lundi 29 juin 2015

Le crime du dimanche des Rameaux
26

Roxanne s’était rendue à l’hôpital  de Buckingham un peu rassurée par ce que venait de dire son père, mais il avait eu raison de lui faire remarquer qu’elle avait fait une erreur. Au fond d’elle-même, elle savait qu’elle pouvait faire entièrement confiance en Nancy, mais la rigueur policière lui enseignait bien qu’il fallait s’interdire à tout prix d’exprimer ses émotions et même ses idées devant les témoins de même qu’éviter tous contacts plus personnels avec quiconque était mêlé à une enquête. Elle réfléchissait à l’attitude qu’elle devrait dorénavant prendre avec Nancy. Elle n’essaierait  pas l’éviter, ce serait perdre une source importante d’information, mais elle devait rapidement rétablir la distance appropriée qu’elle aurait toujours dû garder. Le fait d’avoir mis son uniforme devrait l’aider, espère-t-elle.
Au motel Escale, Roxanne demande à voir Marguerite Chevalier et Marc-André Saint-Cyr qui doivent l’attendre dans la salle à manger.
-Ils sont déjà partis…
-Partis ?...
-Oui, je crois qu’ils sont partis pour l’hôpital. Ils ont reçu un coup de téléphone vers six heures et ils ont quitté immédiatement.
Roxanne se pince les lèvres pour ne pas réagir devant cet anglicisme de la pire espèce de plus en plus répandu autour d’elle.
-Merci bien.
À l’hôpital, Roxanne se rend directement aux soins intensifs. Marguerite est seule dans le couloir; probablement que monsieur Saint-Cyr est au chevet de son fils.
-Il est au plus mal. On nous a dit qu’il avait fait une poussée de fièvre durant la nuit et qu’on lui avait donné des analgésiques pour faire tomber la fièvre. Mais il a mal réagit aux médicaments et son état s’est rapidement détérioré.
-Je suis désolée, madame Chevalier.
-Mon mari est avec lui; on ne peut rester à son chevet qu’un seul à la fois…
-…
-On nous a demandé de signer les papiers pour les dons d’organes… et on l’a fait.
-Je pense que c’était la bonne chose à faire.
Est-ce que Nancy a été prévenue ? Probablement que non, sinon elle serait déjà ici. Elle pourrait aussi aider les parents de Sébastien. Elle doit savoir ce qui se passe, mais comment la prévenir ?...
-Je vous laisse madame. Vous avez ma carte; n’hésitez pas à me téléphoner si vous vous en sentez le besoin.
-Nous vous avions promis de répondre à vos questions…
-Ça peut attendre.
-Où en êtes-vous dans votre enquête ?
-Nous progressons bien, même très bien. Je vous tiendrais au courant, c’est sûr.

Roxanne sait qu’elle doit prévenir Nancy; elle sait qu’elle voudrait être là auprès de Sébastien. Mais comment la prévenir sans enfreindre les règles à nouveau ? Ce n’est pas à elle de lui téléphoner.
-Nancy, je sais que je ne devrais pas te téléphoner, mais Sébastien est au plus mal. Viens vite à l’hôpital.

À son arrivée à son bureau, Paul se dit satisfait. La journée d’hier a été fructueuse : Roxanne et lui ont dégagé deux pistes importantes et deux suspects sur lesquels ils pourront se concentrer, l’auteur de l’accident du chemin Vinoy et le père de Jessica qui s’en serait pris au pasteur pour se venger. On avance bien. Il me faut juste vérifier encore quelques détails.
Il va voir l’une des adjointes-administratives.
-Madeleine, j’ai besoin de quelques adresses et téléphones, tous des gens qui habitent à Noyan. Tiens voici les noms : Laurent Groulx, Lucien Besson, Jérôme Abel, et il y a une jeune fille Jessica Lalancette, je voudrais savoir le nom de ses parents et leurs coordonnées. Peux-tu me trouver ça tout-de-suite ?
-Oui, oui, pas de problème.
Ensuite, Paul se dirige vers un autre bureau, au sous-sol. Il demande à Yannick où il en est avec la fouille de l’ordinateur.
-Eh patron, vous saviez que les plus anciens écrits de la Bible, ce sont les Psaumes !
-…!?
-Oui, le pasteur avait un blogue hebdomadaire sur toutes sortes de questions bibliques; c’est très intéressant, j’ai appris tout plein d’affaires. Par exemple, qu’on n’a aucun original des livres de la Bible.
-Bon, bon, c’est très bien, Yannick mais à part d’élever ta culture théologique personnelle, qu’est-ce que tu as appris ?
- Pour l’instant rien. Il faisait beaucoup de recherches sur différents sites sur la Bible, sur l’histoire sainte, sur l’historicité des histoires bibliques, les recherches archéologiques, sur les époques romaines et grecques pour alimenter son blogue. Il y mettait aussi ses prédications, des prières; même des petites histoires drôles. Il avait un compte Facebook pour l’église avec les activités, les événements, les horaires des célébrations, le groupe de jeunes. Il avait de nombreux contacts en Europe, en Afrique, en Australie. Il a fait récemment plusieurs visites sur des sites de voyages, de musées, des villes historiques. Au moins une fois par semaine il allait consulter le site du Synode de l’Église pour s’informer. Si vous voulez savoir, il ne consultait pas les sites pornos. Pour l’instant, rien d’anormal, et rien de très original; juste qu’il était un joueur assidu à Explanet. Et il adore les échecs.
- Explanet ? Qu’est-ce que c’est ça ?
-Patron ! C’est un jeu en ligne dans lequel on joue avec et contre des gens partout sur la planète. Il faut gérer sa civilisation,monter des armées, passer des pactes diplomatiques, et conquérir selon le cas, différentes villes ou territoires; le but c’est de devenir le Président du Sénat galactique ! Chaque partie dure des semaines et même des mois.
-Mettons; et parmi ses contacts personne de suspect ?
-Je ne sais pas encore.
-Est-ce qu’il aurait fait, ces dernières semaines, des recherches sur les cliniques d’avortement ?
-Non, je n’ai rien trouvé.

Paul fait quelques pas dans le couloir. Pourquoi a-t-il fait cet appel à la clinique d’avortement ? Comment a-t-il pu obtenir le numéro du poste ? Y était-il déjà allé ?... Il y a quelque chose qui ne marche pas. Son téléphone…
-Paul Quesnel…
-C’est Jessica.
-Jessica ?! Mai où es-tu ? Tu n’es pas à l’école ?
-Oui, la cloche va sonner dans trois minutes. Allez-vous arrêter mon père ?
-Jessica, avant tout, il faut que tu me dises une chose, c’est très très important; je ne peux rien faire sans ça : dis-moi qui était le père de ton enfant; est-ce que c’était Sébastien ?
-Non, bien sûr que non ! Pensez-vous que j’ai couché avec lui ! Voyons dons, il est bien que trop vieux !
-Qui était-ce alors ?
-C’était Denis.
-Denis ? Celui qui travaille comme plongeur à la Grosse Marmite ?
-Oui; Denis était mon chum… En fait, c’était pas vraiment mon chum, je suis juste sortie avec lui quelques fois pour lui faire plaisir. Et puis le 3 février c’était son anniversaire et il a fait un gros party chez lui. Tous les jeunes du village étaient là et même de Notre-Dame-de-la-Croix et de Saint-Simon. On avait bu, pis ça c’est passé dans sa chambre. Quand je me suis aperçu que j’étais enceinte, j’ai vite cassé avec lui; je lui ai rien dit. Je voulais pas garder le bébé, vous comprenez.
-Pourquoi tu as laissé croire à ton père que Sébastien pouvait être le père ?
-C’est parce que je le connais ! Si je lui avais dit que c’était Denis, il aurait pu le tuer ! Même si j’avais cassé avec lui, je ne voulais pas qu’il lui arrive du mal. Au moins Sébastien, lui, pouvait se défendre ! Il lui dirait et lui démontrerait que ce n’était pas lui; je me disais que mon père finirait par comprendre que ça n’avait pas d’allure.
-Pourquoi as-tu téléphoné de chez lui ?
-J’avais demandé le numéro de la clinique d’avortement à l’infirmière de l’école. J’étais arrivé de bonne heure pour le groupe du vendredi; je ne voulais pas téléphoner de chez moi ! Mais là, la pile de mon téléphone était vide, alors j’ai demandé à Sébastien si je pouvais emprunter son téléphone, et là j’ai appelé la clinique.
-Et le pasteur ne t’a pas demandé  où tu avais téléphoné; il ne l’a jamais su ni même que tu étais enceinte.
-Non, je ne crois pas.
-…
-Alors, allez-vous l’arrêter, mon père ?

                -Patron, ça me dérange pas de répondre à vos exigences, mais vous me demandez de faire deux fois le même travail !
-Comment ça ?
-Et bien, j’ai trouvé les informations que vous vouliez. Mais vous m’avez demandé deux fois la même personne. La mère de cette Jessica Lalancette s’appelle Monique Lalancette, elle porte le nom de sa mère; mais son père c’est Jérôme Abel !

-Allo, Roxanne ? Tu en es où ?
-Je suis sur le chemin du retour. Je n’ai pas pu parler aux parents de Sébastien, car il est à l’article de la mort.
-C’est vrai ?
-Oui…
-Hmm… Quoi d’autre ?
-Papa, il faut prévenir Nancy, mais je ne sais pas comment.
-C’est moi qui vais le faire; j’y vais tout de suite. Rejoins-moi aux bureaux de la municipalité.
-Papa…
-Qu’est-ce qu’il y a ?

-Merci beaucoup.

lundi 22 juin 2015

Le crime du dimanche des Rameaux
25

                Le lendemain matin Paul se réveille à l’aube; en ouvrant les yeux, il se souvient tout de suite où il se trouve : dans la chambre d’amis, chez sa fille. Il se rappelle ce qui l’a amené ici.
-Tu veux que je vienne ?
                -Non, non, ce n’est pas la peine, avait réponde Roxanne, mais aussitôt elle avait éclaté en gros sanglots.
                -Écoute, Roxanne, mets de l’eau à chauffer pour une tisane; je serai là dans dix minutes.
                Paul avait mis quelques vêtements propres dans un sac et avait filé chez Roxanne pas très loin de Papineauville. Il avait pris sa fille dans ses bras et l’avait consolée du mieux qu’il avait pu. Il sentait bien que la tension des deux derniers jours y était pour beaucoup dans ce trop plein d’émotions; une enquête sur un meurtre ou même sur une tentative n’était jamais facile. Il savait que sa fille avait toutes les capacités d’analyse et de déductions pour bien s’y retrouver, mais quand s’ajoutent au stress et aux exigences de concentration d’une telle enquête le désarroi, la peine et le sentiment de culpabilité à cause d’une rupture amoureuse, il comprenait bien que c’était beaucoup pour les jeunes nerfs de sa petite fille. Il se souvenait de ses toutes premières enquêtes : le saut de la théorie à la pratique en est tout un ! ON a beau lire toute la documentation qui existe, on n’est jamais complètement préparé. Quelques mois après ses débuts, il avait été confronté avec un agresseur d’enfant qui avait mis enceinte la fille de treize ans de sa conjointe. Celle-ci travaillait le soir pour faire vivre le foyer et lui il en avait pour établir un marchandage crapuleux : il l’aidait à faire ses devoirs en échange de faveur sexuelles. La petite fille n’a jamais voulu porter plainte. Furieux contre lui, Paul avait voulu s’en prendre à ce salaud et il avait dû résister de toutes ses forces : ça n’aurait que fait déraper l’enquête. Heureusement que l’un de ses collègues avait su le raisonner. Les policiers ne sont pas des héros. Ce sont des êtres humains. Il y a beaucoup de divorces, de séparations et même des suicides dans la police, mais on n’en parle jamais. Et personne ne les aime dans la société.
Roxanne et lui avaient beaucoup d’informations à se partager qu’ils avaient récoltées chacun de son côté durant la journée, et même s’il avait très hâte d’entendre ce qu’elle avait trouvé et d’en savoir plus sur son suspect, il s’était dit que dans les circonstances, ça pouvait attendre à demain. Après une tasse de tisane au tilleul, pendant laquelle Roxanne lui avait montré le (très) petit mot de Fabio et qu’il avait écouté son cœur s’épancher, il l’avait mise au lit et l’avait tendrement bordée. Il s’était ensuite installé dans la chambre d’amis.
                Paul regarde sa montre qui indique 6h05. Hmm… est-ce que je me lève pour faire le café ? Il entend du bruit à l’étage. Bon, Roxanne est réveillée; allons-y pour le café. Roxanne descend quelques instants plus tard.           
                -Hmm... merci pour le café, papa ! Aaaah, ça fait du bien de prendre une bonne douche ! Toi aussi tu devrais y aller.
                -Alors, comment ça va ce matin ? lui demande-t-il en lui faisant la bise.
                -Ça va mieux; merci d’être venu. Je vais devoir avoir une bonne conversation avec Fabio, mais nous avons plus urgent. Je fais les rôties et tu me racontes !
                -Premièrement, je pense que tu t’en doutais, il faut écarter définitivement la filière « femmes »; aucune de celles que j’ai rencontrées ne m’a laissé soupçonner le moindrement avoir eu une relation « particulière » avec le pasteur. Tout ça, ce n’est racontars et médisance. Mes découvertes ont vraiment commencé avec un appel de Yannick me disant que le pasteur avait téléphoné, il y a un mois, à la clinique d’avortement du CLSC de Buckingham. J’y suis allé et effectivement, il y a une jeune fille de Noyan, Jessica Lalancette, a subi un avortement; cette Jessica est membre du groupe de jeunes qui se réunissait les vendredis soir au presbytère. J’avais revu ces jeunes, ou certains d’entre eux en tout cas devant le presbytère le dimanche en fin d’après-midi, et je leur avais donné rendez-vous à la même heure hier soir. Je les ai « un peu » invités à me téléphoner pour aider à l’enquête; et effectivement un peu plus tard en soirée, Jessica m’a rappelé pour me dire qu’elle était sûr c’était son père qui aurait commis l’attentat contre le pasteur. C’est un homme violent et il a très très mal pris l’histoire de l’avortement; il s’en est pris à elle et à sa mère. Elle est persuadée qu’il est allé se venger et poussant le pasteur dans son escalier.
                -Hmm… Est-ce que c’était Sébastien le père ?
                -Je ne sais pas; Jessica n’a pas eu le temps de me dire. Elle a dû raccrocher parce que sa mère l’appelait. Quelque chose me dit que ce n’est pas lui.
                -Moi aussi…
                -Oui, mais pourquoi aurait-il téléphoné à la clinique ?... Il aurait dû avertir les parents de Jessica. À quel titre il était impliqué dans cette histoire ?... Bon, à ton tour !
                -Ce que j’ai découvert c’est que Sébastien Saint-Cyr a été victime non pas d’une, mais de deux agressions.
-Ah oui ?
-Oui, la première agression a eu lieu Il y a un mois environ.
-À peu près à la même époque que l’avortement.
-Il s’en allait faire des visites, et sur le chemin Vinoy, il s’est fait attaqué par un deuxième conducteur qui l’avait suivi. Celui-ci est arrivé d’en arrière, il s’est rabattu contre lui plusieurs fois et l’a fait verser dans le fossé. J’ai retrouvé les rapports des deux réparations et j’ai retrouvé le conducteur de l’autre voiture : il s’appelle Jérôme Abel; j’ai même une pièce à conviction, un morceau de sa voiture, sur les lieux de l’agression.
                -Et le pasteur n’avait pas porté plainte.
                -Il semble que non. Certainement qu’il a reconnu son agresseur et il n’a pas voulu jeté de l’huile sur le feu. Au garage il leur a dit qu’il avait glissé sur la glace vive, ce qui les a bien fait rire.
                -Et ensuite ?
                -Ensuite, je suis allée retrouver Nancy le soir à l’hôpital… Tiens, j’y ai même vu les parents de Sébastien; je dois les revoir ce matin à neuf heures, pour voir ce qu’ils pourraient savoir. Pour ce qui est de Nancy, elle est sûre, elle, que ce fameux Popeye est impliqué dans l’attentat du presbytère. Elle m’a raconté qu’elle avait vécu en couple avec lui pendant deux ans, que lui aussi était un homme violent, et qu’elle l’avait quitté quand elle avait commencé à avoir peur de lui. Popeye – en fait, il s’appelle Lucien Besson – se serait vanté de son exploit à travers le village, mais personne ne veut parler bien sûr. Nancy, elle, veut qu’on trouve la vérité; elle est vraiment une mine de renseignements. Je me fie à ses dires et son jugement. Elle est vraiment amoureuse de Sébastien. Mais…
                -Quoi ?
                -En fait, ce qui est étrange maintenant que j’y pense, c’est qu’elle ne savait rien de la première attaque, celle sur le chemin Vinoy; quand je lui en parlé, elle était très…
                -Tu... tu lui as parlé de l’agression en voiture ?
                -Mais oui, je voulais savoir si elle croyait si on pouvait faire un lien entre les deux !
                -Roxanne !... Je ne crois pas que tu aurais dû lui en parler ! Ce sont des éléments d’enquête, des éléments importants qui ne doivent pas être partagés avec les témoins. Tu le sais, ça peut ensuite fausser leur témoignage; et de plus, jusqu’à preuve du contraire, Nancy Fournier est suspecte comme les autres. As-tu seulement vérifié si elle a un alibi pour samedi soir ?...
                -Tu as raison papa; je n’aurais pas dû lui en parler; j’ai fait une erreur. Tu vois, je me suis prise d’amitié avec elle, et j’ai cru que je pouvais lui faire confiance.
                -Tu peux certainement lui faire confiance, mais pas jusqu’à lui raconter le déroulement de l’enquête. Dans le pire des cas, elle est allée prévenir ce Jérôme Abel pour qu’il se prépare à la visite de la police !
                -Je ne crois pas, mais c’est vrai, j’ai fait une erreur. Surtout que tu as raison de dire qu’elle est suspecte : elle m’a avoué qu’elle avait un exemplaire de la clé du presbytère.
                -Punaise !
                -…
                -Bon, ne fais pas cette tête. Tu vas aller à l’hôpital et parler aux parents du pasteur comme tu le leur as dit. Moi je vais au poste pour la réunion du matin et mettre l’équipe au courant. Quand tu as fini, tu viens me rejoindre à Noyan et nous irons voir les divers suspects. Tout ça nous donne de nombreuses pistes, peut-être même un peu trop. Voyons voir : premièrement ce Jérôme Abel, l’agresseur en voiture, c’est notre meilleur piste; ensuite, le père de Jessica et il faudrait trouver le moyen de lui reparler à elle en plus; troisièmement, ce Popeye allias Lucien Besson, ça ne m’étonnerait pas; et il ne faut pas oublier ce Laurent Groulx qui n’est pas clair. Il faut vérifier les alibis de chacun d’eux, vérifier leur emploi du temps du samedi en soirée, mettons de 17 à 20 heures.
-Et celui de Nancy…
-Oui, je suis d’accord avec toi pour penser qu’elle n’est pas coupable, mais il faudra quand même vérifier. Il faut aussi découvrir si les deux attaques sont reliées, celle du chemin Vinoy et celle du presbytère; peut-être que oui ou peut-être que non. Je ne le pense pas, mais c’est juste une intuition. Et il peut possiblement y avoir plusieurs personnes impliquées dans chacune d’elles. Et on ne connaît le motif ni de l’une ni de l’autre; il nous faut les touver. Est-ce que les deux sont dues à une réaction de rage à cause d’un avortement ? Ou seulement la première ? Tu as trouvé le « coupable » pour la première attaque; très bien. Ça c’est du solide. Mais, il faut découvrir qui était au presbytère samedi soir.
-D’après moi, il y avait plus qu’une personne : Laurent Groulx, c’est à peu près sûr. Popeye, probable. Le père de Jessica ? Possible. Jérôme Abel ? Possible aussi ? Et peut-être d’autres aussi.
-Oui, je crois aussi qu’il y avait plus d’une personne au presbytère samedi soir. Mais en premier, il faut savoir si Jérôme Abel a agi seul. OK, on y va et tu me rejoins pour qu’on aille lui rendre visite ensemble.
-Papa…
-Je suis désolée.
-Ah, ce n’est pas grave, ma chérie... Ça peut arriver à tout le monde. Et puis, tu nous as mis sur une très bonne piste.


lundi 15 juin 2015


Le crime du dimanche des Rameaux
24

Un peu après l’arrivée de Roxane, le médecin de garde arrive; probablement d’origine haïtienne
-Vous êtes la famille de Sébastien St-Cyr ?... Je suis le docteur Moïse. Les dernières nouvelles, c’est qu’il a passé une relativement bonne journée; son état est toujours critique mais stable. Il est gravement atteint. On doit absolument rétablir sa fracture de la boîte crânienne pour diminuer la pression sur le cerveau, mais nous avons décidé de remettre sa deuxième intervention chirurgicale à demain vu son état général trop faible. Mais j’aime mieux être franc avec vous : même si l’intervention réussit s’il s’en sortait vivant, il va garder de graves séquelles de son accident; d’après ce que j’en déduis son cerveau est très atteint.
-Quelle sorte de séquelles ?
-Je ne peux pas le dire avec précision; ça peut être la mémoire, le langage, la motricité; il peut aussi ne pas retrouver toutes ses capacités cognitives.
-Vous voulez dire qu’il sera diminué intellectuellement ?
-C’est possible, je suis désolé.
-Ah, mon Dieu !
-Écoutez, nous faisons tout ce que nous pouvons… Et nous ferons tous ce qui est possible pour l’opération de demain se passe bien, mais comme il y a des risques je voudrais que vous considériez le don d’organes. Je ne vous fais rien signer ce soir, et j’espère que tout ce passera bien, mais s’il y a des complications, on aura besoin de votre accord. Votre fils est en bonne santé, il est en forme, ses organes sont sains, il pourrait peut-être sauve des vies…
-Nous allons y penser. Merci, docteur.
-Très bien, à demain.

C’est Roxanne qui brise le lourd silence qui s’est installé.
-Peut-être que vous avec besoin de vous restaurer.
Nancy les invite à venir chez elle à Noyan pour la nuit.
-Non, non; on a déjà réservé une chambre à l’Hôtel l’Escale juste ici, pas très loin de l’hôpital.
Ils se dirigent vers les ascenseurs. Le silence est presque gênant. Les parents de Sébastien soupirent abondamment. Ils sortent tous les quatre de l’hôpital sans se dire grand-chose. L’air frais du soir les fait légèrement frissonner, particulièrement monsieur St-Cyr.
-Il y a un restaurant juste de l’autre côté de la rue.
-Finalement nous n’avons pas tellement faim; nous préférons rentrer tout de suite à l’hôtel. On se fera servir quelque chose à notre chambre. On vous remercie beaucoup toutes les deux.
-Il faudra que j’aie une conversation avec vous, monsieur St-Cyr et madame Chevalier. Peut-être que vous pourriez m’apprendre des choses sur votre fils que pourraient m’aider dans mon enquête.
-Qu’est-ce que vous voulez savoir ?
-Écoutez, je sais où vous logez. Je serai là demain matin vers 9 heurs. Ça vous va ?
-Oui, si vous voulez.
               
                Les parents de Sébastien rentrent à leur hôtel. Roxanne se tourne vers Nancy.
-Tu voulais me dire quelque chose ?
-Écoute, moi non plus je n’ai pas tellement faim, mais allons au moins nous asseoir et prendre un café.
La soupe du jour est une minestrone. Elles en prennent chacun un bol.
Nancy raconte qu’elle a vécu un an et demi avec Popeye.
-On se connaît depuis toujours. Tu sais les jeunes du même âge dans un petit village sont toujours ensemble. J’ai fait toute mon école avec pratiquement les mêmes camardes de classe pendant six ans. À la longue on sait tout sur les autres. Quand on est petits, on joue ensemble tout le temps, dehors, chez l’un ou chez l’autre; et à l’adolescence, on découvre la vie ensemble. On commence par se tirailler, on se frôle dans les sous-bois, on connaît vite les coins pour ne pas être dérangés; puis ce sont les premiers attouchements, les premiers baisers, les caresses, et puis ça devient plus sérieux. C’est avec Popeye que j’ai eu mes premières expériences sexuelles. Il était plus grand et plus fort que les autres, plus âgé aussi, pis moi il me trouvait cute; il s’est longtemps amusé à me tirer les couettes. Ça nous a semblé naturel de déménager ensemble. L’oncle de Popeye… en fait il s’appelle Lucien, mais jamais personne ne l’appelle comme ça. Son oncle Laurent avait une maison à louer. Lui il a arrêté l’école au milieu du secondaire; il travaillait dans les chantiers de construction, il y avait toujours de l’ouvrage. Quand Laurent a fait construire les maisons sur le chemin du lac, Popeye a travaillé pour lui, pis avant ça c’était la nouvelle route. Mais les hommes plus vieux n’arrêtaient pas de l’asticoter, il fallait toujours qu’il prouve sa force. Et il est devenu méchant et même violent. Même avec moi. J’ai enduré les coups pendant quelque mois; mais on était rendus trop différents. Il n’a plus été embauché sur les chantiers et moi je ne voulais pas rester comme ça à faire du surplace toute ma vie; je voulais faire quelque chose de ma vie.
-Hmm…
-Je sais que c’est lui le coupable.
-Pourquoi lui ?
-Il s’en est vanté ! Il ya à peu près deux semaines, Sébastien est allé rendre visite à Micheline. Micheline c’est la nouvelle conjointe de Popeye. C’est une femme battue. Tu sais, au moins la moitié des femmes du village sont victimes d’une forme ou l’autre de violence. Des fois c’est juste des cris, d’autres fois c’est plus sérieux. Micheline ne peut pas ou ne veut pas partir, et Sébastien a voulu l’aider. Il voulait toujours aider tout le monde. Mais la violence conjugale, c’est compliqué. Ça ne s’est pas bien passé; je ne sais pas comment a réagi Michelin, mais Popeye lui a dit de partir. Il m’a tout raconté ça. Je pensais que c’était fini. Popeye s’est vanté dans tout le village qu’il avait remis le pasteur à sa place et que ça prendrait rien pour qu’il lui règle sons compte. Personne ne le croyait capable d’aller plus loin. Mais il l’a fait. Il est allé chez lui le samedi, il est peut-être passé par en arrière, et il l’a jeté dans l’escalier.
-Qu’est-ce qui te fait dire ça ? L’aurais-tu vu ?
-Écoute, c’est sûr que Popeye était plus gros que Sébastien, mais c’était pas un maigrichon, il pouvait se défendre. Qui d’autre aurait pu le pousser en bas de l’escalier ? Est-ce qu’il a y des traces de luttes dans sa maison ?
-Non.
-Je ne connais personne d’autre assez fort pour l’avoir fait. Il faut que ce soit lui.
                -Une conviction n’est pas une preuve.
                -Arrête-le pis fais le avouer !
                -Oui, on pourrait, mais je n’ai que des soupçons.
                Elles prennent une gorgée de café.
                -Tu as dit que l’oncle de Popeye s’appelait Laurent ?
                -Oui.
                -C’est Laurent Groulx, je suppose.
                -Oui, c’est ça.
                -Tu vois, le rôle de ce Laurent Groulx dans cette histoire n’est pas clair. Il a menti pendant son interrogatoire.
                -Ils sont allés les deux ensemble… C’est ça ! C’est Laurent qui a ouvert la porte à Popeye !
-C’est très possible, mais il y a une autre chose que tu dois savoir. Tu m’as dit que Sébastien avait eu un accident il y a quelques semaines. C’est vrai, je suis allée au garage où on a remorquée et réparé sa voiture. Mais ce n’était  pas un accident. On l’a poussé dans le fossé…
-Quoi ??
-Oui; quelqu’un est arrivé par en arrière; il l’a dépassé et il s’est rabattu sur lui pour le faire rouler dans le fossé.
-C’est incroyable
-Oui, j’avais des doutes, mais depuis cette après-midi, j’en ai trouvé la preuve.
-Tu sais c’est qui ?
-Je pense le savoir, mais je ne peux pas te le dire. Ça pourrait compromettre l’enquête. Mais ce n’est ni Popeye, ni Laurent.
-Il ne me m’en a rien dit. Pourquoi ?...

Il est presque dix heures quand Roxane rentre finalement chez elle. En se stationnant, elle remarque qu’il n’ya aucune lumière. Bizarre, où est Fabio ? Et où est sa voiture ? Ce n’est pas dans ses habitudes. Généralement, il aime regarder les informations à RDI. Elle arrête le moteur et ouvre la portière. Elle sort lentement, la tête pleine de points d’interrogation. La porte est fermée à clé. De plus en plus étrange. Elle commence à se douter que quelque chose ne va pas. Elle entre et appelle : « Fabio ? Fabio, tu es là ? » Elle va d’une pièce à l’autre. Mais non il n’y a pas de bruit. Il n’y a personne. Roxanne trouve un petit mot sur la table de la cuisine. Me fue a Montréal.
C’est tout. Rien de plus. Pas un mot gentil. Pas une croix pour un baiser, pas même de signature. Est-ce qu’il parti pour de bon ? L’a-t-il quittée ? C’est vrai que ces temps-ci ce n’était pas au bau fixe dans leur couple. Son métier prend beaucoup de place et elle s’y investit beaucoup. Plusieurs fois, comme aujourd’hui elle est revenue tard. Pourtant elle est toujours amoureuse de lui. Je sais que c’est dur pour lui de ne pas avoir d’emploi stable. De ne pas être reconnu ni comme journaliste ni comma travailleur de rue, surtout ici à Papineauville. Pourtant mon salaire nous suffit. On vit bien.
Le répondeur du téléphone clignote. Aurait-il laissé un message plus explicite ? Non : Rappelle-moi, s’il-te-plaît. C’est son père.
Il faut qu’elle l’appelle, mais elle ne s’en sent pas la force. Elle doit partager les informations qu’elle a trouvées mais il faudra qu’elle parle de Fabio et elle n’en pas envie.
-Oui, allo; c’est toi Roxanne ?
-Papa...
-Oh… Qu’est-ce qu’il y a, ma jolie ? La dernière fois qu’on s’est parlés tu avais fait de belles découvertes.
-Fabio est parti.
Et elle se met à pleurer.

Décidément, se dit Paul, c’est la deuxième fois ce soir que j’ai une jeune fille en larmes au bout du téléphone.

lundi 8 juin 2015

Le crime du dimanche des Rameaux
23

                Après avoir parlé à son père, Roxane est partie rejoindre Nancy à son travail. Elle avait hâte de lui parler.
-Bonjour Nancy.
-Bonjour Roxane; je suis contente de te voir. Ça me donne un prétexte pour quitter.
-La journée a été dure aujourd’hui ?
-Tu peux le dire ! Dure et longue ! Je n’ai pas été capable de me concentrer sur rien. Je n’ai rien pu faire. J’ai pu juste répondre au téléphone, prendre le courrier, et à peine répondre aux courriels. Je me suis retenue à deux mains pour ne pas téléphoner à l’hôpital toutes les cinq minutes.
-Mon père m’a dit que tu voulais me parler.
-Heu… Oui, c’est vrai… Écoute m’en vais à l’hôpital; viens avec moi on jasera là-bas.
-OK. Mais je dois juste faire un détour pour vérifier quelque chose; je te rejoins tout de suite après.
-Vérifier quoi ?
-J’aimerais mieux ne peux pas te le dire tout de suite. Probablement ce soir.
Les deux jeunes femmes sortent des bureaux de la municipalité. Nancy sort ses clés et verrouille la porte.
-La clé !!
-Quoi ? Quelle clé ?
-La clé du presbytère ! Quand j’ai inspecté les lieux toutes les portes étaient fermées à clé, et Laurent Groulx a dit qu’il avait sorti sa clé pour ouvrir la porte d’entrée dimanche matin, ce qu’a confirmé Bertrand Joliat. S’il y a eu agression, comme je le crois, ça serait bien de savoir qui d’autre que Sébastien avait la clé du presbytère. En tout cas, Laurent Groulx en a une.
-Et probablement l’homme d’entretien, Raymond.
-Raymond ? C’est qui ?
-Oui, Raymond Besson, c’est l’homme à tout faire; c’est lui qui s’occupe des réparations courantes autant à l’église qu’a presbytère et même pour la salle communautaire; c’est sûr qu’il a toutes les clés.
-Ça, c’est très intéressant; c’est une piste à explorer.
-Roxanne…
-Qu’est-ce qu’il y a ?
-Moi aussi, j’ai la clé du presbytère. Sébastien me l’avait donnée.
-Mais ça ne te rend pas suspecte.

-Tu dis que c’est ton père qui poussé Sébastien dans l’escalier, Jessica ?
                -Oui; c’est lui.
                -Pourquoi est-ce tu dis que c’est ton père ?
                -…
                -Est-ce que tu l’as vu ?
-Non, je l’ai pas vue, mais je le sais !
-C’est à cause de l’avortement ?
                -Comment vous savez ça, vous ?!

                En s’en allant vers Buckingham, Roxanne fait un détour par le chemin Vinoy. Elle s’arrête à l’endroit précis que lui avait montré Guy le garagiste. Elle descend de la voiture et regarde les alentours. Bon, les deux voitures venaient de cette direction. Jérôme Abel suivait Sébastien. Il a du se porter à sa hauteur tout juste après cette courbe. Oui… il avait bien préparé son coup; il connaissait l’endroit : dans cette longue ligne droite déserte il avait le temps de le rattraper et de le pousser dans le fossé. Allons-voir si je peux trouver quelque chose.
Roxanne descend de la voiture et marche environ deux cent mètres jusqu’à la fin du tournant. Elle se met à remonter la route en regardant le sol attentivement. À mi-chemin, sur le côté, elle trouve quelques petites débris métalliques, quelques éclats de peinture. C’est trop mince. Ça peut être n’importe quoi. C’est vrai que ça s’est passé il y a un mois, plusieurs véhicules ont dû passer par ici depuis, en plus que c’est un chemin de gravelle. Roxanne continue d’observer la surface de la route; elle est rendue jusque là où elle avait laissé sa voiture. Je ne trouverai rien; au moins j’aurai essayé. Mais juste au cas, elle s’avance vers l’avant, et soudain, un peu plus loin, en contrebas, à demi-enfoui dans les herbes hautes du côté du chemin, elle voit un anneau en chrome comme celui qui entoure les phares de voitures. Elle le retire de l’herbe. Je te tiens, Jérôme Abel !!

-Je l’ai appris juste aujourd’hui. Ne t’inquiète pas, je n’en parlerai à personne.
                -Quand mon père l’appris, que je mettais faite avorter, il est devenu comme fou ! Il était enragé ! Il a voulu tout briser dans la maison ! J’étais allé à la clinique avec ma tante deux jours avant; il y a juste ma mère que le savait, mais il s’est douté de quelque chose et à force de se faire poser de questions, elle a fini par lui dire. Je la déteste ! 

À l’hôpital de Buckingham, une surprise attend Roxane. Nancy est là, avec les parents de Sébastien.
-Bonjour !
Nancy fait les présentations.
-Je vous présente Roxanne…
-Quesnel-Ayotte.
-Roxanne Quesnel-Ayotte; elle est officière de la Sureté du Québec, c’est elle qui est chargée de l’enquête sur la chute de Sébastien.
-Nancy nous a dit que vous croyez que ce n’est pas un accident.
La mère de Sébastien a un joli accent aux oreilles de Roxanne, comme si elle avait envie de chanter tout en parlant. Dans la soirée autour d’une tasse de café, elle racontera qu’elle est née à Toulouse. Elle et son mari se sont rencontrés durant les Jeux Olympique de Montréal en 1976. Marguerite Chevalier était une sportive de haut niveau qui jouait au handball; elle avait été sélectionnée pour faire partie de l’équipe nationale de France et été venue aux Jeux Olympiques de Montréal. Le père de Sébastien, Marc-André St-Cyr, qui avait 19 ans en 1976, avait travaillé comme placier pendant cet événement mémorable et il avait été affecté au Centre Étienne-Desmarteaux, justement là où avaient lieu les compétitions de handball. Marguerite étant réserviste, avait tout le temps de remarquer ce placier dans son uniforme orange qui encourageait l’équipe de France bien plus que l’amateur moyen avec force commentaires, applaudissements, vivats et autres exclamations colorées qu’elle ne comprenait pas toujours parfaitement. L’équipe de France s’était fait éliminée assez vite dans la compétition et Marguerite voulait en profiter pour visiter Montréal. Marc-André avait un sourire qui lui plaisait et un sens de l’humour irrésistible (il aimait s’appeler MASC); il lui avait fait visite quelques endroits de la ville : le Mont-Royal, le Vieux-Port, le Vieux-Montréal, la ville intérieure. Marguerite était tombée sous le charme et de la ville et de son beau Québécois. Elle avait dû repartir avec son équipe à la fin des Jeux, mais ils s’étaient alors écrit et téléphoner régulièrement. À Noël, c’était Marc-Ancré qui était allé la rejoindre à Paris où était le centre national d’entraînement, et il avait passé les fêtes dans la famille Chevalier à Toulouse. L’été suivant ils se mariaient et déménageaient à Laval. Ils ont eu trois enfants deux garçons et une fille et Sébastien est le plus jeune. Elle était protestante et avait tenu à continuer de fréquenter l’église, même s’il fallait pour cela aller jusqu’au centre-ville de Montréal.

-Alors quand ton père l’appris, il est devenu fou furieux ?
                -Oui, il s’est mis à hurler comme un malade ! Tout revolait dans la maison. Les chaises, la table, les plantes; il a même brisé une porte. Il frappait dans les murs. Il a frappé ma mère, et elle tombée par terre. Il est rentré dans ma chambre où je faisais mes devoirs, comme un fou pis il a commencé à me crier après tellement fort ! Il bavait. Moi je pleurais, ma mère aussi pleurait. Mon père a tout reviré ma chambre à l’envers. Il a pris ma guitare pis il l’a cassée contre le mur. J’étais terrifiée. Il hurlait : « C’est qui ? C’est qui ? C’est qui ? » comme un maudit débile. Mais moi, je ne voulais rien lui dire.

Marguerite et Marc-André étaient arrivés en après-midi.
-On a reçu un coup de téléphone vers dix heures ce matin, heureusement que je ne travaille pas le lundi, c’est pour ça que j’étais à la maison. Un monsieur Laurent Groulx qui s’est présenté comme le président du Conseil de paroisse. Il nous a dit que Sébastien avait fait une mauvaise chute dans son escalier et qu’il avait été transporté à l’hôpital. Alors nous avons pris les informations et nous sommes venus le plus vite possible.
Roxane remarque que la mère de Sébastien essaye tant bien que mal de cacher son inquiétude.
«  Ils doivent être fatigués avec toutes ses émotions; et ils n’ont sans doute pas mangé de la journée. Je les interrogerai demain, » se dit Roxanne.

                Paul entend de lourds sanglots à l’autre bout des ondes.
                -Il m’engueulait; il criait de toutes ses forces; il me traitait de tous les noms. Il m’a pris par les cheveux en criant : « C’est l’pasteur, c’est ça ? ». Moi j’ai dit : « Non ! Non ! C’est pas lui ! » Il est parti, en disant: « J’vas y régler son compte à c’courailleux-là. » Pendant plusieurs jours, il n’a parlé à personne. Il rentrait tard le soir, et je le voyais jamais. Il devait préparer son coup. Alors je sais que c’est lui qui est allé au presbytère, samedi, pour lui régler son compte. Il a du l’engueuler, le frapper, pis le jeter en bas de l’escalier.
                -Jessica, qui était lui le père de ton enfant ?
                -…Maman m’appelle pour souper ! Il faut que j’y aille !
                -Est-ce que c’était Sébastien, le père ?
                -Il faut que j’raccroche.

                -…

lundi 1 juin 2015

Le crime du dimanche des Rameaux
22

 Paul embarque dans sa voiture mais ne démarre pas le moteur immédiatement. Il a besoin de réfléchir sur ce qu’il vient d’apprendre. Il penche sa tête sur l’appui-tête et regarde vers le haut.
Ce n’est donc pas Nancy, mais cette petite Jessica qui s’est fait avorter… Et c’est le pasteur lui-même qui a téléphoné à la clinique. J’ai peine à la croire. Ils avaient une liaison et elle est tombée enceinte de lui... Elle le lui a dit et alors il a téléphoné au CLSC  à Buckingham. Mais comment avait-il eu numéro du poste du service d’avortement? Peut-être qu’elle le lui avait dit la veille ou quelques jours auparavant et qu’il s’était renseignée. Ou bien c’est elle qui s’était renseignée. Ou !... il doit bien y avoir une infirmière à l’école. Il faut aller la voir… Et même Nancy n’en savait rien de toute cette histoire : leur idylle, l’avortement !… Ça paraît à peine croyable; ou alors elle le savait et c’est ça la « vérité » qu’il n’a pas dite complètement à Roxane ? Non, il doit s’agir de quelque chose d’autre; sans doute qu’elle n’était pas au courant, qu’il a réussi à le lui cacher... Qui étais-tu donc Sébastien St-Cyr ? Et comment tout ça est relié à son accident ?... Quelqu’un aurait appris l’histoire de l’avortement ? C’est plausible; même que ce ne serait pas surprenant : tout se sait dans un petit milieu. Tout le village devait le savoir; quand elle est allée se faire avorter - et avec qui ? - , ça s’est su. Les gens ont du être scandalisés. Personne n’a osé m’en parlé. Alors ils se sont tous ligués contre lui, tous : Laurent Groulx, Popeye, le maire Simon Abel, les Besson, les Joliat, les Desjardins, les Dagenais, les Fournier, les Brouillet… Ils sont tous coupables ! Je ne peux quand même pas arrêter tout le village!! Ils ont du envoyer une « délégation » de fiers-à-bras  pour le dire partir, de quitter les lieux au plus sacrant. Est-ce qu’il a résisté ? Est-ce qu’il a refusé ? Peut-être a-t-il voulu négocié, discuté, il ne voulait que le scandale éclate dans l’Église, ça aurait la fin de sa carrière… Les autres se sont fâchés et ils ont commencé à l’agresser physiquement…. Hey ! J’y pense, peut-être que c’est dans la bousculade qu’il est tombé… Ce serait finalement vraiment un accident comme n’arrête pas de le dire Laurent Groulx... Ça n’empêche pas que c’est une agression ayant causé des lésions corporelles graves et que quelqu’un en est coupable.
Il faut aller voir Jessica. Il faut avoir sa version, mais j’ai promis à madame Villeray de ne pas lui en parler. Et puis elle est mineure, et comme elle n’est accusée de rien je ne peux pas sommer une mineure à témoigner sans l’autorisation de ses parents, si elle ne vient pas d’elle-même… Et la jeune serveuse, elle savait quelque chose… Vanessa, c’est ça; il faut que je la revoie. Et ce jeune garçon du restaurant que Vanessa a fait taire. Comment s’appelle-t-il ? Denis, c’est ça. Denis, il faut les retrouver. Ah ! mais c’est vrai j’ai dit hier à ces jeunes qui formaient le groupe du vendredi soir que je les retrouverais aujourd’hui si j’avais des nouvelles. J’avais complètement oublié… Mais c’est peut-être ça le moyen d’amener Jessica à parler.
Paul met le moteur en marche. Il prend la route qui le ramène à Noyan.

Roxanne en est maintenant convaincue : le pasteur a été victime de deux « accidents » qui sont peut-être même deux tentatives de meurtre. Est-ce que c’est le même motif ? Probablement. Est-ce que c’est la même ou les mêmes personnes ? Probablement aussi. Et je connais l’une d’elle : Jérôme Abel, le propriétaire de l’autre voiture; c’est lui qui l’a poussé dans le fossé… À moins que quelqu’un ait emprunté sa voiture ? C’est loin d’être la fin de l’histoire mais enfin quelque chose de concret, enfin une piste sérieuse. On va avoir une bonne conversation tous les deux ou tous les trois si papa vient. Il faut le rejoindre celui-là. Il me semble qu’il se la coule douce aujourd’hui.  J’espère qu’il ne m’en veut pas trop pour la question des femmes, il a horreur de perdre son temps. Il va être surpris quand il a apprendre ce que j’ai découvert.
Elle téléphone.
-Allo papa, c’est moi, dit-elle toute gaie de sa journée et de sa découverte.
-Hmm, hmm. Ça a l’air de bien aller.
-« T’es où », maintenant ? demande-t-elle moqueuse.
-Je suis en route pour Noyan; je suis allé faire un tour à Buckingham pour vérifier quelque chose.
- Et alors, c’était fructueux ? demande Roxanne heureuse qu’il ne mentionne pas ses visites du matin.
-Oui, et je crois que j’ai trouvé quelque chose.
-Moi aussi, j’ai trouvé quelque chose et même un suspect !
-C’est vrai ! Bravo ! Écoute, retrouve-moi devant le presbytère. On a profitera pour demander à Gazaille et Petitclerc comment s’est passée la journée.
Roxanne est légèrement déçue qu’il ne lui demande pas immédiatement qui est son suspect. Peut-être est-il lui aussi sur une piste.
-Non, je ne peux pas, je dois aller voir Nancy; c’est toi qui m’a dit qu’elle voulait me parler.
-C’est vrai. Alors, on se voit après.

Paul se stationne à côté de l’église. Le périmètre de sécurité est toujours là. Les jeunes sont en grande discussion avec les deux agents. C’est le moment de vérité.
-Salut chef ! Il y a ces jeunes-là qui disent qu’ils veulent vous voir absolument. Ils vous attendent depuis un bon vingt minutes; ils disent qu’ils ont rendez-vous avec vous !
-Ah inspecteur ! Est-ce que l’enquête avance ? Qu’est-ce que vous avez trouvé ? Dites vite !
-Oh, oh, pas tous à la fois ! Si ça avance ? Disons qu’on est encore en train de ramasser des indices. Mais ce n’est pas facile.
-Avez-vous du nouveau ?
-À vrai dire pas beaucoup. Tout ce que je peux dire c’est que c’est bien plus compliqué que je le pensais au début.
-Comment ça ?
-Qu’est-ce que vous voulez dire ?
Les jeunes font cercle autour de lui.
-Bien… Vous voyez, j’ai paré avec pas mal de mon depuis deux jours et je commencer à me douter que certaines personnes ne me disent pas tout. Tout le monde se connaît ici; et même plus que ça, tout le monde est un peu parent avec tout le monde. On est cousins à un ou deux degrés, ou alors on est tante et nièce, ou alors « ma belle-sœur vit avec mon ex », ou alors « on est allés à l’école ensemble, ça fait que c’est mon grand chum »… Vous comprenez ?
- Ouais, ça s’peut !
-Oui, et moi ce que j’en dis c’est que ça me complique la vie. Je pense, non je suis convaincu que certaines personnes en savent plus qu’elles ne le laissent croire, mais que pour toutes sortes de raisons, bonnes ou mauvaises, elles ne veulent rien dire. Elles ne veulent pas « trahir » qui leur est proche. Et moi, si je veux découvrir la vérité sur cet accident, je dois obtenir des informations. Et depuis deux jours, à cause de ça, je n’en ai pas eu beaucoup.
-Mais nous, on ne sait rien !
-Et le pasteur, comment il va ?
-Je ne sais pas trop. Comme je n’ai pas eu de nouvelles de l’hôpital, je pense que son état est stationnaire. S’il y avait eu du changement, on m’aurait averti. En tout cas, je crois que je vais être plus occupé que je ne le croyais avec cette histoire et avec la non-coopération, ce qui fait que je ne sais pas si je vais avoir le temps pour revenir ici demain. Alors je vous donne ma carte et vous pourrez m’appeler pour avoir des nouvelles; ça va ? Maintenant, je dois retourner à Papineauville.

Paul est à mi-chemin quand le téléphone sonne.
-Paul Quesnel à l’appareil…
Une toute petite voix, comme un murmure.
-Inspecteur, c’est Jessica.
Il stoppe sur le côté de la route.
-Oui, Jessica; tu as quelque chose à me dire ?
-…
-Où est-ce que tu es maintenant ?
-Je suis chez moi; je suis assise dans la balançoire du jardin. Maman prépare le souper et mon père n’est pas encore arrivé.
-Tu veux me dire quelque chose, Jessica ? Je t’écoute.
-…
-Tu peux avoir confiance en moi.
-Je sais…
-Tu sais quoi ?
-Je sais qui a poussé le pasteur en bas de l’escalier.
-Tu sais qu’on l’a poussé et tu sais qui c’est ?
-Oui, j’le sais…
-…
-C’est mon père.