Cela se passait près d’un lac
Chapitre 10
-Oui, Juliette… Oui… Il nous reste encore une petite
heure de travail et ensuite j’arrive… On fait le bilan de la journée… Oui, je
mangerai en arrivant… Tu m’attends ? Ne te sens pas obligée… Qu’est-ce qu’il y
a ?... Que j’invite Roxanne ?... D’accord, je vais lui demander... Oui, je
sais… D’accord ça va.
Paul raccroche, et se tourne vers sa fille.
-Juliette nous garde le souper au chaud : une
soupe aux légumes et des cubes d’agneau rôtis à l’ail avec haricots et carottes,
qu’elle a fait cette après-midi, et elle t’invite.
-Ça a l’air appétissant.
-Je sais que ça te fera revenir tard chez toi… mais ça
t’éviterait de te faire à manger toi-même en arrivant.
-Oui, oui, je viens. Alors commençons, si on veut
terminer.
Ce soir-là, Paul et Roxanne se trouvent encore dans le
bureau du premier et se partagent mutuellement les informations que les
différentes équipes de recherches ont récoltées durant toute une journée d’investigation,
que ce soit auprès la fille Léonie de Simon-Pierre Courtemanche, dans le milieu
de travail du journaliste à Gatineau et auprès de ses collègues, au chalet de
jésuites même sur le plan d’eau desquels son corps a été retrouvé, ou encore
dans sa voiture.
Paul était en train d’expliquer à sa fille que la
voiture du journaliste qu’elle avait repérée grâce au survol effectué en hélicoptère
a été remorquée dans le garage du poste de la Sureté du Québec, lorsque que
Juliette avait appelé.
-On l’a examinée sous toute les coutures et on n’a
rien trouvé, en tout cas rien de compromettant. Pas de tâche de sang, rien de
brisé ou d’abimé, aucun objet suspect. Ça reste à confirmer, mais il semblerait
qu’il avait quitté son véhicule quand il a été agressé. Et probablement que ses
agresseurs ont déplacé son véhicule dans ce petit chemin, le chemin Morgan, près
d’Huberdeau, à plus de trente-cinq kilomètres de Saint-Michel, simplement pour
brouiller les pistes.
-Oui… on peut supposer qu’il a dû sortir pour aller…
disons, que c’est une hypothèse, peut-être regarder ou observer quelque chose,
et qu’il s’est fait prendre.
-Peut-être… La seule trouvaille d’intérêt est qu’on a
trouvé ses empreintes digitales dans la voiture, bien sûr, mais aussi toute une
série d’empreintes, qui revenaient plusieurs fois. Probablement celles d’un
homme.
-Donc il aurait eu un passager ?
-En tout cas quelqu’un qui a voyagé plus d’une fois
avec lui, dans son véhicule… mais est-ce que ce quelqu’un était avec lui lors
de son voyage ? Est-ce que ce serait son agresseur ? Il n’y a pas moyen de le
savoir pour l’instant.
Roxanne, à sa façon caractéristique, serre son poing
sous son menton.
-Je pense à quelque chose. Nous savons maintenant de
ce que nous a dit sa fille qu’il était gay… Qu’est-ce qu’il y a ? Tu en fais un
air ?
-Je suis tombé des nues quand tu m’as dit ça ! Je m’attendais
à bien des choses, mais jamais à ça ! Je l’ai côtoyé des années, et jamais,
jamais, je ne m’en suis douté. C’est vraiment incroyable !
-C’est vrai, mais c’est comme ça… Sa fille a dit qu’il
avait eu deux ou trois conjoints successifs; je me dis qu’il vivait peut-être
avec quelqu’un, et que les empreintes dans la voiture seraient celles de son
conjoint.
-Pas bête comme idée… mais s’il vivait avec quelqu’un
comme tu dis, pourquoi cette personne… ce conjoint, n’a pas signalé sa
disparition ?
-Bonne question.
Dès demain, tu iras réquisitionner son domicile pour
essayer de découvrir le fin mot de l’histoire.
-Oui; fouiller dans ses affaires nous en apprendra davantage.
C’est une piste essentielel à creuser.
-Oui, même si pour l’instant cette nouvelle piste obscurcit
encore plus le cas Courtemanche… Bon, maintenant le chalet des jésuites… Et,
mais ça me fait penser… pour en revenir avec cette piste de l’amant mystérieux,
je suis sûr qu’il y a des jésuites qui sont homosexuels !!
-Papa ! Qu’est-ce que tu vas imaginer !?... Tu crois…
tu crois que ce serait ça le lien ? Tu penses qu’il avait une liaison…
amoureuse avec un jésuite ? C’est quand même un drôle de supposition ! Ce sont
des religieux !
-Je ne sais pas… Mais tout peut arriver dans ce bas monde
et dans le monde des religieux. Rappelle-toi de la liaison secrète entre le
pasteur Saint-Cyr avec Nancy Fournier secrétaire de la municipalité[1].
Rappelle-toi ce que nous avait dit le pasteur Dumas sur son étudiant de Vancouver,
Leonard Bishop et qui aimait trop les petits garçons[2].
Rappelle-toi d’Émile Vadnais l’assistant du pasteur de Bellavance de l’église
évangélique de Ripon qui avait été muté à cause de comportements inappropriés
auprès des adolescentes[3].
Et rappelle-toi tout récemment les liens entre le frère Jean-Yves Galarneau de
Granby, et Gisèle Saint-Germain la mère supérieure des SNMJ de Plaisance[4]
qui ont manigancé ensemble l’élimination de deux témoins gênants
-En effet; tout peut arriver comme tu dis.
-Mais il y a plus : quand j’ai fait ma première visite
du chalet avec le père Bouchard, il y avait quelque chose qui clochait dans le
sous-sol; ça me turlupinait mais je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus.
-Et alors ?
-Alors, j’ai finalement compris : c’est sa grandeur,
sa taille. Généralement un sous-sol, ça fait toute la surface d’une maison, n’est-ce
pas ?, et lui non : il en faisait à peine la moitié, même pas les deux
tiers. Pourquoi ?
-Et tu t’imagines qu’il pourrait y avoir une chambre
secrète dissimulée dans ce qui devrait être le sous-sol ?
-Je ne sais pas, mais quand j’ai envoyé Sabrina et
Daniel y faire une fouille plus… fouillée...
-Une fouille plus fouillée ! Ça sonne drôle.
-En tout cas, quand j’ai compris, je les ai appelés
pour leur faire part de mes soupçons et d’aller examiner attentivement le
fameux sous-sol.
-Et…
-Et ils n’ont rien trouvé : pas de porte dissimulée,
pas de mur qui sonne creux, pas de chambre secrète, ni de faux sous-sol. Ils n’ont
trouvé d’ailleurs aucun indice qui pouvait clairement démontrer la présence de
Courtemanche au chalet ou sur le terrain dans les jours précédents sa mort.
-Ce qui veut dire…
-Ce qui veut dire qu’il ne faut pas complètement négliger
cette piste; on ne la priorise pas pour l’instant, mais je ne l’abandonne pas
totalement. Je me réserve le droit d’aller interroger les occupants du chalet
durant les dernières semaines, juste pour m’assurer que personne n’a rien vu de
suspect, ou encore qu’ils n’ont rien à cacher.
-Et toi, tu ne devais pas retourner inspecter la
maison des frères Couture ?
-Oui, j’y suis allé cette après-midi avec Turgeon;
mais ça rien donner. À part que j’ai rencontré le deuxième frère Marc-André,
encore plus malcommode, mal embouché que Normand. Au début, il ne voulait pas
nous faire entrer; c’est Normand qui l’a persuadé d’ouvrir la porte. Je n’ai
rien pu lui faire dire. Il a répété à peu près la même histoire que son frère,
mais, qu’est-ce que ça veut dire : Normand aura parlé à son frère de notre
première visite et ils ont dû se parler pour concocter une histoire crédible.
Bon, bref, on a fait le tour mais on n’a rien trouvé de suspect dans la maison,
ni dans ce garage qui aurait pu cacher bien des affaires : rien que des
machines et des moteurs. Aucun équipement illicite, ni distillerie ni alambic,
ni laboratoire clandestin; pas d’explosif non plus, ni marchandise volée. On a
bien trouvé un petit sac de canabis dans l’un des tiroirs avec une trentaine de
gramme, mais je n’ai rien dit; ça n’en valait pas la peine. Pourquoi mettre de
l’huile sur le feu ?... Alors, il reste juste cette empreinte de botte…
-Celle qui était dans la neige en haut de la falaise…
-Exactement, celle que tu as prise de l’hélicoptère et
que Yannick a réussi à analyser; les deux frères Couture portent des bottes Dakota
modèle PS200, et les deux de taille 12. Je les ai vues.
-Mais une empreinte dans la neige, ce n’est pas assez
pour le faire porter le chapeau de la mort de Simon-Pierre Courtemanche.
-Je le sais, chère fille… Voilà où nous en sommes. Il
nous reste à espérer que l’autopsie pour nous en dire un peu plus sur les
causes de sa mort.
-Et il reste encore ce que pourront révéler les
recherches dans son domicile, ainsi Yannick vas trouver dans son ordinateur ou
encore l’inspection des papiers que Benoît a récolté à son bureau.
-Encore une piste qui ne semble pas mener très loin…
sauf…
-Sauf…
-Sauf un petit détail, tu sais ce tout petit fil qui
dépasse et sur lequel il faut tirer.
-Et tu penses à quoi ?
-Aux heures supplémentaires. Rappelle-toi, dans son
rapport mentionnait que son patron avait souligné que depuis quelques mois,
Courtemanche avait fait beaucoup d’heures supplémentaires, qu’il faisait des
semaines de cinquante heures et plus. Qu’il lui avait même dit de ralentir; il
lui a dit en blaguant, il y deux semaines, qu’il allait mettre le journal en faillite.
Alors, à ce moment, il avait arrêté de faire des heures supplémentaires.
-C’était un bourreau de travail.
-Il était minutieux, oui, mais je ne sais si c’est son
genre de travailler de cette façon. Est-ce qu’il mettait toutes ses heures sur « le
coup fumant » qu’il avait en tête ? Ou bien est-ce qu’il avait autre chose
?
-Bon; c’est nous qui sommes en train de faire des
heures supplémentaires. Le bon souper de Juliette nous attend.
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