lundi 5 octobre 2015

Les flammes de l’enfer

9

-Alors qu’est-ce que tu en as pensé ?
-Je ne sais pas... Je ne sais pas quoi dire. Ces deux heures passées là-bas m’ont fait une drôle d’impression; comme un arrière-goût. On dirait un autre monde; un autre univers quelque part dans une autre galaxie dans une autre dimension. Un univers de plastique et de clinquant. Tout est faux, tout est truqué, artificiel. Le Parc est faux, le lac est faux, les chalets sont faux, la chasse, la pêche, les activités… Les animaux sont faux, la nature a été rendue fausse. Même le nom de l’endroit est faux : ils ont appelé ça le Parc « Natura » alors qu’il n’y a rien de naturel, pas même un brin d’herbe. Quand je pense que le lac s’appelle le « Lac aux truites », alors qu’on y pêche des fausses truites. Tout ça c’est travesti, c’est du toc, du chiqué ! On y offre des plaisirs futiles, des similis divertissements; mais tout ça ce dont des mystifications, des mensonges, des attrapes; c’est du bidon, rien qui n’est la réalité. Même ce monsieur Sansregret qui est faux et archi-faux. Son sourire est faux, ses propos sont faux, ses explications ne tiennent pas la route. "On a beaucoup investi vous savez !" Quelleidiotie ! Il ne veut rien voir pour sauver les fausses apparences ! Pour lui, il ne s’est rien passé : c’est un accident ! Des mensonges du début à la fin qui sortent de ce moulin à parole. Il porte bien son nom, celui-là. Il n’a aucun regret d’avoir saboté, d’avoir travesti la nature de cette façon, sans scrupule aucun. Et il en est fier, par-dessus le marché ! Et il en fait une imitation de nature, du superflu, du rêve, du faux rêve. Même la mort à l’air fausse; pourtant il y a vraiment mort d’homme. On se demanderait presque si ce n’est pas une fausse mort, avec un faux cadavre; que ça aurait été un faux incendie, dans un faux chalet, un non-crime en quelque sorte, dans non-lieu ? Et Les employés participent à cette farce, à cette mascarade en y croyant ou en faisant semblant d’y croire; pourvoyeurs de sourires faux, de plaisirs faux. Comme s’il n’y aurait eu que ce pauvre Gustave qui aurait vrai dans cet univers irréel, ce monde inventé, ce paradis chimérique. Et ce serait pour ça qu’il en est mort ? Le pire, c’est la rencontre que j’ai eu avec sa mère. Ça sonnait tellement faux. J’ai vraiment eu l’impression qu’elle me cachait quelque chose, mais quoi ?

-Madame Abel, tout porte à croire que c’est un accident. On ne connaît pas la cause exacte, mais ce serait peut-être une défectuosité dans le système de chauffage.
Roxanne cherchait ses mots. Elle s’était présentée chez la mère de Gustave Abel avec l’agent Turgeon. La nuit était déjà là. Il n’y avait pas de sonnette à la porte, ni de lumière sur le palier. C’était une petite maison, sans étage, avec seulement le rez-de-chaussée, et possiblement un sous-sol, avec un grand garage sur le côté. Elle avait l’air bien entretenue, il n’y avait ni carreau brisé, ni peinture écalée. Par contre il y avait plusieurs objets, des vieux meubles, des boîtes vides, qui traînaient sur la pelouse. Aucun pot de fleurs aux fenêtres, Elle avait cogné à la porte. Il n’y avait pas de lumière à l’intérieur. Cette  femme était-elle déjà au lit ? Peut-être n’y avait-il personne. Elle avait cogné à nouveau, en appelant cette fois. Une femme avait demandé ce qu’il y avait. Et même quand Roxanne avait répondu que c’était la police, qu’elle venait à propos de son fils Abel, elle avait entrouvert la porte avec beaucoup d’hésitation. À la nouvelle de la mort de son fils, elle n’avait que très peu réagi;  à peine avait-elle fermé les yeux, serré les poings et ravalé sa salive. Roxanne était toujours dans l’embrasure de la porte.
-Vous ne pourrez pas voir le corps. Il est trop brûlé. Nous sommes certains qu’il s’agit de votre fils, mais ce sont les empreintes dentaires qui serviront à identifier le corps.
-....
-Madame Cournoyer, est-ce que ça va ?
-Oui, oui…
-Qu’est-ce que vous pouvez me dire sur votre fils, madame Cournoyer.
-Un bon garçon.
-Avait-il dit quelque chose récemment ?
-Dire quoi ?
Roxanne essayait de trouver les mots appropriés.
-Pensait-il au suicide ?
-Au suicide jamais. Ti-Gus a assez eu des misères mais on s’en est toujours sorti.
-Avait-il des ennemis ?
-Vous avez dit que c’était un accident ?
-Oui, la piste de l’incendie accidentel est celle que nous privilégions, mais tous les indices que vous pourrez nous donner nous serviront à faire la lumière sur ce qui s’est vraiment passé
-Non, Ti-Gus n’avait pas d’ennemi.
-Il s’entendait bien avec tout le monde ?
-Non, c’est qu’il n’aimait pas trop la compagnie du monde… Il travaillait, pis il revenait à la maison.
-Est-ce que ça lui arrivait de revenir tard après son travail ?
-Des fois.
-Qu’est-ce qu’il faisait durant ces temps libres ?
-Il a une moto, pis il fait des tours de moto.
-Est-ce qu’il vous amenait ?
-Moi ? Jamais ! Pensez-vous ! Il aime trop sa liberté.
-Qu’est-ce qu’il faisait pendant l’hiver, quand le Parc Natura est fermé ?
-Pas grand-chose. Il travaille un peu à la maison. Il est habile de ses mains vous savez; il peut faire presque n’importe quoi.
-Est-ce que cette maison vous appartient ?
-Oui, quand on est partis de Noyan, j’ai vendu la maison, pis j’ai acheté celle-là. Moi je ne peux pas travailler, je souffre de dépression. Je prends du Prozac, quatre pilules par jour.

Pendant ce temps, Paul terminait avec ses deux derniers suspects. Guy Chevalier avait déjà été condamné pour tentative d’extorsion; c’était il y a à peine quatre ans.
-Racontez-nous ce que vous savez…
-Comment ? Ce que j’sais ? Ça parle au diable ! J’suis arrivé c’matin !
-Est-ce que c’est la première fois que vous venez au Parc Natura ?
-Moi ? Non… c’est pas la première fois.
-Alors… c’est quand la dernière fois que vous êtes venu ?
-Pourquoi vous voulez savoir ça ?
-Écoutez monsieur Chevalier, je pose des questions de routine; vous n’êtes suspect de rien, mais j’essaye de récolter le plus de renseignements possibles. Si vous ne voulez pas collaborer, je peux demander un mandat d’arrestation.
-Wo, wo, wo ! J’sais rien, j’vous dit, tabouère. J’suis arrivé c’matin, pis j’allais rester deux jours.
-Faites-vous de la pêche ou de la chasse ?
-Moé ? Heu… aucun des deux. J’viens ici pour me reposer !
-Donc, ce n’est pas la première fois que vous venez ici pour «vous reposer ».
-C’est ça; pour me reposer.
-Qu’est-ce que vous faites dans la vie, monsieur Chevalier ?
-Moi… Heu, disons que je suis rentier.


-Courage, patron, c’est le dernier.
-Oui, je sais.
-Il s’appelle Norbert Eaggleton; accusation : possession et trafic de drogue; c’était il y a douze ans.
-Fais-le venir, Olivier.

-Monsieur Eaggleton, veuillez vous asseoir.
-Est-ce que ça va être encore long. Moi pis Daniel, on aimerait bien pouvoir s’en aller.
-Non, c’est bientôt fini, je veux juste vous poser quelques questions et puis vous pourrez partir. Vous savez qu’il y a eu un accident dans le Parc aujourd’hui, dites-moi, avez-vous vu quelque chose ou quelqu’un qui vous a semblé bizarre.
-Moi pis Daniel on s’occupe de rien. On vient ici pour faire des marches dans la forêt et pour observer les oiseaux. On est deux amoureux de la nature et ici, des merles, des geais, des bruants, des roitelets, des grives, des parulines; hier après-midi on a vu un couple de faucons émerillon tournoyer pendant une bonne demi-heure; on a pris de vraiment bonnes photos.
-Vous n’avez rien vu de… particulier.
-Non, non. Nous on vient pour la nature pis on ne s’occupe pas des autres.
-Où habitez-vous monsieur Eaggleton ?
-On habite à Gatineau sur la rue Poupart. On trouve ça bien pratique de venir ici.

Quand Paul était revenu chez lui, il était crevé. Il avait renvoyé Olivier chez lui et avait assuré la surveillance des lieux pour la nuit. Il ne savait pas si tout ça avait été bien utile. Il espérait que Roxanne pourrait avoir des bonnes nouvelles. Il allait renvoyer les employés en leur disant qu’on les convoquerait en cas de besoin. Mais monsieur Sansregret avait souligné qu’on ne pouvait pas tous les faire partir.  
-Le Parc Natura ne peut pas rester sans surveillance. Et puis il faut soigner les animaux, faire l’entretien, les réparations. On ne peut pas laisser ça comme ça.
Surtout que les membres de l’équipe de soir étaient arrivés et qu’ils restaient coincés à l’entrée du Parc, ce qui ajoutait à la confusion. Finalement, l’équipe de jour était partie (Paul avait demandé au surveillant de rester) et une équipe de soir réduite s’était installée.

-Et vous monsieur Sansregret, qu’est-ce que vous en pensez ?

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