lundi 21 septembre 2015


Les flammes de l’enfer

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                Roxanne ne savait pas trop à quoi s’attendre en s’en allant sur les lieux du sinistre; son père ne lui avait presque rien dit, probablement pour ne pas l’influencer, pour ne pas orienter ses déductions. Elle arrête son véhicule à quelques pas de l’officière Beausoleil, toujours à son poste.
                -Bonjour Isabelle.
-Bonjour Roxane; c’est à ton tour de venir voir.
                Roxanne n’aura pas le temps de lui répondre, car sans que les deux jeunes femmes ne s’y attendent Martin Sansregret quitte hâtivement son siège et se précipite vers Roxanne; il se met à lui raconter son histoire.
                -Vous savez si ça peut vous aider là , une chose comme ça, ça jamais arrivé au Parc Natura; on n’a jamais eu d’accident avant aujourd’hui. Vous savez, toutes sortes de monde viennent ici; certains pour pêcher, d’autres pour chasser, majorité pour profiter des beautés et des activités du Parc Natura. Vous avez, on a dépensé plus de cinq millions de dollars pour arranger le site, c’est pas rien. C’était des gros travaux. On a tout aménagé un bau parc de jeux pour les enfants. Les gens aiment beaucoup ça venir ici, c’est beau, hein ? Ils viennent en famille, ou entre amis; ils reviennent chaque année. Ils prennent des photos. Cette année, on a ajouté le petit zoo… Ah, ça c’est très populaire. On a mis des animaux sauvages, des ratons laveurs, des renards, des canards, des marmottes, on leur a fait des habitats qu’ils aiment. On aimerait bien avoir une famille de lynx, ça, ça rapporterait ! Mais ça, c’qui vient d’arriver, j’vous jure que c’est pas d’la bonne publicité pour le parc. Heureusement qu’on est en fin de saison !
                Roxanne se permet de l’examiner. C’est un petit homme aux cheveux noirs mi-long qui porte une petite moustache. Il semble faire des efforts surhumains pour ne pas transpirer, ce n’aide vraiment pas. Il est vêtu d’un pantalon court style safari et chaussé d’espadrilles griffées qui ne sont pas très usées. Il porte une chemise kaki, déboutonnée du haut ce qui laisse voir une chaîne en or avec une médaille du yin et yang. La chemise est  à l’effigie du parc Natura : un petit raton laveur tout sourire armé d’une canne à pêche qui salut las compagnie. Un sourire qui ressemble étrangement à son sourire à lui. Percevant ses regards lubriques en train de la reluquer, Roxanne se dit que probablement avec son flot de paroles, son sourire onctueux et les gestes de ses mains il essaye de lui faire du charme. Ce ne serait pas la première fois. Martin Sansregret pointe vers les cendres.
                -Vous voyez, ici, au bord du lac on a mis quinze chalets, tous pareils. Il s’appelle le lac aux Truites. Avant il s’appelait le lac Farmer, mais mes associés et moi on trouvait que c’était pas trop trop vendeur, alors on l’a appelé le lac aux Truites; c’est du bon marketing. Les quinze chalets sont espacés d’un quart de mille environ. Ils sont tous équipés pareil pour deux ou trois jours de pêche sans être dérangé. Une table, des chaises, des lits de camps, une petite chaufferette. Celui-là qui a brûlé, c’était le dernier de la rangée, le numéro 15. Je sais vraiment pas ce qui est arrivé, c’est certainement un accident…
Roxanne a commencé à faire le tour.
-C’est possible que ce soit une défectuosité dans l’appareil de chauffage… Oui, c’est sans doute ça qui est arrivé. Attention, mademoiselle, ça fume encore. Faites attention où vous marchez. Faudrait pas vous brûler !

Paul consulte l’écran de l’ordinateur; le nom de six personnes ayant un casier judiciaire et leurs accusations défilent : violence conjugale, vol à main armé, tentative d’extorsion, trafic de drogue, attentat à la pudeur, fabrication de faux... Un moment, il a cru que cette liste lui fournirait un indice, un début de piste, mais il ne voit pas. Le fourgon de la morgue est arrivé; Turgeon s’occupe d’orienter les agents qui devront ramasser la dépouille. Le fourgon ne pouvant pas se rendre jusqu’au lieu de l’incendie, ils vont devoir marcher presque deux kilomètres pour y aller, et la même distance pour revenir.
Il entend les vociférations qui se poursuivent.
-Pourquoi on nous retient ?
-Criss ! Est-ce que ça va durer encore longtemps ce niaisage ?
-C’est pas juste, tout le monde est sorti et pas nous autres.
-En tout cas moi je vais porter plainte pour abus de pouvoir !
Une quinzaine de personnes entourent le pauvre Olivier et elles semblent prêtes à lui faire un mauvais parti. Paul se dit que c’est le temps qu’il intervienne.
-OK, tout le monde un peu de calme. Il s’est passé quelque chose de grave. Je vais vous appeler l’un après l’autre pour témoigner. Pis, ensuite vous pourrez tous partir.
-J’ai rien à voir là-dedans ! J’ai rien à témoigner !
-Écoutez, le plus vite ce sera fait, le plus vite ce sera fini. Je commence par… Katia Frigon. Qui est Katia Frigon ?
-C’est moi.
-Pouvez-vous venir avec moi quelques instants ?
-J’arrive.
Elle laisse sur place un homme et deux enfants.
Une fois à l’intérieur, Paul lui demande :
-Madame Frigon, est-ce que c’est votre première visite au parc Natura ?
-Oui, pis, j’pense bien que ça va être la dernière !
-Qu’est-ce que vous êtes venue y faire ? Je pense que vous êtes venue avec votre famille.
-Oui, on habite à Orléans, dans la région d’Ottawa, et on avait entendu parler de ce Parc. On avait vu la pamphlet et â semblait intéressant. Robert pis moi, on voulait en faire profiter les enfants. On est venu passer trois jours, mais on reviendra plus, je vous le garantis !
-Vous savez qu’il y a un incendie et un mort.
-Oui, c’est qu’on le monde disent.
-Qu’est-ce que vous en savez ?
-Comment ça ? Qu’est-ce que j’en sais ? Pourquoi je devrais savoir quelque chose ?
-Avez-vous vu quelque chose de suspect ?
-Non, j’ai rien vu. Nous autres, Robert, moi, pis les enfants, on était à la piste d’hébertisme; on est arrivés hier, pis on est tout-de-suite allés au zoo. Pis aujourd’hui, les gars voulaient aller à la piste d’hébertisme. On venait d’arriver, pis là qu’on a entendu des cris. On savait pas se que c’était. Pis les enfants ont continué la piste. Il y a des échelles dans les arbres, des passerelles. Mais bientôt, on a compris qu’il y avait eu un accident. De l’intérieur de la forêt, on pouvait pas voir la fumée. C’est juste qu’on a entendu la sirène des pompiers qu’on a compris que c’était un feu.
-Ensuite ?
-Ben là, on est sortis, bien sûr, pis on est revenu à la maison dans les arbres qu’on avait louée. C’est ben l’fun. On rentre par une échelle, pis on vit dans un arbre ! Il y a tout : la cuisine, les toilettes, les chambres. La seule chose que les enfants ont pas aimé, c’est qu’il y a pas internet… Tout le monde courait partout. Personne ne savait rien, mais à ce moment-là tout le monde pouvait voir la fumée au-dessus des arbres. Là, la police est arrivée. C’est tout ce que j’peux dire.
-Très bien, on ne vous retiendra pas plus longtemps, madame Frigon; vous pouvez partir, vous et votre famille. Si vous vous souvenez d’un détail qui vous semblerait important, voici ma carte et les façons de me contacter.
-C’correct; vous pouvez compter sur moi.

                -Monsieur Daniel Pomerleau ?
-Je ne sais rien, j’étais à la pêche avec mes chums; on est parti sur le lac de bonne heure le matin et on a péché jusqu’e fin d’après-midi.
-Détendez-vous, monsieur Pomerleau, je ne vous ai même pas posé de questions encore !
-Je sais ce que vous voulez savoir, mais j’ai rien vu et j’ai rien fait !
-Dites-moi, est-ce que c’est la première fois que vous venez ici ?
-Ah non ! Ça fait plusieurs fois.
-Est-ce que vous venez seul ?
-Non, non; j’viens avec mes deux chums, les frères Trudel; on vient ici depuis un bon trois quatre ans ! On loue un chalet au bord du lac, pis on passe trois jours à la pêche; y a la truite en masse dans le lac !
-Dans quel chalet étiez-vous ?
-Le 13. On prend toujours le 13. Il est placé sur une petite langue de terre et pour nous autres c’est parfait pour aller plus vite sur le lac. Pis c’est un peu isolé; on est moins dérangé. On a une chaloupe, on embarque le matin, pis on passe la journée à pêcher.
-C’est ce que vous avez fait ce matin.
-Oui, oui, c’est ça… On est parti vers sept heures, le matin c’est toujours ce qu’il y a de mieux; les truites ont bien faim le matin, pis elles pognent plus
-À partir du lac, vous n’avez rien vu de suspect ?
-Non, rien; on n’a rien vu; on a pêché.
-Du lac vous n’avez pas vu la fumée ? Ça m’étonne.
-Oui, on l’a vue, mais plus tard. On était tournés de l’autre côté, vers l’anse au fond du lac, pis à un moment donné, j’sais pas c’était qui, mais on a entendu des cris à partir d’un autre bateau. Là on s’est retourné, pis on a vu la fumée sur la rive.
-Qu’est-ce que vous avez fait ?
-Ben, on savait pas trop quoi faire. On voulait continuer à pêcher, mais on pouvait plus. On est revenu; surtout que la fumée était proche de notre chalet.
-Aviez-vous pris des poissons ?
-Des poissons ?... Non, non, en plus de ça on n’avait rien pris. C’était pas notre journée faut croire.
-Où habitez-vous monsieur Pomerleau ?
-Nous autres on vient de Turso.
-Merci monsieur Pomerleau. Vous pouvez partir si vous le voulez. Si vous vous souvenez d’un p’tit détail, n’importe quoi, voici ma carte. N’hésitez pas à me contacter.
-Ça marche.

Paul réfléchit quelques instants.

-Bon, maintenant... aux suivants.

1 commentaire:

  1. Qiuel plaisir de retrouver Paul et sa fille Roxanne! chaque lundi je déguste un nouvel épisode avec gourmandise.Bravo David ! Dominique fan club outre atlantique

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