Cela se passait près d’un lac
Chapitre 6
-Hey !! Qu’est-c’est
qu’vous cherchez ??
La grosse voix et le
ton agressif de la question font rapidement se retourner Paul vers la maison.
Il voit debout au
bord du ponton un homme qui ne lui fait pas une mine très accueillante. Il se
tient les jambes écartées, en bottes et pantalons de travail, massif (un bon 150 kilos), ses gros bras croisés
sur une chemise à carreaux rouge, une épaisse barbe de bucheron, le crâne rasé;
il porte d’épaisses lunettes de soleil. Quelques tatouages se laissent voir au
bas de son cou.
Paul essaye réprime
un sourire; il ne veut pas laisser paraître son amusement devant une telle
caricature du dur à cuire. Rien ne peut, pour l’instant, se dit-il, lui faire
supposer que les frères Couture, aussi malcommodes soient-ils, sont mêlés en
quoi que ce soit à la mort de Simon-Pierre Courtemanche, mais leur nom est tout
de même revenu plusieurs fois dans diverses conversations depuis ce matin. Ce
qui est sûr, c’est qu’il sait que dans sa récolte d’informations, il a tout à
gagner à essayer de le mettre de son côté.
-C’est vraiment un
beau bateau que vous avez là !... Un Ranger Comanche de trente pieds en
aluminium ! Ouais ! C’est une belle bête ! Pis équipé d’un moteur Mercury 500 !
Ça doit filer pour vrai ! C’ta vous, je suppose ?
-Ouais ! À moi pis à
mon frère, Marc-André. C’t’une belle machine ! Une belle machine ! On l’aime
ben.
-Ça doit être comme
un pur-sang à dompter… Il doit aimer ça les vagues; j’suis sûr qu’il doit aimer
les prendre la mer.
-Mets-en ! On le
sort chaque jour; deux, trois, quatre fois par jour s’il faut.
-Va falloir le
rentrer pour l’hiver; vous le mettez dans le garage qu’est là ?
-Dans un mois, un mois et demi. Le lac gèle pas avant janvier.
-Dans un mois, un mois et demi. Le lac gèle pas avant janvier.
-Ouais, c’est vrai,
mais ça pas être chaud de conduire en décembre.
-Ça popire; ça
s’tuff.
-Gardez-moi ça si
c’est beau; il est presque trop beau pour un p’tit lac comme ça ! Il mérite mieux
que ça !
-Ouais, j’sais ben,
maudite affaire... On traverse le lac en deux trois minutes et demi, pis après
ça on doit revenir. On a beau tourner en rond, on peut pas aller ben loin…
C’est pour ça que mon frère pis moé on veut déménager.
-Vous trouvez pas
que c’est une belle place ?
-C’est une belle place
! Mais on veut plus grand ! Quand notre oncle Paul-Émile est mort, il y a cinq
ans il nous a laissé le chalet. Lui, y avait pas d’enfants; pis nous en est v’nu
icitte toutes les étés avec notre père; on est les fils de son frère Benoît.
Graduellement, tout
en conversant, Paul s’est avancé sur le ponton pour se rapprocher de son
interlocuteur.
-J’ai oublié de me
présenter : capitaine Paul Quesnel, directeur de poste de la SQ de
Papineauville.
Aussitôt, son
interlocuteur fait involontairement un pas vers l’arrière et reprend son attitude
de bagarreur.
-Papineauville ? Hey,
c’est pas la porte à côté ?? Ça a-tu rapport avec l’hélicoptère de c’matin ?
-Oui. Il venait de
Gatineau; on en a besoin pour faire des recherches. Pour l’instant, je peux
rien vous dire…
Paul plisse les yeux. L’autre fait de même, mais pour
les mêmes raisons.
-Ah, pis j’peux ben vous l’dire à vous : on a
retrouvé un corps dans le lac Dansereau ce matin; c’est l’un des frères jésuite
qui l’a trouvé pis qui a appelé le 911. Alors pour le moment, moi pis mes
hommes, on a fait tout le tour du lac, on rencontre tout le monde pis on leur pose
des questions aux gens du coin.
-Quelle genre de
questions ?
-Ben, genre…
Paul sort un petit calepin de sa poche portefeuille, l’ouvre
tranquillement à un pahe spécifique et se met à réciter une leçon bien apprise :
-Genre : avez-vous vu hier ou avant-hier, ou les
jours avant quelque chose de bizarre ? Ou si vous avez vu des gens qui sont pas
du coin ?
-Non, j’ai rien vu
d’ça !
-Avez-vous vu des
gens roder dans le coin ces derniers temps ?
-Non…
-Ils pouvaient avoir
l’air louche, mais ils pouvaient avoir l’air normal aussi…
-Non, j’ai pas vu personne
!
-Ou avez-vous entendu
des bruits, comme des bruits de moteur par exemple, qui avait pas rapport ?
-Non, j’ai rien
entendu.
-Pis votre frère,
Marc-André, est-ce qu’il aurait vu ou entendu quelqu’un ou quelque chose ?
-J’sais pas; faudra
que tu lui d’mandes à lui…
-C’est vrai; est-ce
que je peux lui parler ?
-Là y est pas là; y est
parti au village.
-Je comprends…. Bon,
ben, j’pense que c’est fini.
Paul remonte légèrement le talus.
-Oh ! Dites-moi donc : est-ce que votre sonnette est brisée ?
-Brisée ? Comment ça
?
-Ben quand je suis
arrivé, j’ai sonné deux fois, puis je n’ai pas eu de réponse !
-C’est parce que
j’étais dans l’garage. J’étais après mettre mes pneus d’hiver sur mon truck.
Alors avec le bruit d’la drill, j’ai pas rien entendu.
-Qu’est-ce que vous
avez comme véhicule ?
-Moi ? Un Ford F-150
?
-Un F-150 !? C’est
pas un p’tit bazou ! Vous pis votre frère, vous m’avez l’air de deux gars qui
aiment les moteurs !?
-Mettez-en; en plus
du bateau pis de nos trucks on a chacun un ski-doo, pis deux quatre par quatre.
-J’comprends que
vous voulez déménager; le monde des autres chalets doivent pas trop aimer ça entendre
tous ces bruits de moteurs. J’suis sûr que ça fait pas leur affaire. J’ai pas
raison ?
-Mets-en !! C’est toutte
des fraichiés; tout l’temps en train d’chialer ! Tout l’temps en train de s’plaindre
! Ils ont même essayé de faire changer les règlements contre nous-autres; mais ça
a pas marché parce qu’on a des droits acquis; faut les respecter. C’est grâce à
mon oncle Paul-Émile.
-Qu’est-ce qui
faisait dans la vie, Paul-Émile ?
-Y était
entrepreneur dans la construction dans le boutte de Mont-Laurier.
-Oui… Pis vous ?
-Quoi, pis moé ?
-Vous, vous faites
quoi dans la vie ?
-Pendant plusieurs
années j’ai été chauffeur de truck, mais il y a deux ans j’ai eu un accident de
travail en débarquant un trailer. Alors j’suis sur la CSST. Comme sideline,
j’suis doorman dans un club à Montréal... Hey ! Stoolez-moi pas à la police,
hein!
Normand Couture,
tout fier de sa blague, éclate d’un gros rire retentissant et lançant sa tête
en arrière. Paul se joint à lui.
-Non, non ! La
police, j’men occupe !
Nouvel éclat de rire
tonitruant de son interlocuteur.
-Pis Marc-André,
lui, qu’est-ce qu’il fait dans la vie ?
-Il travaille comme manutentier
à l’entrepôt de Loblaw’s à Lachute. Voulez-vous l’atte… Heu.. j’sais pas à
quelle heure il devrait revenir.
-Non… non… c’pas
grave. J’aurai certainement l’occasion de la rencontre une autre fois, car je vais
sûrement avoir besoin de revenir.
-Revenir chez nous ?
Pourquoi ?
-J’veux dire :
revenir dans le coin. Là, on est dans l’étape de récolter des indices et dépendamment
de ce qu’on aura trouvé, on va certainement devoir revenir pour des
investigations plus précises. Peut-être qu’on va devoir fouiller tous les garages,
les remises, les cabanons…
-Ouais… ouais…
Paul ouvre la porte
de sa voiture.
-Bon; on se reverra
Normand Couture.
-Ouais… ouais…
Paul démarre.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire