Cela se passait près d’un lac
Chapitre 9
À peu près au même moment où Roxanne et Isabelle
accompagnaient la fille de Simon-Pierre Courtemanche à la morgue au centre
hospitalier de Buckingham, Benoît menait son investigation dans les bureaux de
l’hebdomadaire Au Courant, à
Gatineau. En fait l’édifice en question, de facture moderne, dans lequel
étaient situés les bureaux du journal comprenait aussi les installations de
plusieurs médias, notamment celle de la radio communautaire CHGA de
Gatineau-Ottawa, un petit studio d’enregistrement de Radio-Canada local ainsi
que les services de distribution du PubliSac.
Le rez-de-chaussée étant occupé par des restaurants et
des petites boutiques très à la mode genre fleuriste ou kiosque de téléphonie. Au Courant occupait tout le premier
étage de l’édifice.
Benoît était en en conversation avec le directeur du l’hebdomadaire
Marco Saccetti, mais du coin de l’œil il pouvait voir que l’endroit en entier s’était
arrêté de tourner. Quelques personnes s’étaient avancées sur le pas de la porte
pour écouter ce qui se passait dans le bureau du directeur, d’autres essayaient
tant bien que mal de se réconforter.
-Vraiment je ne comprends pas ce qui a pu se passer !
Tout le monde aimait Simon-Pierre. Qui a bien pu lui en vouloir au point de le
tuer ?... Vraiment, pour moi c’est totalement incompréhensible !
-Vous appréciez son travail ?
-Bien sûr ! Il aurait pu être un grand journaliste; il
était un grand journaliste, reprend le
directeur en appuyant sur chacun des mots. C’est une perte énorme pour notre
journal. Une perte irremplaçable. Je n’avais jamais besoin de lui dire quoi
faire; il était toujours à la bonne place; il avait un flair infaillible. Il
était très consciencieux; très soucieux de la vérité et de la véracité de ce qu’il
écrivait. Son français n’était pas parfait, il faisait, parfois de petites
fautes qu’il fallait corriger - mais qui n’en fait pas ? -, mais il avait le
don particulier, celui de raconter une histoire. Croyez-moi, il n’avait pas son
pareil pour capter l’attention du lectorat. Même les plus petites péripéties de
la vie quotidienne prenaient sous sa plume une tournure intéressante et
insoupçonnée. Et il savait prendre de bonnes photos. Il n’était pas le plus
technologique d’entre nous… ça pour dire vrai… mais ce n’est pas ça qui l’empêchait
de faire un excellent travail.
-On croit savoir qu’il enquêter sur un sujet particulièrement
sensible depuis quelque temps; est-ce qu’il vous a fait part de quelque chose ?
-Il ne me disait jamais rien ! Au début, ça m’enrageait;
mais avec le temps j’ai appris à vivre avec. C’est vrai qu’il était d’un
naturel discret. Il s’entendait bien avec tout le monde, mais il gardait quand
même ses distances. Il ne partageait pas beaucoup sur sa vie personnelle. Je ne
sais même pas s’il avait de la famille. J’espère que l’aura prévenue… Je
suppose que sa famille, c’était son travail.
-Depuis quand êtes-vous le directeur du journal ?
-Depuis environ cinq ans.
-Vous le connaissiez donc avant ?
-Non, j’arrivais d’un bureau de communications d’Ottawa
quand j’ai été nommé. Je me souviens que lorsque mon prédécesseur a pris sa
retraite on lui a demandé s’il était intéressé au poste de direction, mais il a
refusé tout net. Il aimait les faits divers et c’est là « qu’il voulait mourir »
!... Si j’avais su à l’époque… Vraiment… comment… comment est-ce qu’une telle
chose peut arriver ? Ça va faire la une de notre prochaine édition, c’est sûr.
Mais il faudra traiter l’histoire sans faire de sensationnalisme… comme lui l’aurait
fait.
-Est-ce que je peux voir son bureau ?
-Bien sûr, je vous y mène.
-J’ai une autorisation d’emporter son ordinateur ou
tout autre matériel jugé intéressant.
-Prenez tout ce qui vous sera utile à l’enquête ! Il
faut qu’on découvre ce qui lui est arrivé. C’est affreux.
À peu près au même moment où Roxanne et Isabelle
accompagnaient la fille de Simon-Pierre Courtemanche à la morgue au centre
hospitalier de Buckingham, et que Benoît Roy-Buffo enquêtait sur son lieu de
travail à Gatineau, Félix Turgeon entrait dans le bureau de son chef, à Papineauville,
pour lui faire le bilan de ses investigations sur le passé de frères Couture.
Paul avait passé la matinée à préparer et à signer les diverses demandes de
perquisitions. Ça peut sembler de la paperasse et ça l’ai en vérité mais c’est
le genre de tâche qu’il faut vraiment faire avec soin. Une assignation mal
formulée, une demande de perquisition non justifiée, un simple formulaire mal
signé peut faire déraper toute une enquête et même parfois faire avorter un
procès. Certaines démarches, comme la permission de mettre quelqu’un sous
écoute ou sou filature, exigent l’autorisation d’un juge.
-Entre, Turgeon; assied-toi. Alors qu’est-ce que tu as
trouvé ?
-Bien des petites choses à gauche et à droite mais
rien de vraiment consistant.
-Précise.
-Le gros du dossier des frères Couture est formé des
nombreuses plaintes pour nuisance publique ou pour tapage nocturne, ou pour
non-respect des règlements municipaux, ou encore pour destruction de
l’environnement, toujours en rapport à leur utilisation de véhicules à moteur
sur le lac Farmer. Il y en a eu 54 exactement.
-Cinquante-quatre ! En même pas deux ans !
-Ça a l’air d’une vraie lutte à finir entre les frères
Couture et les autres résidents des rives du lac Farmer. On a l’impression
qu’il y a une stratégie commune : tout le monde contre eux. C’est vrai ils
ont gagné une manche importante dans la question des droits acquis. C’est vrai
dans les règlements municipaux, la non-utilisation de bateaux à moteur sur le
lac n’avait jamais été spécifiée; c’était tellement évident que personne
n’avait pensé à le mettre noir sur blanc. Alors il y a un premier jugement qui a
confirmé leur droit de naviguer en bateau à moteur. Mais depuis ce temps, tous les
autres résidents les poursuivent à tour de rôle - ils se relaient – sous tous
les prétextes possibles et imaginables; il y en a des chapitres pleins. Ça leur
a coûté une fortune en frais juridiques et en avocat, mais je crois que leur
stratégie, c’est de ne pas arrêter de les harceler, de les écœurer au point où
ils décident de partir d’eux-mêmes.
-Et je pense que ça va réussir.
-Ah oui ?
-Oui, c’est Normand qui m’a dit ça hier quand j’y ai
vais la première visite. Bon, et puis à part leurs ennuis avec leurs voisins.
-Pas grand-chose. Normand a déjà été accusé deux fois de
voie de fait dans l’exercice de ses fonctions comme doorman dans un club, mais la
première il y a eu non-lieu, et la deuxième fois, ça s’est soldé par une
entente hors-cours.
-Et Marc-André.
-Une condamnation pour recel de marchandise volée. C’était
une histoire de vol de sirop d’érable. Il a été condamné à une amende et à une
peine avec sursis.
-Et leurs emplois, est-ce qu’ils travaillent où ils l’ont
dit ? L’un chez Loblaw’s et l’autre… ah oui, Normand est sur la CNESST[1].
-C’est vrai, dans les deux cas.
-Fouille cet aspect; fouille leurs revenus leurs
avoirs. C’est vrai que je n’ai rien vu d’extravagant : deux frères avec deux
salaires et sans enfants peuvent se payer un bateau, des voitures ou des
motoneiges. Mais il faudrait s’assurer qu’ils ne dissimulent pas de revenus
illicites à quelque part.
-Bien, chef.
À ce moment de l’échange entre les deux hommes, Yannick
entre dans le bureau de façon un peu impromptue.
-Chef, j’peux vous parler.
-Oui. Qu’est-ce qu’il y a ?
-J’pense que j’ai trouvé quelque chose.
-On t’écoute.
-Il faut plutôt regarder, dit Yannick en brandissant
son ordinateur portable. Regardez bien… Pendant que Benoît aller faire sa quête
dans le bureau du journaliste et pour me rapporter son ordinateur, je me suis à
travailler les prises de vue de Roxanne. Regardez… Dans celle-là on voit nettement
l’empreinte d’une botte de travail d’hommes.
-Oui, c’est vrai.
-Et j’ai trouvé non seulement la pointure, mais aussi
la marque ! C’est un modèle Dakota PS200, assez commun de taille 12.
Félix Turgeon sourit : « Et as-tu trouvé la
couleur en plus ? »
Paul lève les yeux sur lui puis se tourne vers Yannick
qui reprend :
-C’est un modèle assez particulier avec protection des
orteils en acier, qu’on utilise dans les métiers de la construction ou encore
dans les entrepôts…
-Beau travail, Yannick; beau travail
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