Cela se passait près d’un lac
Chapitre 2
Paul vient à peine de franchir la porte de son bureau
au Poste de la Sureté du Québec à Papineauville quand il voit scintiller la
lumière de son téléphone. Il vient tout juste de faire le tour des uns des
autres en ce lundi matin comme il le fait à chaque début de semaine, histoire
de voir où en est chaque membre de son personnel, de bien sentir le pouls de
son équipe, histoire de démarrer la semaine du bon pied.
Il a commencé par dire un beau bonjour à Johanne la
réceptionniste, celle qui, jour après jour, filtre tous les appels, des plus
sérieux aux plus farfelus, celle qui sait écouter les doléances des citoyens en
colère ou frustrés (c’est rare qu’on téléphone à la police pour lui faire des
compliments ou lui offrir des félicitations !), celle qui distribue les
formulaires appropriés pour les plaintes ou les dépositions, celle qui reçoit
tous les visiteurs et qui les oriente selon leurs besoins avec une patience d’ange,
toujours avec le sourire. Il est ensuite passé par le local informatique où
travaillaient Yannick et son équipe, toujours absorbés par leurs écrans, mais d’une
impressionnante efficacité, des collaborateurs si précieux et de plus en plus
précieux alors que les crimes par internet augmentaient de façon exponentielle.
Puis, il est allé saluer les recherchistes et les archivistes qui épluchent scrupuleusement
des documents et des dossiers à longueur de journée, dans tous les recoins de l’univers
judiciaire et qui comme le dit le dicton, savent « trouver une aiguille
dans une botte de foin ». Et enfin il a fait un tour aux cellules qui n’ont
pour l’instant qu’un seul occupant. C’était l’agent Marc-Michel Vermette qui en
avait la garde.
-Qui c’est celui-là ?
-Richard Johnson de Montebello; un jeune homme de
vingt-et-ans.
-Qu’est-ce qu’il a fait ?
-Il a été pris en été pris au volant en état d’ébriété,
la nuit dernière, et par surcroît sans en avoir le droit, car son permis de
conduire avait déjà été suspendu il y a deux mois.
Une voix enrouée se fait entendre :
-C’est même pas ma faute !!
Paul regarde son agent :
-Il y en a qui ne comprendront jamais. Il devra
comparaître aujourd’hui…
-Oui, aujourd’hui au demain; tout dépend des
disponibilités au tribunal.
-Qui l’a ramené ici ?
-C’est Daniel Turgeon.
Il avait terminé sa « ronde » en allant
faire la bise à sa fille Roxanne, son adjointe si précieuse et si efficace. Elle
devenait une collaboratrice, une complice sur qui il pouvait compter les yeux
fermés. Et quand il fermait les yeux, il se voyait à la retraite et il l’a
voyait prendre sa succession.
Il est vrai que ces temps-ci, Roxanne rayonnait. Paul
croyait qu’à la suite de sa rupture avec son amoureux mexicain, elle aurait été
quelque peu déprimée, abattue. Non, bien au contraire ! Ils avaient décidé, il
y a à peine un mois, de faire un petit voyage qui devait leur permettre de se
rapprocher et de raffermir leur couple. Tu parles ! C’est elle qui l’avait
quitté en plein séjour à Cuba parce qu’il la délaissait sans vergogne ! Mais à
peine rentrée, elle était tombée sous le charme d’un bel officier du poste de
Granby, là où une enquête récente les avait menés tous deux. Miguel Del Potro
qu’il s’appelle; il est arrivé tout jeune de Colombie avec ses parents réfugiés.
Un autre latino ! avait-il soupiré intérieurement.
Samedi soir dernier, il y a deux jours, ils étaient venus
chez Juliette qui les avait invités pour souper. Paul n’était pas encore
officiellement installé chez elle, mais ce n’était plus qu’une question de
temps. Il y passait la majeure partie de son temps et n’allait plus qu’occasionnellement
dans sa maison de Plaisance. Pendant qu’ils cuisinaient ensemble, Paul avait
fait part à sa Juliette de son désaccord, de ses inquiétudes et des appréhensions.
Il martelait qu’il ne voyait pas cette nouvelle flamme de bon œil; il disait
que sa fille se lançait un peu trop vite dans une autre aventure, sans avoir
fait le deuil de la précédente.
Mais ce n’était pas l’avis de Juliette Sabourin. Évidemment,
car Juliette aussi était tombée sous le charme de Miguel, solidarité féminine
oblige. Il avait des yeux taquins et rieurs; des cheveux légèrement ondulés,
très noirs, et bien sûr il était bien baraqué, costaud comme doit l’être un bon
policier, tout le contraire de son artiste mexicain chétif et malingre à
souhait. Mais Paul avait bien dû se rendre compte durant cette soirée que
Roxanne et Miguel s’entendaient très bien. Il avait de l’humour, mais surtout
il savait écouter et il laissait à Roxanne toute la place qui était la sienne.
C’était le gendre idéal ? Il ne voulait pas aller trop vite en affaire. Il ne
voulait pas encore admettre trop vite que sa fille était bien. Miguel était
venu de Granby et avait passé la fin de semaine chez Roxanne; et Juliette et
Paul voyait qu’elle ne tarderait pas à lui faire une place dans sa maison comme
elle était en train de lui en faire une dans sa vie.
-Tu as bien tort de t’en faire, vieux rabat-joie !...
lui avait rétorqué Juliette. Moi, je trouve qu’ils vont très bien ensemble. Et
puis elle a déjà rencontré ses parents, et ç’a été trés agréable, selon ses
dires. Le fait de parler espagnol fait certainement partie de l’équation. En
plus, ils font le même métier; ils ont plein de choses en commun.
-Je sais que tu as raison, mais…
-Mais tu veux être de mauvaise foi, voilà tout. Allez,
on termine la vaisselle et on va se coucher ! Je suis fatiguée… de t’entendre.
Ainsi, ayant à peine franchi le seuil de son bureau,
Paul voit le clignotant de son téléphone s’allumer.
Mais je viens de
parler à tout le monde ! Il décroche; c’est Johanne.
-Patron, j’ai un un appel du centre d’urgence. On les
a appelés pour ce qui semble être un accident grave au lac Dansereau; il y a
probablement un mort. L’ambulance est déjà chemin.
-Bon… on part à trois équipes ! Appelle-moi Roxanne et
Isabelle, et Turgeon et Sabrina, et je prends aussi Benoît. Je pars avec lui.
En voiture dans trois minutes ! Envoie -nous les coordonnées dans nos GPS de
bord. Fais-moi aussi débloquer le bateau et que Turgeon l’accroche à sa
voiture.
Tout comme l’ambulance un peu auparavant, les voitures
de polices s’étaient fait ballotées dans le dernier kilomètre de chemin de
terre qui menait au chalet des jésuites; on avait même eu peur que la remorque
du bateau se détache.
Paul, entouré ambulanciers parlait avec Jean-Marc Bouchard,
qui lui répétait ce qu’il avait leur déjà dit.
-C’est un cadavre que j’ai trouvé coincé entre deux
rochers qui affleurent à la surface de l’eau, dans une des petites baies du
côté droit. Je ne l’ai pas déplacé, je ne voulais pas déranger de qui pourrait
être une scène de crime, mais de toute façon, mouillé comme il est je n’aurais
jamais pu le monter seul à bord de la chaloupe. J’ai presque quatre-vingt ans
vous savez.
-Vous avez l’air en forme.
-Oh vous savez l’année dernière deux de nos frères
sont morts : l’un a 102 ans et l’Autre à cent ans juste.
-Avez-vous remarquer quelque chose de suspect, par
exemple des bruits inhabituels, hier soir, ou dans la nuit ?
-Oh, il y a bien le hors-bord des frères Couture qui a
fait du boucan hier soir, sur le lac Farmer d’à côté mais on commence à être habitués.
De toute façon, ils le font exprès.
-Est-ce que vous avez vu quelqu’un roder dans les
parages ?
-Non, personne. Je me suis levé à sept heures comme d’habitude
et je n’ai rien vu.
-Bon, pendant qu’on va récupérer le corps, un de mes
agents va prendre votre déposition.
-Vous savez, je le connais le cadavre…
-Pardon ?
Je sais c’est qui.
-Vous savez c’est qui ? C’est l’un de vos confrères ?
-Non ! C’est un journaliste. Le journaliste de journal
local.
-Simon-Pierre Courtemanche ?
-C’est ça, le nom ne me revenait pas, mais oui, c’est
lui. Bien que son visage soit tout ravagé je l’ai reconnu.
-Bon, on va aller vérifier tout ça; nous allons mettre
le bateau à l’eau et nous allons aller le chercher.
-Pardon, commandant, c’est un bateau à moteur que vous
avez là ?
-Bien sûr…
-Ben, vous savez, on n’a pas le droit de mettre de
bateau à moteur dans ce lac; il y a une loi qui dit qu’il faut le conserver
dans son état original et ne rien y changer.
-Il n’y a jamais eu de bateau à moteur sur le lac
Dansereau ?
Jean-Marc Bouchard se redresse de fierté :
-Non jamais !!
-Et bien, je considère que c’est un cas de force
majeure. Pour la première fois il y en aura un.
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