samedi 12 décembre 2015

Les flammes de l’enfer

19

En ce vendredi matin, Paul se réveille de fort bonne humeur. Hier soir, il s’est enfermé dans son bureau et il s’est mis à la tâche. Il s’était commandé un repas de poulet d’une des  rôtisseries de Papineauville – il avait attendu que sa fille ait quitté le poste de police pour repartir chez elle, elle lui avait dit au revoir d’un petit signe de la main – et il s’était appliqué à terminer le rapport de stage d’Olivier Jean-Jacques. Il avait eu beaucoup de choses à souligner : son sens de l’observation, son sens de l’intuition et de déduction; comment il s’était parfaitement bien intégré à l’équipe, comment il comprenait vite et comment il accomplissait bien les tâches qui lui été demandées… Comme il faut toujours mettre dans un rapport de stage des observations sur ce qui « peut être amélioré », Paul avait écrit vaguement quelque chose sur sa condition physique et sur ses routines personnelles, convaincu que ce n’était que des détails.
Après s’être rasé et habillé, il se sert une tasse de café sur sa nouvelle machine à dosette que ses enfants, sa fille Roxanne et son fils Xavier lui avaient offerte l’été dernier (son fils Alexandre quoi vit en Alberta n’était pas venu au Québec cette année). Il choisit « Mélange corsé », qui lui semble tout à fait approprié pour aujourd’hui. Il déjeune d’un jus d’oranges et de rôties. Il prend le journal et écoute la radio en même temps. Il aimait bien prendre ses petits déjeuners avec sa femme Monique; c’était une femme instruite qui enseignait l’histoire au CEGEP, et ils pouvaient parler ensemble d’une foule de sujets autres que les enquêtes policières. Sans doute que Roxanne et dans une certaine mesure son fils Xavier qui habite en Abitibi, à six heures de routes, aimeraient bien qu’il se trouve une nouvelle compagne; et sans doute lui aussi aimerait bien, mais à la  vérité il ne sait pas trop comment faire. Mettre une annonce dans les journaux ? Il faudrait qu’il dise d’emblée qu’il est chef de police, de quoi faire fuir toutes les femmes de 17 à 77 ans cinquante kilomètres à la ronde. Socialiser ? Mais aller où ? Dans les soirées ?… Il n’y avait pas beaucoup de femmes célibataires dans la SQ, et encore moins de sa génération. S’inscrire à un cours de danse ? De peinture? D’observation des papillons ? Il avait bien suivi des sessions pour apprendre l’espagnol, ce qu’il avait apprécié, mais la majorité des gens étaient des couples uniquement intéressés à apprendre un espagnol de base pour faire des voyages dans le Sud.
Et puis trop de gens le connaissez à Papineauville; il faudrait que ce soit une femme d’ailleurs, comme de Gatineau par exemple, là où il se préparait à aller pour rencontrer le pasteur à la retraite René Doyon. Son nom était revenu plusieurs fois dans l’enquête sur l’incendie mortel du Parc Natura; et Paul trouvait que son rôle, son rôle dans la nuit des sept incendies du chemin Brookdale à Noyan il y a quelques années, n’était pas clair. Il avait un lien certain en les deux événements, et Paul pensait que le pasteur Doyon le connaissait. Que savait-il de cette nuit il y a sept ans la nuit des incendies ? Avait-il soupçonné Gustave, pour il avait de l’attachement ? Ou pire, avait-il essayé de le protéger ? Quels étaient ses liens avec sa mère ?
Paul ne lui a pas téléphoné pour prendre rendez-vous. Il préfère voir ses réactions immédiates, sur le coup, ce qui peut lui en apprendre beaucoup. Gatineau, ce n’est pas sa juridiction, mais il ne s’agit pas d’une accusation comme telle, simplement d’une visite exploratoire. Il a averti le chef de la police de Gatineau pour lui faire part de sa démarche en lui disant bien sûr qu’il le tiendra informé des suites de son enquête. Paul lui aussi parlé de Daniel Pomerleau qui habite à Gatineau, qui sera probablement le prochain à qui il rendra visite, de même que des frères Trudel, l’un qui demeure aussi à Gatineau et l’autre à Chatham un peu plus au nord.
Juste au moment au où il met la main sur la poignée, il a une intuition.
Il revient téléphoner à sa fille Roxanne. Il l’appelle sur son cellulaire.
-Oui, Roxanne, c’est moi; tu es route pour Papineauville, je suppose ? Écoute, viens me rejoindre à Gaitneau chez le pasteur Doyon. Je te donne son adresse, c’est sur la rue Daniel-Gosselin. Si tu arrives avant moi, attends-moi, d’accord ?

Ils sonnent. La maison est jolie sans être grandiloquente. Il y a un sous-sol et un étage. Elle bordée d’arbres des deux côtés. Une agréable maison pour prendre sa retraite, pense Paul. Un homme bien mis, rasé de près vient leur répondre.
-Monsieur René Doyon ?
-Oui, c’est moi.
Paul lui montre sa carte.
-Bonjour, je suis l’inspecteur Paul Quesnel de la Sureté du Québec et voici l’officière Roxanne Quesnel-Ayotte; est-ce que nous pourrions vous parler quelques instants ?
-À moi ?... Oui; entrez.
Sa femme vient les rejoindre.
-Aline, ce sont deux officiers de police.
-Je vois. Entrez, assoyez-vous.
-Merci. Monsieur Doyon vous avez été pasteur de l’église protestante de Noyan. Je voudrais vous parler de Gustave Abel.
-Oui, j’avais appris sa mort par les nouvelles et j’ai aussitôt appelé sa mère. C’est moi qui vais faire les funérailles, dans l’église catholique de Notre Dame de la Croix, j’ai demandé la permission au curé Baulne. C’est mieux ainsi.
-Pendant combien de temps avez-vous été pasteur à Noyan ?
-Pendant seize ans. Je suis arrivé au début des années ’90; la paroisse était dans un état lamentable. J’ai fait de mon mieux pour la raplomber; je mis sur pied un groupe de jeunes, un groupe de femmes...
-Vous étiez très lié à madame Cournoyer.
-Pas dans le sens que vous pourriez l’entendre !
-Elle n’était pas de Noyan.
-Non, elle venait de l’Ontario.
-Parlez-moi de son fils.
La femme du pasteur intervient : « Nous l’avons beaucoup aidé. Vous savez nous n’avons pas pu avoir d’enfants et nous nous sommes attachés à lui; nous le considérions presque comme notre fils. Comme il avait toutes sortes de difficultés à l’école tant académiques que de comportement, je luis ai fait la classe chez nous pendant des années; il écoutait très bien. Il voulait apprendre. Nous étions très fiers de lui.
-Parlez-moi de cette nuit il y a huit ans lorsque sept chalets ont brûlé sur le chemin Brookdale.
-Ce soir-là il est revenu sur sa moto, en plein milieu de la nuit; l’alerte avait déjà été donnée. Il avait les cheveux en bataille, il sentait… le bois à plein nez. Je lui ai dit d’aller chez lui. Quand la police est arrivée je pensais bien que c’était pour l’arrêter.
Roxanne intervient : « Madame Cournoyer nous a dit qu’ensuite vous qui leur avez proposé de déménager.
-En fait, elle voulait partir, elle voulait retourner en Ontario d’où elle venait, mais je ne croyais pas que c’était une bonne idée pour Ti-Gus; il aurait pu se retrouver sous l’influence de personnes mal intentionnées et aurait pu mal tourner. Et puis il ne parlait pas anglais; les choses avaient bien changé en quinze ans, sa région s’était considérablement anglicisée. Je lui ai conseillé de s’installer à Notre-Dame-de-la-Croix, c’était hors de Noyan, et nous pouvions continuer à veiller sur Ti-Gus. Et elle a accepté.
-Et vous l’avez aidée à trouver une maison, à s’installer.
-Oui, de toute façon ça serait arrivé un jour ou l’autre. Bessie ne s’était jamais habituée à Noyan. Elle y était malheureuse. Son mari l’avait quittée et elle s’est retrouvée seule avec un enfant. C’était la meilleure chose à faire.
-Revenons à cette nuit des incendies monsieur Doyon. Vous avez dit qu’en voyant la police arriver, vous pensiez que c’était pour arrêter Ti-Gus. Pourquoi ? Vous le croyiez coupable ?
-C’est-à-dire que…
-Il ne sert plus à rien de la protéger maintenant, il est mort, et tout ce que vous pourrez nous dire pourra nous aider à élucider sa mort.
-Oui, probablement que c’était lui… J’étais hors de moi; je ne pouvais pas le croire ! Je suis allé chez eux dès le lendemain, nous en avions parlé une bonne partie de la nuit Aline et moi, à savoir ce que nous devions faire, et je suis allé lui dire que c’était mal ce qu’il avait fait ! Je lui ai demandé pourquoi, pourquoi ? Mais il ne le savait pas lui-même, il ne pouvait rien me dire.
Roxanne demande : « Est-ce qu’il était pyromane ? »
La femme réagit : « Non, non; c’était un gentil garçon. Il avait une fascination pour tout ce qui brillait, c’est vrai, comme les chandelles, les lumières de Noël, les montres fluorescentes, mais il n’était pas dérangé, si c’est cela que vous voulez nous entendre dire… »
-Pardonnez-moi madame, nous voulons juste que vous nous disiez la vérité.
Le pasteur Doyon reprend : « Quelques semaine auparavant les jeunes hommes du village lui ont joué un mauvais tour. Il avait une moto, avec laquelle il se promenait partout, et elle faisait beaucoup de bruit, alors ils ont, en cachette, saboté son moteur et quand il a fait démarrer sa moto, le moteur a pris feu. Les gens sont méchants. Il n’a pas été blessé mais il y avait des réparations majeures à faire.  
-Et ça aurait l’élément déclencheur ?
-Je ne sais pas… Oui, c’est possible.
-Dites-moi une chose; d’accord Ti-Gus était en colère et il a voulu se venger en mettant le feu à des maisons du chemin Brookdale, mais comme vous dite, madame, il n’était pas dérangé, il a choisi des maisons ou des chalets inhabités. Sauf pour la maison de monsieur Trudel; il n’a pas vu qu’il était là ?
-Il faut croire que non, les lumières étaient toutes éteintes…
-Oui, on vous écoute…
-En fait, il y a eu un malheureux concours de circonstances. Ce vendredi-là en s’en venant de Turso à Noyan, Henri Trudel avait reçu une pierre dans qui avait percé le radiateur de sa voiture; il avait pu se rendre jusqu’au village mais il avait laissé sa voiture au garage. Un employé du garage était venu le reconduire; donc il était présent dans la maison, mais pas la voiture : c’est ce qui a trompé Ti-Gus : monsieur Trudel devait dormir et quand il n’a pas vu la voiture il a cru qu’il n’y avait personne.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire