lundi 24 août 2015

Les flammes de l’enfer

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                Cette région frontière entre l’Outaouais et les Laurentides, est encore aujourd’hui demeurée en-dehors des circuits touristiques ou du développement commercial. Et ceci était particulièrement vrai pour Noyan, qui en tant que village protestant,  avait longtemps été tenu à l’écart par les autres villages de la région. Pendant des décennies on s’était regardés en chiens de faïence; ça n’allait pas jusqu’à l’hostilité et les menaces, mais on le regardait avec une sorte d’incompréhension, de perplexité, d’indifférence presque caricaturale.
Les choses avaient beaucoup changé depuis et les anciennes délimitations religieuses avaient disparu, mais Noyan était resté avec une sorte de complexe d’infériorité et une frilosité ambiante, alors que ses voisins avaient attrapé, même si c’était sur le tard, le virus du développement et des grands projets. Contrairement au Lac-des-Sables et à Notre-Dame-de-la-Croix, on n’avait pas eu de grands projets dont le but était d’attirer les touristes… et leur argent. Edmond Abel, le père du maire actuel Simon Abel, avait bien supervisé l’élaboration d’un grand jardin et d’un parterre fleuri autour de la mairie, bordé d’allées pour se promener, mais c’était surtout la population locale qui en profitait. Plusieurs des mariages récents y avaient été célébrés.
                Lac-des-Sables avait réussi à attirer des citadins de passages grâce aux magnifiques plages de sable fin autour de son lac. Déjà à l’époque de la coupe de bois, les responsables des chantiers avaient découvert le site et en avaient fait leur lieu privilégié de villégiature. Au fil des années et des générations, plusieurs enfants et amis s’étaient fait construire des chalets aux grandes baies vitrées autour du lac, surtout sur la partie est, la plus accessible. Un bon nombre de ces chalets avaient été transformés en fil des rénovations et des agrandissements en des maisons confortables habitables à l’année. Un, puis deux, puis trois hôtels avaient ouverts, augmentant d’avantage le nombre de visiteurs estivaux. La plage municipale qui autrefois s’étendait sur une bonne partie du lac, s’était considérablement réduite au fur et à mesure des acquisitions et du développement au détriment des plages privées.
La route 327 qui filait (presque) tout droit vers le nord en rejoignant les différents villages était la rue principale de Lac-des-Sables. Sinueuse  et toute en bosses, épousant les charmants tours et contours des rives du lac, elle ne permettait plus une libre circulation, surtout avec l’augmentation incessante du trafic automobile. On avait donc décidé de construire une toute nouvelle route qui, dans sa configuration plus rectiligne ne  passerait plus au centre dans le village mais qui le contournerait, le laissant de côté. Tout cet été là, une énorme machinerie de bulldozeurs, de pelles mécaniques, d’excavatrices, de foreuses, avait travaillé à construire la nouvelle route à travers les boisés. C’était certes une amélioration pour la circulation entre l’Outaouais et les Laurentides, mais bien des habitants se plaignaient de la poussière, du bruit, des détours, des dynamitages et de la perte de la beauté du site, et bien des commerçants s’interrogeaient, malgré les formidables profits du moment, à savoir si le fait que la route évitait complètement le village était ou non, à long terme, une bonne nouvelle pour l’économie du village…
Notre-Dame-de-la-Croix, le village au sud de Noyan, fêtait cette année le trentième-cinquième anniversaire de son « Festival de la patate ». Par une particularité de l’évolution de la vallée glaciaire une terre noire et fertile, excellente pour la culture des pommes de terre, avaient recouvert le coin sur des kilomètres carrés. Toute l’économie du village dépendait de la culture de ce tubercule. En été, les champs de cette petite plante aux feuilles vert mât, s’étendait à perte de vue. On en était venu bien sûr, à rendre un véritable culte à ce légume et on avait institué, à la mi-août, à la fin des récoltes, le Festival de la Patate.
Avec le temps, le Festival avait mal vieilli avec ses décors en carton-pâte, ses manèges brinquebalants, ses stands de tir à la carabine sur des ballons de toutes les couleurs, ses ventes d’artisanat local. La municipalité avait demandé à un entrepreneur en spectacle de le renouveler, le revamper, le rajeunir. Et l’entrepreneur avait proposé une formule vraiment moderne, une peu surprenante pour les gens du coin, mais qui avait attirait toute une nouvelle clientèle de motocyclistes et de caravaniers, qui étaient venus par centaine : un véritable succès ! Un grand chapiteau avait été dressé et les festivaliers avaient eu droit à un spectacle western par soir, des activités d’aérobie, des compétions d’hommes forts, des démonstrations de tracteurs à six et à huit roues, des tirs au « rayon laser », des dégustations d’une gastronomie parmentière nouveau genre, sans que ne soit abandonné l’indélogeable poutine aux mille saveurs, quand même !
On trouvait à Notre-Dame-de-la-Croix aussi le club de golf L’Oasis, (c’était le club de golf dont était membre Laurent Groulx, le président de Conseil de paroisse de Noyan et qui avait été impliqué dans la mort du pasteur Sébastien Saint-Cyr). Les propriétaires avaient dû déboiser une assez grande surface de forêts, niveler le terrain, dessiner et aménager le circuit, construire le stationnement et les bâtiments d’accueil avec vestiaires et l’inévitable bar du dix-neuvième trou. Mais l’investissement en avait certes valu la peine : le club de golf de dix-huit trous l’Oasis était le seul de la région, et il était donc très couru par tous les hommes d’affaires, les professionnels, les arrivistes en tous genres des municipalités environnantes.
Depuis une dizaine d’années, une nouvelle attraction avait vu le jour à Notre-Dame-de-la-Croix, plus au nord sur la route en s’en allant vers Noyan : un club de pêche et de villégiature familiale le Club Natura. Des promoteurs avaient vu le potentiel qu’on pouvait tirer du Lac Farmer. Ils l’avaient acheté, ainsi que tout le territoire aux alentours. Puis, après s’être assuré qu’il était bien isolé et qu’aucun poisson ne pouvait y entre en grillageant tous les ruisseaux qui s’y jetaient ou qui en sortaient, on l’avait « nettoyé » en le vidant de tous poissons. Il suffit pour cela de déverser la quantité de produits chimiques nécessaires pour éliminer toutes les sortes de poissons indésirables : crapets-soleils, barbotes, mulets, carpes… Une fois le lac « stabilisé » on y avait mis à profusion des truites arc en ciel, mouchetées, dorées, que les amateurs adorent pêcher. La pourvoirie de pêche du Lac Farmer avait aussi été grand succès.
Les propriétaires avait agrandi la surface du parc qui s’étendait maintenant jusqu’aux limites sud de Noyan. Sentant la bonne affaire, ils avaient ainsi ajouté des activités familiales comme des tables de pique-nique, des pistes d’hébertisme et un mini-zoo d’animaux sauvages. Tout le long de  la route 327, on pouvait voir des affiches aux slogans accrocheurs : Le Parc Natura, « Cerfs » riche d’expérience ! Le Parc Natura, « Ratons » pas ça, ou encore Le Parc Natura, touj « ours » palpitant.
Ouvert dès le mois de mars, jusqu’à la fin octobre (c’est la fête de la Halloween qui terminait la saison), on songeait, après dix an, à garder le Parc Natura ouvert toute l’année. Des nombreuses activités hivernales étaient en cours de préparation.

On avait construit des chalets sur toute la rive est du lac où des groupes de quatre à six pêcheurs pouvaient rester toute une semaine sans être dérangés, une vingtaine au total qu’on ne pouvait atteindre qu’en 4 X 4 ou encore bateau. C’est dans les débris encore fumants du chalet numéro 15 qu’on avait retrouvé un corps calciné pour lequel le chef pompier Simoneau avait téléphoné à Paul Quesnel.

1 commentaire:

  1. super cette nouvelle intrigue qui s'annonce aussi prenante que la première!
    amicalement Dominique

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