lundi 1 juin 2015

Le crime du dimanche des Rameaux
22

 Paul embarque dans sa voiture mais ne démarre pas le moteur immédiatement. Il a besoin de réfléchir sur ce qu’il vient d’apprendre. Il penche sa tête sur l’appui-tête et regarde vers le haut.
Ce n’est donc pas Nancy, mais cette petite Jessica qui s’est fait avorter… Et c’est le pasteur lui-même qui a téléphoné à la clinique. J’ai peine à la croire. Ils avaient une liaison et elle est tombée enceinte de lui... Elle le lui a dit et alors il a téléphoné au CLSC  à Buckingham. Mais comment avait-il eu numéro du poste du service d’avortement? Peut-être qu’elle le lui avait dit la veille ou quelques jours auparavant et qu’il s’était renseignée. Ou bien c’est elle qui s’était renseignée. Ou !... il doit bien y avoir une infirmière à l’école. Il faut aller la voir… Et même Nancy n’en savait rien de toute cette histoire : leur idylle, l’avortement !… Ça paraît à peine croyable; ou alors elle le savait et c’est ça la « vérité » qu’il n’a pas dite complètement à Roxane ? Non, il doit s’agir de quelque chose d’autre; sans doute qu’elle n’était pas au courant, qu’il a réussi à le lui cacher... Qui étais-tu donc Sébastien St-Cyr ? Et comment tout ça est relié à son accident ?... Quelqu’un aurait appris l’histoire de l’avortement ? C’est plausible; même que ce ne serait pas surprenant : tout se sait dans un petit milieu. Tout le village devait le savoir; quand elle est allée se faire avorter - et avec qui ? - , ça s’est su. Les gens ont du être scandalisés. Personne n’a osé m’en parlé. Alors ils se sont tous ligués contre lui, tous : Laurent Groulx, Popeye, le maire Simon Abel, les Besson, les Joliat, les Desjardins, les Dagenais, les Fournier, les Brouillet… Ils sont tous coupables ! Je ne peux quand même pas arrêter tout le village!! Ils ont du envoyer une « délégation » de fiers-à-bras  pour le dire partir, de quitter les lieux au plus sacrant. Est-ce qu’il a résisté ? Est-ce qu’il a refusé ? Peut-être a-t-il voulu négocié, discuté, il ne voulait que le scandale éclate dans l’Église, ça aurait la fin de sa carrière… Les autres se sont fâchés et ils ont commencé à l’agresser physiquement…. Hey ! J’y pense, peut-être que c’est dans la bousculade qu’il est tombé… Ce serait finalement vraiment un accident comme n’arrête pas de le dire Laurent Groulx... Ça n’empêche pas que c’est une agression ayant causé des lésions corporelles graves et que quelqu’un en est coupable.
Il faut aller voir Jessica. Il faut avoir sa version, mais j’ai promis à madame Villeray de ne pas lui en parler. Et puis elle est mineure, et comme elle n’est accusée de rien je ne peux pas sommer une mineure à témoigner sans l’autorisation de ses parents, si elle ne vient pas d’elle-même… Et la jeune serveuse, elle savait quelque chose… Vanessa, c’est ça; il faut que je la revoie. Et ce jeune garçon du restaurant que Vanessa a fait taire. Comment s’appelle-t-il ? Denis, c’est ça. Denis, il faut les retrouver. Ah ! mais c’est vrai j’ai dit hier à ces jeunes qui formaient le groupe du vendredi soir que je les retrouverais aujourd’hui si j’avais des nouvelles. J’avais complètement oublié… Mais c’est peut-être ça le moyen d’amener Jessica à parler.
Paul met le moteur en marche. Il prend la route qui le ramène à Noyan.

Roxanne en est maintenant convaincue : le pasteur a été victime de deux « accidents » qui sont peut-être même deux tentatives de meurtre. Est-ce que c’est le même motif ? Probablement. Est-ce que c’est la même ou les mêmes personnes ? Probablement aussi. Et je connais l’une d’elle : Jérôme Abel, le propriétaire de l’autre voiture; c’est lui qui l’a poussé dans le fossé… À moins que quelqu’un ait emprunté sa voiture ? C’est loin d’être la fin de l’histoire mais enfin quelque chose de concret, enfin une piste sérieuse. On va avoir une bonne conversation tous les deux ou tous les trois si papa vient. Il faut le rejoindre celui-là. Il me semble qu’il se la coule douce aujourd’hui.  J’espère qu’il ne m’en veut pas trop pour la question des femmes, il a horreur de perdre son temps. Il va être surpris quand il a apprendre ce que j’ai découvert.
Elle téléphone.
-Allo papa, c’est moi, dit-elle toute gaie de sa journée et de sa découverte.
-Hmm, hmm. Ça a l’air de bien aller.
-« T’es où », maintenant ? demande-t-elle moqueuse.
-Je suis en route pour Noyan; je suis allé faire un tour à Buckingham pour vérifier quelque chose.
- Et alors, c’était fructueux ? demande Roxanne heureuse qu’il ne mentionne pas ses visites du matin.
-Oui, et je crois que j’ai trouvé quelque chose.
-Moi aussi, j’ai trouvé quelque chose et même un suspect !
-C’est vrai ! Bravo ! Écoute, retrouve-moi devant le presbytère. On a profitera pour demander à Gazaille et Petitclerc comment s’est passée la journée.
Roxanne est légèrement déçue qu’il ne lui demande pas immédiatement qui est son suspect. Peut-être est-il lui aussi sur une piste.
-Non, je ne peux pas, je dois aller voir Nancy; c’est toi qui m’a dit qu’elle voulait me parler.
-C’est vrai. Alors, on se voit après.

Paul se stationne à côté de l’église. Le périmètre de sécurité est toujours là. Les jeunes sont en grande discussion avec les deux agents. C’est le moment de vérité.
-Salut chef ! Il y a ces jeunes-là qui disent qu’ils veulent vous voir absolument. Ils vous attendent depuis un bon vingt minutes; ils disent qu’ils ont rendez-vous avec vous !
-Ah inspecteur ! Est-ce que l’enquête avance ? Qu’est-ce que vous avez trouvé ? Dites vite !
-Oh, oh, pas tous à la fois ! Si ça avance ? Disons qu’on est encore en train de ramasser des indices. Mais ce n’est pas facile.
-Avez-vous du nouveau ?
-À vrai dire pas beaucoup. Tout ce que je peux dire c’est que c’est bien plus compliqué que je le pensais au début.
-Comment ça ?
-Qu’est-ce que vous voulez dire ?
Les jeunes font cercle autour de lui.
-Bien… Vous voyez, j’ai paré avec pas mal de mon depuis deux jours et je commencer à me douter que certaines personnes ne me disent pas tout. Tout le monde se connaît ici; et même plus que ça, tout le monde est un peu parent avec tout le monde. On est cousins à un ou deux degrés, ou alors on est tante et nièce, ou alors « ma belle-sœur vit avec mon ex », ou alors « on est allés à l’école ensemble, ça fait que c’est mon grand chum »… Vous comprenez ?
- Ouais, ça s’peut !
-Oui, et moi ce que j’en dis c’est que ça me complique la vie. Je pense, non je suis convaincu que certaines personnes en savent plus qu’elles ne le laissent croire, mais que pour toutes sortes de raisons, bonnes ou mauvaises, elles ne veulent rien dire. Elles ne veulent pas « trahir » qui leur est proche. Et moi, si je veux découvrir la vérité sur cet accident, je dois obtenir des informations. Et depuis deux jours, à cause de ça, je n’en ai pas eu beaucoup.
-Mais nous, on ne sait rien !
-Et le pasteur, comment il va ?
-Je ne sais pas trop. Comme je n’ai pas eu de nouvelles de l’hôpital, je pense que son état est stationnaire. S’il y avait eu du changement, on m’aurait averti. En tout cas, je crois que je vais être plus occupé que je ne le croyais avec cette histoire et avec la non-coopération, ce qui fait que je ne sais pas si je vais avoir le temps pour revenir ici demain. Alors je vous donne ma carte et vous pourrez m’appeler pour avoir des nouvelles; ça va ? Maintenant, je dois retourner à Papineauville.

Paul est à mi-chemin quand le téléphone sonne.
-Paul Quesnel à l’appareil…
Une toute petite voix, comme un murmure.
-Inspecteur, c’est Jessica.
Il stoppe sur le côté de la route.
-Oui, Jessica; tu as quelque chose à me dire ?
-…
-Où est-ce que tu es maintenant ?
-Je suis chez moi; je suis assise dans la balançoire du jardin. Maman prépare le souper et mon père n’est pas encore arrivé.
-Tu veux me dire quelque chose, Jessica ? Je t’écoute.
-…
-Tu peux avoir confiance en moi.
-Je sais…
-Tu sais quoi ?
-Je sais qui a poussé le pasteur en bas de l’escalier.
-Tu sais qu’on l’a poussé et tu sais qui c’est ?
-Oui, j’le sais…
-…
-C’est mon père.


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