lundi 3 octobre 2016

Trahisons
Chapitre 18

                Roxanne est restée un long moment assise à sa place sans oser bouger. Lelong prêche du pasteur Belleavance vient de se terminer : quarante minutes bien sonnées de furieuses exhortations, d’intempestifs encouragements; une longue séance de motivation, d’exaltation dans laquelle il a délivré un message sur les talents qu’on utilise à bon escient, ceux qu’on enterre ou qu’on fait fructifier. Nombreux ont été les appels à la purification, à la réconciliation avec Dieu, avec soi, avec les autres; un appel vibrant à l’édification personnelle, à être de fervents témoins – les tièdes, je les vomirais de ma bouche – de par le monde, à agir autour de soi; des appels à la conversion du monde, de porter dans tous les horizons la croix sanglante du Sauveur ressuscité. Des appels impétueux éviter les tentations, les ruses, les pièges du Malin, toujours prêt à nous faire chuter, toujours prêt à nous entraîner sur le chemin qui mène à la ruine. Il a insisté beaucoup se remémore Roxanne sur l’importance de la méditation et de l’auto-examen. Le pasteur Bellavance, se dit-elle, est un redoutable orateur, qui sait user et qui le fait à la perfection gestes, des mimiques, des ruptures de rythmes, des silences, de tons de voix; parfois il murmurait à peine et ses auditeurs devaient gravement tendre l’oreille pour écouter son message; souvent il haussait la voix, pour insister sur tel ou tel point, pour souligner tel argument, pour amplifier l’effet de telle question. S’il avait choisi de devenir comédien, il aurait eu du succès, c’est certain. Il a appris les bonnes techniques; il est capable de capter l’attention son audience et de la garder; il peut la mener où il veut, la convaincre de tout ce qu’il veut. Sa prédication a sans cesse été, du début à la fin ponctué par les : Amen, Gloire à Dieu, Le Seigneur est grand ! de ses ouailles. Quand il posait une question, la foule au complet répondait par de Oui ! ou de Non ! ou des Jamais ! tonitruants. À quatre reprises les gens l’ont applaudis à tout rompre, si fort qu’il devait interrompre son discours. Jamais Roxanne n’aurait cru que l’homme courtois qu’elle a rencontré il y quelques jours, pouvait déployer une telle énergie, pouvait être animé d’une telle force, d’une telle puissance. C’est presque un miracle. Combien d’années de pratique lui a-t-il fallu pour en arriver là ?
Le pasteur Bellavance se retire. Il sort de sa prédication en nage, et même, semble-t-il à Roxanne, mais peut-être est-ce simplement l’effet des projecteurs, le visage rayonnant lui. Elle se sent à la fois admirative et inquiète. Elle vient de recevoir de plein fouet ce que produire le pouvoir de la parole des leaders charismatiques; en l’utilisant de mauvaise façon, le pasteur et ses semblables pourraient aisément manipuler les foules jusqu’aux pires dérives. Il a joué avec son audience avec la dextérité d’un artiste de cirque.
                Le petit orchestre reprend sa musique. La célébration se poursuit avec d’autres chants de louanges, puis des prières d’intercession pour les peuples en guerres et les églises chrétiennes persécutées dans le monde. Des allusions sont faites aux autres religions pour qu’elles s’éloignent de leurs idoles et qu’elels reconnaissent enfin qui est le vrai Dieu. On prie pour les victimes de l’ouragan Matthew en Asie. Une prière est ajoutée pour la famille de Joannie, pour que Dieu les accompagne dans cette épreuve, pour qu’ils trouvent la seule véritable consolation dans sa présence, lui le Père éternel, Créateur de toutes choses compatissant et riche en bonté.
                Les gens commencent à se lever et à quitter leurs sièges. Il est passé midi. La célébration a duré deux heures. Roxanne la tête lourde de tant de bruit et de tant d’intensité. Elle essaye de se mettre dans la peau de Joannie et de comprendre ce qui dans ce groupe religieux a pu l’attirer à ce point. Pour elle, ça demeure un mystère. Oui, certes elle aimait chanter, mais il devait y avoir quelque chose d’autre.
                Elle se tourne vers monsieur Wheeler et lui demande qui est Guillaume parmi les musiciens, elle voudrait lui dire quelques mots.
                -Venez avec moi.
                Il l’accompagne vers l’estrade où les musiciens sont en train de ranger leurs instruments en se félicitant mutuellement.
                -Guillaume approche ! Il y a quelqu’un qui veut te parler.
                -Oui, qu’est-ce qu’il y a ?
                -Je suis Roxanne Quesnel-Ayotte et je suis officière de la Sureté du Québec, je suis chargée de l’enquête sur la mort de Joannie Lemieux.
                -Oui…
                -Il semble que tu… disons que vous étiez des amis… Est-ce que je me trompe ?
                -On se voyait pour répéter les chants et la musique, c’est vrai.
                -J’aurais besoin de ton témoignage dans le cadre de l’enquête. Est-ce que tu serais prêt à venir au poste de la SQ de Papineauville la semaine prochaine ?
                -Je ne sais pas ce que je pourrais vous dire…
                -Tu sais dans ce genre d’enquête le moindre détail a son importance, et je suis sûre que ça pourrait nous aider. Le pasteur Timothée est déjà venu nous parler, et ça nous a été très utile. Tu pourras lui en parler, il te dira comme ça s’est passé.
-Ouais, mais…
-On veut tous découvrir la vérité, poursuit Roxanne en se tournant vers monsieur Wheeler, qui approuve d’un hochement du menton. Bien sûr, tu pourras venir avec tes parents ou avec qui que ce soit en qui tu as confiance.
                -Je vais leur en parler.
                -Est-ce qu’ils sont ici ?
                -Oui, ils doivent être en train de saluer des gens avant de partir. Ils doivent m’attendre.
                -Allons les prévenir, veux-tu ?
                Guillaume regarde monsieur Wheeler qui lui fait signe que ça ira. En se retournant, Roxanne se retrouve subitement nez à nez avec Émile Vadnais qui n’a sans doute rien manqué de sa conversation.
                -Vous êtes encore là, vous ?
                Elle ne sait trop quoi répondre à cette provocation et préfère garde le silence; il n’y a rien d’autre à faire pour le moment. Menés par monsieur Wheeler, Guillaume et Roxanne se dirigent vers la sortie.
                -Tu ne prends pas ta guitare avec toi ?

                -Non, j’en ai deux autres à la maison. Celle-là elle reste ici, c’est celle dont je me sers pour les cultes. Tenez mes parents sont juste là.

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