lundi 15 juin 2015


Le crime du dimanche des Rameaux
24

Un peu après l’arrivée de Roxane, le médecin de garde arrive; probablement d’origine haïtienne
-Vous êtes la famille de Sébastien St-Cyr ?... Je suis le docteur Moïse. Les dernières nouvelles, c’est qu’il a passé une relativement bonne journée; son état est toujours critique mais stable. Il est gravement atteint. On doit absolument rétablir sa fracture de la boîte crânienne pour diminuer la pression sur le cerveau, mais nous avons décidé de remettre sa deuxième intervention chirurgicale à demain vu son état général trop faible. Mais j’aime mieux être franc avec vous : même si l’intervention réussit s’il s’en sortait vivant, il va garder de graves séquelles de son accident; d’après ce que j’en déduis son cerveau est très atteint.
-Quelle sorte de séquelles ?
-Je ne peux pas le dire avec précision; ça peut être la mémoire, le langage, la motricité; il peut aussi ne pas retrouver toutes ses capacités cognitives.
-Vous voulez dire qu’il sera diminué intellectuellement ?
-C’est possible, je suis désolé.
-Ah, mon Dieu !
-Écoutez, nous faisons tout ce que nous pouvons… Et nous ferons tous ce qui est possible pour l’opération de demain se passe bien, mais comme il y a des risques je voudrais que vous considériez le don d’organes. Je ne vous fais rien signer ce soir, et j’espère que tout ce passera bien, mais s’il y a des complications, on aura besoin de votre accord. Votre fils est en bonne santé, il est en forme, ses organes sont sains, il pourrait peut-être sauve des vies…
-Nous allons y penser. Merci, docteur.
-Très bien, à demain.

C’est Roxanne qui brise le lourd silence qui s’est installé.
-Peut-être que vous avec besoin de vous restaurer.
Nancy les invite à venir chez elle à Noyan pour la nuit.
-Non, non; on a déjà réservé une chambre à l’Hôtel l’Escale juste ici, pas très loin de l’hôpital.
Ils se dirigent vers les ascenseurs. Le silence est presque gênant. Les parents de Sébastien soupirent abondamment. Ils sortent tous les quatre de l’hôpital sans se dire grand-chose. L’air frais du soir les fait légèrement frissonner, particulièrement monsieur St-Cyr.
-Il y a un restaurant juste de l’autre côté de la rue.
-Finalement nous n’avons pas tellement faim; nous préférons rentrer tout de suite à l’hôtel. On se fera servir quelque chose à notre chambre. On vous remercie beaucoup toutes les deux.
-Il faudra que j’aie une conversation avec vous, monsieur St-Cyr et madame Chevalier. Peut-être que vous pourriez m’apprendre des choses sur votre fils que pourraient m’aider dans mon enquête.
-Qu’est-ce que vous voulez savoir ?
-Écoutez, je sais où vous logez. Je serai là demain matin vers 9 heurs. Ça vous va ?
-Oui, si vous voulez.
               
                Les parents de Sébastien rentrent à leur hôtel. Roxanne se tourne vers Nancy.
-Tu voulais me dire quelque chose ?
-Écoute, moi non plus je n’ai pas tellement faim, mais allons au moins nous asseoir et prendre un café.
La soupe du jour est une minestrone. Elles en prennent chacun un bol.
Nancy raconte qu’elle a vécu un an et demi avec Popeye.
-On se connaît depuis toujours. Tu sais les jeunes du même âge dans un petit village sont toujours ensemble. J’ai fait toute mon école avec pratiquement les mêmes camardes de classe pendant six ans. À la longue on sait tout sur les autres. Quand on est petits, on joue ensemble tout le temps, dehors, chez l’un ou chez l’autre; et à l’adolescence, on découvre la vie ensemble. On commence par se tirailler, on se frôle dans les sous-bois, on connaît vite les coins pour ne pas être dérangés; puis ce sont les premiers attouchements, les premiers baisers, les caresses, et puis ça devient plus sérieux. C’est avec Popeye que j’ai eu mes premières expériences sexuelles. Il était plus grand et plus fort que les autres, plus âgé aussi, pis moi il me trouvait cute; il s’est longtemps amusé à me tirer les couettes. Ça nous a semblé naturel de déménager ensemble. L’oncle de Popeye… en fait il s’appelle Lucien, mais jamais personne ne l’appelle comme ça. Son oncle Laurent avait une maison à louer. Lui il a arrêté l’école au milieu du secondaire; il travaillait dans les chantiers de construction, il y avait toujours de l’ouvrage. Quand Laurent a fait construire les maisons sur le chemin du lac, Popeye a travaillé pour lui, pis avant ça c’était la nouvelle route. Mais les hommes plus vieux n’arrêtaient pas de l’asticoter, il fallait toujours qu’il prouve sa force. Et il est devenu méchant et même violent. Même avec moi. J’ai enduré les coups pendant quelque mois; mais on était rendus trop différents. Il n’a plus été embauché sur les chantiers et moi je ne voulais pas rester comme ça à faire du surplace toute ma vie; je voulais faire quelque chose de ma vie.
-Hmm…
-Je sais que c’est lui le coupable.
-Pourquoi lui ?
-Il s’en est vanté ! Il ya à peu près deux semaines, Sébastien est allé rendre visite à Micheline. Micheline c’est la nouvelle conjointe de Popeye. C’est une femme battue. Tu sais, au moins la moitié des femmes du village sont victimes d’une forme ou l’autre de violence. Des fois c’est juste des cris, d’autres fois c’est plus sérieux. Micheline ne peut pas ou ne veut pas partir, et Sébastien a voulu l’aider. Il voulait toujours aider tout le monde. Mais la violence conjugale, c’est compliqué. Ça ne s’est pas bien passé; je ne sais pas comment a réagi Michelin, mais Popeye lui a dit de partir. Il m’a tout raconté ça. Je pensais que c’était fini. Popeye s’est vanté dans tout le village qu’il avait remis le pasteur à sa place et que ça prendrait rien pour qu’il lui règle sons compte. Personne ne le croyait capable d’aller plus loin. Mais il l’a fait. Il est allé chez lui le samedi, il est peut-être passé par en arrière, et il l’a jeté dans l’escalier.
-Qu’est-ce qui te fait dire ça ? L’aurais-tu vu ?
-Écoute, c’est sûr que Popeye était plus gros que Sébastien, mais c’était pas un maigrichon, il pouvait se défendre. Qui d’autre aurait pu le pousser en bas de l’escalier ? Est-ce qu’il a y des traces de luttes dans sa maison ?
-Non.
-Je ne connais personne d’autre assez fort pour l’avoir fait. Il faut que ce soit lui.
                -Une conviction n’est pas une preuve.
                -Arrête-le pis fais le avouer !
                -Oui, on pourrait, mais je n’ai que des soupçons.
                Elles prennent une gorgée de café.
                -Tu as dit que l’oncle de Popeye s’appelait Laurent ?
                -Oui.
                -C’est Laurent Groulx, je suppose.
                -Oui, c’est ça.
                -Tu vois, le rôle de ce Laurent Groulx dans cette histoire n’est pas clair. Il a menti pendant son interrogatoire.
                -Ils sont allés les deux ensemble… C’est ça ! C’est Laurent qui a ouvert la porte à Popeye !
-C’est très possible, mais il y a une autre chose que tu dois savoir. Tu m’as dit que Sébastien avait eu un accident il y a quelques semaines. C’est vrai, je suis allée au garage où on a remorquée et réparé sa voiture. Mais ce n’était  pas un accident. On l’a poussé dans le fossé…
-Quoi ??
-Oui; quelqu’un est arrivé par en arrière; il l’a dépassé et il s’est rabattu sur lui pour le faire rouler dans le fossé.
-C’est incroyable
-Oui, j’avais des doutes, mais depuis cette après-midi, j’en ai trouvé la preuve.
-Tu sais c’est qui ?
-Je pense le savoir, mais je ne peux pas te le dire. Ça pourrait compromettre l’enquête. Mais ce n’est ni Popeye, ni Laurent.
-Il ne me m’en a rien dit. Pourquoi ?...

Il est presque dix heures quand Roxane rentre finalement chez elle. En se stationnant, elle remarque qu’il n’ya aucune lumière. Bizarre, où est Fabio ? Et où est sa voiture ? Ce n’est pas dans ses habitudes. Généralement, il aime regarder les informations à RDI. Elle arrête le moteur et ouvre la portière. Elle sort lentement, la tête pleine de points d’interrogation. La porte est fermée à clé. De plus en plus étrange. Elle commence à se douter que quelque chose ne va pas. Elle entre et appelle : « Fabio ? Fabio, tu es là ? » Elle va d’une pièce à l’autre. Mais non il n’y a pas de bruit. Il n’y a personne. Roxanne trouve un petit mot sur la table de la cuisine. Me fue a Montréal.
C’est tout. Rien de plus. Pas un mot gentil. Pas une croix pour un baiser, pas même de signature. Est-ce qu’il parti pour de bon ? L’a-t-il quittée ? C’est vrai que ces temps-ci ce n’était pas au bau fixe dans leur couple. Son métier prend beaucoup de place et elle s’y investit beaucoup. Plusieurs fois, comme aujourd’hui elle est revenue tard. Pourtant elle est toujours amoureuse de lui. Je sais que c’est dur pour lui de ne pas avoir d’emploi stable. De ne pas être reconnu ni comme journaliste ni comma travailleur de rue, surtout ici à Papineauville. Pourtant mon salaire nous suffit. On vit bien.
Le répondeur du téléphone clignote. Aurait-il laissé un message plus explicite ? Non : Rappelle-moi, s’il-te-plaît. C’est son père.
Il faut qu’elle l’appelle, mais elle ne s’en sent pas la force. Elle doit partager les informations qu’elle a trouvées mais il faudra qu’elle parle de Fabio et elle n’en pas envie.
-Oui, allo; c’est toi Roxanne ?
-Papa...
-Oh… Qu’est-ce qu’il y a, ma jolie ? La dernière fois qu’on s’est parlés tu avais fait de belles découvertes.
-Fabio est parti.
Et elle se met à pleurer.

Décidément, se dit Paul, c’est la deuxième fois ce soir que j’ai une jeune fille en larmes au bout du téléphone.

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