lundi 26 septembre 2016

Trahisons
Chapitre 17

               
                Le lendemain, dimanche, Roxanne s’est à nouveau retrouvée à l’église, mais dans un contexte complètement différent. Elle se rend au culte du dimanche matin de l’église évangélique de la Réconciliation à Saint-André. En s’habillant elle a hésité; elle y va en mission officielle en tant qu’officière de la Sureté du Québec enquêtant sur la mort suspecte d’une jeune étudiante, donc tout ce qu’il y a de plus sérieux, mais en même si elle veut bien tâter le pouls de ce groupe à demi-sectaire elle ne peut y aller en grand uniforme de police avec insigne et tout; elle déteindra trop et perturbera probablement le déroulement de la rencontre. En même temps elle se soute que venir en simple jeans ne serait pas convenable. Elle décide de mettre une jupe de service (chose rarissime) et un chemisier sans insigne. Elle ne se maquille pas, sauf avec un peu de fond de teint et laisse tomber ses cheveux simplement retenus par des petites barrettes.
                Quand elle arrive sur place, sa première impression est que ce n’est pas du tout même genre d’église que celle de la veille. En arrêtant sa voiture dans le stationnement, elle ne voit ni clocher, ni vitraux, ni portail impressionnant. Le bâtiment en briques rouges ressemble plutôt, de l’extérieur, à une salle communautaire, une salle municipale multifonctionnelle. Sur la pelouse, se trouve un immense panneau qui affiche en néons accrocheurs le nom de l’église qui souhaite la bienvenue à tous. On y indique aussi le nom du pasteur et les coordonnées du site internet. De chaque côté de la porte, d’autres affiches clignotantes. « Le salaire du péché, c’est la mort. Rm 6,23 » « Car Dieu a tant aimé le monde qu’Il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle. Jean 3,16 »
Elle reste un peu dans sa voiture à observer les gens qui arrivent. Certains viennent seuls mais la plupart viennent en famille, les parents et les enfants; beaucoup d’enfants, et plusieurs jeunes. Plusieurs personnes ont une Bible à couverture noire sous le bras. Tout le monde est bien mis, bien coiffé, endimanché, les hommes cravaté et les femmes et robes; certaines tenues sont plus décontractées, mais personne vraiment n’est venu en gaminet ou en jeans déchiré au genou. Roxanne se dit que ce choix vestimentaire était finalement le bon. Elle remarque, avec étonnement, un grand nombre de personnes et de familles d’autres origines, des Noirs surtout, d’Haïti ou d’Afrique, comme si tous les immigrants de la région s’étaient donné rendez-vous.
Il y a encore quelques retardataires, mais en entendant la musique, Roxanne se dit que la cérémonie débute. Elle sort de la voiture et s’approche de la porte d’entrée. Elle sait qu’elle n’est pas à sa place, elle se sent vraiment comme un chien dans un jeu de quille. Dans le hall, un homme d’âge mûr l’accueille avec un grand sourire.
-Bonjour ! Bienvenue à l’église chrétienne de la Réconciliation. C’est votre première visite chez nous n’est-ce pas ?
-Oui, en effet.
-Voulez-vous me dire votre nom ? Nous allons vous faire une cocarde avec votre nom comme ça les gens pourront savoir qui vous êtes.
-Écrivez simplement Roxanne; ça suffira.
-Qu’est-ce qui vous amène chez nous ?
-Je… j’ai rencontré votre pasteur Thimothée Bellavance et je suis venue voir.
-Ah ! Bien venez; je vais vous installer avec les invités, au premier rang…
-Non, je ne préfère pas. Je préfèrerais rester en arrière, si c’est possible.
-Pas de problème…
Quelqu’un s’approche d’eux : Émile Vadnais.
-Qu’est-ce que vous faites là vous ? Vous venez mettre le trouble chez nous ! Vous n’êtes pas la bienvenue !
-Qu’est-ce qu’il y a Émile ? Tu connais cette jeune femme ? Vous vous connaissez ?
-Certain que je la connais : même qu’elle est possédée du démon.
-Écoutez, monsieur… (Roxanne lit sur sa cocarde)… Wheeler, c’est vrai que nous nous connaissons : je suis officière de la Sureté du Québec et j’enquête sur le décès de la jeune Joannie Delorme et c’est dans le cadre de mon enquête que je suis ici ce matin. J’ai rencontré le pasteur Bellavance et il a collaboré sans problème à l’enquête; c’est avec son accord que je suis venue. Allez lui demander si vous voulez.
-Elle ne dois pas rentrée dans l’église, elle va y faire entrer diable !
-Calme-toi Émile; si Thimothée est d’accord… D’ailleurs, je vais la surveiller. Acceptez-vous que je vous accompagne.
-Si ça peut aider les choses, ça va.
Roxanne pénètre à l’intérieur à la suite de monsieur Wheeler. Elle est saisit de ce qu’elle voit. La salle de bonne dimension est beaucoup plus aménagée comme une salle de spectacle que comme une église traditionnelle. Roxanne a déjà vu de ces anciens cinémas transformés en salle de culte, mais elle n’y était jamais allée. Des sièges individuels ont remplacés les bancs de bois; l’estrade à remplacé le transept et le chœur; un simple lutrin fait office de chair et surtout l’orgue a disparu au profit d’un groupe de guitares, cuivres et batterie au beau milieu de la scène. Les musiciens jouent à fort volume avec un enthousiasme contagieux. Les paroles du chant sont projetées sur immense écran et les Alléluia, et Gloire à Dieu fusent de tous bords tous côtés. La salle est loin d’être bondée mais la musique et les voix la remplissent entièrement.
-Nous commençons toujours par une période de louanges. Nous avons un bon orchestre, lui dit monsieur Wheeler à mi-voix.
Puis : « Joannie chantait très bien… C’est bien triste. »
La « période de louanges » s’éternise; au bout d’un moment, Roxanne va s’assoir sur un des sièges des dernières rangées. Les chants se succèdent, entrecoupés de séances de prières à haute voix; les gens lèvent les bras ou croisent les mains sur leur poitrine. Il semble à Roxanne que tout le monde parle en même temps et que personne ne porte attention à l’autre. J’espère que Dieu a de bonnes oreilles.
L’un de responsables vient enfin souhaiter la bienvenue à l’assemblée en partageant quelques annonces. Les enfants partent pour rejoindre leurs différents moniteurs et monitrices de l’École du dimanche. On chante un autre chant. La moitié de la foule se lève et danse sur place; l’autre se dandine sur les chaises. Puis l’animateur invite les gens à la préparation personnelle. Débute alors une longue pause plus calme dans laquelle la foule marmonne de façon intelligible.
-C’est la préparation à l’accueil de la Parole de Dieu.
La lecture de Bible faite par des jeunes. Et enfin apparaît le pasteur Bellavance dans un magnifique complet bleu ciel; les projecteurs le suivent jusqu’au lutrin où il pose ses papiers.
Il tourne les yeux vers le ciel :
-Seigneur, merci de la grâce que tu nous fais d’être avec nous; merci, Seigneur, de nous accompagner dans tout ce que nous faisons; merci, Seigneur, d’avoir merci d’avoir fait de nous des disciples, plus que tes disciples, Seigneur, tes amis; c’est un privilège, Seigneur, comme il n’y en a pas d’autre. Seigneur, merci surtout nous avoir donner ta Parole; elle est, Seigneur, la pure vérité et tous temps et tous lieux, pour tous les peuples et pour tous les époques; merci Seigneur de nous offrir l’Esprit-Saint pour nous aider à la lire et la méditer. Seigneur elle est un guide dans nos vies, une lumière sur notre sentier, l’Étoile du matin qui brille, Seigneur, dans la nuit, et même dans la nuit la plus obscure. Là où le péché abonde Seigneur, ta grâce surabonde, et c’est devant toi, Seigneur, tel que je suis sans rien à moi, que je présente. C’est en ton nom, Seigneur, ton nom qui est béni, qui est saint, qui est le seul nom par lequel nous pouvons être sauvé, que nous te prions. Amen.

Le dimanche de Paul a été bien différent, et bien plus reposant en vérité. Juliette est venue le rejoindre en après-midi et ensemble ils sont allés au magnifique Parc national de Plaisance; composé de onze îles dans l’Outaouais, c’est un véritable paradis pour les amoureux de la nature, un endroit de prédilection pour les amateurs de plein air et de beaux points de vue. Un lieu où l’ornithologie la place d’honneur durant les quatre saisons de l’année avec la présence de 230 espèces d’oiseaux. ON peut y observer tant les migrations des canards que des couves de perdrix et même la ponte des tortues. ON y retrouve 26 kilomètres aménagés pour le vélo ou la marche, depuis la rive jusqu’à cinq des îles par des petits ponts que les relient les unes aux autres.
Paul et Juliette ont décidé d’y faire une marche, main dans la main, au coucher du soleil. Ils marchent lentement, contemplant le paysage. Juliette a pris son appareil de photo. Entre deux prises elle se tourne vers Paul :
-Tu as l’air songeur, Paul.
-Ah, c’est cette enquête qui me tracasse. Ce genre d’enquête peut prendre des années à résoudre. Dans le cas d’un crime comme celui-ci, on sait que c’est habituellement quelqu’un de l’entourage de la victime qui l’a commis, 80% des cas; alors ça peut aller vite, la liste des suspects est plus réduite. Mais si c’est un étranger qui l’a commis , quelqu’un qui serait juste passé par là, ou bien quelqu’un à qui elle aurait donné rendez-vous, quelqu’un qu’elle pourrait avoir rencontré sur internet, ça, ça peut prendre du temps; ça peut prendre des années. Mais cette hypothèse ne tient pas bien la route, on n’a rien pour l’étayer. On n’a retrouvé aucun message dans son ordinateur, ni courriel, ni facebook, ni instagram, ni twitter. Peut-être l’aurait-elle rejoint par son téléphone, c’est la seule autre possibilité, mais son téléphone était irrécupérable. Même concrètement, on n’a vraiment rien : pas d’empreinte, pas de traces d’ADN, rien… De plus on ne passe pour ainsi dire jamais sur la route de l’Ancien Moulin et de la Chute Albert depuis la construction de la nouvelle route qui passe au nord du village, de la même façon qu’à Lac-de-Sables. À part les habitants du coin, c’est assez rare.
-Oui…

-Alors, c’est quelqu’un de son entourage qui l’a tuée. C’est tout ce dont on est peu près sûrs et ce n’est vraiment pas beaucoup.

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