lundi 22 juin 2015

Le crime du dimanche des Rameaux
25

                Le lendemain matin Paul se réveille à l’aube; en ouvrant les yeux, il se souvient tout de suite où il se trouve : dans la chambre d’amis, chez sa fille. Il se rappelle ce qui l’a amené ici.
-Tu veux que je vienne ?
                -Non, non, ce n’est pas la peine, avait réponde Roxanne, mais aussitôt elle avait éclaté en gros sanglots.
                -Écoute, Roxanne, mets de l’eau à chauffer pour une tisane; je serai là dans dix minutes.
                Paul avait mis quelques vêtements propres dans un sac et avait filé chez Roxanne pas très loin de Papineauville. Il avait pris sa fille dans ses bras et l’avait consolée du mieux qu’il avait pu. Il sentait bien que la tension des deux derniers jours y était pour beaucoup dans ce trop plein d’émotions; une enquête sur un meurtre ou même sur une tentative n’était jamais facile. Il savait que sa fille avait toutes les capacités d’analyse et de déductions pour bien s’y retrouver, mais quand s’ajoutent au stress et aux exigences de concentration d’une telle enquête le désarroi, la peine et le sentiment de culpabilité à cause d’une rupture amoureuse, il comprenait bien que c’était beaucoup pour les jeunes nerfs de sa petite fille. Il se souvenait de ses toutes premières enquêtes : le saut de la théorie à la pratique en est tout un ! ON a beau lire toute la documentation qui existe, on n’est jamais complètement préparé. Quelques mois après ses débuts, il avait été confronté avec un agresseur d’enfant qui avait mis enceinte la fille de treize ans de sa conjointe. Celle-ci travaillait le soir pour faire vivre le foyer et lui il en avait pour établir un marchandage crapuleux : il l’aidait à faire ses devoirs en échange de faveur sexuelles. La petite fille n’a jamais voulu porter plainte. Furieux contre lui, Paul avait voulu s’en prendre à ce salaud et il avait dû résister de toutes ses forces : ça n’aurait que fait déraper l’enquête. Heureusement que l’un de ses collègues avait su le raisonner. Les policiers ne sont pas des héros. Ce sont des êtres humains. Il y a beaucoup de divorces, de séparations et même des suicides dans la police, mais on n’en parle jamais. Et personne ne les aime dans la société.
Roxanne et lui avaient beaucoup d’informations à se partager qu’ils avaient récoltées chacun de son côté durant la journée, et même s’il avait très hâte d’entendre ce qu’elle avait trouvé et d’en savoir plus sur son suspect, il s’était dit que dans les circonstances, ça pouvait attendre à demain. Après une tasse de tisane au tilleul, pendant laquelle Roxanne lui avait montré le (très) petit mot de Fabio et qu’il avait écouté son cœur s’épancher, il l’avait mise au lit et l’avait tendrement bordée. Il s’était ensuite installé dans la chambre d’amis.
                Paul regarde sa montre qui indique 6h05. Hmm… est-ce que je me lève pour faire le café ? Il entend du bruit à l’étage. Bon, Roxanne est réveillée; allons-y pour le café. Roxanne descend quelques instants plus tard.           
                -Hmm... merci pour le café, papa ! Aaaah, ça fait du bien de prendre une bonne douche ! Toi aussi tu devrais y aller.
                -Alors, comment ça va ce matin ? lui demande-t-il en lui faisant la bise.
                -Ça va mieux; merci d’être venu. Je vais devoir avoir une bonne conversation avec Fabio, mais nous avons plus urgent. Je fais les rôties et tu me racontes !
                -Premièrement, je pense que tu t’en doutais, il faut écarter définitivement la filière « femmes »; aucune de celles que j’ai rencontrées ne m’a laissé soupçonner le moindrement avoir eu une relation « particulière » avec le pasteur. Tout ça, ce n’est racontars et médisance. Mes découvertes ont vraiment commencé avec un appel de Yannick me disant que le pasteur avait téléphoné, il y a un mois, à la clinique d’avortement du CLSC de Buckingham. J’y suis allé et effectivement, il y a une jeune fille de Noyan, Jessica Lalancette, a subi un avortement; cette Jessica est membre du groupe de jeunes qui se réunissait les vendredis soir au presbytère. J’avais revu ces jeunes, ou certains d’entre eux en tout cas devant le presbytère le dimanche en fin d’après-midi, et je leur avais donné rendez-vous à la même heure hier soir. Je les ai « un peu » invités à me téléphoner pour aider à l’enquête; et effectivement un peu plus tard en soirée, Jessica m’a rappelé pour me dire qu’elle était sûr c’était son père qui aurait commis l’attentat contre le pasteur. C’est un homme violent et il a très très mal pris l’histoire de l’avortement; il s’en est pris à elle et à sa mère. Elle est persuadée qu’il est allé se venger et poussant le pasteur dans son escalier.
                -Hmm… Est-ce que c’était Sébastien le père ?
                -Je ne sais pas; Jessica n’a pas eu le temps de me dire. Elle a dû raccrocher parce que sa mère l’appelait. Quelque chose me dit que ce n’est pas lui.
                -Moi aussi…
                -Oui, mais pourquoi aurait-il téléphoné à la clinique ?... Il aurait dû avertir les parents de Jessica. À quel titre il était impliqué dans cette histoire ?... Bon, à ton tour !
                -Ce que j’ai découvert c’est que Sébastien Saint-Cyr a été victime non pas d’une, mais de deux agressions.
-Ah oui ?
-Oui, la première agression a eu lieu Il y a un mois environ.
-À peu près à la même époque que l’avortement.
-Il s’en allait faire des visites, et sur le chemin Vinoy, il s’est fait attaqué par un deuxième conducteur qui l’avait suivi. Celui-ci est arrivé d’en arrière, il s’est rabattu contre lui plusieurs fois et l’a fait verser dans le fossé. J’ai retrouvé les rapports des deux réparations et j’ai retrouvé le conducteur de l’autre voiture : il s’appelle Jérôme Abel; j’ai même une pièce à conviction, un morceau de sa voiture, sur les lieux de l’agression.
                -Et le pasteur n’avait pas porté plainte.
                -Il semble que non. Certainement qu’il a reconnu son agresseur et il n’a pas voulu jeté de l’huile sur le feu. Au garage il leur a dit qu’il avait glissé sur la glace vive, ce qui les a bien fait rire.
                -Et ensuite ?
                -Ensuite, je suis allée retrouver Nancy le soir à l’hôpital… Tiens, j’y ai même vu les parents de Sébastien; je dois les revoir ce matin à neuf heures, pour voir ce qu’ils pourraient savoir. Pour ce qui est de Nancy, elle est sûre, elle, que ce fameux Popeye est impliqué dans l’attentat du presbytère. Elle m’a raconté qu’elle avait vécu en couple avec lui pendant deux ans, que lui aussi était un homme violent, et qu’elle l’avait quitté quand elle avait commencé à avoir peur de lui. Popeye – en fait, il s’appelle Lucien Besson – se serait vanté de son exploit à travers le village, mais personne ne veut parler bien sûr. Nancy, elle, veut qu’on trouve la vérité; elle est vraiment une mine de renseignements. Je me fie à ses dires et son jugement. Elle est vraiment amoureuse de Sébastien. Mais…
                -Quoi ?
                -En fait, ce qui est étrange maintenant que j’y pense, c’est qu’elle ne savait rien de la première attaque, celle sur le chemin Vinoy; quand je lui en parlé, elle était très…
                -Tu... tu lui as parlé de l’agression en voiture ?
                -Mais oui, je voulais savoir si elle croyait si on pouvait faire un lien entre les deux !
                -Roxanne !... Je ne crois pas que tu aurais dû lui en parler ! Ce sont des éléments d’enquête, des éléments importants qui ne doivent pas être partagés avec les témoins. Tu le sais, ça peut ensuite fausser leur témoignage; et de plus, jusqu’à preuve du contraire, Nancy Fournier est suspecte comme les autres. As-tu seulement vérifié si elle a un alibi pour samedi soir ?...
                -Tu as raison papa; je n’aurais pas dû lui en parler; j’ai fait une erreur. Tu vois, je me suis prise d’amitié avec elle, et j’ai cru que je pouvais lui faire confiance.
                -Tu peux certainement lui faire confiance, mais pas jusqu’à lui raconter le déroulement de l’enquête. Dans le pire des cas, elle est allée prévenir ce Jérôme Abel pour qu’il se prépare à la visite de la police !
                -Je ne crois pas, mais c’est vrai, j’ai fait une erreur. Surtout que tu as raison de dire qu’elle est suspecte : elle m’a avoué qu’elle avait un exemplaire de la clé du presbytère.
                -Punaise !
                -…
                -Bon, ne fais pas cette tête. Tu vas aller à l’hôpital et parler aux parents du pasteur comme tu le leur as dit. Moi je vais au poste pour la réunion du matin et mettre l’équipe au courant. Quand tu as fini, tu viens me rejoindre à Noyan et nous irons voir les divers suspects. Tout ça nous donne de nombreuses pistes, peut-être même un peu trop. Voyons voir : premièrement ce Jérôme Abel, l’agresseur en voiture, c’est notre meilleur piste; ensuite, le père de Jessica et il faudrait trouver le moyen de lui reparler à elle en plus; troisièmement, ce Popeye allias Lucien Besson, ça ne m’étonnerait pas; et il ne faut pas oublier ce Laurent Groulx qui n’est pas clair. Il faut vérifier les alibis de chacun d’eux, vérifier leur emploi du temps du samedi en soirée, mettons de 17 à 20 heures.
-Et celui de Nancy…
-Oui, je suis d’accord avec toi pour penser qu’elle n’est pas coupable, mais il faudra quand même vérifier. Il faut aussi découvrir si les deux attaques sont reliées, celle du chemin Vinoy et celle du presbytère; peut-être que oui ou peut-être que non. Je ne le pense pas, mais c’est juste une intuition. Et il peut possiblement y avoir plusieurs personnes impliquées dans chacune d’elles. Et on ne connaît le motif ni de l’une ni de l’autre; il nous faut les touver. Est-ce que les deux sont dues à une réaction de rage à cause d’un avortement ? Ou seulement la première ? Tu as trouvé le « coupable » pour la première attaque; très bien. Ça c’est du solide. Mais, il faut découvrir qui était au presbytère samedi soir.
-D’après moi, il y avait plus qu’une personne : Laurent Groulx, c’est à peu près sûr. Popeye, probable. Le père de Jessica ? Possible. Jérôme Abel ? Possible aussi ? Et peut-être d’autres aussi.
-Oui, je crois aussi qu’il y avait plus d’une personne au presbytère samedi soir. Mais en premier, il faut savoir si Jérôme Abel a agi seul. OK, on y va et tu me rejoins pour qu’on aille lui rendre visite ensemble.
-Papa…
-Je suis désolée.
-Ah, ce n’est pas grave, ma chérie... Ça peut arriver à tout le monde. Et puis, tu nous as mis sur une très bonne piste.


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