses blessures apparentes, qu’il
porte ses bottes; cette moustache touffue est bien la sienne; il ne lui manque
que ses petites lunettes cerclées de fer. En l’agrippant, il a même senti son
portefeuille dans la poche intérieure de sa veste. Il ne s’agirait pas d’un vol ? Serait-il tomber tout seul à l’eau ?
Paul prend quelques instants pour regarder les alentours :
la rive est couverte d’arbres dont les branches affleurent à la surface du lac.
-Est-ce que vous voyez quelque chose ? demande-il à
ces deux hommes.
-Pas vraiment…
-Il a pu tomber, on a pu le faire tomber de n’importe
où, et il serait arrivé ici à cause des courants.
Paul regarde derrière lui.
-Benoît approche-nous du bord. Turgeon, tu vas
descendre ici et tu vas faire un examen des environs. C’est fort probable que
tu ne trouveras rien, mais il ne fait rien négliger. Si tu vois des traces de
pas, ou des branches brisées, ou une forme de sentier… Garde ta radio allumée
et tiens-nous au courant.
-Très bien, chef.
Et une fois descendu :
-Ne m’oubliez pas ! Il y a peut-être des ours !
Paul en a souri de convenance, mais, non, il n’avait
pas le cœur à rire. Il ne pouvait détacher les yeux du corps inerte et bouffi
qui gisait au fond du bateau.
-Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?... On se met à la
recherche d’indices. Mais où chercher ?... Son corps a dû dériver pendant, je
ne sais pas, un jour ou deux; c’est l’autopsie qui nous le dira. Qu’est-ce que
tu en penses, toi ?
-J’en pense qu’on devrait faire venir un hélicoptère,
pour avoir une vue d’ensemble du lac. Une légère couche de neige recouvre le
sol, on pourrait peut-être trouver des traces de pas.
-Oui, bonne idée. Il y en a un Gatineau. Vois s’il est
disponible. Et puis, appelle au poste et demande à qui est libre de commencer
les recherches sur Simon-Pierre Courtemanche; qu’ils cherchent tout ce qu’on
peut trouver, sur son travail, sur sa vie personnelle, sur ses contacts. Il
faudrait aussi avertir sa famille. Tiens, c’est vrai… c’est étrange… personne n’a
signalé sa disparition.
-C’est peut-être encore trop tôt.
-Je ne sais pas.
Pendant que Roxanne, se dirige vers la voiture, Paul s’en
va vers le chalet en bois rond. C’est un grand bâtiment construit sur le long,
avec une cheminée au milieu et deux ailes qui s’avancent légèrement vers le
lac. Une croix en bois coiffe l’aile de droite. Au milieu, entre les deux, il y
a un grand balcon une large baie vitrée qui doit offrir de l’intérieur, en
toutes saisons, une magnifique vue sur le lac.
Isabelle et Sabrina se sont occupées de prendre la
déposition de Jean-Marc Bouchard. Elles viennent à sa rencontre.
-Alors du nouveau ?
-Pas grand-chose d’entre que ce qu’il a dit quand on
est arrivés. Il faisait son tour de canot matinal sur le lac vers 6 heures et
il a vu le corps qu’il flottait dans l’une des baies du lac. Il est allé voir
et il l’a retourné. Et il a reconnu le journaliste Simon-Pierre Courtemanche,
sans pouvoir mettre un nom dessus. Il connaissait son visage parce que sa photo
paraît chaque semaine dans le journal Au Courant, qu’il reçoit ici depuis des
années.
-Ça ne nous éclaire pas beaucoup.
-Il a rajouté qu’il trouvait drôle d’avoir trouvé le
corps se matin, car c’était sa dernière sortie avant l’année prochaine.
-Ah oui ?
-Oui, avec l’hiver qui s’en vient, il ne peut plus
rester ici tout seul et il avait décidé de repartir dans la résidence des jésuites
à Pierrefonds, à Montréal. Il a dit qu’en fait, il devait même partir hier;
tout était prêt pour son départ. Mais au moment du départ, il s’est aperçu qu’il
avait un pneu crevé à sa voiture. Finalement, le pneu était juste dégonflé.
Mais le temps de téléphoner au garage et de faire venir un mécanicien et d’arranger
son pneu, il était trop tard pour partir pour Montréal. Alors il restait un
jour de plus, et ce matin, voilà qu’il trouve un cadavre dans son lac.
-Drôle de coïncidence… Vraiment, une drôle de
coïncidence…
-L’histoire du pneu a l’air vraie, il nous a montré la
facture du garage.
-J’espère que vous avez noté les coordonnées, il
faudra quand même aller y faire un tour… Où est-ce qu’il est maintenant ?
-Dans sa chambre, de ce côté-ci. Il voulait se mettre
sur le balcon pour « surveiller » les opérations comme il a dit, mais
on préférait le tenir à l’écart.
-Vous avez bien fait. Faites-le sortir. Ensuite, vous irez
surveiller l’entrée du domaine pour empêcher les curieux de tout envahir; plein
de gens ont dû voir les auto-patrouilles, en plus de l’ambulance qui vient de
sortir.
Paul avait raison. Déjà une dizaine de personnes se
promenaient sur le terrain des jésuites et Isabelle et Sabrina auront fort à
faire pour rétablir l’ordre.
À ce moment, Roxanne revient de sa voiture.
-Ça y est l’hélicoptère est annoncé. Il pourrait
être dans une heure, une heure et demi, mais il ne pourra se poser. Alors je
retourne à Papineauville pour y grimper en vol.
-En vol !?
-En fait, il va faire un vol stationnaire et on faire
descendre une échelle.
-D’accord, moi je reste ici avec le bateau; on se
contactera par radio.
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