Cela se passait près d’un lac
Chapitre 5
Paul entendait sa
fille s’exclamer à plein poumons dans ses écouteurs et percevait sans peine son
excitation.
-Roxanne ! Qu’est-ce
que tu vois ?
-Des traces dans la
neige !... Plein ! Ici en haut de la petite falaise !... Tu vois où nous sommes
?... Juste en dessous il y a une petite falaise qui plonge dans le lac…
Paul s’étire le cou.
-Oui, je la vois.
-Et bien, il y a une sorte de promontoire sans grande
végétation et il y a des traces de pas dans la neige… plusieurs... qui arrivent
et repartent dans les sous-bois… Je prends une photo…
-Essaye de filmer;
il nous faut une vue d’ensemble aussi.
-D’accord.
Paul voit
l’hélicoptère survoler l’endroit pendant quelques instants.
-Faites aussi un
tour complet du lac pour voir si vous ne voyez pas autre chose; où pourraient
déboucher les traces de pas, par exemple, ou d’autres indices.
-Oui, bien sûr.
Pendant que Roxanne
termine son investigation aérienne, Paul se dit que ces traces pourront sans
doute leur dire si le décès de Simon-Pierre Courtemanche est accidentel ou non.
Il se met à réfléchir sur les lieux où il faudra enquêter. Sa famille tout
d’abord… Tiens, c’est vrai ça !? Comment se
fait-il que personne n’a signalé sa disparition ?... Voyons, il a neigé sur la
région durant l’avant-dernière nuit… mettons que « l’accident » a eu
lieu hier matin… il est resté au minimum une demi-journée dans l’eau et il
était donc absent de chez lui depuis probablement près de vingt-quatre… Comment
se fait-il que personne n’a signalé son absence hier soir ? Est-ce qu’il vivait
seul ?... Je ne le sais même pas…
Paul se rend compte qu’il a côtoyé le journaliste
pendant des années, qu’ils se sont vus fréquemment, qu’il a répondu à ses
questions en de très nombreuses occasions, qu’ils se sont mutuellement
manifesté du respect, qu’ils avaient développé entre eux une sorte, peut-être
pas de complicité, mais de connivence professionnelle, et que en fait, au bout
du compte, il ne sait rien de lui. Il ne sait rien de lui en dehors de leurs
liens professionnels; il ne sait rien de sa famille, si même il en a une, s’il
vit seul, ou en couple ? Est-ce qu’il y a
quelqu’un qui l’attend quand il revient à la maison après une journée de
travail ? A-t-il des enfants, des frères, des sœurs, des vieux parents dont il
doit prendre soin ? Paul se rend compte qu’ils se sont parlés en de
multiples occasions au cours de toutes ces années à Papineauville et ailleurs,
mais, c’est vrai, sans jamais partagé quoi que ce soit d’un peu personnel; il
ne sait rien de son passé, de ses autres activités en dehors de son travail de
journaliste, rien de ses goûts, rien de ce qui l’intéresse dans la vie…
Soudain, comme un éclair dans la nuit, un souvenir lui
revient en mémoire… Qu’est-ce qu’il m’a
dit il y a quelque temps ?... C’était au cours de l’enquête du couple mort chez
les sœurs des Saints-Noms-de-Marie-et-Jésus à Plaisance. Qu’est-ce qu’il m’a
dit ?... Je revenais de Plaisance… Est-ce que j’étais avec Roxanne ?… Oui, je
crois que Roxanne était là, et il m’a accosté de sa façon coutumière à l’entrée
poste et… qu’est-ce qu’il m’a dit ?... En fait, c’est moi qui lui ai parlé en
premier… Oui, c’est ça, je lui ai dit quelque chose comme : Tiens,
voilà mon journaliste préféré. Ne me dis pas que tu m’attendais ? Et là, il a
répondu… Ah oui, ah oui, je lui ai dit qu’il se faisait rare ces temps-ci…
C’est ça !! Il a répondu : C’est vrai, chef; je n’peux pas vous en dire
beaucoup pour l’instant, mais je suis sur un vrai coup fumant… Oui, il a
employé le mot « fumant »; un reportage qui va faire du bruit, ça je
peux vous le garantir. Et il a terminé par : Je vous dis que c’est
pour très bientôt !... Il était donc en train de travailler sur un reportage
qui « ferait du bruit ». Qu’est-ce que ça peut bien être ? Il n’a
rien dit de plus. Un problème de destruction de l’environnement ? Un abattage d’arbres
illégal ? Du braconnage ? De la vente de gibier ? Un autre trafic ? Il
s’intéressait à tout. La corruption dans une municipalité du coin ? Un monopole
dans le déneigement des routes ? Un scandale sexuel ? Ce serait à la mode ces
temps-ci ! Voilà ce qu’il faudrait élucider, à quoi il consacrait ses
recherches, et surtout, est-ce que son décès a un quelconque rapport avec son
enquête ?... Il aurait mis le nez ou le doigt sur quelque chose de si gros qu’
« on » a voulu l’éliminer ? Ça me semble incroyable ! Qu’est-ce que
pourrait bien être ?
Paul prend une mine sérieuse. Il faut que j’envoie tout de suite une équipe investiguer à son
journal. Il faut fouiller dans ses affaires, dans son ordinateur, dans son
bureau, son téléphone, dans ses papiers; il avait toujours un petit carnet noir
dans lesquels il prenait toutes sortes de notes; il faut le retrouver; il faut
savoir sur quoi il enquêtait. Est-ce que son patron, son supérieur, le savait ?
Il faut aller le voir tout de suite…
Donc, contacter
sa famille et interroger les siens; réquisitionner chez lui; réquisitionner son
bureau et interroger son patron et ses collègues de travail; retrouver sa
voiture aussi ! Il n’est pas venu tout seul ici… Ça fait bien de choses.
J’appelle Roxanne.
Le soleil est maintenant haut. Le temps frisquet du
matin s’est dissipé, de même que les nuages qui faisaient grise mine. Paul
regarde sa montre : il est passé midi depuis un bon moment. Il doit aussi
penser à sustenter son équipe.
-Turgeon ! Tu t’es bien séché ?
-Chef…
-Fais-le tour de l’équipe et demande-leur si du
poulet, ça fait leur affaire. Puis tu iras à Saint-Michel ou même au Lac
chercher à manger pour tout le monde.
-Mais vous savez que Sabrina est végétarienne…
-Alors demande-lui si elle veut une salade ou
n’importe quoi… Ou alors va la remplacer à la grille et envoie-la chercher à
manger pour tout le monde…. Attends, avant on va remettre le bateau sur la
remorque… Non… Je crois qu’on ferait mieux d’attendre à plus tard. D’un coup il
nous faudrait revenir sur le lac.
Paul prend le micro dans la voiture.
-Roxanne ! Vous avez fini de survoler le lac ?...
-Oui, on a fini.
-Écoute il faudrait retrouver la voiture de
Courtemanche. Si vous avez assez de carburant, suivi les quelques routes des
environs et vois si tu ne peux pas trouver une voiture abandonnée.
-C’est quoi sa voiture ?
-Tu sais, il venait toujours nous voir avec sa Mazda...
une Mazda 3 je crois; appelle Johane au poste, elle te trouvera toutes les
informations, et la plaque, en deux ou trois clics.
-Ça va; on peut voler encore une bonne heure avant de
devoir repartir; on va chercher sa voiture.
-Ensuite, quand tu seras de retour au poste,
trouve-moi qui il faut avertir de la famille de Courtemanche; sa femme, ses
enfants… Je ne sais pas. Tu pourras faire les démarches auprès d’eux, mais
tiens-moi au courant.
-Oui, bien sûr, mon chef; compte sur moi.
L’hélicoptère s’éloigne dans sa crépitation
caractéristique au-dessus de la cime des arbres. Bientôt on ne l’entend plus.
Après la pause-repas, Paul décide de commencer par les
plus proches voisins; les habitants du lac Farmer. Il laisse Benoît et Sabrina
à l’entrée pour préserver le site de l’invasion des curieux.
-Bon il y a quinze maisons autour du lac, ce qui fait
cinq chacun, explique-t-il aux deux autres, Isabelle et Turgeon, près des
voitures; ce qui fait cinq chacun. Je prendrais les cinq dernières, notamment
celle des frères Couture, et vous vous séparez les autres. S’il n’y a personne
dans l’une ou l’autre, on reviendra demain. Quand vous avez fini, retournez à
Papineauville, écrire vos rapports. Je ne sais pas si on se verra plus tard,
sinon on se voit demain, pour la rencontre du matin.
Les cinq visites qu’effectuera Paul ne lui apprendront
pas grand-chose de nouveau. Non, on n’avait rien entendu, non, on n’avait rien
vu d’anormal ni d’inhabituel. Non, on n’avait pas vue de véhicule étranger dans
le coin, ni de Mazda 3 rouge. Et oui, tout le monde se plaignait du
comportement tapageur des frères Couture, et on aimerait « bien savoir
pourquoi la police ne faisait rien pour régler le problème ! On ne vous paye
pas à ne rien faire ! »
En fait, Paul avait bel et bien frappé à cinq portes,
mais on ne lui avait ouvert u’à trois d’entre elles. La deuxième et la dernière
maison étaient vides, dont celle des frères Couture.
-Bonjour ! Il y a quelqu’un ?
Paul contourne la maison en longeant le garage. Le
terrain descend en pente douce et vient se faire lécher par les eaux du lac. Il
s’arrête à mi-pente. La vue sur le lac est magnifique. Les oranges des arbres
de la rive opposé se reflètent dans l’eau couleur aubergine en un enchanteur chatoiement.
Amarré à un quai de bois, Paul voit un énorme bateau à moteur qui tranche
agressivement avec le reste de l’environnement. Il s’avance sur le quai et
jette un coup dans le bateau. Y trouvera-t-il des taches de sang ou encore
quelques armes prohibées ?
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