lundi 29 juin 2015

Le crime du dimanche des Rameaux
26

Roxanne s’était rendue à l’hôpital  de Buckingham un peu rassurée par ce que venait de dire son père, mais il avait eu raison de lui faire remarquer qu’elle avait fait une erreur. Au fond d’elle-même, elle savait qu’elle pouvait faire entièrement confiance en Nancy, mais la rigueur policière lui enseignait bien qu’il fallait s’interdire à tout prix d’exprimer ses émotions et même ses idées devant les témoins de même qu’éviter tous contacts plus personnels avec quiconque était mêlé à une enquête. Elle réfléchissait à l’attitude qu’elle devrait dorénavant prendre avec Nancy. Elle n’essaierait  pas l’éviter, ce serait perdre une source importante d’information, mais elle devait rapidement rétablir la distance appropriée qu’elle aurait toujours dû garder. Le fait d’avoir mis son uniforme devrait l’aider, espère-t-elle.
Au motel Escale, Roxanne demande à voir Marguerite Chevalier et Marc-André Saint-Cyr qui doivent l’attendre dans la salle à manger.
-Ils sont déjà partis…
-Partis ?...
-Oui, je crois qu’ils sont partis pour l’hôpital. Ils ont reçu un coup de téléphone vers six heures et ils ont quitté immédiatement.
Roxanne se pince les lèvres pour ne pas réagir devant cet anglicisme de la pire espèce de plus en plus répandu autour d’elle.
-Merci bien.
À l’hôpital, Roxanne se rend directement aux soins intensifs. Marguerite est seule dans le couloir; probablement que monsieur Saint-Cyr est au chevet de son fils.
-Il est au plus mal. On nous a dit qu’il avait fait une poussée de fièvre durant la nuit et qu’on lui avait donné des analgésiques pour faire tomber la fièvre. Mais il a mal réagit aux médicaments et son état s’est rapidement détérioré.
-Je suis désolée, madame Chevalier.
-Mon mari est avec lui; on ne peut rester à son chevet qu’un seul à la fois…
-…
-On nous a demandé de signer les papiers pour les dons d’organes… et on l’a fait.
-Je pense que c’était la bonne chose à faire.
Est-ce que Nancy a été prévenue ? Probablement que non, sinon elle serait déjà ici. Elle pourrait aussi aider les parents de Sébastien. Elle doit savoir ce qui se passe, mais comment la prévenir ?...
-Je vous laisse madame. Vous avez ma carte; n’hésitez pas à me téléphoner si vous vous en sentez le besoin.
-Nous vous avions promis de répondre à vos questions…
-Ça peut attendre.
-Où en êtes-vous dans votre enquête ?
-Nous progressons bien, même très bien. Je vous tiendrais au courant, c’est sûr.

Roxanne sait qu’elle doit prévenir Nancy; elle sait qu’elle voudrait être là auprès de Sébastien. Mais comment la prévenir sans enfreindre les règles à nouveau ? Ce n’est pas à elle de lui téléphoner.
-Nancy, je sais que je ne devrais pas te téléphoner, mais Sébastien est au plus mal. Viens vite à l’hôpital.

À son arrivée à son bureau, Paul se dit satisfait. La journée d’hier a été fructueuse : Roxanne et lui ont dégagé deux pistes importantes et deux suspects sur lesquels ils pourront se concentrer, l’auteur de l’accident du chemin Vinoy et le père de Jessica qui s’en serait pris au pasteur pour se venger. On avance bien. Il me faut juste vérifier encore quelques détails.
Il va voir l’une des adjointes-administratives.
-Madeleine, j’ai besoin de quelques adresses et téléphones, tous des gens qui habitent à Noyan. Tiens voici les noms : Laurent Groulx, Lucien Besson, Jérôme Abel, et il y a une jeune fille Jessica Lalancette, je voudrais savoir le nom de ses parents et leurs coordonnées. Peux-tu me trouver ça tout-de-suite ?
-Oui, oui, pas de problème.
Ensuite, Paul se dirige vers un autre bureau, au sous-sol. Il demande à Yannick où il en est avec la fouille de l’ordinateur.
-Eh patron, vous saviez que les plus anciens écrits de la Bible, ce sont les Psaumes !
-…!?
-Oui, le pasteur avait un blogue hebdomadaire sur toutes sortes de questions bibliques; c’est très intéressant, j’ai appris tout plein d’affaires. Par exemple, qu’on n’a aucun original des livres de la Bible.
-Bon, bon, c’est très bien, Yannick mais à part d’élever ta culture théologique personnelle, qu’est-ce que tu as appris ?
- Pour l’instant rien. Il faisait beaucoup de recherches sur différents sites sur la Bible, sur l’histoire sainte, sur l’historicité des histoires bibliques, les recherches archéologiques, sur les époques romaines et grecques pour alimenter son blogue. Il y mettait aussi ses prédications, des prières; même des petites histoires drôles. Il avait un compte Facebook pour l’église avec les activités, les événements, les horaires des célébrations, le groupe de jeunes. Il avait de nombreux contacts en Europe, en Afrique, en Australie. Il a fait récemment plusieurs visites sur des sites de voyages, de musées, des villes historiques. Au moins une fois par semaine il allait consulter le site du Synode de l’Église pour s’informer. Si vous voulez savoir, il ne consultait pas les sites pornos. Pour l’instant, rien d’anormal, et rien de très original; juste qu’il était un joueur assidu à Explanet. Et il adore les échecs.
- Explanet ? Qu’est-ce que c’est ça ?
-Patron ! C’est un jeu en ligne dans lequel on joue avec et contre des gens partout sur la planète. Il faut gérer sa civilisation,monter des armées, passer des pactes diplomatiques, et conquérir selon le cas, différentes villes ou territoires; le but c’est de devenir le Président du Sénat galactique ! Chaque partie dure des semaines et même des mois.
-Mettons; et parmi ses contacts personne de suspect ?
-Je ne sais pas encore.
-Est-ce qu’il aurait fait, ces dernières semaines, des recherches sur les cliniques d’avortement ?
-Non, je n’ai rien trouvé.

Paul fait quelques pas dans le couloir. Pourquoi a-t-il fait cet appel à la clinique d’avortement ? Comment a-t-il pu obtenir le numéro du poste ? Y était-il déjà allé ?... Il y a quelque chose qui ne marche pas. Son téléphone…
-Paul Quesnel…
-C’est Jessica.
-Jessica ?! Mai où es-tu ? Tu n’es pas à l’école ?
-Oui, la cloche va sonner dans trois minutes. Allez-vous arrêter mon père ?
-Jessica, avant tout, il faut que tu me dises une chose, c’est très très important; je ne peux rien faire sans ça : dis-moi qui était le père de ton enfant; est-ce que c’était Sébastien ?
-Non, bien sûr que non ! Pensez-vous que j’ai couché avec lui ! Voyons dons, il est bien que trop vieux !
-Qui était-ce alors ?
-C’était Denis.
-Denis ? Celui qui travaille comme plongeur à la Grosse Marmite ?
-Oui; Denis était mon chum… En fait, c’était pas vraiment mon chum, je suis juste sortie avec lui quelques fois pour lui faire plaisir. Et puis le 3 février c’était son anniversaire et il a fait un gros party chez lui. Tous les jeunes du village étaient là et même de Notre-Dame-de-la-Croix et de Saint-Simon. On avait bu, pis ça c’est passé dans sa chambre. Quand je me suis aperçu que j’étais enceinte, j’ai vite cassé avec lui; je lui ai rien dit. Je voulais pas garder le bébé, vous comprenez.
-Pourquoi tu as laissé croire à ton père que Sébastien pouvait être le père ?
-C’est parce que je le connais ! Si je lui avais dit que c’était Denis, il aurait pu le tuer ! Même si j’avais cassé avec lui, je ne voulais pas qu’il lui arrive du mal. Au moins Sébastien, lui, pouvait se défendre ! Il lui dirait et lui démontrerait que ce n’était pas lui; je me disais que mon père finirait par comprendre que ça n’avait pas d’allure.
-Pourquoi as-tu téléphoné de chez lui ?
-J’avais demandé le numéro de la clinique d’avortement à l’infirmière de l’école. J’étais arrivé de bonne heure pour le groupe du vendredi; je ne voulais pas téléphoner de chez moi ! Mais là, la pile de mon téléphone était vide, alors j’ai demandé à Sébastien si je pouvais emprunter son téléphone, et là j’ai appelé la clinique.
-Et le pasteur ne t’a pas demandé  où tu avais téléphoné; il ne l’a jamais su ni même que tu étais enceinte.
-Non, je ne crois pas.
-…
-Alors, allez-vous l’arrêter, mon père ?

                -Patron, ça me dérange pas de répondre à vos exigences, mais vous me demandez de faire deux fois le même travail !
-Comment ça ?
-Et bien, j’ai trouvé les informations que vous vouliez. Mais vous m’avez demandé deux fois la même personne. La mère de cette Jessica Lalancette s’appelle Monique Lalancette, elle porte le nom de sa mère; mais son père c’est Jérôme Abel !

-Allo, Roxanne ? Tu en es où ?
-Je suis sur le chemin du retour. Je n’ai pas pu parler aux parents de Sébastien, car il est à l’article de la mort.
-C’est vrai ?
-Oui…
-Hmm… Quoi d’autre ?
-Papa, il faut prévenir Nancy, mais je ne sais pas comment.
-C’est moi qui vais le faire; j’y vais tout de suite. Rejoins-moi aux bureaux de la municipalité.
-Papa…
-Qu’est-ce qu’il y a ?

-Merci beaucoup.

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