lundi 31 octobre 2016

Trahisons
Chapitre 22

               
Paul avait pris la décision d’amener qu’Émile Vadnais pour qu’il reste en garde à vue
pour une première période de quatre-huit heures, au moins le temps de voir les choses un peu plus clair.
Le pasteur Bellavance prend le parti de son paroissien :
-Mais vous aviez dit que…
                -Monsieur Bellavance, je veux résoudre ce crime et je le ferai; je sais que cette décision vous déplaît, je me doute même que cette décision ne va pas améliorer votre opinion sur la police ni sur moi et sur le monde entier, mais je l’ai prise et elle va rester. Monsieur Vadnais, veuillez nous suivre dans la voiture.
                Et Roxanne était intervenu :
-Attend; viens dehors avec moi.
Père et fille étaient sortis de l’appartement. Ils avaient discuté pendant un moment et finalement Paul s’était rangé à l’argumentation de Roxanne.
-Ça va; vous pouvez rester ici monsieur Vadnais; mais vous ne pouvez quitter la région pour les prochains jours. Monsieur Bellevance, je veux que vous vous en portiez garant.
-Je ne comprends pas exactement, mais, oui, je veillerai à ce qu’Émile ne quitte pas la région avant tout nouvel ordre.

Sur le chemin du retour :
-Comme ça tu veux retourner à l’école confronter Mélissa ? Pour toi, c’est elle la coupable...
-Oui; pour moi, c’est Mélissa qui a poussé Joannie par-dessus la rambarde du pont de la Chute Albert. J’en mettrais ma main au feu.
-Ça faisait partie des hypothèses, mais il faudra le prouver; ce n’est pas gagné.
-Non, c’est vrai; mais je crois que j’ai quelqu’un qui pourra m’aider.
-Son ex-petit ami ? Cet Alexandre ?
-Non, pas du tout. Demain, tu viens avec moi à l’école.
-Oh la la ! Tu me donnes un ordre ?
-Exactement !

Le lendemain, tôt dans la matinée, Paul et Roxanne se sont rendus à l’école Jules-Chiasson de Lachute. Paul reste dans la voiture, prêt à venir dès que Roxanne fera appel à lui. Celle-ci se rend tout d’abord chez le directeur Raymond Riendeau.
-Encore vous !? Qu’est-ce que vous cherchez encore ? Est-ce que votre enquête progresse ? Encore que j’aimerais bien que tout cela soit terminé !
-Bonjour à vous aussi, monsieur Riendeau. Nous avons plusieurs morceaux du casse-tête, mais il nous en reste encore quelques-uns à trouver, et pour cela j’aurais besoin de l’une de vos profs.
-Ah oui ? Et de qui ?
-Je voudrais parler à madame Tessier.
-Je suppose que je dois la faire venir.

-Bonjour, madame Tessier.
-Bonjour… euh, Roxanne c’est ça ? Allons dans mon bureau.
-Oui. Maintenant que nous seules, je peux vous parler franchement. Je suis persuadée de connaître la personne coupable du meurtre de Joannie Lemieux; c’est un étudiant de cette école, plutôt une étudiante, mais je ne peux l’accuser formellement sans aveux, et j’ai besoin de votre aide pour obtenir ces aveux.
-Il s’agit de Mélissa, n’est-ce pas ?
-Oui, c’est ça. Elle a été la dernière personne à avoir vu Joannie vivante, mais de plus, elle a menti plusieurs fois et à plusieurs personnes, aux psychologues et à vous aussi, probablement.
-Oui, c’est vrai. Tout son comportement est irrationnel.
-Voilà ce que nous allons faire. Nous allons la faire venir ici et vous les poserez les questions suivantes. À moi elle ne répondra jamais la vérité, mais à vous, c’est possible. Je serai présente dans ce coin, elle me verra quand elle entrera, mais j’essayerai de me faire oublier et, c’est vous qui l’interrogerez afin de lui faire avouer… Je vois que vous hésitez…
-Oui, vous me faites jouer un rôle qui n’est pas le mien.
-Mais sachez que c’est pour son bien. Nous pourrions obtenir ses aveux d’autres façons, et nous le ferions, mais avec plus de conséquences négatives. Et c’est le bien de tout le monde aussi; il faut que cette école retrouve sa sérénité.
-C’est vrai. Je vais la chercher.

                Mélissa est entrée comme une sorte d’automate. Elle s’assoit sans sourire, sans même remarquer Roxanne.
-Mélissa, dis-moi : est-ce que Joannie t’avais invitée à cette église, celle pour laquelle elle chantait ?
-Oui, elle m’a invitée à y aller. Elle disait qu’on y chantait des chants sur Jésus, qu’on faisait de la bonne musique; elle aimait ça. Elle avait une belle voix et le responsable lui avait dit qu’elle pourrait chanter avec le groupe, sur la scène ! C’est sans doute ça qui l’a attirée. Oui, elle voulait que je vienne, au début. Les dernières fois, elle insistait beaucoup; elle… elle me disait que notre serions encore plus de bonnes amies, les meilleures amies du monde, que c’était beau, que nous pourrons y aller ensemble. Moi ça ne m’intéressait pas; je trouvais que c’était du harcèlement. Puis elle a arrêté… jusqu’à…
-Jusqu’à ce rendez-vous sur le pont de la Chute Albert, c’est ça ? Le soir où vous vous êtes rencontrées sur le pont de la Chute Albert, elle t’a dit que vous ne pourriez plus être amies c’est ça ?
                -Non…. Non…
                -Elle t’a dit quelque chose comme elle était obligée de couper les liens, qu’elle ne pouvait plus te voir; on lui avait dit qu’elle n’avait pas le choix; comme elle l’avait dit dans la journée à Alexandre ?
                -Non… elle… elle…
                -Elle quoi…
                -Elle voulait qu’on parle des costumes de Halloween…
                -Mélissa, ça prend cinq minutes pour parler de costumes de Halloween et vous êtes restées entre trente et quarante minutes sur le pont; c’est une longue discussion pour de simples costumes de Halloween, non ?
                -Je ne voulais pas…
                Roxanne murmure : « Tu ne voulais pas quoi… » ce que répète madame Tessier.
                -Je ne voulais qu’elle me quitte… je voulais qu’on reste des amies, je voulais pas qu’on se voit plus… Ça aurait trop dur de se voir à l’école et de ne pas pouvoir se parler !
                Roxanne murmure à nouveau : « Et ça t’a mise en colère… »
                -Oui… j’étais en colère ! J’étais en colère contre cette maudite église ! C’était affreux… Comment on peut demander ça à des amies ? De plus jamais se voir ?
                Roxanne s’est graduellement rapprochée.
                -Oui, Mélissa tu était en colère contre l’église… Rappelle-toi exactement ce que tu as dit à Joannie…
                -Je lui ai dit que ça ne se pouvait pas; que je l’acceptais pas, que ça se pouvait pas. Je criais; je pleurais et elle aussi elle s’est mise à pleurer. Alors…
                -Alors quoi ?
                -Alors… alors… elle a arrêté elle s’est retournée d’un seul coup et elle est partie; elle m’a tourné le dos. Elle s’en allait !
                -C’est tout ?
                -Oui, c’est tout. Je pouvais plus rien faire…
                Madame Tessier reprend la parole :
-Tu es sûre que c’est tout ? Je ne te crois pas.
-Je suis repartie chez moi !
-Je ne te crois pas Mélissa !
-Je suis rentrée chez moi ! C’est vrai ! Mais c’est vrai je l’avais poussée en bas du pont !! C’est vrai ! Je voulais pas, madame Tessier, je vous jure que je voulais pas ! C’est à cause de celle maudite église ! Moi je voulais pas ! Je voulais rester son amie ! Je voulais pas ! Mais j’étais tellement fâchée ! Je savais pas quoi faire ! Je sais pas pourquoi j’ai fait ça ! Je boulais juste qu’on reste des amies… J’avais tellement de peine et j’ai encore tellement de peine !... Je voulais pas.
Mélissa pleure à gros sanglots. La professeure de français la prend dans ses bras.
-Je voulais pas madame Tessier, je vous jure que je voulais pas.
Madame Tessier a aussi les yeux baignés de larmes :
-Je sais Mélissa; je sais que tu ne le voulais pas. Je te crois.
Et Roxanne également s’essuie les yeux; elle prend son cellulaire et appelle son père.



Fin

lundi 24 octobre 2016

Trahisons
Chapitre 21

                -Alors, est-ce que j’ai bien répondu à vos questions ?
-Qu’est-ce que vous voulez dire ?
-Ce que je veux dire, c’est que je crois vraiment que vous soupçonnez Émile dans ce qui est arrivé à Joannie… et peut-être même que vous croyez que je suis complice. Mais comme, il semblerait que pour l’instant vous ne possédez pas de preuves formelles, vous avez besoin de moi, soit pour le confronter, soit pour nous mettre en contradiction l’un l’autre… Et je veux dire aussi que pour moi vous êtes montée dans ma voiture pour me surveiller, pour m’empêcher de communiquer avec lui.
-Monsieur Bellavance, pour ma part je crois que vous lisez un peu trop de romans policiers ou alors c’est que vous regardez trop de séries sur Netflix, même si ça n’a pas l’air d’être votre genre. Si nous avions vraiment voulu vous « empêcher » de contacter Émile Vadnais, comme vous dites, il nous aurait suffit de vous faire monter dans une de nos voitures, point à la ligne. Pour le reste, nous cherchons à découvrir la vérité dans le cas de la mort de Joannie Lemieux; c’est vrai que, pour l’instant, le témoignage de monsieur Vadnais comporte encore des zones d’ombre et c’est vrai nous vous demandons de nous aider à éclaircir ces zones d’ombre. Cependant, pour ce faire, nous avons besoin que ça se passe dans la plus totale confiance, sinon on arrêter tout, tout-de-suite. Si nous ne nous faisons pas confiance, j’appelle le commandant Quesnel et on arrête tout ! Mais sachez qu’avec ou sans votre aide, nous découvrirons la vérité !
-Non, non ! Je vous fais confiance ! Excusez-moi, je suis un peu perturbé par toute cette histoire; je ne sais plus très bien où j’en suis…
-Et vous n’avez pas l’habitude dans votre métier de faire face, disons, aux autorités policières…
-C’est vrai… Nous sommes respectueux de la loi et… je n’ai jamais été mêlé à quelque affaire judiciaire que ce soit. Tout ça est tellement… incroyable. C’est comme un cauchemar. Et que vont penser les autres ?
-Quels autres ?
-Les autres… les membres de la paroisse, mais aussi mes supérieurs de Montréal qui ont financé notre implantation dans la région. Ils ne doivent pas être de bonne humeur quand il font l’apprendre.
-C’est une mauvaise publicité pour votre mouvement, n’est-ce pas ?
-C’est le moins qu’on puisse dire…
-Et vous devrez rendre des comptes.
-Oui…
-Raison de plus pour nous aider à découvrir la vérité et ainsi trouver le ou les vrais coupables et innocenter les personnes qui n’ont commis aucun crime.
-Vous avez raison… Voilà, ous arrivons.

Les deux voitures, celle de la Sureté du Québec conduite par Paul avec l’agent Yannick Bourdage, et celle du pasteur Bellevance avec Rxanne s’arrêtent devant l’immeuble où habite Émile Vadnais; c’est un simple immeuble de quatre logements qui ne paye pas de mine, anonyme, mais tout de même bien entretenu. On ne voit personne dans la rue tranquille, mais Paul se doute bien que bien des gens sont là derrière leurs rideaux à regarder et à attendre la suite des événements.
Il se tourne vers Timothée Bellavance.
-Bon, on vous laisse commencer.
-Qu’est-ce que je dois lui dire ?
-Vous lui dites que vous êtes avec la police et que vous croyez qu’il est important qu’il réponde à nos questions… En tout premier lieu, nous avons besoin d’examiner son téléphone cellulaire.
                -Très bien, allons-y.
                Il sonne. Le locataire vient entrebâiller la porte,
-Émile ! C’est moi Timothée !
À la vue de son pasteur, Émile ouvre la porte plus grand.
                -C’est moi, Émile. N’aie pas peur; je suis avec la police, mais tu n’as rien à craindre. Ils veulent te poser quelques questions en rapport à l’histoire de Joannie.
                Émile écarquille les yeux et même les oreilles.
                -J’ai déjà répondu !
                -Écoute, Émile. Il manque quelques détails…
                -Pis c’est des malins !
                -Émile que dit Paul dans sa lettre à Tite : « Rappelle-toi d’être soumis aux magistrats et aux autorités… »
                -«…d’obéir, d’être prêt à toute bonne œuvre. » Oui, je sais !
                -Alors, soyons soumis et écoutons-les; je vais rester avec toi.
                -…
                -Émile, ils ont besoin de ton téléphone cellulaire; confie-le moi.
               
-Alors, Joannie lui a téléphoné ? Le jour même ?
Pendant que le pasteur restait à l’intérieur avec Émile, Paul avait remis le téléphone à Yannick, qui rapidement en avait entré les données dans son ordinateur.
-Non… Joannie ne lui a pas téléphoné : c’est lui qui lui a téléphoné….

                -Monsieur Vadnais, pourquoi avoir téléphoné à Joannie, ce vendredi-là ? C’était vers 8h40 elle était probablement dans l’autobus d’école. Vous lui avez téléphoné le jour même de sa mort, il y a de quoi se poser des questions. Pourquoi ?
                -Ce n’est pas de vos affaires !
                -Il y a eu meurtre; tout est de nos affaires.
                -Il s’agit de quelque chose d’interne à la vie de l’église, vous n’êtes pas concernés; c’est une chose seulement pour les chrétiens, et vous n’êtes pas chrétiens.
                Timonthée Bellavance intervient.
                -Émile, il faut que tu dises la vérité; je sais…
                -Non ! Tu sais rien ! Tu fais rien ! Tu laisses ces mécréants se mêler de nos affaires; ils sont possédés du démon. Déjà que tu faisais rien à Montréal c’es tla même chose ici, l’égile s,en na nulle part avec toi…
                -S’ils sont possédés du démon c’est à la communauté de décider tu le sais. Que dit Paul en II Corinthiens 13 : « Toute affaire se réglera sur la déclaration de deux ou trois témoins. » Pour décider de ce point, il y a une procédure à suivre. Pourquoi l’instant, dis-mois juste pourquoi tu as téléphoné à Joanie ce matin-là; s’il s’agit de quelque chose qui a rapport à l’église je suis concerné.
                -Elle avait quelque chose à faire et je devais le lui rappeler.
                -Qu’est-ce qu’elle devait faire ?
                -Elle devait dire adieu à ses amis; elle devait couper les ponts. C’était ça ou elle ne pouvait plus chanter.
-Pourquoi lui demander ça ?
                -Il fallait qu’elle se garde pure. Qu’elle se garde sans tâche. Que dit la Parole de Dieu dans Proverbes 7 ? Tu la connais cette histoire du jeune homme stupide qui se laisse tenter par une femme de débauche ! La femme est plus séductrice que l’homme. Et Joannie était une séductrice !
                -Une séductrice ? Mais envers qui ?
                -Envers les garçons, voyons Timothée ! Toi tu ne voyais rien bien sûr; tu penses que tout le monde est parfait ! Que dit l’apôtre en 1 Corinthiens 6,18 « Fuyez la débauche. Quelque autre péché qu'un homme commette, ce péché est hors de son corps; mais celui qui se livre à la débauche pèche contre son propre corps ». Et puis en Romains 13,13 : « Marchons honnêtement comme en plein jour loin des orgies et de l'ivrognerie de la luxure et de la débauche ». Et enfin en Éphésiens 5,3 « Que la débauche, ni aucune impureté, ni la cupidité, ne soient pas même nommées parmi vous ainsi qu'il convient à des saints. »
                -Émile, je connais tout ça, mais…
                -Ben, si tu le connais, il faut le mettre en pratique ! C’est ben beau de prêcher la sanctification, mais il faut qu’elle se concrétise. Toi tu n’agis pas. Tu parles, mais tu n’agis pas. Qu’est-ce que tu fais de Colossiens 3,5 : « Faites donc mourir les membres qui sont sur la terre, l’impudicité, l’impureté, les passions, les mauvais désirs, et la cupidité, qui est une idolâtrie. » Ou de Éphésiens 5,3 : « Que l'impudicité, qu'aucune espèce d'impureté, et que la cupidité, ne soient pas même nommées parmi vous, ainsi qu'il convient à des saints. »
                -Émile…
                -Et surtout I Thessaloniciens, 4 : « Ce que Dieu veut, c’est votre sanctification; c’est que vous vous absteniez de l’impudicité… Car Dieu ne nous a pas appelés à l’impureté, mais à la sanctification. » Joannie, elle devait arrêter son impudicité. Elle devait arrêter de se tenir avec des impudiques et des débauchés; c’est ça que je lui ai dit de faire, parce que toi tu ne l’as pas fait !
                Le pasteur Bellavance, secoué, ne sait plus quoi répondre à ces attaques. Roxanne intervient :
-Se couper de ses amis, est-ce que c’est une procédure normale dans notre église ?
                -Oui, et non; au moment du baptême oui, il faut purifier ses relations, et on trouve dàès lors préférablement ses amis dans l’église. Mais tout couper les liens non, non, ça c’est trop drastique.
                -Pourquoi alors, monsieur Vadnais, l’avoir demandé à Joannie ?
                Pas de réponse.
                -Vous vouliez l’avoir pour vous, c’est ça ?
                Pas de réponse. Au tour de Paul d’intervenir :
                -Pourquoi alors, monsieur Vadnais, l’avoir demandé à Joannie ?
                -Parce qu’il le fallait ! Lui, il l’aurait jamais fait; il laissait tout faire.
                -Vous lui avez parlé le matin même de ce vendredi. Est-ce que nous lui avez donné rendez-vous au Pont de la Chute ?

                -Non, ça jamais, jamais ! Elle avait donné rendez-vous à cette dévergondée de Mélissa, c’est elle la responsable ! C’est elle qui l’influençait à prendre de la drogue, à forniquer avec tout le monde. Il fallait qu’elle arrête de la voir !

lundi 17 octobre 2016

Trahisons
Chapitre 20

                -Finalement, c’est une bonne chose que tu n’aies pas pu aller voir Émile Vadnais hier… Ce que nous a dit Guillaume, nous permet de mieux orienter nos questions.
                Roxanne était dans le bureau de son père. La lumière automnale y pénétrait par la large baie vitrée faisant malencontreusement briller les petites particules de poussière. Ils en étaient venus à la conviction que la mort de Joannie n’était pas accidentelle et que, non plus, cette mort n’avait rien à voir avec une quelconque affaire de dette de drogue non-payée à l’école par son ex-petit ami ou par quelqu’un d’autre. Ça ne tenait pas debout. Ils avaient aussi éliminé la possibilité que le son père ait pu s’en prendre à elle. Les relations entre lui et sa fille rebelle était certes exécrable, mais il avait un bon alibi : le soir où Joannie était allée rejoindre son amie Mélissa il était au travail à la quincaillerie.
-Plusieurs personnes pouvaient en témoigner. Il aurait pu s’absenter quelques minutes, mais jamais il n’aurait eu le temps de la suivre jusqu’au pont de la Chute-Albert, et là, il y aurait eu une dispute, une bousculade, et elle serait tombée dans la rivière. Non, tout ça aurait pris trop de temps.
Roxanne poursuit le raisonnement de son père :
-Et d’ailleurs il ne savait pas qu’elle devait rejoindre Mélissa au pont de la Chute-Albert. Comment aurait-il pu le savoir ? C’est plutôt du côté de l’église de la Sanctification qu’il faut regarder. Son arrivée y a provoqué tout un chamboulement, son parcours est inhabituel. D’habitude les nouveaux membres y adhérent en famille; bien des gens ont du se méfier de cette jeune fille bien qui arrivait là comme une cheveu sur la soupe, à commencer par le pasteur. Mais c’est surtout le passé trouble d’Émile Vadnais qui ne prêche pas en sa faveur et qu’il faudrait éclaircir.
                -On y a va aujourd’hui, et ensemble; en premier lieu chez le pasteur et ensuite avec lui, chez Vadnais.
                -Oui, je crois qu’il détient une des clés de cette affaire et il devra bien nous la donner d’une façon ou d’une autre.
                -Je les appelle tout de suite.
                Paul prend le téléphone. À l’autre bout du fil, une voix lui répond :
-Oui, bonjour…

-Comme nous vous l’avons dit au téléphone, ce n’est pas tant avec vous que nous voulons parler qu’à monsieur Vadnais. Mais quand je suis venue le confronter il m’a reçue de façon disons, très cavalière à la limite l’agressivité. Et la même chose s’est répétée lorsque je suis venue assister à la célébration dans votre église dimanche dernier. Sans l’intervention de monsieur Wheeler, il m’aurait jetée dehors sans autre forme de procès. Son attitude est suspecte. Est-ce qu’il agit comme ça parce qu’il ne veut pas nous voir creuser au fond des choses dans cette affaire, ou bien… ?
-Je peux vous dire qu’Émile est très zélé, c’est tout-à-fait exact. Cette église, c’est comme sa chasse gardée : il ne veut pas que eux qu’il considère comme des mécréants viennent, comment dire… la souiller.
-Nous croyons, dit Paul, qu’il pourrait à nouveau avoir la même attitude si nous retournons le voir; ce qui ne nous avancera à rien. Ainsi nous avons besoin de vous, nous voulons aller le trouver avec vous, pour un interrogatoire en règle, et cette fois-ci au poste de police même.
-Vous…vous croyez qu’il est coupable ? demande Francine, la femme du pasteur, avec une teinte d’anxiété dans la voix.
-Nous ne pouvons pas répondre à cette question; nous ne voulons pas influencer votre comportement ni celui de votre mari. Nous voulons simplement que à ce qu’il nous aide, sans aucune idée préconçue, à ce que cet interrogatoire soit bien mené.
-D’accord, je viendrais
-Autre chose nous allons avoir besoin de vérifier les appels sur son téléphone cellulaire; nous allons lui demander de nous le donner pour faire des vérifications, s’il résiste nous comptons sur vous pour le faire coopérer.
-Tout cela est vraiment étrange ! Comment pouvez-vous dire que vous ne le soupçonnez pas !
-Nous le ne soupçonnons pas, nous voulons simplement l’interroger sur quelques points bien précis dans les meilleures conditions.
Paul renchérie sur les propos de sa fille :
-Écoute, pasteur Bellavance, c’est vrai, vous avez le droit de nous refuser notre aide; mais en ce cas je demanderai une injonction à un juge pour précéder et nous arriverons au même résultat, mais avec beaucoup de publicité. On dira peut-être dans les journaux que les responsables de l’église de la Sanctification n’ont pas voulu coopérer à l’enquête; peut-être même qu’ils sont complices de ce crime. Je ne crois pas que cette publicité vous tente vraiment. Nous croyons simplement que ça ira plus facilement et plus rapidement avec votre aide. D’ailleurs ne voulez-vous pas vous non plus, vous et votre femme, que la lumière soit faite sur cette triste histoire ?
-Oui, vous avez entièrement raison, inspecteur, Mon mari ira avec vous chez Émile Vadnais, et moi je demanderai au Seigneur de vous accorder sa grâce pour la réussite de votre entreprise.
-Merci madame. Vous pouvez venir aussi…
-Non, je préfère rester ici pour prier le Seigneur.
-Dans ce cas, allons-y.
-Est-ce que je peux prendre ma prendre voiture ?
-Oui, bien sûr; je n’y vois pas d’inconvénient.
-Est-ce que vous me permettes de monter avec vous ?
-Heu… oui; bon, d’accord.

Une fois en route, Roxanne interroge le pasteur :
-Pourquoi avoir pris Émile avec vous quand vous êtes venu de Montréal pour fonder un église dans la région ? Est-ce qu’il avait eu des problèmes dans votre ancienne église et qu’il fallait, disons, l’éloigner un peu ?
                -Non, pas vraiment des problèmes; non. Émile est un homme plein de zèle pour le Seigneur, animé d’une foi ardente, parfois… qui parfois s’extériorise très fortement. Nous n’avons rien, bien sûr, contre le zèle de la foi ni contre le souffle de l’Esprit qui souffle où il veut et chez qui il veut, bien au contraire ! mais parfois il faut renouveler l’équipe de responsables pour le bien de la communauté. Il faut amener des forces vives, des forces fraîches; il y a toujours une évolution, une église ne peut rester immobile sinon on finit par prendre des mauvaises habitudes. Personne ne s’était jamais plaint directement, mais on savait que certaines personnes, surtout parmi les nouveaux membres le trouvait un peu trop exigeant, un peu trop envahissant. Alors au Conseil on a pensé qu’il serait bon d’offrir à Émile des nouveaux défis. C’est pour ça que lorsque l’Assemblée a décidé d’ouvrir une nouvelle église dans l’Outaouais, et que j’ai été désigné pour en être responsable, on a décidé qu’il viendrait avec moi.
                -Est-ce qu’il y avait des histoires d’agressions sexuelles ou de harcèlement ? C’est un célibataire endurci après tout ?
                -Non, jamais; ça l’aurait immédiatement disqualifié pour quelque travail que ce soit dans l’église, nous sommes très stricts là-dessus. Ça n’aurait jamais passé. C’est bien le contraire : en de domaine Émile prône un code moral très strict, ce qui est en accord avec notre lecture de la Bible.
                -Mais des écarts de conduite, ça arrive.
                -Oui, ça arrive malheureusement. Dans ce cas, il y a toute une procédure; nous nous invitons la personne à se repentir et à demander pardon à Dieu. Parfois il y rencontre avec la victime. Nous pour le mariage, et pour les célibataires, nous préconisons l’abstinence dans la prière et l’abandon à Dieu.
                -L’abstinence…
                -Oui, c’est que l’apôtre Paul déclare dans sa Lettre aux Corinthiens !
                -Autre chose : pourquoi est-ce que le père de Joannie a réagi comme il l’a fait lors des funérailles ?
                -Je ne sais pas, c’est sans doute la souffrance qui l’a poussé à un tel sursaut de colère devant tout monde. Il comme perdu la tête. Perdre un enfant, c’est toujours un drame; et c’est inimaginable de perdre son enfant dans ces conditions. Peut-être que ça le rend fou de douleur et qu’il faut qu’il trouve un bouc émissaire; il s’est tourné vers moi. La colère… Ça n’allait pas bien avec sa fille et peut-être avec sa femme, et ses fils… je ne sais pas. C’est malheureux; très malheureux; il faut qu’il trouve un coupable.
                -Est-ce que vous le connaissiez ?
                -Non, je ne l’avais jamais vu; je ne le connaissais pas…
                -Comment vous a -t-il reconnu ?

                -Je ne sais pas… Sans doute qu’il a vu ma photo sur le site de l’église…

mardi 11 octobre 2016

Trahisons
Chapitre 19

En ce lundi matin, Roxanne fait un tour à la polyvalente Jules-Chiasson. Elle a appris qu’elle a été nommée ainsi pour honorer la mémoire du premier président de la Commission scolaire de la Seigneurie dans les années cinquante. Qu’est-ce qu’il penserait de toute cette histoire ?
La veille, elle avait retrouvé son père chez lui, juste au moment où il revenait de sa marche romantique dans les îles de Plaisance avec Juliette; celle-ci lui avait ouvert les bras tout sourire.
-C’est un des plus beaux coins de la région; tu devrais y amener Fabio une fois, lui qui est un artiste, je suis sûre qu’il aimerait.
-Oui, peut-être…
-Et puis, quand est-ce que tu me le présentes ? J’ai hâte de le rencontrer.
Paul ne tarde pas à ramener la conversation sur l’enquête en cours.
-Alors c’était instructif ta visite à l’église… comment s’appelle-t-elle encore… ah oui, de la Réconciliation ?
-Oui, très.
C’est autour d’une tasse de thé du Labrador servie par Juliette qui lui relate sa visite, en ce lieu de culte protestant et sa découverte d’un monde de foi entièrement nouveau. Elle lui fait part de ses impressions et de son léger malaise, puis conclut par l’invitation qu’elle a faite à Guillaume Brisson, le jeune guitariste qui semble s’être intéressé à Joannie, de venir au poste cette semaine.
-Oui, tu as bien fait. Mais cette fois on va faire des interrogatoires un peu plus sérieux. J’aimerais bien quant à moi rencontrer cet Émile Vadnais.
-Oui, je suis d’accord que ce serait bien que tu ailles le voir; vérifie bien son téléphone cellulaire. Et, j’ai une autre chose à te demander.
-Quoi donc ?
-De m’excuser pour la réunion d’équipe demain matin; après cette fin de semaine, surtout après les funérailles de Joannie, j’aimerais bien aller très tôt demain matin à la polyvalente, histoire de voir comment ça se passe. On ne sait jamais, certaines langues pourraient se délier.
-Oui, et prends Sébastien avec toi.
-Il faudrait que toi tu le préviennes alors, parce que c’est un changement d’affectation, et ça c’est ton domaine.
                -Bon, le père et la fille, si vous me disiez comment vous trouvez mon thé ?

                -Commet se sentent les jeunes ce matin ?
                Roxanne et Sébastien arpentent les couloirs avec madame Tessier. Le directeur Raymond Riendeau a trop à faire pour s’occuper d’eux.
                -Il y a encore un peu beaucoup de nervosité dans l’air… On le sent. Ceux qui sont allés aux funérailles ont de quoi parler, surtout de l’altercation entre le père et ce pasteur de Ripon. Plusieurs ont tweetté l’événement en temps réel. De nombreuses photos et des « j’aime » « j’aime pas » ont circulé sur les réseaux sociaux. Entre eux, c’est devenu viral. Et tous ceux qui n’étaient pas là ont téléchargé l’une ou l’autre des photos, surtout celles du cimentière. Alors, vous voyez tout la population est au courant d’une façon ou d’une autre.
                -Je me demande si ça nous apprendrait quelque chose de nouveau…
                -Qu’est-ce qui nous apprendrait quelque chose de nouveau ?
                -Tous ces messages échangés, tous ces tweets; personne que ça peut provoquer des confidences.
                -Je ne sais pas… Ce que je peux dire c’est que les psychologues sont encore là pour cette semaine; les étudiants qui sont venus d’eux-mêmes la semaine dernière seront vus une autre fois, et peut-être encore par la suite si nécessaire, mais dans ce cas en dehors du cadre scolaire : budgets obligent ! Après ce sera le retour à la normal, du moins je l’espère.
                -Est-ce qu’on pourra leur parler ? Je veux dire aux psychologues.
-Leur parler ? Oui, probablement, ce n’est pas un problème, mais ils sont tenus par le secret professionnel, vous savez. Ils pourront vous fournir des statistiques sans doute, comme : combien de jeune sont venus les voir ? de quoi ils ont parlé ? et aussi peut-être la teneur des propos.
-Et si quelqu’un s’est incriminé…
-Je ne sais pas; vous leur demanderez. Vous ne soupçonnez tout de même pas un ou des jeunes de notre école ?
                -Non bien sûr, personne comme coupable; mais quelqu’un doit savoir quelque chose, c’est certain. Nous manquons d’information sur plusieurs points et nous essayons de les éclaircir. Comment vont Alexandre et Wilfrid ?
                -Je n’ai rien remarqué de particulier.
                -Et le trafic de drogue ?
                Madame Tessier pousse un léger rire.
-Ah ! Là-dessus, je dirais que tout le monde se tient tranquille. Ils ont peur bleue de se faire prendre par la police. L’uniforme, c’est magique : quand ils en voient un, toute substance illicite disparaît immédiatement !
                -Et Mélissa ?
                -C’est une bonne question. Je l’ai regardée la semaine dernière, et elle s’est comme renfermée… Non, ce n’est pas le bon mot; elle a comme fermé la porte. Elle reste avec ses amies comme « avant », mais elle garde une distance protectrice avec ses émotions, et je ne sais pas, j’ai l’impression que ça joue sur le comportement des autres qui restent elles aussi un peu sur leur quant-à-soi. Mais sinon, rien de plus. Vous pourriez en parlé avec Pascal Samson, son professeur titulaire… mais il doit être en classe maintenant. Il sera libre durant la pause du matin à 10 :15.
                -O.K. Pour l’instant allons voir les psys.

-Oui, elle est venue me voir, mais même si elle venue d’elle-même, c’était comme un rendez-vous forcé; comme si elle n’avait pas choisie de venir. Un peu comme on va au dentiste : on ouvre la bouche, on ferme les yeux, et on attend que ça finisse. Elle a bien répondu à mes questions, mais justement elle n’aurait pas dû bien répondre. Elle semblait garder un contrôle, probablement involontaire, ou même inconscient, mais qui n’échappe à qui sait observer comme il faut.
-Une corvée… vous dites.
-Une visite dont elle devait se débarrasser. Ses réponses, c’était comme du par cœur, comme si elle voulait avoir une note de passage à un examen.
-Et qu’est-ce que ça veut dire selon vous ?
-On ne fait pas de diagnostic en une seule séance, mais peut-être qu’elle vit son deuil et qu’elle veut, inconsciemment, le vivre en silence, une souffrance… Elle veut rester en contrôle, elle en veut pas qu’on aille fouiller dans ses émotions; c’est probablement normal, après ce qu’elle vécu.
-Elle a quelque chose à cacher.
-Non… Elle cache vraiment quelque chose.
-Ses émotions ? Ce qu’elle sait ? Ce qu’elle a vécu ?
-Oui, c’est bien observé.
-Si vous la revoyez, nous me tiendrez au courant, s’il vous plaît; voici ma carte avec mes coordonnées.

Pendant ce temps, Paul avait appelé la réunion du lundi matin. L’enquête sur la mort, ou le meurtre, de la jeune Joannie Lemieux, n’était pas la seule affaire en cours, mais certainement celle qui nécessitait le plus d’attention. Il avait résumé les événements de la fin de semaine tant ce qui s’était passé lors des funérailles que ce que Roxanne lui avait dit de sa visite à l’église de la Réconciliation. Graduellement, il abandonnait la thèse de l’intervention d’une personne inconnue qui serait passer sur le pont de la Chute Albert « par hasard » pour se concentrer sur les personnes de l’entourage de Joannie; grosso modo, dans l’ordre : un membre de sa famille, quelqu’un de cette église, une personne de son école.
Il s’était promis d’aller rendre visite à Émile Vadnais mais de chose et d’autre la journée était passée. Roxanne et Sébastien étaient revenus vers la fin de l’après-midi. À peu près au même moment, une auto se stationnait à côté du poste de la SQ. Roxanne est toute étonnée de voir entrer Guillaume, avec ses parents.
-Bonjour Guillaume, merci d’être venu si vite. Et merci à vous, monsieur Brisson et madame Maheux. Vous savez ce sera un interrogatoire de routine; nous cherchons à récolter le plus d’information possible sur le décès de la jeune Joannie et nous croyons ce que nous dira Guillaume pourra nous être utile.
-Si ça peut vous aider, nous sommes d’accord; il faut punir les coupables, répond le père de Guillaume.
-La rencontre sera enregistrée et aura lieu dans un bureau à part. Vous serez de l’autre côté d’une grande fenêtre…
-Nous ne pourrons pas être avec Guillaume ?
-Non, c’est préférable, mais vous avez le droit de mettre fin à l’entrevue en tout temps.

                -Quel âge as-tu ?
                -Dix-sept ans le mois prochain.
                -Et où demeures-tu ?
                -J’habite dans le domaine de Boisé à Montebello.
                -Parle-moi de Joannie.
                -Elle chantait bien, très bien, elle avait un don, elle avait une oreille extraordinaire, pour un musicien c’est merveilleux; même quand elle connaissait à peine un chant, elle ne ratait jamais ses entrées.
                -Et comment est-ce que tu la trouvait, en tant que personne.
                -Heu… heu… Elle avait… elle avait… je ne sais pas. Elle était bien.
                -Tu aimais sa compagnie ?
                -Oui, bien sûr; on s’entendait bien. Elle était sympathique. On ne savait pas d’où elle venait; ses parents n’était pas chrétiens. C’était un problème… À cause de ça, elle ne venait pas au groupe de jeunes. C’est dommage. Mais elle, elle voulait devenir chrétienne, elle voulait joindre l’église.
-Pourquoi est-ce que tu dis que c’est dommage.
-Parce que… ça aurait bien qu’elle vienne. Ça lui aurait permis de mieux nous connaître, de mieux connaître la Bible. Ça l’aurait aidée.
                -Quand l’as-tu vue la dernière fois ?
                -Le dimanche d’avant; comme j’ai dit elle ne pouvait pas venir la semaine.
                -Vous êtes-vous téléphonés ?
                -Pardon ?
                -Oui, durant la semaine.
                -Oui…
                -Une fois, plusieurs fois ?
                -Une ou deux fois, oui on s’appelait de temps en temps. On n’allait pas à la même école, alors on ne se voyait que les dimanches à l’église,
                -Quel était le sujet de ces appels ?
                -On s’appelait pour réviser les chants, pour savoir ce qu’elle en pensait, pour faire une évaluation; elle ne pouvait pas venir aux répétitions alors c’était bien de se parler.
                -Alors vous vous téléphoniez principalement pour parler musique ?
                -Oui, c’est ça.
                -Mais ça n’aurait pas dû être au directeur musical, comment s’appelle-t-il David Séguin, qui aurait dû faire ça ?
                -Peut-être que David l’appelait aussi, je ne sais pas; il faudrait lui demander.
                De l’autre côté de la vitre, Paul fronce les sourcils. Il ment. Lui aussi.
                -Es-tu sûr que c’est la raison vraie raison ?
                -Qu’est-ce que vous croyez ?
                -Je ne crois rien… Je veux juste savoir ce que vous vous êtes dit, ce qu’elle t’a dit la dernière fois que vous vous êtes parlé au téléphone, c’est tout.
                -C’est à cause d’Émile !
                -Émile ? Émile Vadnais ?
                -Oui. C’est à cause de lui; il est très strict sur nos relations ! Il voulait pas qu’on se voit tant qu’elle n’était pas chrétienne. II voulait qu’elle quitte ses amis. Et moi, elle m’appelait pour me demander conseil, pour l’aider; elle trouvait ça dur ! Mais elle voulait tellement chanter, elle voulait continuer à être dans le groupe, mais ça c’était un gros sacrifice !
                -Alors qu’est-ce que tu lui as dit ?
                -Je ne lui ai pas dit grand-chose. Qu’est-ce que je pouvais bien lui dire ? Pour moi c’est facile : tous mes amis vont çà l’église. Mais elle, il fallait qu’elle coupe les ponts. Émile l’avait bien avertie. Une fois il l’avait gardée après le culte pour lui parler seul à seule, pour lui mettre les points sur les i. Elle ne savait pas vers qui se tourner; alors comme, musicalement on s’entendait bien elle m’avait téléphoné. J’essayais de l’aider.
                -Est-ce qu’il demandé de l’aide, mettons, au pasteur Timothée ?
                -Au pasteur ? Non, je suis sûr que non.
                -Est-ce que je peux emprunter ton téléphone cellulaire pour faire un relevé des appels ?
                -Oui, pas de problème.

                -Merci beaucoup Guillaume, et merci à tes parents.

lundi 3 octobre 2016

Trahisons
Chapitre 18

                Roxanne est restée un long moment assise à sa place sans oser bouger. Lelong prêche du pasteur Belleavance vient de se terminer : quarante minutes bien sonnées de furieuses exhortations, d’intempestifs encouragements; une longue séance de motivation, d’exaltation dans laquelle il a délivré un message sur les talents qu’on utilise à bon escient, ceux qu’on enterre ou qu’on fait fructifier. Nombreux ont été les appels à la purification, à la réconciliation avec Dieu, avec soi, avec les autres; un appel vibrant à l’édification personnelle, à être de fervents témoins – les tièdes, je les vomirais de ma bouche – de par le monde, à agir autour de soi; des appels à la conversion du monde, de porter dans tous les horizons la croix sanglante du Sauveur ressuscité. Des appels impétueux éviter les tentations, les ruses, les pièges du Malin, toujours prêt à nous faire chuter, toujours prêt à nous entraîner sur le chemin qui mène à la ruine. Il a insisté beaucoup se remémore Roxanne sur l’importance de la méditation et de l’auto-examen. Le pasteur Bellavance, se dit-elle, est un redoutable orateur, qui sait user et qui le fait à la perfection gestes, des mimiques, des ruptures de rythmes, des silences, de tons de voix; parfois il murmurait à peine et ses auditeurs devaient gravement tendre l’oreille pour écouter son message; souvent il haussait la voix, pour insister sur tel ou tel point, pour souligner tel argument, pour amplifier l’effet de telle question. S’il avait choisi de devenir comédien, il aurait eu du succès, c’est certain. Il a appris les bonnes techniques; il est capable de capter l’attention son audience et de la garder; il peut la mener où il veut, la convaincre de tout ce qu’il veut. Sa prédication a sans cesse été, du début à la fin ponctué par les : Amen, Gloire à Dieu, Le Seigneur est grand ! de ses ouailles. Quand il posait une question, la foule au complet répondait par de Oui ! ou de Non ! ou des Jamais ! tonitruants. À quatre reprises les gens l’ont applaudis à tout rompre, si fort qu’il devait interrompre son discours. Jamais Roxanne n’aurait cru que l’homme courtois qu’elle a rencontré il y quelques jours, pouvait déployer une telle énergie, pouvait être animé d’une telle force, d’une telle puissance. C’est presque un miracle. Combien d’années de pratique lui a-t-il fallu pour en arriver là ?
Le pasteur Bellavance se retire. Il sort de sa prédication en nage, et même, semble-t-il à Roxanne, mais peut-être est-ce simplement l’effet des projecteurs, le visage rayonnant lui. Elle se sent à la fois admirative et inquiète. Elle vient de recevoir de plein fouet ce que produire le pouvoir de la parole des leaders charismatiques; en l’utilisant de mauvaise façon, le pasteur et ses semblables pourraient aisément manipuler les foules jusqu’aux pires dérives. Il a joué avec son audience avec la dextérité d’un artiste de cirque.
                Le petit orchestre reprend sa musique. La célébration se poursuit avec d’autres chants de louanges, puis des prières d’intercession pour les peuples en guerres et les églises chrétiennes persécutées dans le monde. Des allusions sont faites aux autres religions pour qu’elles s’éloignent de leurs idoles et qu’elels reconnaissent enfin qui est le vrai Dieu. On prie pour les victimes de l’ouragan Matthew en Asie. Une prière est ajoutée pour la famille de Joannie, pour que Dieu les accompagne dans cette épreuve, pour qu’ils trouvent la seule véritable consolation dans sa présence, lui le Père éternel, Créateur de toutes choses compatissant et riche en bonté.
                Les gens commencent à se lever et à quitter leurs sièges. Il est passé midi. La célébration a duré deux heures. Roxanne la tête lourde de tant de bruit et de tant d’intensité. Elle essaye de se mettre dans la peau de Joannie et de comprendre ce qui dans ce groupe religieux a pu l’attirer à ce point. Pour elle, ça demeure un mystère. Oui, certes elle aimait chanter, mais il devait y avoir quelque chose d’autre.
                Elle se tourne vers monsieur Wheeler et lui demande qui est Guillaume parmi les musiciens, elle voudrait lui dire quelques mots.
                -Venez avec moi.
                Il l’accompagne vers l’estrade où les musiciens sont en train de ranger leurs instruments en se félicitant mutuellement.
                -Guillaume approche ! Il y a quelqu’un qui veut te parler.
                -Oui, qu’est-ce qu’il y a ?
                -Je suis Roxanne Quesnel-Ayotte et je suis officière de la Sureté du Québec, je suis chargée de l’enquête sur la mort de Joannie Lemieux.
                -Oui…
                -Il semble que tu… disons que vous étiez des amis… Est-ce que je me trompe ?
                -On se voyait pour répéter les chants et la musique, c’est vrai.
                -J’aurais besoin de ton témoignage dans le cadre de l’enquête. Est-ce que tu serais prêt à venir au poste de la SQ de Papineauville la semaine prochaine ?
                -Je ne sais pas ce que je pourrais vous dire…
                -Tu sais dans ce genre d’enquête le moindre détail a son importance, et je suis sûre que ça pourrait nous aider. Le pasteur Timothée est déjà venu nous parler, et ça nous a été très utile. Tu pourras lui en parler, il te dira comme ça s’est passé.
-Ouais, mais…
-On veut tous découvrir la vérité, poursuit Roxanne en se tournant vers monsieur Wheeler, qui approuve d’un hochement du menton. Bien sûr, tu pourras venir avec tes parents ou avec qui que ce soit en qui tu as confiance.
                -Je vais leur en parler.
                -Est-ce qu’ils sont ici ?
                -Oui, ils doivent être en train de saluer des gens avant de partir. Ils doivent m’attendre.
                -Allons les prévenir, veux-tu ?
                Guillaume regarde monsieur Wheeler qui lui fait signe que ça ira. En se retournant, Roxanne se retrouve subitement nez à nez avec Émile Vadnais qui n’a sans doute rien manqué de sa conversation.
                -Vous êtes encore là, vous ?
                Elle ne sait trop quoi répondre à cette provocation et préfère garde le silence; il n’y a rien d’autre à faire pour le moment. Menés par monsieur Wheeler, Guillaume et Roxanne se dirigent vers la sortie.
                -Tu ne prends pas ta guitare avec toi ?

                -Non, j’en ai deux autres à la maison. Celle-là elle reste ici, c’est celle dont je me sers pour les cultes. Tenez mes parents sont juste là.