lundi 6 novembre 2017

Cela se passait près d’un lac
Chapitre 3

Paul et les membres de son équipe regardaient l’ambulance s’éloigner, une ambulance qui ne transportait pas un blessé mais un cadavre, celui de Simon-Pierre Courtemanche, journaliste au faits divers à l’hebdomadaire régionale de la Vallée de l’Outaouais, Au Courant. Sans vouloir trop se l’avouer pour l’instant cette mort les affectait : il s’agissait de quelqu’un - quelqu’un qu’ils avaient côtoyé, avec qui ils avaient collaboré, qui leur était proche. On pouvait dire que « tout le monde aimait Simon-Pierre Courtemanche »; on ne pouvait faire autrement : Il était foncièrement et naturellement sympathique. Il faisait son travail avec beaucoup de rigueur, beaucoup de sérieux, même si lui ne semblait pas se prendre au sérieux.
C’était vrai surtout dans le cas de Paul qui le connaissait depuis son arrivée dans la région il y a plus de vingt ans et qui peut-être par solidarité générationnelle avait développé au fil du temps un certaine complicité avec lui. Il y a une décennie l’un de ses hommes avait été grièvement blessé dans une attaque à la hache, mais, à part le décès de son père qui avait longtemps était malade d’un diabète qu’à la fin ça avait été une délivrance, il n’avait jamais vécu la mort d’un proche. Et pourquoi Simon-Pierre Courtemanche ? Ça me donne envie de tout lâcher, de tout laisser tomber; tiens, partir faire un long voyage avec Juliette, ça serait une bonne idée !
-Alors, mon chef, qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
Quand ils étaient seuls dans le bureau de l’un ou de l’autre, Roxanne disait toujours « Papa » à son père, mais elle ne le faisait pas trop devant leurs collègues et jamais devant les témoins d’une affaire en cours. Elle avait jugé que « Capitaine », ou « Commandant » étaient trop cérémonieux, et le simple « Chef », un peu trop froid et même refroidissant. Et dire « Patron » la faisait pouffer de rire à chaque fois. Elle avait donc opté pour « Mon chef », qui restait hiérarchique avec une petite touche de proximité.
Paul était allé récupérer le corps en bateau avec ses deux hommes, Daniel Turgeon et Benoît Roy-Buffo, se disait qu’il faudrait certainement user de force physique, et il avait chargé ses trois officières et agentes de sécuriser l’endroit pendant ce temps.
Ça ne leur avait pris que quelques instants pour traverser le lac dans le sens de la largeur - ce qui affectait le lac d’une certaine forme de pollution pour la toute première fois depuis sa création formation lors du retrait de la Mer de Champlain il y a 10 000 ans - pour atteindre le corps. C’était bien lui, Simon-Pierre Courtemanche, pas de doute là-dessus. Son visage était ravagé par son séjour dans l’eau et ses yeux et une partie de ses lèvres avaient disparus - grugés par le poissons - mais on ne pouvait pas se tromper. Il portait ses vêtements de travail, c’est-à-dire sans veste sans manche aux nombreuses poches qui lui était si caractéristique. On aurait même pu s’attendre à voir son appareil de photos pendre à son cou.
                -Bon, il faut le grimper à bord. Toi, Benoît mets-toi de l’autre côté pour stabiliser le bateau. Il ne manquerait plus que l’on bascule ! Viens, Daniel on va le hisser par les épaules.
Même en unissant leurs forces Paul et Daniel avaient passablement peiné pour faire passer dans le bateau le corps imbibé d’eau de ce pauvre Simon-Pierre Courtemanche. Paul remarque rapidement qu’il a tous ses morceaux, qu’il n’a pas de grosses blessures apparentes,  qu’il porte ses bottes; cette moustache touffue est bien la sienne; il ne lui manque que ses petites lunettes cerclées de fer. En l’agrippant, il a même senti son portefeuille dans la poche intérieure de sa veste. Il ne s’agirait pas d’un vol ? Serait-il tomber tout seul à l’eau ?
Paul prend quelques instants pour regarder les alentours : la rive est couverte d’arbres dont les branches affleurent à la surface du lac.
-Est-ce que vous voyez quelque chose ? demande-il à ces deux hommes.
-Pas vraiment…
-Il a pu tomber, on a pu le faire tomber de n’importe où, et il serait arrivé ici à cause des courants.
Paul regarde derrière lui.
-Benoît approche-nous du bord. Turgeon, tu vas descendre ici et tu vas faire un examen des environs. C’est fort probable que tu ne trouveras rien, mais il ne fait rien négliger. Si tu vois des traces de pas, ou des branches brisées, ou une forme de sentier… Garde ta radio allumée et tiens-nous au courant.
-Très bien, chef.
Et une fois descendu :
-Ne m’oubliez pas ! Il y a peut-être des ours !
Paul en a souri de convenance, mais, non, il n’avait pas le cœur à rire. Il ne pouvait détacher les yeux du corps inerte et bouffi qui gisait au fond du bateau.

-Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?... On se met à la recherche d’indices. Mais où chercher ?... Son corps a dû dériver pendant, je ne sais pas, un jour ou deux; c’est l’autopsie qui nous le dira. Qu’est-ce que tu en penses, toi ?
-J’en pense qu’on devrait faire venir un hélicoptère, pour avoir une vue d’ensemble du lac. Une légère couche de neige recouvre le sol, on pourrait peut-être trouver des traces de pas.
-Oui, bonne idée. Il y en a un Gatineau. Vois s’il est disponible. Et puis, appelle au poste et demande à qui est libre de commencer les recherches sur Simon-Pierre Courtemanche; qu’ils cherchent tout ce qu’on peut trouver, sur son travail, sur sa vie personnelle, sur ses contacts. Il faudrait aussi avertir sa famille. Tiens, c’est vrai… c’est étrange… personne n’a signalé sa disparition.
-C’est peut-être encore trop tôt.
-Je ne sais pas.
Pendant que Roxanne, se dirige vers la voiture, Paul s’en va vers le chalet en bois rond. C’est un grand bâtiment construit sur le long, avec une cheminée au milieu et deux ailes qui s’avancent légèrement vers le lac. Une croix en bois coiffe l’aile de droite. Au milieu, entre les deux, il y a un grand balcon une large baie vitrée qui doit offrir de l’intérieur, en toutes saisons, une magnifique vue sur le lac.
Isabelle et Sabrina se sont occupées de prendre la déposition de Jean-Marc Bouchard. Elles viennent à sa rencontre.
-Alors du nouveau ?
-Pas grand-chose d’entre que ce qu’il a dit quand on est arrivés. Il faisait son tour de canot matinal sur le lac vers 6 heures et il a vu le corps qu’il flottait dans l’une des baies du lac. Il est allé voir et il l’a retourné. Et il a reconnu le journaliste Simon-Pierre Courtemanche, sans pouvoir mettre un nom dessus. Il connaissait son visage parce que sa photo paraît chaque semaine dans le journal Au Courant, qu’il reçoit ici depuis des années.
-Ça ne nous éclaire pas beaucoup.
-Il a rajouté qu’il trouvait drôle d’avoir trouvé le corps se matin, car c’était sa dernière sortie avant l’année prochaine.
-Ah oui ?
-Oui, avec l’hiver qui s’en vient, il ne peut plus rester ici tout seul et il avait décidé de repartir dans la résidence des jésuites à Pierrefonds, à Montréal. Il a dit qu’en fait, il devait même partir hier; tout était prêt pour son départ. Mais au moment du départ, il s’est aperçu qu’il avait un pneu crevé à sa voiture. Finalement, le pneu était juste dégonflé. Mais le temps de téléphoner au garage et de faire venir un mécanicien et d’arranger son pneu, il était trop tard pour partir pour Montréal. Alors il restait un jour de plus, et ce matin, voilà qu’il trouve un cadavre dans son lac.
-Drôle de coïncidence… Vraiment, une drôle de coïncidence…
-L’histoire du pneu a l’air vraie, il nous a montré la facture du garage.
-J’espère que vous avez noté les coordonnées, il faudra quand même aller y faire un tour… Où est-ce qu’il est maintenant ?
-Dans sa chambre, de ce côté-ci. Il voulait se mettre sur le balcon pour « surveiller » les opérations comme il a dit, mais on préférait le tenir à l’écart.
-Vous avez bien fait. Faites-le sortir. Ensuite, vous irez surveiller l’entrée du domaine pour empêcher les curieux de tout envahir; plein de gens ont dû voir les auto-patrouilles, en plus de l’ambulance qui vient de sortir.
Paul avait raison. Déjà une dizaine de personnes se promenaient sur le terrain des jésuites et Isabelle et Sabrina auront fort à faire pour rétablir l’ordre.

À ce moment, Roxanne revient de sa voiture.
-Ça y est l’hélicoptère est annoncé. Il pourrait être dans une heure, une heure et demi, mais il ne pourra se poser. Alors je retourne à Papineauville pour y grimper en vol.
-En vol !?
-En fait, il va faire un vol stationnaire et on faire descendre une échelle.

-D’accord, moi je reste ici avec le bateau; on se contactera par radio.

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