lundi 7 septembre 2015

Les flammes de l’enfer

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                Au moment où y pénètrent, vers 16 hrs les deux voitures de police toutes sirènes hurlantes, le Parc Natura est déjà sens dessus-dessous. La première contient l’officier Paul Quesnel enquêteur-chef du poste de la Sureté du Québec de Papineauville et l’officière Beausoleil et dans la deuxième les agents Turgeon et Olivier Jean-Jacques. Paul Quesnel s’est dit que ce serait une bonne occasion de plonger son stagiaire, qui en est à sa dernière semaine chez lui, dans le feu de l’action, de lui faire voir à quoi peut ressembler une scène de crime. Il sait que Turgeon qui l’accompagne saura l’aider et bien lui faire profiter de cette possibilité d’apprentissage.
La nouvelle qu’il y aurait eu un mort lors d’un incendie qui s’est déclaré dans le chalet numéro quinze a fait le tour de l’endroit en un rien de temps. Par la force des choses, les diverses activités du Parc ont été suspendues. Les manèges ont été arrêtés, les visites dans le mini-zoo interrompues, la piste d’hébertisme s’est vidée; toutes personnes qui avaient emprunté des pédalos, des canots ou des kayaks sont rentrées à la rive; celles parties à la pêche ou à la chasse sont revenues. Toute cette populace est dans un état de grande agitation, de surexcitation. On dirait que tout le monde parle en même temps avec les plus grands gestes possibles; on entend des cris, des pleurs. Bien des parents se sont réfugiés avec leurs enfants dans les bâtiments de service : l’accueil, la restauration, les services. D’autres se sont barricadés à l’intérieur de leur tente ou de leur chalet. On entend les enfants pleurer. Tout un amas de gens qui vocifèrent manifestant bruyamment leur désir impérieux de quitter les lieux.
C’est seulement la deuxième fois que Paul Quesnel pénètre dans le Parc Natura depuis son ouverture il y a cinq ans. La première fois, c’était justement lors de l’ouverture officielle; il y avait le député du comté, le maire de Notre-Dame-de-la-Croix et plusieurs autres personnages publiques. À dire vrai, cette nouvelle attraction touristique ne lui avait pas fait grand effet. Tout était kitch, trop plastifié, à commencer par les bâtiments de service en préfabriqué.  Les kayaks et autres embarcations étaient en synthétique.  Même les cabanes de pêcheurs isolées dans le bois sur les rives nord et ouest du lac étaient en fond bois rond. C’est tout juste si on n’avait pas peint les arbres en vert ! Ça n’avait rien à voir avec un vrai séjour à la campagne. Heureusement qu’il restait l’air pur.
Rien n’avait changé depuis sa première visite, sauf qu’on avait ajouté des glissades d’eau pour les jeunes et les enfants et même des machines à boules et des jeux électroniques ! Je suppose qu’on peut se connecter à l’internet et aux réseaux des cellulaire, maintenant, jusqu’au milieu du lac.
                Dans toute cette marée de personnes et de véhicules, les deux voitures ont de la difficulté à se frayer un chemin jusqu’au poste d’accueil. Il en sera de même pour l’ambulance qui arrivera quelques minutes plus tard. Paul Quesnel aperçoit Simoneau le chef des pompiers de Buckingham. Il accompagné d’un homme en tenue d’été d’une quarantaine d’années un peu agité. Il me semble que je l’ai déjà vu, celui-là.
                -Enfin, dit Gérald Simoneau en le voyant ! Monsieur Sansregret, voici l’inspecteur Paul Quesnel de la Sureté du Québec. C’est lui qui prend la direction des opérations à partir de maintenant.
                Ah oui, je me souviens; c’est l’un des promoteurs de cette mascarade. Paul se souvient de cette inauguration. Cet homme, comme ses compères promoteurs de la ville, lui avait semblé fat, prétentieux et cupide, qui ne s’intéressait à ce site naturel que dans le but de faire des profits. Des jeunes arrivistes ambitieux qui étaient prêts à détruire et à remodeler sans scrupule aucun les forêts et les lacs pour plaire avec des plaisirs artificiels à une clientèle insipide de banlieue et, surtout, à faire de l’argent avec leur projet.
                -Bonjour !
                -Bonjour, inspecteur, dit l’autre d’un air un peut prétentieux; je suis Martin Sansregret, l’un des propriétaires et administrateurs du Parc Natura.
Paul le toise quelques instants; décidément, ce personnage est et lui sera toujours foncièrement antipathique, mais il ne fait pas se faire influencer. Il demande à Simoneau de lui dire ce qu’il sait. Les trois hommes doivent se frayer un passage vers le centre d’accueil entre tous les gens qui vocifèrent avec colère. Ils s’installent dans le bureau de la direction.
                -Vers 13h30, il y a eu un appel d’urgence de la part de monsieur Sansregret pour un incendie dans un des chalets ici au Parc Natura. On est arrivés environ trente-cinq minutes après. Comme les camions ne pouvaient pas atteindre le chalet parce à cause du chemin qui est trop étroit, on a installé une pompe dans le lac. On a isolé l’endroit et on s’est surtout occupés à arroser les arbres des alentours qui brûlaient déjà pour éviter que le que le feu ne se répande partout. Heureusement qu’avec la pluie des derniers jours, ce n’était pas trop sec. Le feu du chalet n’a pas été très long à maitriser. En éteignant les dernières flammes, on a trouvé un corps calciné. C’est là que je vous ai appelé.
                -Pour une mort suspecte…
                -Ça m’en a tout l’air.
                -Est-ce qu’on sait c’est qui ?
Martin Sansregret intervient.
-Monsieur l’inspecteur, on est en train de faire le décompte des vacanciers et des membres du personnel. Mais avec le tout ce chaos, vous pensez bien que ce n’est pas si facile que ça. On a bloqué la sortie.
-Il faudrait que personne ne quitte le terrain avant qu’on est fait le décompte complet.           
-Mais il y a des gens qui ont déjà quitté !
Paul essaye de ne pas trop tiquer à l’incorrection grammaticale.
-Comment ça ?
-Ben, vous savez, il y a tout le temps des gens qui vont et viennent. C’est un parc populaire ici. Certain arrivent pour une journée, pour une demi-journée, pour un week-end; et il y a les autres qui quittent à la fin de leur séjour. Il  y a trois familles qui ont quitté avant qu’on est donné l’ordre de fermer les portes.
                -Il faudra trouver leurs coordonnées.
                -Oui, ce ne sera pas trop difficile.
                -Bon, Simoneau, je suppose que tes hommes sont prêts à partir ?
                -En effet.
                -Alors, renvoie-les. Nous, on va aller voir le lieu de l’incendie. Je suppose, monsieur Sansregret, que vous avez un service de communication par haut-parleurs à la grandeur du parc. Je voudrais faire une annonce.
                -Quoi ?... Ah, oui, venez par ici.
                -Messieurs, dames ! Que tout le monde reste calme. Je suis l’inspecteur Quesnel de la Sureté du Québec. Je vous promets que dans moins d’une heure vous pourrez tous rentre chez vous. En attendant, le Parc Natura va vous offrir des rafraîchissements gratuits…
Paul sourit : « N’est-ce pas monsieur Sansregret ? »
-Heu… Oui… Oui, bien sûr.
                En sortant, Paul Quesnel s’entretient quelques instants avec Véronique Beausoleil.
Puis, s’adressant à Turgeon et  Olivier Saint-Jacques : « Vous deux, vous essayez de mettre un peut d’ordre là-dedans. Commencez par faire dégager l’entrée pour que les pompiers puissent enfin sortir.
Simoneau guide Paul Quesnel vers la direction opposée au pavillon d’accueil. Les camions de pompiers sont là prêts à partir. Les pompiers en sont aux derniers rangements. Après avoir donné quelques ordres à ces hommes, le chef du service d’incendie guide Paul Quesnel vers un étroit sentier. Il y a une foule compacte d’une cinquantaine de personnes, surtout des hommes et des jeunes garçons.
                Simoneau et Paul montent chacun dans un quatre roues pour se rendre deux kilomètres plus loin dans le sentier « bleu ». Paul commence à sentir l’odeur de brûlé. Deux pompiers surveillent un large cordon de sécurité. La forêt a brûlé sur plusieurs centaines de mètres carrés.
                -Ouais, ça a flambé…
                -On s’en est bien tirés. Heureusement qu’on avait le lac à disposition.
                Paul sent l’odeur du feu le prendre à la gorge. Il tousse. Simoneau lui tend une bouteille d’eau. Il passe sous le cordon de sécurité et avance tranquillement. Il commence par se faire une idée de l’ensemble de la scène : les arbres roussis, les troncs noircis, quelques volutes de fumées qui s’échappent encore. Il se tourne vers les décombres du chalet. Il se dit qu’il ferait bien d’appeler Roxanne.
                -Il ne reste pas grand-chose.
                -T’sais un chalet de bois comme ça, ça brûle en un rien d’temps.
                Paul s’avance avec précaution. Il voit des morceaux de verre éclaté, les restes d’un sommier et d’un matelas; des restes d’ustensiles de cuisine. Dans un coin se trouve la carcasse d’une sorte de poêle au gaz ou quelque chose comme ça. Il y a bel et bien un corps méconnaissable allongé sur le ventre le long des restes d’un des murs. Un homme probablement. Il était costaud, bien bâti. Il portait des bottes de travail, des gants aussi. Près de lui, Paul remarque une lame de hache, une lame de couteau, des clés aussi, les débris d’un lampe-torche. Paul s’accroupit.
                -Est-ce qu’il y a des traces d’accélérant ?
                -C’est trop tôt pour le dire. C’est ton expert en sinistre qui va te dire ça.
                -Oui, c’est vrai. Je te libère. Merci pour tout.
                -Ça va. Bonne chance.
                Au moment où Simoneau s’en retourne et embraye son quatre roues, Paul entend le son d’un autre véhicule tout terrain qui s’approche. Une voix l’appelle.
                -Inspecteur ! Inspecteur !
                Martin Sansregret, légèrement débraillé, arrête net son véhicule. Il en descend et sans hésiter se met à courir vers lui.
                -N’entrez pas à l’intérieur des limites de sécurité !
                - Inspecteur ! Je pense savoir qui c’est !
                -Ah oui !?
-Oui, tout notre monde est là sauf un de nos employés qui manque à l’appel. Il s’appelle Gustave Abel.


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