mercredi 1 janvier 2014


La mort, la naissance

 

« Noël pour moi, c’est pas une naissance, c’est une mort. La mort de mon ami Gilles. Oui, c’était mon chum, on voulait habiter ensemble. On s’était rencontrés en d’dans. Oui, qu’est c’est qu’tu veux, c’est ça, je sors de prison. Ai pas peur, j’suis pas un bandit. J’suis sorti il y a trois mois, mais c’est pas juste du pen que j’veux sortir, c’est pour ça que j’m’en retourne chez nous, ben disons, chez mes parents, à La Pocatière. Toi, tu vas jusqu’à Québec, marci d’m’avoir embarqué, ça m’fera déjà la moitié du chemin de fait, pis on aura fait un p’tit bout d’chemin ensemble. Ça va être toute une surprise chez mes parents de m’voir arriver. Hey ! ça fait quinze ans que j’ai pas passé le Jour de l’an avec eux autres; oui, depuis ma première fugue à seize ans. J’suis parti sur l’pouce pour Montréal, pareil comme aujourd’hui où je r’viens chez nous sur l’pouce; la police m’a ramené deux ou trois fois, mais ça allait toujours de pire en pire. On pouvait pas s’entendre ensemble. J’ai été au Patro Le Prévost, au centre Goéland, à Boscoville, même au centre Le Pré à Huberdeau. Partout j’ai rencontré du bon monde, des maudits épais avec, mais ben des animateurs ou des T.C. de bonne volonté. Ça m’a pas empêché de finir à Bordeaux pour deux ans; ç’a été terrible. Tu veux savoir pourquoi ? Pour une histoire de drogue.

« Tu sais quand t’as 17-18 ans pis qu’tu vas pus à l’école, pis qu’tu peux pas te trouver une job…  T’sais, moi j’trouve ça drôle ! d’un côté la t.v., la publicité, toutte le monde te dit : "Awoyez, les jeunes, lâchez votre fou, c’est d’votre âge; prenez du bon temps, faîtes-vous du fun…"; pis de l’autre côté cette même société, les parents, l’école, les centre sociaux nous disent de faire de nous autres des bons p’tits gars, des bonnes p’tites filles, de pas gaspiller, alors qu’on a même pas le minimum pour survivre, de s’garder occupés alors qu’y a aucune place qui nous est donnée, de s’placer les pieds, de s’trouver une job qu’on aime, mais fuck!  y’en a pas d’job ! Excuse-moé d’sacrer, mais y’en a pas d’job, pis quand y’en a, c’est des jobines, du temps partiel, du temporaire, t’es sous-payé, exploité, tu t’fais sacrer après, tu peux être slaqué n’importe quand…

« O.K. ,  y existe des programmes du fédéral, du provincial; big deal, c’est tellement déconnecté de la réalité, y’a aucune coordination, pis les conditions d’admission sont tellement complexes. C’est ben loin de c’qui faudrait vraiment : une politique globale valable d’emploi pour les jeunes. En tout cas, j’sais que j’peux pas changer le système, mais moé je sais que je veux m’en sortir. On est obligé de vivre avec, mais j’veux pas être traité comme un trou d’cul, comme un moins que rien, comme un pourri…

« Gilles, il s’est fait descendre comme un chien. Gilles aussi s’était faite embarqué pour une histoire de drogue; qu’est-ce tu veux faire avec 250 piasses par mois ? Toute l’année passée, on a-tu entendu des histoires de corruption, pis de pots-de-vin, crisse ! Ça a tu du bon sens ? Y’en a-tu qui s’en sont mis dans les poches ! Avec notre argent en plus; pis après ça l’économie va mal ! Ouais ... pour un rapport qui finira sur les tablettes. Y a quelque chose de pas correct là-d’dans; y a quelque chose d’injuste dans cette société.

« Alors là, avec 250 piasses, t’en a même pas assez pour manger à ta faim, pour s’faire un peu d’argent à dépenser, parce que, c’est ça qu’y a, toute autour de nous autres nous pousse à dépenser, à acheter, pis tout le monde dépense, tout l’monde achète, les jeunes comme les vieux; alors, on s’embarque dans des p’tites gamiques : le vol, le recel… mais le plus facile pis le plus payant, c’est la dope. T’en fais d’l’argent avec ça. Le best, c’est les polyvalentes, surtout celles des coins riches; moé, j’allais à Jacques-Rousseau sur la Rive-Sud ou encore au CEGEP Édouard-Montpetit. C’est pas parce que les jeunes en prennent plus, c’est parce qu’ils ont plus d’argent pis on leur fait payer plus cher. Les jeunes, c’est surtout des drogues douces qu’ils voulaient, ils ont un peu peur du chimique, mais les vieux, les profs, les hommes d’affaires, les travailleurs d’la construction c’était presque tout l’temps d’la coke.

« C’est là que j’me suis fait pogner pis j’ai eu douze mois à Bordeaux. Mon chum Gilles y avait eu deux ans. Vers la fin, il pouvait sortir les fins-de-semaine, mais où c’est qu’tu voulais qu’il aille ? On t’sacre dehors pour deux jours, sans argent, sans rien, sans place pour seulement coucher; personne pour t’accompagner, pour t’aider un peu. J’sais pas moi, j’ai pas fait beaucoup d’études, mais y m’semble qu’c’est pas humain de traiter un jeune de vingt ans d’même. Qu’est-ce tu veux, Gilles y r’tournait voir ses anciens chums. C’était les seuls qu’il connaissait, les seuls qui l’respectaient, les seuls avec qui il pouvait jaser, vivre un peu, avoir un peu d’fun. Là on lui a demandé d’entrer d’la dope en d’dans. Les gardiens disaient rien. Mais une fois il l’a gardée pour lui. Ça fait que quand y est sorti pour Noël, ils l’ont tiré; la veille de Noël, y a trois jours.

« Moi, ça m’a ben affecté, ça m’a vraiment fait d’quoi. On n’est pas des bandits. Tu vois, les gens vont lire ça dans l’journal : "Un règlement de  compte dans le milieu de la drogue" pis ils vont applaudir, ils vont être contents. "Tant mieux, tant mieux, qu’ils s’entretusent toute entre eux-autres, pis on s’ra ben débarrassés." Mais est-ce qu’on peut se réjouir de la mort de quelqu’un ? Moi, j’ai pleuré, le jour de Noël, sur la mort de Gilles; au moins y avait une personne au monde qui aura pleuré sur sa mort.

« C’est pas que j’avais jamais vu la mort de proche. Non, y a deux ans, j’avais fait un pacte de suicide avec mon chum de c’temps-là, Yvon qu’y s’appelait. On s’était g’lés à mort pis on avait décidé de s’empoisonner aux pilules. Lui, y y est resté, pis pas moi. Pourquoi ? J’sais pas, peut-être que l’Bon Dieu veillait sur moi, mais y aurait pu tout aussi ben veiller sur Yvon avec.

« Moé, c’qui m’a sauvé j’peux dire, c’est d’avoir rencontré un aumônier de prison, le père Jean qui s’appelait. Le pen, c’est l’enfer, tu peux pas t’imaginer. Jamais j’voudrais y retourner. J’te raconte toute c’que j’ai vécu. Mais le père Jean, y m’a sorti de l’enfer. Lui, c’était un vrai; y savait écoutait les gars sans jamais nous juger, jamais. Il savait nous faire espoir en nous-mêmes. Il nous traitait comme des êtres humains, pas comme des animaux, comme des moins que rien. Un jour, y m’a même demandé de servir la messe avec lui ! Hey, tu t’rends tu compte ? Un pourri comme moé ! C’est lui qui m’a dirigé vers l’Aumônerie communautaire quand j’allais sortir du pen. Là, j’ai rencontré Laurent, le coordonateur. J’peux dire que lui pis le père Jean, y  m’ont sauvé la vie. Ils ont été des pères pour moi. C’était toute un milieu de vie l’Aumônerie communautaire. On nous sert à manger, on fêtait les anniversaires, on avait des groupes de discussions; même que le dimanche y’avait de messes, mais personne n’était obligé d’y aller. Comme j’avais pas d’appartement, pas de place où aller, c’est Laurent qui m’a conseillé de retourner voir mes vieux parents pour pas retomber dans mon ancienne gang

« T’sais au Québec, 20% des suicides sont des suicides de jeunes, mais tu comprends quand t’es pus rien, pis qu’t’as pus rien dans le monde, quand tu comptes plus pour personne, quand tu t’lèves le matin, pis qu’tu sais qu’tu sais qu’t’as absolument rien à faire de ta journée, t’as pas d’argent, t’as pas d’job, t’as pas d’famille, quand tu sais qu’t’es t’un être tout-à-fait inutile, quand on n’a plus aucune possibilité d’action dans le monde, on se détruit soi-même, on retourne les armes contre soi-même, pour se venger. Les jeunes, on leur dit de profiter d’la vie, d’avoir du fun, de découvrir le monde, mais après ça on les traite de paresseux, de marginaux, de sans-coeur, de drogués, de délinquants…  j’ai pour mon dire que tous ces phénomènes négatifs de la jeunesse, alcool, drogue, délinquance, violences, quand tu penses que 15% des accidents mortels sur les routes ce sont des jeunes, ben tout ça ce sont des réponses à un monde impersonnel, malade, bureaucratique, qui ne leur attribue aucune place bien à eux.

« J’sais pas quel âge que t’as; t’as p’t-être juste dix ans de plus que moi, mais j’vais dire une affaire : les adultes, ils ont peur des jeunes; j’sais ben, c’est pas nouveau. Ce sont plus des enfants gentils, obéissants et ils les voient comme des rivaux, des menaces; devant eux, ils se rendent compte que c’est eux qui sont rendus vieux. Je l’sais, moé, mes parents ils étaient comme ça : fais-ci, fais-ça, fais pas ci, fais pas ça, c’est surtout pas d’l’amour; rendu à 12-14 ans, ça peut pus marcher d’même. C’est Gilles Vigneault qui a raison: "C’est votre tour de vous laisser parler d’amour." je r’tourne à Lapoc. Peut-être au commencement, je s’rai obligé de me r’mettre sur l’B.S., mais si c’est juste pour quelque temps, ça m’dérange pas. Mais moi, j’voudrais monter que’que chose : une Auberge de Jeunesse, ça pourrait marcher, y en a pas entre Québec pis Rivière-du-loup, ou bien une boutique d’artisanat auto-gérée par des jeunes du coin. Avec toutes les subventions qu’on donne à gauche pis à droite, y’en restera p’tête un peu pour moé. J’veux vraiment r’commencer à neuf. L’année passée, je l’ai passée en prison, pis mon meilleur chum, un vrai chum, y s’est fait tirer.

« J’sais pas comment ça va s’passer à Lapoc. J’espère que mes parents me fermeront pas la porte au nez. Moi, j’ai changé pas mal depuis quinze ans et surtout depuis la mort de Yvon et de Gilles. Peut-être qu’ils ont changé eux-autres avec. Ça s’rait un beau cadeau pour commencer l’année… »

 

 

1 commentaire:

  1. Salut David. J'aime beaucoup ton style, ce langage cru et direct des "poqués de la vie". Espérant que tes histoires nous ouvrent l'esprit et le coeur à ces réalités humaines, à ces personnes trop souvent invisibles qui croisent notre route. Qu'on les regarde comme des êtres humains à part entière. Beau clin d'oeil au travail si humain de l'Aumônerie communautaire. J'ai partagé sur ma page FB et compte bien placer une note dans les ressources du prochain no de SDF (15 janv,) M'en va lire ton 2e ;))

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