lundi 29 août 2016

Trahisons
Chapitre 13
-La première fois qu’elle est venue à une de nos activités c’était en avril dernier. Je connais chacun des membres de notre église personnellement, d’ailleurs on se connaît tous très bien, alors on remarque tout de suite les nouveaux et elle est arrivée à une de nos soirées de louanges que nous avions organisée à Ripon. Notre locale de rencontre se trouve à Saint-André, mais de tant en tant, on organise une soirée de prières ou de louanges chez l’un ou chez l’autre. Nous étions chez les Dufresne qui font partie de notre église depuis le tout début; ils ont deux enfants, un fils Bertrand et une fille Natacha qui va dans la même école que Joannie à Lachute; Bertrand est encore à l’école primaire. Natacha est plus un an jeune qu’elle, elle ne sont pas dans la même classe, mais c’est peut-être par elle qu’elle en avait entendu parlé. Nous étions environs une quinzaine, des adultes surtout, à chanter et à louer le Seigneur. Je me souviens qu’elle était venue, pas très longtemps et qu’elle avait l’air d’aimer ça. Deux ou trois semaines plus tard, elle est venue assister à notre culte du dimanche matin. Probablement qu’elle avait cherché notre adresse sur notre site internet. Des églises de la Réconciliation dans le coin, il n’y a en pas beaucoup !...
-Elle serait venue de son plein gré. En voiture ?
-Je ne sais pas; peut-être en vélo. Il n’y a que dix-sept kilomètres par les petites routes entre les deux villages.
-Donc elle est venue à votre… "culte" ?
-Oui, elle est arrivée alors que c’était déjà commencé et elle est restée en arrière un moment. Ce n’est pas moi qui l’ai abordée la première fois, c’est l’une de nos anciens, Émile, c’est lui qui a fait le premier contact. Comme le veut notre façon de faire, il lui a proposé de remplir une fiche de contacts, avec son nom, ses coordonnées, ses intérêts. Ces fiches sont très importantes pour nous, elles nous permettent de mieux répondre aux besoins de gens qui viennent cogner chez nous. Le Seigneur est tout-puissant, mais il a besoin d’un petit coup de pouce des fois ! Ce qui l’avait attiré chez nous, c’était la musique. Joannie chantait très bien; elle avait une voix extraordinaire, elle chantait comme chantes les anges; un don de Dieu. Nous l’avons tout-de-suite adoptée; d’ailleurs nous accueillons de la même façon tous les gens qui viennent vers nous. Nos deux chefs de chœurs Mélisandre et Marc-André lui ont demandé de chanter et ils l’ont tout de suite recrutée. Depuis ce temps, elle venait régulièrement à nos activités.
Paul jette un coup d’œil à sa fille qui vient de se glisser discrètement dans le bureau par la porte que Paul avait laissé entrouverte. Il reprend :
-Dites-moi z’en plus sur votre église, monsieur Bellavance.
-Nous comptons une soixantaine de membres, de Saint-André-d’Argenteil, de Ripon, de Notre-Dame-de-la-Croix, même une famille de Noyan. Nous avons commencé il y a cinq ans dans un local qui était à louer à Saint-André; au début il y avait moi, ma femme Francine et nos deux enfants et graduellement avec le bouche à oreille on a bâti une communauté de foi vivante et en croissance. Dans nos activités on a des études bibliques le mercredi, le samedi c’est l’enseignement, et le dimanche, c’est le clou de notre semaine, la célébration, deux heures d’adoration et de méditation de la Parole de Dieu. Il y a aussi les répétitions de musique et de chants le samedi soir avec un séance d’édification pour les jeunes. Nous avons plusieurs excellents musiciens, qui jouent de la batterie, de la guitare, de la trompette, des claviers. Il y a toujours quelque chose à faire à notre de Saint-André et nous avons aussi une équipe chargée de faire connaître notre église, des dépliants, des affiches, des cartes d’affaires à distribuer. ON a toute une réserve de matériel publicitaire et de documentation. Des livres sur la foi, sur la religion, sur la discipline de vie, sur les valeurs évangéliques… des livres de chants aussi et de CD aussi. Pour revenir à Joannie, c’est l’aspect musical l’intéressait le plus, mais elle était en recherche, elle recherchait la vérité, l’authenticité. Alors petit à petit, à force de parler avec elle, elle a commencé à s’intéresser à Dieu et à son amour pour tous les hommes.
-L’avez-vous vue la première fois qu’elle est venue ? Comment était-elle ?
-Je l’avais remarquée c’est sûr, on remarque toujours les nouveaux arrivants, mais c’est Émile qui l’a approché le premier. À la fin de la célébration, il est venu m’en parler; il voulait me parler mais elle était partie avant la fin. Il vient toujours me présenter les nouveaux arrivants et ensemble on fait une évaluation si ça vaut la peine de de continuer, de leur téléphoner, de les contacter par courriel. par Facebook; c’est une stratégie de recrutement. Nous essayons d’amener le plus grand nombre de personnes à Jésus vous comprenez ?
-Vous lui avez téléphoné chez elle, pour la relancer ?
-Non, non; en partant, elle avait dit à Émile qu’elle devait partir mais qu’elle reviendrait; peut-être que vous devriez lui parlé. On avait donc jugé que nous attendrions quelque temps avant de la contacter. Moi, je n’avais pas fait beaucoup attention à elle, Émile m’avait présenté et on avait échangé quelques mots, sauf quand ensuite je l’ai entendu chanter, c’était à la Pentecôte, la grande fête, la Fête du Saint-Esprit, quand il est descendu sur les apôtres et qu’ils ont commencé à parler en langues et tout le monde rendait gloire à Dieu. Justement, elle a chanté un Gloire à Dieu sublime. Je suis allé la voir et je l’ai félicitée, je lui ai dit toute mon admiration. Ma femme Francine aussi, et on l’a invitée chez nous pour fêter la Pentecôte; c’est sûr que chez elle on ne fêtait pas ça.
                Roxanne d’en arrière et écoute attentivement.
-Est-ce qu’elle est devenue officiellement membre de vote église ?
-Non pas encore, ça prend environ de marche et de fréquentation régulière; et ensuite, à la fin du processus d’étude et de réflexion on reçoit le baptême de l’Esprit. Et Joannie était prête à se donner à Jésus. On avait commencé les leçons de Bible; elle devait en lire certains passages chaque jour, et elle était appliquée. Elle avait un cahier personnel dans lequel elle pouvait écrire ses questions, ses réflexions. Vous savez, ce n’est pas quelque chose qu’on fait à la légère. Devenir chrétien, c’est la plus grande décision de toute sa vie. Il faut s’engager à cent pour cent. Il faut donner son cœur à Jésus Christ, il faut l’accepter comme son Seigneur et Sauveur personnel, ce n’est pas une mince affaire ! Il faut apprendre à lui parler comme son meilleur ami, il faut arriver à tout lui confier, ses peines, ses difficultés, ses problèmes, comme il faut lui remettre nos joies et nos réussites qui sont des grâces que lui seul nous accorde. Il faut étudier la Parole de Dieu, et apprendre à la vivre; il faut apprendre à vivre selon les commandements de Dieu. Il faut apprendre à prier, à prier dans son cœur et à prier en communauté à voix haute; il n’y a rien de plus humain que de rendre gloire à l’Éternel. Il faut témoigner publiquement de sa foi; il faut changer de vie et vivre dorénavant selon le commandements de Dieu; ils deviennent notre ligne de conduite, notre code moral. Rien n’est plus comme avant quand on décide de suivre Jésus; on ne peut plus agir comme le monde. Quand on est chrétien, on agit comme enfant de Dieu, et ça peut avoir toutes sortes de conséquences.
-Vous saviez qu’elle était en conflit avec ses parents ?
-Oui elle nous en avait parlé, à ma femme et à moi. Elle voulait partir, elle voulait partir de chez elle; son père devenait de plus en plus dur avec elle; elle nous disant que c’était des chicanes continuellement. Et elle n’en pouvait plus de vire dans une famille non-chrétienne; elle disait que jamais elle n’arriverait, elle, à vivre en chrétienne dans ces conditions. Mais nous l’avons dissuadé de partir. Je lui ai exposé longuement le septième commandement : "Honore ton père et ta mère"; même si Dieu nous a donné des parents difficiles ou non-chrétiens, il nous faut les respecter. À dix-huit ans, elle pourrait choisir, mais tant qu’elle était mineure elle devait leur obéir. Elle a fini par comprendre. Un soir… un samedi soir….
-Oui…
-Un samedi soir, elle est arrivée à la répétition de chants tellement démontée, tellement défaite, tellement abattue qu’elle ne pouvait pas chanter. Elle était dans un tel état ! Je l’ai prise dans mon bureau pour se parler. Elle a pleuré un bon moment, alors je… je l’ai consolée. Qu’est-ce que je pouvais faire d’autre ?
-Je vois que vous la connaissiez bien. Dites-moi une chose, monsieur Bellavance, pourquoi vous n’êtes pas venu nous voir plus tôt ?
-Je ne savais pas quoi faire. J’ai hésité; j’ai entendu la nouvelle de sa disparition comme tout le monde. Dimanche dernier on a prié pour elle à l’église. Et puis je croyais que quelqu’un viendrait me voir, pour me poser des questions. Mais hier soir, mon épouse et moi nous avons encore prié et, dans notre prière, Dieu m’a dit de venir vous voir ce matin. Et c’est la première chose que j’ai faite ce matin.
-Et si vous êtes venu nous voir c’est parce que vous aviez quelque à nous dire, n’est-ce pas ?
-Joannie était bien chez nous, elle s’y plaisait, elle se sentait acceptée. Ce qui est arrivé, ce n’est pas à cause de son engagement dans l’église; elle chantait avec cœur, elle chantait de toute son âme. Elle n’avait jamais eu l’occasion de développer ses talents comme ça, de se faire revaloriser comme elle l’était avec nous; c’était une chance inestimable. Et elle voulait vraiment devenir chrétienne, elle voulait devenir une autre personne; elle avait accepté de changer, du tout au tout. Le diable est partout, vous savez; continuellement il nous envoie des tentations pour nous éloigner du droit chemin; il faut s’en éloigner. La "Réconciliation", ce se rapprocher, devenir semblable à celui qui est parfait. Ce n’est pas tout de ne plus prendre de l’alcool ou des drogues, de ne plus forniquer; notre corps c’est le temple du Christ. Oui, nous croyons à la sacralité du mariage, même si ce n’est pas très à la mode. Ça fait partie de la pureté de vie que Dieu nous demande. Et comme chrétiens, il faut aussi nous éloigner de ceux qui commettent le mal, donc de s’éloigner même de nos amis. Ce n’est pas toujours la chose la plus facile; Jésus ne nous a jamais dit que ce serait facile de le suivre, mais c’est merveilleux ! Elle était en train de couper les liens. De toute façon elle avait trouvé tout un groupe de cent fois meilleurs amis à l’église, je pense même que notre guitariste Guillaume Fortin et elle se plaisait beaucoup.
-Vous dites que vous lui avait demandé de rompre avec ses amis ?

-Non, non ! Dans son cheminement, je lui ai conseillé de revoir ses relations à la lumière de ce que Dieu nous demande.

mardi 23 août 2016

Trahisons
Chapitre 12

Au lendemain de cette réunion au sommet, Paul, en arrivant à Papineauville pour se rendre au poste de la Sureté du Québec, voit le minaret de la mosquée qui a été construite par la communauté musulmane, il y a maintenant cinq ans; et il se souvient que ça avait alors fait tout un débat, un débat houleux, dans la communauté, lorsque les leader de la communauté avaient déposé leur demande de construction à la municipalité. Mais le terrain avait été légalement acheté, et rien n’interdisait la construction d’un lieu de culte dans ce quartier, malgré toute les protestations. Certains des opposants avaient prétendu que l’argent qui devait servir à l’achat du terrain puis aux matériaux de construction, venait de l’Arabie Saoudite, centre névralgique de l’islam wahabite, qui brime, entre autres, les droits des femmes, mais nul n’avait pu le prouver formellement. Et même si on avait pu le prouver, la loi actuelle n’interdit l’utilisation de fonds étrangers dans les affaires internes d’édification et de construction de bâtiments. En fait, la seule restriction avait porté sur la hauteur du clocher, du minaret : dans ce secteur semi-commercial il ne pouvait dépasser l’équivalent de quatre étages.
Paul se souvient avoir rencontrés les responsables de la communauté musulmane une fois ou deux fois à l’époque. Puis, tout récemment, alors que la radicalisation des jeunes hommes vers le djihadisme terroriste faisait les manchettes, notamment avec un attentat qui avait eu lieu à Ottawa, il y avait envoyé son adjoint, Sylvain Gladu, pour simplement aller voir si tout se passait bien; et on apparence tout allait bien. Paul se souvient que l’imam qu’il a rencontré il y a cinq ans disait venir du Pakistan et qu’il ne parlait alors pas un mot français. Tout juste un peu d’anglais, je me demande s’il arrive à débrouiller en français aujourd’hui; mais bon, ces gens-là ont l’air de se tenir tranquilles, et certainement qu’ils contribuent à l’économie de la région qui en a bien besoin, et moi, je n’ai rien à leur reprocher. Paul tique encore un peu intérieurement, s’habituera-t-il jamais ?, quand à l’épicerie il voit une femme, une jeune surtout, qui porte le voile.
Il a passé la soirée d’hier avec sa Juliette; une soirée écourtée d’ailleurs à cause de cette réunion d’urgence sur le cas de la mort de Joannie Lemieux. Il l’a retrouvée chez lui en train de l’attendre, assise au salon à écouter de la musique classique et lire un livre. Il s’est fait la remarque que son ex-bibliothécaire garderait l’amour des livres toute sa vie.
-Qu’est-ce tu lis ?
-La nuit de feu de Éric-Emmanuel Schmitt.
-La nuit de feu ? Qu’est-ce que ça raconte ?...
-L’auteur nous raconte qu’une nuit, pendant une expédition en groupe, il s’est perdu dans le désert; et là il a eu une expérience mystique très intense. Il avoue très humblement avoir rencontré Dieu.
-Vraiment ? Ce n’est pas un illuminé ton Carl-Emmanuel ?...
- Éric-Emmanuel Schmitt ! Non, pas du tout; c’est même l’un de meilleurs écrivains français contemporains. Et toi raconte-moi ta journée; viens te mettre à table…
Juliette avait préparé un plat de thon à la moutarde et Paul avait sorti un bouteille d’un rouge fruité de Madère. Il était contre la théorie voulant qu’avec tu poisson il faut prendre du blanc et du rouge avec de la viande. Ça ne tient pas debout; ça n’exprime qu’une méconnaissance crasse de ce que sont les bons vins. Pendant le repas il lui raconte les derniers développements de l’affaire Joannie Lemieux. Juliette dit qu’elle ne l’a connaissait pas; elle avait rencontré un grand nombre de jeunes de la commission scolaire dans son rôle de responsable de l’approvisionnement des bibliothèques, puis de bibliothécaire-en-chef, mais elle ne se souvenait pas de l’avoir croiser.
-Tout le monde en parlait dans les rues et jusque dans les moindres routes de Lac-des-Sables. Les jeunes de Lac-des-Sables fréquentent une autre polyvalente. Celle de Saint-Jovite, mais ça les affecte quand même.
-Le thon est délicieux.
-Merci Paul.
Ils ne savaient pas trop encore comment employer des mots doux entre eux, des mots comme « mon amour » ou « ma chérie », alors ils s’appelaient simplement par leurs prénoms. Ils savaient que ça viendraient; il ne fallait rien brusquer. Ils avaient chacun une clé de la maison de l’autre pour pouvoir y aller même en absence de l’autre.
Aujourd’hui, Paul veut régler le cas de Mélissa; sa intervention lors de la réunion de la veille était tout ce qu’il y a de plus sérieux, ce n’était pas des paroles en l’air; Roxanne l’avait bien compris. Jusqu’à preuve du contraire Mélissa était la dernière personne à avoir vu Joannie vivante. Son histoire était pleine de zones d’ombre. Quel avait été le - vrai - motif de leur rencontre sur le pont de la Chute Albert ? Était-ce vraiment Joannie qui avait invité Mélissa ? Pourquoi pas le contraire ? Mélissa aurait pu, elle, fixer le rendez-vous ? Et pour quelle raison ? Parce que c’était convenu ? Parce qu’elle voulait la confronter ? Quel avaient été les propos qu’elles avaient échangés ? Paul aurait bien voulu le savoir. Elles ne pouvaient avoir simplement discuter tout bonnement de costumes pour la fête de Halloween. Manigançaient-elles une fugue toutes les deux, plutôt que seulement celle de Joannie ? Et l’une des deux aurait reculé au dernier moment ? Si c’était Joannie, Mélissa aurait pu se fâcher et si c’était Mélissa elle-même qui avait refusé de partir au dernier moment il pourrait y avoir eu une dispute entre les deux ? Y avait-il un pré-arrangement quelconque entre les deux ? Paul ne croyait pas au pacte de suicide, mais à une connivence, oui.
L’autre personne qu’il fallait voir, c’est le pasteur de cette église de la Réconciliation… Non, de la Sanctification. Jérémie… Non, Timothée Bellavance, c’est ça. Il est indéniable que tous les témoignages concordent pour montrer que Joannie avait changé depuis, environ cinq ou six mois, changer à l’école changer de comportement; elle avait arrêté de prendre des drogues, elle ne buvait plus d’alcool; elle avait changé vis-à-vis les garçons, elle avait balancé son ancien amoureux; changé avec ses parents aussi; ça a été radical. Paul fait la moue intérieurement en s’apercevant des rapprochements qu’il pourrait faire entre… Il commence à y avoir un peu trop de religieux dans cette histoire. Et tout ça depuis qu’elle avait commencé à fréquenter cette église. Église évangélique de la Sanctification. Quand je rencontrerai le pasteur je lui demanderai son secret pour assagir les gens de cette façon. Comment Joannie s’y était-elle jointe ? Qui l’avait recrutée ? Avait-elle été endoctrinée ? Est-ce que ça peut être considéré comme une secte ? Paul avait consulté le site internet; on y expliquait avec profusion de photos chatoyantes que c’était une église « évangélique » qui mettait la Bible au centre de la vie; c’est sur la « Parole de Dieu », immuable et parfaite, qu’on devait se baser pour prendre toutes les décisions de nos vies, pour adopter la bonne conduite, dans nos relations avec les autres et avec Dieu, pour prendre la voie qui mène à la « sanctification », qui est l’état de plénitude auquel Dieu nous appelle. Paul n’était pas sur d’avoir tout compris mais un for accent était mis sur les émotions, sur les liens très forts qui unissent les membre de la communauté, et sur une morale assez stricte.
En arrivant au poste, Jocelyne, lui dit :
-Patron, vous avez un visiteur.
-Pardon ?
-Il y a quelqu’un qui était là de bonne heure ce matin; il était là quand j’ai ouvert la porte et il veut vous voir.
Paul se retourne à demi et voit un homme dans la trentaine, assis bien droit, les yeux fermés sur l’une des chaises du hall d’entrés; il a une allure athlétique, bien peigné, rasé de frais, et sa tenue est impeccable : souliers cirés, pli au pantalon, chemise repassée, et même une cravate bicolore.
-Il n’a pas demandé à vous parler personnellement, mais il a demandé à parler « au chef de police ».
-Est-ce qu’il y a quelque chose d’autre d’urgent ?
-Non, sauf Benoît et Beatriz qui veulent vous faire le rapport de cette nuit.
-Dis à Gladu de s’en occuper. Est-ce que Roxanne est arrivée ?
-Non pas encore.
Il se dirige vers l’inconnu.
-Bonjour je suis Paul Quesnel; je suis l’officier en chef de ce poste de police. On m’a dit que vous vouliez me parler.
-Bonjour, monsieur l’officier, nous ne nous connaissons pas. Je suis Timothée Bellavance; je suis le pasteur de l’église de Sanctification de Saint-André. J’ai besoin de vous parler.
-Bien, allons dans mon bureau, répond Paul.
Et en repassant devant le poste d’accueil, il glisse à Jocelyne.
-Appelle ma fille tout-de-suite; rejoins-la et dites-lui de venir le plus tôt possible.
Paul sait qu’il a comme donné la matinée de libre à son équipe, et peut-être va-t-elle maugréer, mais ceci s’annonce important. Elle comprendra.

-Assoyez-vous monsieur… Voulez-vous uns tasse de café, un thé ?
-Non merci, je veux juste un verre d’eau, s’il vous plaît.
Paul sort et va remplir un verre au distributeur d’eau dans le couloir.
-Voilà; que puis-je pour vous ?
-J’ai appris par les journaux que Joannie Lemieux est morte et probablement morte de mort violente.
-En effet.
-Je suis bouleversé… C’est abominable, c’est affreux ! Pauvre petite ! Une fille si talentueuse ! Et qui avait tellement à offrir ! Comment une telle chose peut arriver ? Le monde est vraiment dominé par les forces diaboliques. Vous savez qu’elle avait joint notre église il y à peine quelques mois…

-Pouvez-vous être le plus précis possible ? Vous souvenez-vous quand vousl’Avez-vous pour la première fois ?

lundi 15 août 2016

Trahisons 11

                Sans être lourde, l’atmosphère était tendue dans le bureau de Paul Quesnel, directeur du poste de la Sureté du Québec à Papineauville. Il voulait faire le point sur l’enquête portant sur la mort d’une jeune fille, Joannie Lemieux. Une jeune fille bien et apparemment sans histoire retrouvée noyée dans la Petite rivière Rouge, après être vraisemblablement tombé d’un pont qui l’enjambe, le pont de la Chute Albert, c’était une situation qui, sans trop qu’il sache pourquoi, el mettait mal à l’aise. Habituellement calme, Paul se sentait plus ou moins perplexe face à cette mort, et tout en essayant de le cacher il se doutait bien que sa nervosité influait sur l’état d’esprit de son équipe. Il avait devant lui, assis correctement ou à califourchon, sa fille Roxane, et Daniel Turgeon son coéquipier, qui avaient interrogés plusieurs des amis et professeurs de la jeune fille, les agents Isabelle Dumesnil, Sébastien Casgrin et Paulo Simenez qui avaient participé aux recherches dans la rivière, ainsi que Yannick Fraser-Lapointe, son expert en informatique.
Roxanne aussi sentait l’atmosphère un peu oppressante qui régnait dans le bureau de son père. Personne ne voulait l’admettre ouvertement mais cette mort avait quelque chose d’incongru, d’inconvenant, de déplacé, quelque chose à quoi ni elle ni les autres n’étaient parfaitement préparée. Surtout qu’elle était fatiguée. Elle avait eu une longue journée, difficile et frustrante passée à la polyvalente de Lachute interroger plusieurs des camarades de classe de Joannie. Et elle était restée avec cette mauvaise impression non seulement de ne pas avoir avancer beaucoup, mais de s’être fait raconter des boniments toute la journée. Elle n’en revenait pas des mensonges que pouvait sortir une bande d’ados en mal de sensations fortes qui ne se rendaient pas compte de la situation et qui donnaient plutôt l’impression de jouer avec une jouissance mal contrôlée dans une série policière, ou dans un jeu virtuel, où c’est le plus malin qui l’emportera.
                -Merci de rester pour encore un peu, commence Paul. Il est tard et vous avez tous eu une longue journée, et même deux longues journées, je le sais; ceux qui le veulent pourront rentrer plus tard demain matin, ils n’auront qu’à m’en avertir. Mais je crois que c’est important qu’on fasse le point ensemble dès maintenant, pour qu’on en soit tous au même au même point (excusez la répétition) et aussi pour qu’on puisse se poser les questions que nous avons les uns aux autres. Ce que nous savons c’est que vendredi dernier Joannie a donné rendez-vous à son amie Méissa au Pont de la Chute Albert, et que le surlendemain, dimanche, on l’a retrouvée noyée à peu près un kilomètre en aval.
                Paul donne la parole à Roxane et Turgeon qui résument leur journée en commençant par exposer leur surprise d’avoir découvert qu’il existe un important trafic de drogue à la polyvalente de Lachute.
-Cela ne nous concerne pas comme tel, c’est plutôt l’affaire du poste de police de Lachute, mais est-ce que la mort de Joannie est relié à se trafic ? On sait que l’un des principaux suspects, Alexandre Côté-Lamarre, est copain-copain de celui qui s’occupe du trafic de drogues. Et là encore, ce n’est pas clair, car Alexandre a une importante dette de drogue envers Wilfrid Morneau, celui qui vend la drogue à l’école. Y a-t-il un lien entre cette dette de drogue et la mort de Joannie ? Ce ne serait pas le mobile de la mort, mais on sait par ailleurs, au moins là-dessus tous les témoignages concordent, on sait que Joannie avait radicalement changé depuis quelques mois, depuis son engagement dans une église à caractère sectaire de Saint-André, l’église évangélique de la Sanctification, et qu’elle ne buvait plus depuis ce temps ni ne prenait plus de drogue; elle avait vraiment changer son comportement. Donc Alexandre son petit ami, son ex-petit ami avait contracté une importante dette de drogue envers Wilfrid et qu’il comptait sur Joannie pour l’aider à rembourser comme elle l’avait sans doute déjà fait auparavant. Est-ce l’un ou de l’autre ou les deux auraient fait des menaces Joannie ? Et surtout, est-ce que l’un ou l’autre ou les deux l’auraient rencontrée au pont de la chute Albert après le rendez-vous avec Mélissa ? On ne le sait pas.
Plusieurs murmures se font entendre.
                -Enfin, il est possible qu’il y ait un conflit potentiel avec son père qui, par exemple, acceptait mal de voir sa fille chérie s’acoquinait de ses fanatiques religieux. Y a-t-il un lien avec sas mort ? En tout cas c’est un élément important.
                -Très juste, c’est un élément important, intervient Paul. Yanick va nous en dire un peu là-dessus dans deux minutes. Mais avant écoutons Sébastien.
                -Juste un dernier mot, veut conclure Turgeon, sur un dernier point, un petit fil qui dépasse : une possible histoire de séduction entre elle et un des profs de l’école. Ça nous été dit entre les lignes durant nos investigations. Et ça aurait été bien le genre de la Joannie, première mouture. Peut-être que ce prof en question n’aurait pas ou mal accepté une rupture de la part de la nouvelle Joannie.
                -C’est vrai, poursuit, Roxane; on sait qu’elle venait de rompre avec Alexandre le jour même de sa mort et qu’il l’avait vraiment mal pris.
                -Bon, écoutons Sébastien, maitenant.
                -Comme l’a dit le patron, on a retrouvé le corps de Joannie un kilomètre plus loin dans la rivière; il avait séjourné environ 36 à 40 heures dans l’eau ce qui confirme la thèse d’une chute du pont le vendredi soir. L’autopsie a révélé que la cause la mort est la noyade. Jonnaie est donc tombée vivante dans la rivière ou on l’y a poussée. On n’a rien retrouvé si la scène du crime, ni sac, ni valise, ni aucun autre objet lui appartenant. Ce qui n’exclut pas entièrement la possibilité d’une fugue. Et elle n’avait aucun effet personnel sur elle, ni carte, ni portefeuille, sauf son téléphone cellulaire, mais tout-à-fait inutilisable après son séjour dans l’eau. Enfin, il n’y avait pas de traces de de blessures, sauf d’importantes contusions à la tête qu’elle serait faites en frappant les rochers. Elle avait aussi, détail important, une fracture multiple à un poignet et à avant-bras, probablement survenue lors de la chute, peut-être dans un réflexe ultime de protection. Suicide, accident ou meurtre ?  Nous ne pouvons le dire avec les indices que nous possédons.
                -Je laisse maintenant la parole à Yannick.
                -Comme l’a dit Sébas, on a retrouvé son cellulaire, mais inutilisable, on ne pouvait plus rien en tirer. Pour savoir si elle l’avait utilisé les heures ou la journée avant sa mort, il faudra y aller par recoupements en faisant la revue des téléphones de ses proches et de ses contacts. Alors, j’ai examiné son portable, sa boite courriel, son compte Facebook, compte Twiter, Instagram. Là aussi on remarque un grand changement. Jusqu’en juillet dernier, elle était très active sur tous ces réseaux sociaux et y faisaient toutes sortes de commentaires sur la mode, sur ses vêtements, ses ami-es, ses soirées animées. Il ne « bitchait » pas tellement les autres; elles se mettait elle, surtout, en valeur. Beaucoup de lettres d’amour passionné et même enflammé pour son Alexandre, par exemple. Elle mettait des photos, pas mal des photos, de tous genres, et même parfois assez implicites, sur des partys très arrosés et très embués, mais tout cela change du jour au lendemain. Au milieu de juillet, plus rien; elle a essayé de tout effacé, mais c’est dur de faire disparaître quelque chose sur internet. Il ne restait que des petites nouvelles bien innocentes, bien gentilles sur sa famille, sur sa chambre, sur ses rêves de carrières, de la belle musique. Quand à ses dossiers personnels, il consistait surtout en travaux d’école. J’ai pu découvrir qu’elle avait éliminé beaucoup d’anciens dossiers sur les groupes de musique hard rock, sur les drogues, sur le tatouage. Mais elle n’a pas enlevé un dossier dans lequel elle raconte, dans ses mots son conflit avec son père. Le conflit avec son père virulent, et il datait de bien avant son changement, son implication dans cette église de Saint-André. Il n’aimait pas ses amis, réputé comme étant des drogués, ni son manque de discipline au travail. Et elle, elle se sentait brimée à l’étroit. Elle rêvait de liberté.
-Est-ce que ce serait ne fugue pour fuir ce père oppresseur ?
-Ce n’est pas impossible. Même après juillet le conflit a continué, même si la façon dont elle en parlait a changé. Est-ce qu’elle voulait vraiment quitter la maison ? Je ne sais pas.
                -Aurait-elle voulu fuir avec quelqu’un ? Aurait-il pris rendez-vous avec une autre personne que Mélissa ?
                -Quelqu’un avec qui elle voulait fuir, oui, et à la dernière minute, elle aurait changé d’avis ? Elle aurait reculé. Il y aurait une dispute entre les deux, et l’autre se serait mis en colère; il aurait pu la pousser et par accident elle serait tombée par-dessus le rebord du pont ?
                -Je ne sais pas; je n’ai rien trouvé sur cette personne X. Ce qui est évident c’est qu’il y a eu un changement. Il n’est plus question de partys, et de débauche; elle met des nouvelles positives, comme la » bonne nouvelle » du jour, sur l’environnement, sur des écoles qui ouvrent au Sénégal, sur l’intelligence des dauphins, un lien vers les dix plus belles photos de petits chatons.
                -Il n’y avait rien sur sa nouvelle église ?
                -Non… Sauf quelques échanges avec le pasteur ou deux ou trois membres de la chorale.              
-Aurait-elle voulu fuir avec l’un de membres de l’église ?
                Roxanne était restée longtemps silencieuse.
                -On ne va pas élaborer trop de scénarios. Oui, il y plusieurs pistes et il faut les suivre attentivement l’une après l’autre : suicide, trafic et dette de drogue, une fuite-fugue qui aurait mal tourné. Et parmi les coupables : le couple Alexandre-Wilfrid ? un prof mâle de l’école ? un membre ou un responsable de de l’église ?
                -Tu oublies son père.
-Alors son père aussi.
-Et tu en oublies une autre, aussi Roxane; intentionnellement ?
                -Moi ?
                -Oui, tu oublies Mélissa ?
                -Mélissa ? C’est… c’est vrai.
                -Pour l’instant, c’est la dernière personne à l’avoir vue vivante.
                -J’ai de la difficulté à la croire.

                -Il faut examiner toutes les pistes comme tu as dit. Aussi incroyables puissent-elles nous sembler… Merci à tous et toutes. On se revoit demain.

lundi 8 août 2016

Trahisons
Chapitre 10

                Alexandre reparti, Roxanne reste silencieuse. Elle semble rester les yeux perdus contemplant sur le mur du petit bureau une affiche simpliste sur les méfaits de la cigarette sur la santé des gens et tout spécialement sur la santé des jeunes.
-Avec toutes ces histoires on n’avance pas beaucoup, lui dit Turgeon d’en arrière.
                -C’est vrai; c’est dur de démêler le vrai du faux dans ce qu’ils disent… et les uns et les autres. Ils n’ont pas l’air de se rendre compte de la gravité de la situation. C’est comme si… comme si ça n’existait pas…
                -Peut-être parce qu’ils ne l’ont pas vu passer sur Youtube, ou sur Instagram.
                -Je ne sais pas… Je ne savais pas que ce serait de les aborder.
                -Ce qu’il faudrait, c’est de tous les passer au détecteur de mensonge…
                -Je suis d’accord avec toi, mais tu sais qu’on n’a pas le droit sans mandat, c’est-à-dire de véritable accusation; mais sans preuves on n’aura jamais de mandat.
                -Parles-en à ton père. Il pourrait le demander.
                -Oui, sans doute.
                -On appelle ce Wilfrid ?
                -Oui, après ça on aura fait notre journée.

                Un autre jeune homme apparaît, aux avant-bras tatoués, cheveux longs dépeignés, casquette vissée sur la tête, pantalons bouffants rapiécés de taille basse. Il arrive en traînant les pieds et les mains dans les poches et entre sans trop se presser, faisant le désinvolte, regardant à gauche, à droite, en haut, consultant son téléphone cellulaire. Il ne semble pas du tout impressionné de se trouver en face de deux policiers.
                -Wilfrid Morneau, c’est ça ?
                -Ouais.
Il mâche ostensiblement sa gomme.
                -Tu sais peut-être pourquoi nous sommes là ?
                -Pffffff !... Tout le monde le sait ! C’t’en rapport à la mort de Joannie ! Mais j’ai à faire avec cette histoire ! J’ai rien à faire icitte !
                -Peux-tu ranger ton téléphone pendant notre conversation ?
                -Pourquoi tu veux que je range mon cell ? Ça t’dérange ?
                Sans réagir extérieurement au tutoiement Roxanne poursuit : « Disons qu’il faut éliminer le plus de distraction possible.
                Wilfrid s’exécute de mauvais gré.
                -Tu l’as connaissais Joannie…
                -Joannie ! Tout le monde la connaît à l’école !
                -Elle était si populaire que ça ?
                -Elle était pas "populaire" (Wilfrid fait le signe des guillemets avec ses doigts), si tuveux savoir Joannie !
                -Alors pourquoi tu dis que tout le monde la connaissait dans l’école ?
                -Aaah ! J’ai dit ça d’même ! Pis j’vous dis que j’ai rien à faire avec cette affaire ! Je sais pas ce qu’Alex vous a raconté, mais si il m’a accusé… Ouais…
-Quoi ?
-Son compte est bon à c’pourri-là !         
                -Il va te l’payer ! C’est ça ?
                -Oui, il va m’l’payer !
                -Et pourquoi Joannie devait "payer" elle aussi ?
                -Joannie ?.... J’ai pas parlé de Joannie, j’ai parlé d’Alex !
                -C’est vrai, mais le jour de la mort de Joannie, on t’a entendu dire qu’elle "devait payer". Qu’est-ce qu’elle devait payer de si important ?
                -J’me souviens pas d’avoir dit ça !
                -Pourquoi est-ce qu’elle devait payer ? Je sais que tu l’as dit !
                -Hey là…
                Brusquement Wifrid se lève et se dirige vers la porte. Turgeon l’empoigne fermement.
                -Hey lâchez-moé ! Vous avez pas l’droit de m’obliger !
                -On a le droit de t’obliger à témoigner; si tu ne le fais pas maintenant on viendra te chercher chez vous et on t’amène au poste.
                -J’ai rien à dire.
                -Rassois-toi Wilfrid et dis-nous la vérité.
                -J’ai rien à dire.
                -Tu connaissais Joannie et tu voulais qu’elle paye ? C’est parce qu’elle ne t’achetait plus de drogue c’est ça ? Ou parce qu’elle payait celle qu’Alex consommait peut-être ? C’est toi qui fournit la drogue à l’école et puis elle voulait plus entrer dans ton trafic, c’est ça ?
                -C’est même pas vrai.
                -Je suis sûre que je pourrais trouver un bonne douzaine de jeunes qui pourraient dire sous serment que c’est toi le pusher de l’école; ça pourrait te coûter cher, très cher !
                -J’en vends pas dans l’école !... Pis j’suis pas le seul qu’en vend ! Pis ils ont qu’à pas en acheter !
                -Joannie commençait à avoir de l’influence sur les autres c’est ça ? Tu avais perdu des clients ?
                -Laisse-moi tranquille !...
                -Peut-être même que t’avais l’œil dessus ? Tu la trouvais de ton goût c’est ça ? Ça t’enrager de voir que tu pourrais plus l’avoir, qu’elle avait changée, c’est ça ?
                -Joannie, c’était une agace-pissette ! Elle était bonne pour se montrer, mais après ça, fini, man ! Même les profs l’a r’gardaient ! T’sais j’veux dire, ce qui est arrivé…
                -Oui ?...
                -Rien ! J’me comprends.
                -C’est bien fait pour elle, c’est ça ?
                -Ce qui est arrivé, est arrivé, pis j’ai rien a faire avec ça.
                -Où t’étais vendredi soir ?
                -Chez nous !
                -T’es pas sorti ? Un gars comme toi, ça m’étonne !
                -Oui, j’suis sorti, mais plus tard. Avec des chums, on est dans un pays libre, non ?
                -As-tu vu Alex ?
                -Je lui avais téléphoné, mais ça répondait pas. Alors, j’suis sorti à l’Étoile à Saint-André, pis je l’ai rappelé sur son cell. Il m’a dit qu’il se sentait pas bien. C’est tout.
                -Mais il te doit de l’argent.
                -Ouais….
                -Combien ?
                -Je vais finir par le savoir…
                -Deux mille.

                Après le départ de Wilfrid, Roxanne et son collègue se regardent.
                -Tu as eu du pif avec ton histoire de drogue.
                -Oui, j’ai pris une chance calculée. Lui, ça se voyait assez que c’est le petit caïd de la place… Mais est-ce qu’il est impliqué directement dans la mort de Joannie ? Je ne sais pas. Son alibi et faible.
                -Il aurait pu fomenter quelque chose avec Alexandre; par exemple, l’influencer, ou le manipuler de loin.
                Roxanne secoue doucement la tête.
                -Qu’est-ce qu’il y a ?
                -Tous ces jeunes qui mentent comme ils respirent, tous ces jeunes qui vivent comme dans un autre monde….
                -Viens, on va saluer ce cher directeur.

                -D’abord, monsieur Riendeau, merci pour votre collaboration…
                -Ça m’a fait plaisir.
                -Il nous faudra peut-être revenir, mais on vous préviendra avant. Ceci dit…
                -Qu’est-ce que je peux faire de plus pour vous ?
                Roxanne a décidé de ne pas y aller par quatre chemins; histoire de passer sa frustration sur quelqu’un.
                -Ce que vous pouvez faire de plus ? Tout d’abord vous occuper du problème de trafic et de consommation de drogue dans votre école ! En une seule journée, nous en avons appris suffisamment pour déclencher une bonne demi-douzaine d’enquêtes criminelles !
                -Mais je… je ne sais pas…
                -Ne me dites pas que vous ne savez pas de quoi je parle, monsieur Riendeau ! Vous êtes parfaitement au courant de ce qui se passe, et vous n’agissez pas, et ça c’est une infraction à la loi. Et si vous n’êtes pas au courant, c’est qu’il faudrait évaluer votre niveau de compétence !
                -Oui, je suis au courant, mais que voulez-vous que je fasse ? La commission scolaire a coupé tous ses budgets de presque trente pour cent ? Il n’y a plus d’argent pour aucun programme ! Avant, on avait une psychologue à temps plein, une bibliothécaire, un animateur de vie spirituelle et communautaire, même une orthophoniste, un spécialiste en comportements déviants, de l’aide aux devoirs, pis tout ça, ça a disparu à cause des coupures ! On n’arrive plus maintenant à donner tous les services dont les jeunes auraient besoin. La psychologue vient une fois par semaine maintenant ! Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? On a juste le minimum pour dispenser les cours, et même… Les profs sont surchargés, stressés, démoralisés ! Je passe la majeure partie de mon temps à gérer les demandes de congés de maladie qui atterrissent sur mon bureau.
                -Je comprends ce que vous dites monsieur Riendeau. Je ne vous demande pas d’en faire plus que ce que vous pouvez faire; mais pour ce qui est de la drogue, vous devriez avoir le réflexe d’appeler la police dès que vous soupçonnait un de vos jeunes d’en introduire dans votre école. C’est un acte criminel après tout.
                -Oui, je comprends. Mais dans ce cas, on va vous appeler chaque semaine !
                -Et bien appelez-nous chaque semaine; on viendra. On n’en serait peut-être pas là où nous en sommes aujourd’hui.
                -Vous… vous croyez que la mort de Joannie est reliée au trafic de drogue ?

                -Je ne sais pas encore. Tout ce que je sais, c’est qu’elle est considérée comme une mort suspecte. Et à mes yeux, de plus en plus suspecte.

lundi 1 août 2016

Trahisons
Chapitre 9

-Pour ça, il faudrait demander à Alexandre. Ça marchait plus entre eux autres. Elle l’a pas dit comme ça, mais c’était clair qu’elle voulait casser. J’la comprends, parce qu’Alex était devenu un vrai bum. Mais il était fâché vrai.
-Il lui courait partout après elle dans l’école et elle ne voulait plus rien savoir. Elle avait cassé et c’était fini. Mais lui il était atteint dans sa dignité de mâle.
-Elle avait même arrêté la pilule.
                -Comment sais-tu ça, Cynthia ?
                -Une fois en septembre, en début d’année, on était devant les cases avant d’aller dans nos classes et j’ai pris la mienne et je lui ai dit comme ça que comme le soir je m’étais endormie trop tard, ce matin j’avais failli oublier de la prendre. Et elle n’a pas répondu, elle a juste souri un peu, comme ça. Je lui ai dit : Ça ne t’est jamais arrivé ? Et elle a juste dit : Je n’en prends plus. J’avais tellement l’air bête que je ne savais pas quoi répondre.
                -Toutes les filles de secondaire 5 prennent la pilule; toutes ! Mais elle, elle avait arrêté.
                -Elle n’était plus intéressée aux garçons ?
                -Elle était plus intéressée… à coucher en tout cas.
-Et avec ses parents ? Est-ce qu’elle vous en parlait ?
                -Son père a toujours été exigeant. Il travaille beaucoup et il veut que ses enfants réussissent; alors Joannie avait toujours des bonne notes.
-Son père était pas vraiment sévère mais exigeant. Des fois ça lui pesait.
-Les parents sont exigent toujours trop des jeunes; c’est vraiment n’importe quoi !
                -Je me souviens, il y a pas longtemps, il y a un mois j’pense, je ne sais pas vraiment, elle est restée sans rien dire toute la journée, comme perdue. Est-ce que ses parents l’avaient chicanée ? J’sais pas, mais on peut dire que ça n’allait pas. Elle a rien dit en tout cas.
                -Est-ce que c’est fois-là qu’elle tous des bleus sur les bras ?...
                -Non, non; c’est une fois…
                -Mais, ces derniers temps on se parlait plus tellement. Elle ne nous boudait pas mais on savait plus trop comment la prendre, pis nous autres, on avait pas juste ça à faire. J’pense que Mélissa lui parlait encore.
                -Mais même Mélissa savait plus quoi lui dire.
                -Depuis septembre, est-ce qu’elle vous parlait de son église ?
                -Son église ? Pas vraiment…
-Personne va plus à l’église !
-Non, mais c’est vrai; une fois, je m’en souviens, je l’ai surprise en train de lire un livre qui s’appelait, Jésus et moi, ou Mon ami Jésus, quelque chose comme ça; on était dans l’agora, et elle l’a caché tout de suite sous son sac, quand je suis arrivée. Ça m’a semblé bizarre; quand je lui ai demandé c’était quoi, elle est restée vague, elle a dit que c’était rien. C’est sûr qu’elle voulait pas en parler.
-Peut-être que si elle nous en avait parlé plus ce serait pas arrivé…
-Qu’est-ce qui est arrivé au juste ? Est-ce que c’est vrai qu’elle s’est suicidée ?
-Pour l’instant, on n’en sait rien. Qu’est-ce que vous en pensez, vous ? Pensez-vous qu’elle aurait pu se suicider ?
-Joannie ? Impossible !
-Impossible, impossible !
-Elle n’a jamais donné d’indices ? Essayez de vous rappeler… C’est très important.
-Elle n’en a jamais parlé. Ça s’peut pas qu’elle se soit suicidée, ça s’peut juste pas.
-Mais qu’est-ce qui s’est passé alors ?
-J’ai une dernière question pour vous les filles : aurait-elle eu des rapports particuliers avec un professeur ou bien un membre du personnel, par exemple, qui lui aurait fait des avances ?
                -Avec un prof ? Non, jamais; c’était pas le genre à Joannie !
                -De toute façon elle était trop prise avec son Alexandre, pis cette année, elle ne voulait plus rien savoir.
               
-Alors qu’est-ce qu’il faut en penser ?
-Elles ont dit pas mal de choses.
-Oui… C’est sûr qu’à un moment donné il faudra aller fouiner dans cette église où elle s’est impliquée.
-Oui; ça c’est sûr. Mais j’attends à la fin; je me la réserve pour le dessert. Bon, maintenant, au tour d’Alexandre.

Lorsqu’Alexandre Côté-Lamarre entre dans le bureau de la sous-directrice, il est évident pour Roxanne et son collègue que son état émotif n’est pas à son meilleur. Il fait montre de grande nervosité, avec même des signes d’anxiété. Il reste debout à la porte, sa balançant de gauche à droite.
-Tu peux t’assoir Alexandre, et peux-tu ôter tes écouteurs ? On a quelques questions à te poser.
Il s’exécute de mauvais gré
                -Bon, maintenant, qu’on sait ce qui est arrivé à Joannie, tu vas me dire toute la vérité, et depuis le début
                -J’ai déjà dit la vérité.
                -Raconte-moi comment était votre relation avant cet été.
                -C’était ma blonde; c’était moi qui l’avait approchée. C’était ma première vraie blonde; on se connaissais depuis longtemps. J’avais peur qu’un des gars de Lachute ou d’Argenteuil la prenne; ça arrive souvent; les filles sont tannées de nous voir, nous autres les gars de Ripon, alors elles prennent une chum dans une autre ville.
                -Et ça n’arrive pas au gars de prendre des blondes dans d’autres villes ?
                -Euh… des fois; mais moi. je voulais rester avec elle. Je l’ai invitée à ma fêtes l’été passé, pis après on a commencé à sortir ensemble. On allait au cinéparc, au club de danse; on était amis Facebook on avait mis des photos. Tout allait ben.
                -Et vous couchiez ensemble…
                -Qu’est c’est qu’vous voulez ? C’est la vie. Tout le monde le fait ! Les filles à partir de quatorze ans elles veulent; alors nous les gars on est bien obligés de suivre. Pis en plus, elle avait déjà eu d’autres gars avant moi, André Racicot un grand qui est plus là, qui habite à Burrough, c’est lui qui l’a eue la première fois ! Il l’a invitée chez lui, sans prétexte de lui faire un tour sur sa nouvelle moto; il l’a ramenée, puis là, il se l’ai faite !
                -Pis toi là-dedans ?
                -Ça, je l’ai appris plus tard. C’est elle qui me l’a raconté; mais elle m’a dit que Racicot lui avait fait mal, qu’il l’avait comme forcée, alors elle voulait plus le voir, même pour sa moto ! C’est comme ça que j’ai eu ma chance.
                -Et avec toi, elle ne voulait plus coucher non plus !
                -Pendant un an, c’était parfait; on a eu du fun... Pis un jour, il y a trois mois, elle m’a dit qu’elle voulait prendre une pause. Moi j’comprenais pas ! On a continué à se voir mais elle, elle voulait plus ! On pouvait s’embrasser mais, c’était plus la même chose. Là j’ai commencé à insisté, je voulais qu’elle se branche…
                -Et tu l’as menacée…
                -Non, non , je l’ai pas menacée !! Je lui ai juste mis les points sur les i pis les barres sur les t ! Je lui ai juste dit les choses comme qu’elles étaient. Moi j’étais plus capable, je lui ai dit que j’allais me trouver une autre blonde si c’était comme ça !
                -Pis elle t’a dit : Vas-y donc !
                -Là, j’étai en maudit. Vraiment, j’étais en maudit.
                -Alors tu l’as frappée.
                -Non !! Je l’ai jamais frappée !  
                -Non, mais tu as pu lui attraper le bras ou lui serrer le cou…
                Pas de réponse.
                -Surtout qu’à ce moment, tu avais commencé à prendre de la drogue pas mal, pis à voler pas mal pour t’en procurer ?
                -Je l’ai pas tuée.
                -Qu’est-ce que tu as fait le vendredi de sa mort ?
                -Je vous l’ai dit. Elle m’avait dit que c’était fini, alors je suis allé chez elle, et je l’ai vue sortir de chez elle. Je l’ai suivie, jusqu’au pont et là j’ai vu Mélissa.
                -Pourquoi l’avoir suivie ? Pourquoi ne pas lui avoir parlé comme tu le voulais ? Tu savais que tu avais eu tort !
                -Je savais pas ce que voulais !... Au fond de moi je savais que c’était fini, mais je l’acceptais pas.
-Tu voulais qu’"elle paye", c’est ça ?
-Je…. Je… Non !!
-N’est-ce pas ce que tu as dit à ton ami Wilfrid ?
-Non ! J’ai jamais dit ça ! C’est lui qui a dit ça ! C’est lui qui voulait qu’elle paye ! Moi, je voulais juste reprendre avec elle !
-T’es sûr, Alexandre ?
-Ben… oui, je voulais qu’elle paye pour ce qu’elle m’avait fait, j’voulais me r’venger, mais je voulais pas la tuer, j’vous jure !
-Qu’est-ce que tu lui as fait alors ? Tu l’as pas juste suivie…
-C’est vrai; dès qu’elle est sortie de chez elle, j’ai couru après et je l’ait attrapée par le bras et j’ai commencé à lui parler. Je luis disais que ça pouvait pas finir comme ça, que j’allais changer, que j’insisterai plus pour coucher avec elle…
Sa voix se brise.
-Je l’ai suppliée qu’on revienne ensemble… Alors elle m’a dit qu’on allait en parler, mais que là elle avait rendez-vous et qu’elle devait y aller. Elle m’a dit qu’on se parlerait demain, c’est-à-dire samedi. Alors je l’ai laissée aller.
-Mais tu l’as quand même suivie…
-C’est vrai, je l’ai suivie. Mais quand j’ai vu Mélissa au pont de la chute Albert, j’suis parti.
-Alexandre, tu nous as déjà menti une fois; pourquoi est-ce qu’il faudrait qu’on je te crois maintenant ?

-C’est la vérité !