lundi 8 juin 2015

Le crime du dimanche des Rameaux
23

                Après avoir parlé à son père, Roxane est partie rejoindre Nancy à son travail. Elle avait hâte de lui parler.
-Bonjour Nancy.
-Bonjour Roxane; je suis contente de te voir. Ça me donne un prétexte pour quitter.
-La journée a été dure aujourd’hui ?
-Tu peux le dire ! Dure et longue ! Je n’ai pas été capable de me concentrer sur rien. Je n’ai rien pu faire. J’ai pu juste répondre au téléphone, prendre le courrier, et à peine répondre aux courriels. Je me suis retenue à deux mains pour ne pas téléphoner à l’hôpital toutes les cinq minutes.
-Mon père m’a dit que tu voulais me parler.
-Heu… Oui, c’est vrai… Écoute m’en vais à l’hôpital; viens avec moi on jasera là-bas.
-OK. Mais je dois juste faire un détour pour vérifier quelque chose; je te rejoins tout de suite après.
-Vérifier quoi ?
-J’aimerais mieux ne peux pas te le dire tout de suite. Probablement ce soir.
Les deux jeunes femmes sortent des bureaux de la municipalité. Nancy sort ses clés et verrouille la porte.
-La clé !!
-Quoi ? Quelle clé ?
-La clé du presbytère ! Quand j’ai inspecté les lieux toutes les portes étaient fermées à clé, et Laurent Groulx a dit qu’il avait sorti sa clé pour ouvrir la porte d’entrée dimanche matin, ce qu’a confirmé Bertrand Joliat. S’il y a eu agression, comme je le crois, ça serait bien de savoir qui d’autre que Sébastien avait la clé du presbytère. En tout cas, Laurent Groulx en a une.
-Et probablement l’homme d’entretien, Raymond.
-Raymond ? C’est qui ?
-Oui, Raymond Besson, c’est l’homme à tout faire; c’est lui qui s’occupe des réparations courantes autant à l’église qu’a presbytère et même pour la salle communautaire; c’est sûr qu’il a toutes les clés.
-Ça, c’est très intéressant; c’est une piste à explorer.
-Roxanne…
-Qu’est-ce qu’il y a ?
-Moi aussi, j’ai la clé du presbytère. Sébastien me l’avait donnée.
-Mais ça ne te rend pas suspecte.

-Tu dis que c’est ton père qui poussé Sébastien dans l’escalier, Jessica ?
                -Oui; c’est lui.
                -Pourquoi est-ce tu dis que c’est ton père ?
                -…
                -Est-ce que tu l’as vu ?
-Non, je l’ai pas vue, mais je le sais !
-C’est à cause de l’avortement ?
                -Comment vous savez ça, vous ?!

                En s’en allant vers Buckingham, Roxanne fait un détour par le chemin Vinoy. Elle s’arrête à l’endroit précis que lui avait montré Guy le garagiste. Elle descend de la voiture et regarde les alentours. Bon, les deux voitures venaient de cette direction. Jérôme Abel suivait Sébastien. Il a du se porter à sa hauteur tout juste après cette courbe. Oui… il avait bien préparé son coup; il connaissait l’endroit : dans cette longue ligne droite déserte il avait le temps de le rattraper et de le pousser dans le fossé. Allons-voir si je peux trouver quelque chose.
Roxanne descend de la voiture et marche environ deux cent mètres jusqu’à la fin du tournant. Elle se met à remonter la route en regardant le sol attentivement. À mi-chemin, sur le côté, elle trouve quelques petites débris métalliques, quelques éclats de peinture. C’est trop mince. Ça peut être n’importe quoi. C’est vrai que ça s’est passé il y a un mois, plusieurs véhicules ont dû passer par ici depuis, en plus que c’est un chemin de gravelle. Roxanne continue d’observer la surface de la route; elle est rendue jusque là où elle avait laissé sa voiture. Je ne trouverai rien; au moins j’aurai essayé. Mais juste au cas, elle s’avance vers l’avant, et soudain, un peu plus loin, en contrebas, à demi-enfoui dans les herbes hautes du côté du chemin, elle voit un anneau en chrome comme celui qui entoure les phares de voitures. Elle le retire de l’herbe. Je te tiens, Jérôme Abel !!

-Je l’ai appris juste aujourd’hui. Ne t’inquiète pas, je n’en parlerai à personne.
                -Quand mon père l’appris, que je mettais faite avorter, il est devenu comme fou ! Il était enragé ! Il a voulu tout briser dans la maison ! J’étais allé à la clinique avec ma tante deux jours avant; il y a juste ma mère que le savait, mais il s’est douté de quelque chose et à force de se faire poser de questions, elle a fini par lui dire. Je la déteste ! 

À l’hôpital de Buckingham, une surprise attend Roxane. Nancy est là, avec les parents de Sébastien.
-Bonjour !
Nancy fait les présentations.
-Je vous présente Roxanne…
-Quesnel-Ayotte.
-Roxanne Quesnel-Ayotte; elle est officière de la Sureté du Québec, c’est elle qui est chargée de l’enquête sur la chute de Sébastien.
-Nancy nous a dit que vous croyez que ce n’est pas un accident.
La mère de Sébastien a un joli accent aux oreilles de Roxanne, comme si elle avait envie de chanter tout en parlant. Dans la soirée autour d’une tasse de café, elle racontera qu’elle est née à Toulouse. Elle et son mari se sont rencontrés durant les Jeux Olympique de Montréal en 1976. Marguerite Chevalier était une sportive de haut niveau qui jouait au handball; elle avait été sélectionnée pour faire partie de l’équipe nationale de France et été venue aux Jeux Olympiques de Montréal. Le père de Sébastien, Marc-André St-Cyr, qui avait 19 ans en 1976, avait travaillé comme placier pendant cet événement mémorable et il avait été affecté au Centre Étienne-Desmarteaux, justement là où avaient lieu les compétitions de handball. Marguerite étant réserviste, avait tout le temps de remarquer ce placier dans son uniforme orange qui encourageait l’équipe de France bien plus que l’amateur moyen avec force commentaires, applaudissements, vivats et autres exclamations colorées qu’elle ne comprenait pas toujours parfaitement. L’équipe de France s’était fait éliminée assez vite dans la compétition et Marguerite voulait en profiter pour visiter Montréal. Marc-André avait un sourire qui lui plaisait et un sens de l’humour irrésistible (il aimait s’appeler MASC); il lui avait fait visite quelques endroits de la ville : le Mont-Royal, le Vieux-Port, le Vieux-Montréal, la ville intérieure. Marguerite était tombée sous le charme et de la ville et de son beau Québécois. Elle avait dû repartir avec son équipe à la fin des Jeux, mais ils s’étaient alors écrit et téléphoner régulièrement. À Noël, c’était Marc-Ancré qui était allé la rejoindre à Paris où était le centre national d’entraînement, et il avait passé les fêtes dans la famille Chevalier à Toulouse. L’été suivant ils se mariaient et déménageaient à Laval. Ils ont eu trois enfants deux garçons et une fille et Sébastien est le plus jeune. Elle était protestante et avait tenu à continuer de fréquenter l’église, même s’il fallait pour cela aller jusqu’au centre-ville de Montréal.

-Alors quand ton père l’appris, il est devenu fou furieux ?
                -Oui, il s’est mis à hurler comme un malade ! Tout revolait dans la maison. Les chaises, la table, les plantes; il a même brisé une porte. Il frappait dans les murs. Il a frappé ma mère, et elle tombée par terre. Il est rentré dans ma chambre où je faisais mes devoirs, comme un fou pis il a commencé à me crier après tellement fort ! Il bavait. Moi je pleurais, ma mère aussi pleurait. Mon père a tout reviré ma chambre à l’envers. Il a pris ma guitare pis il l’a cassée contre le mur. J’étais terrifiée. Il hurlait : « C’est qui ? C’est qui ? C’est qui ? » comme un maudit débile. Mais moi, je ne voulais rien lui dire.

Marguerite et Marc-André étaient arrivés en après-midi.
-On a reçu un coup de téléphone vers dix heures ce matin, heureusement que je ne travaille pas le lundi, c’est pour ça que j’étais à la maison. Un monsieur Laurent Groulx qui s’est présenté comme le président du Conseil de paroisse. Il nous a dit que Sébastien avait fait une mauvaise chute dans son escalier et qu’il avait été transporté à l’hôpital. Alors nous avons pris les informations et nous sommes venus le plus vite possible.
Roxane remarque que la mère de Sébastien essaye tant bien que mal de cacher son inquiétude.
«  Ils doivent être fatigués avec toutes ses émotions; et ils n’ont sans doute pas mangé de la journée. Je les interrogerai demain, » se dit Roxanne.

                Paul entend de lourds sanglots à l’autre bout des ondes.
                -Il m’engueulait; il criait de toutes ses forces; il me traitait de tous les noms. Il m’a pris par les cheveux en criant : « C’est l’pasteur, c’est ça ? ». Moi j’ai dit : « Non ! Non ! C’est pas lui ! » Il est parti, en disant: « J’vas y régler son compte à c’courailleux-là. » Pendant plusieurs jours, il n’a parlé à personne. Il rentrait tard le soir, et je le voyais jamais. Il devait préparer son coup. Alors je sais que c’est lui qui est allé au presbytère, samedi, pour lui régler son compte. Il a du l’engueuler, le frapper, pis le jeter en bas de l’escalier.
                -Jessica, qui était lui le père de ton enfant ?
                -…Maman m’appelle pour souper ! Il faut que j’y aille !
                -Est-ce que c’était Sébastien, le père ?
                -Il faut que j’raccroche.

                -…

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