lundi 9 février 2015

Le crime du dimanche des Rameaux

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Après le départ de l’ambulance, Roxanne avait demandé du renfort et avait appelé son père. Puis elle avait répété à Turgeon de garder les gens à distance; elle entendait le même homme qui l’avait interpellée à son arrivée, tenter de l’aider à éloigner les gens, mais tout le monde voulait voir. Il y avait des gens sur la pelouse en avant, d’autre qui avaient fait le tour et qui essayaient de regarder par les fenêtres d’en arrière. Il voyait aussi certaines familles s’en aller. Elle savait ce qu’elle avait à faire; elle était donc revenue à l’intérieur du presbytère. C’est une des règles de base de toute enquête policière : explorer le lieu du « crime » le plus tôt possible, avant qu’il ne soit trop perturbé.
Elle ferme la porte derrière elle pour ne pas être dérangée par les clameurs de la foule. La porte d’entrée donne sur un grand salon qui couvre environ les deux-tiers de la surface. À sa droite, il y a le mur d’une autre pièce. Juste à côté de la porte à sa gauche, il y a simplement un petit vestiaire suspendu; elle ne voit rien de travers. Ses vêtements d’hivers sont encore là. En face d’elle, contre le mur arrière, se trouve l’escalier pour aller au sous-sol. On verra le sous-sol plus tard. Roxanne se met à explorer le salon; en fait c’est une salle qui a l’air d’avoir plusieurs usages. Le pasteur Sébastien Saint-Cyr l’a aménagée par recevoir ses visites; Roxanne voit quelques sièges qui se font face en demi-cercle, une table basse pour servir le café. Une ou deux revues traînent sur les chaises et la table : Aujourd’hui Credo, Œcuménisme. Certainement des revues religieuses. Il y plusieurs plantes en pots près des fenêtres : géraniums, coléus, fougères, crassula, euphorbe, nérium… Trois ou quatre photos accrochées sur les murs : des paysages, une reproduction de Guernica. Le long des murs, il y a plusieurs étagères. Roxanne se dit qu’il y a un grand nombre de livres; certains sont empilés un peu pêle-mêle comme si on venait juste de les lire mais en général, ils sont bien classés : sciences humaines et théologie, récits de voyages, romans français, romans québécois… Tiens une section de livres de poésie : Beausoleil, Brossard, Leonard Cohen, Victor Hugo, Lamartine, Miron, Ouellette, Prévert, Villon… Tiens, il a lu les Harry Potter. Aux fenêtres, Roxanne remarque qu’il y a de jolis rideaux.
Roxanne reprend le tour du salon; la porte du fond permet de sortir en arrière. Elle est verrouillée. Roxanne remarque qu’il y a un début de jardin : des plants de tomates, des fines herbes, quelques tuteurs pour les pois. Elle longe la cage d’escalier en regardant vers le bas et se dirige vers une toute petite cuisine, au fond de laquelle se trouve la salle de bain. La table est repliée et accrochée au mur. C’est bien pensé; ça permet de gagner de la place. De la vaisselle sale traîne dans l’évier de la cuisine. « Ça » s’est passé avant qu’il ait fait la vaisselle. Une plante est suspendue dans une jardinière. Il y a un bac  a recyclage, même un saut à compost.
Soudain, elle entend un petit bruit dans un coin entre la poubelle et le réfrigérateur.
-Tiens qu’est-ce que tu fais là toi ?
Roxanne prend dans ses mains un petit chat blanc et noir. Tu étais resté caché. Tout ce raffut a du te déranger. Les bruits, les cris, les coups peut-être… Et tous ces gens qui sont entrés et sortis ce matin, tu pouvais bien rester cacher. Tu dois avoir faim. Attends, je vais te trouver quelque chose. Roxanne ouvre le réfrigérateur : deux bières, des plats en plastique, des légumes, des fruits, du yogourt, un paquet de saucisses de veau, des jus de fruits, de la moutarde forte, des confitures maison – Une paroissienne qui lui fait un cadeau –, des œufs, du fromage, tout est frais… Tiens, voilà le lait. Elle prend une petite soucoupe dans une des armoires et y verse un peu de lait.
-Attends, attends ! Ça n’ira pas plus vite si tu me fais tout renverser !... Tiens, voilà... Oui, je vois que tu avais faim… Ah, si tu pouvais me dire ce qui s’est passé ici, si tu pouvais me dire comment ton maître est tombé dans l’escalier, ça me faciliterait bien la tâche.
Roxanne jette un coup d’œil dans le petit garde-manger : des céréales, du miel, des boites de conserve, des la farine, des raisins secs, des pâtes… Tiens, trois bouteilles de vin, un Saint-Émillion, un Médoc, un Sauternes; pas n’importe quoi ! De la cuisine, une porte permet d’accéder à la chambre à coucher toute petite par rapport au salon. C’est ça le mur à côté de la porte d’entrée. Le lit est fait, un lit trois-quarts recouvert d’une couette aux motifs verts et bleus. Il n’y a guère de place que pour une commode, au pied du lit, et une table de nuit, à sa tête, avec une pile de livres : le troisième tome de la série Le Siècle « Aux portes de l’éternité », Biographie d’Édith Piaf, « Petit manuel de désobéissance civile ». Tiens, tiens; est-ce que c’était un carré rouge à l’époque ? Sur le haut de la commode, elle trouve un panier tressé où Sébastien jette différents objets, ses clés, ses factures, un bracelet tressé, quelques pièces de monnaie, son portefeuille… Elle l’ouvre : un peu d’argent, des cartes d’identité, une carte de crédit, une carte du club-vidéo, de la bibliothèque de Gatineau. Tiens, nous sommes nés la même année; il n’est plus que jeune que de quatre mois. Qui appeler en cas d’urgence ? Ses parents ? Il faudra le faire le plus tôt possible… Il ne faudra pas oublier sa voiture non plus. Pas de photo d’une quelconque copine. Roxanne ouvre les tiroirs de la commode : un premier pour les sous-vêtements, les chaussettes et les pyjamas. Tiens un paquet de mouchoirs en coton ! C’est devenu assez rare. Roxanne n’est pas une écologiste extrémiste, mais elle comprend vite ce que ça veut dire. Le deuxième tiroir c’est celui des tee-shirts, chemises et chandails. Tout en bas, les pantalons. Une armoire genre IKEA accrochée dans le coin avec son beau linge, chemises pantalons, cravate, une aube bleue et deux étoles, l’une verte et l’autre bariolée. Vraiment, qu’est-ce qu’elle peut bien chercher… Elle sort de la chambre et se retrouve dans la cuisine.
À sa droite, dans le prolongement de la cuisine, c’est la salle de bain. C’est astucieux, toutes les entrées d’eau sont dans le même coin. La salle de bain est propre; serviettes et débarbouillettes sont bien suspendues. La douche est au fond, la cuvette et le lavabo contre le mur. Il n’y a qu’une seule brosse à dents. Roxanne ouvre la pharmacie : une brosse, un peigne, un coupe-ongle, du dentifrice, des Tynelol, des savons biodégradables, rasoir et crème à barbe, du déodorant, une boite de condoms, entamée; pas de médicaments. Dans la douche, shampooing et… Tiens, qu’est-ce que c’est que ça ? Un gel douche de Fruits et Passion ? Ce pas le genre de produits qu’achète un homme.
Roxanne revient dans la cuisine. Il y a un petit garde-manger qui contient des céréales, des oignons, des pommes de terre, des boites de thon. Il avait fini de manger; mettons que c’était vers six heures, six heures et demie… Puis, il a laissé faire la vaisselle pour descendre au sous-sol… ou parce qu’on a sonné à la porte ?
Roxanne descend l’escalier en regardant chaque marche à la recherche d’indices.  Elle s’arrête sur l’avant-dernière marche pour regarder la tache de sang dans laquelle les ambulanciers ont marché. À côté, sa guitare gît brisée, comme éventré mais elle aussi a du être bougée de sa position initiale.
Le sous-sol fait toute la surface de la maison. On a creusé puis construit des fondations avant d’être mettre la maison préfabriquée. Le long du mur en face d’elle, se trouvent les laveuse et sécheuse; elles sont vides. Un paquet de lessive biodégradable traîne à côté. Un attrapeur de rêves est accroché au mur.
Au centre, de la pièce, il y plusieurs coussins arranger pour accueillir un groupe. À nouveau, il y a des étagères de livres, et là un système de son avec un grand support rempli de disques CD : musique classique, jazz, la collection complète des Beatles, U2, Pink Folyd, Les Cowboys fringuants, Richard Desjardins. Une télévision aussi avec lecteur dvd, avec en plus une petite table basse sur laquelle se trouvent des jeux de société : Scrabble, échecs, dames, les Colons de Catane, Go, Cranium, Docte-Rat… Tiens « Naturenjeux », je ne connais pas ça ! Il y a une table de ping-pong pliante remontée et poussée contre l’un des murs. C’est comme une salle de jeux, une salle de rencontre.
Sur le mur le plus long il y a toute une étagère de bandes dessinées : Tintin, Astérix, Jonathan, Valérian, Natacha, Tendre Banlieue, Nathalie, Merlin… Purée, je n’en connais pas beaucoup. Tiens ? Paul à un travail d’été, Paul en appartement, Paul à Québec ?... Il faudra que je montre ça à papa. Au fond, il y a une porte qui permet de sortir à l’extérieur. Roxanne voit dans l’escalier montant quelques outils de jardinage : des pelles, un râteau, une bêche, un arrosoir. De l’autre côté, c’est son bureau : un ordinateur portable, des papiers épars, un agenda, un calepin de notes, un téléphone cellulaire; à côté il y a une imprimante. Des dictionnaires, des livres de théologie, des exemplaires de la Bible s’enlignent sur une petite étagère vissée au mur. TOB, Bible de Jérusalem, Nouvelle Traduction, Scofield, Esprit et Vie, Louis Second… Comment de différentes Bibles il peut bien y avoir !? Est-ce qu’il était en train de préparer la célébration de ce matin ? Elle ouvre le tiroir du haut qui contient des objets de travail, de crayons, du papier, des cartouches d’encre; celui du bas s’ouvre sur toute une série de chemises de diverses couleurs : articles, baptêmes, consistoire, écologie, étude bibliques, groupe de jeunes, justice, liturgies, mariage, synode… Il faudra peut-être éplucher tout ça. Et demander à Yannick de fouiller cet ordinateur; et le cellulaire aussi.
Près du bureau, il y a un petit tabouret et un lutrin, une boite de guitare ouverte, et quelques partitions sur le sol, et un peu plus loin un xylophone. Dans ses moments libres il fait de la musique.
Soudain, quelque chose accroche le regard de Roxanne : il y a une partition sur le lutrin, mais pas n’importe laquelle : une partition écrite à la main. Elle regarde de plus près. En fait, il devait être en train de composer, c’est ça ! Elle prend la feuille; comme titre, juste un mot « Nancy ». Sur la portée, une mélodie ébauchée et des accords dans en do mineur. La tonalité que je préfère. Do mineur, do mineur, fa mineur, mi bémol septième; puis la tierce plus bas : fa mineur, fa mineur, ré mineur augmenté, do mineur 4... Il composait une chanson quand c’est arrivé…  Le crayon traîne par terre au pied du lutrin. Qui est cette Nancy qui l’inspirait et pour qui il composait? Une femme de Noyan ? Est-ce que c’est sa copine restée au loin ?...
Roxanne réfléchit.
Il aurait donc laissé la vaisselle pour plus tard et il est venu s’installer au sous-sol  mettre sur la portée la mélodie que cette Nancy lui inspirait… mettons pendant une demi-heure ? ON est rendu vers sept heures. Il fait encore jour. Là il est monté, sa guitare à la main, pour chercher quelque chose; mais quoi… Ou alors on a sonné ?…
Tout en réfléchissant, Roxanne remonte l’escalier. Elle entend le petit chat miauler  sur le palier. Elle lève les yeux et tend la main pour le prendre. Brusquement, elle s’arrête ! Elle vient de voir quelque chose qu’elle n’avait pas encore vu, qu’elle n’avait pas pu voir en descendant.

Ce n’est pas un accident.

1 commentaire:

  1. Cher David
    Tu sais bien ménager le "suspense", ce qui est essentiel dans un roman policier.
    Yvette

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