lundi 27 novembre 2017

Cela se passait près d’un lac
Chapitre 6

                -Hey !! Qu’est-c’est qu’vous cherchez ??
                La grosse voix et le ton agressif de la question font rapidement se retourner Paul vers la maison.
                Il voit debout au bord du ponton un homme qui ne lui fait pas une mine très accueillante. Il se tient les jambes écartées, en bottes et pantalons de travail, massif (un bon 150 kilos), ses gros bras croisés sur une chemise à carreaux rouge, une épaisse barbe de bucheron, le crâne rasé; il porte d’épaisses lunettes de soleil. Quelques tatouages se laissent voir au bas de son cou.
                Paul essaye réprime un sourire; il ne veut pas laisser paraître son amusement devant une telle caricature du dur à cuire. Rien ne peut, pour l’instant, se dit-il, lui faire supposer que les frères Couture, aussi malcommodes soient-ils, sont mêlés en quoi que ce soit à la mort de Simon-Pierre Courtemanche, mais leur nom est tout de même revenu plusieurs fois dans diverses conversations depuis ce matin. Ce qui est sûr, c’est qu’il sait que dans sa récolte d’informations, il a tout à gagner à essayer de le mettre de son côté.
                -C’est vraiment un beau bateau que vous avez là !... Un Ranger Comanche de trente pieds en aluminium ! Ouais ! C’est une belle bête ! Pis équipé d’un moteur Mercury 500 ! Ça doit filer pour vrai ! C’ta vous, je suppose ?
                -Ouais ! À moi pis à mon frère, Marc-André. C’t’une belle machine ! Une belle machine ! On l’aime ben.
                -Ça doit être comme un pur-sang à dompter… Il doit aimer ça les vagues; j’suis sûr qu’il doit aimer les prendre la mer.
                -Mets-en ! On le sort chaque jour; deux, trois, quatre fois par jour s’il faut.
-Va falloir le rentrer pour l’hiver; vous le mettez dans le garage qu’est là ?
-Dans un mois, un mois et demi. Le lac gèle pas avant janvier.
-Ouais, c’est vrai, mais ça pas être chaud de conduire en décembre.
-Ça popire; ça s’tuff.
                -Gardez-moi ça si c’est beau; il est presque trop beau pour un p’tit lac comme ça ! Il mérite mieux que ça !
                -Ouais, j’sais ben, maudite affaire... On traverse le lac en deux trois minutes et demi, pis après ça on doit revenir. On a beau tourner en rond, on peut pas aller ben loin… C’est pour ça que mon frère pis moé on veut déménager.
                -Vous trouvez pas que c’est une belle place ?
                -C’est une belle place ! Mais on veut plus grand ! Quand notre oncle Paul-Émile est mort, il y a cinq ans il nous a laissé le chalet. Lui, y avait pas d’enfants; pis nous en est v’nu icitte toutes les étés avec notre père; on est les fils de son frère Benoît.
                Graduellement, tout en conversant, Paul s’est avancé sur le ponton pour se rapprocher de son interlocuteur.
                -J’ai oublié de me présenter : capitaine Paul Quesnel, directeur de poste de la SQ de Papineauville.
                Aussitôt, son interlocuteur fait involontairement un pas vers l’arrière et reprend son attitude de bagarreur.
                -Papineauville ? Hey, c’est pas la porte à côté ?? Ça a-tu rapport avec l’hélicoptère de c’matin ?
                -Oui. Il venait de Gatineau; on en a besoin pour faire des recherches. Pour l’instant, je peux rien vous dire…
Paul plisse les yeux. L’autre fait de même, mais pour les mêmes raisons.
-Ah, pis j’peux ben vous l’dire à vous : on a retrouvé un corps dans le lac Dansereau ce matin; c’est l’un des frères jésuite qui l’a trouvé pis qui a appelé le 911. Alors pour le moment, moi pis mes hommes, on a fait tout le tour du lac, on rencontre tout le monde pis on leur pose des questions aux gens du coin.
                -Quelle genre de questions ?
                -Ben, genre…
Paul sort un petit calepin de sa poche portefeuille, l’ouvre tranquillement à un pahe spécifique et se met à réciter une leçon bien apprise :
-Genre : avez-vous vu hier ou avant-hier, ou les jours avant quelque chose de bizarre ? Ou si vous avez vu des gens qui sont pas du coin ?
                -Non, j’ai rien vu d’ça !
                -Avez-vous vu des gens roder dans le coin ces derniers temps ?
                -Non…
                -Ils pouvaient avoir l’air louche, mais ils pouvaient avoir l’air normal aussi…
                -Non, j’ai pas vu personne !
                -Ou avez-vous entendu des bruits, comme des bruits de moteur par exemple, qui avait pas rapport ?
                -Non, j’ai rien entendu.
                -Pis votre frère, Marc-André, est-ce qu’il aurait vu ou entendu quelqu’un ou quelque chose ?
                -J’sais pas; faudra que tu lui d’mandes à lui…
                -C’est vrai; est-ce que je peux lui parler ?
                -Là y est pas là; y est parti au village.
                -Je comprends…. Bon, ben, j’pense que c’est fini.
Paul remonte légèrement le talus.
-Oh ! Dites-moi donc :  est-ce que votre sonnette est brisée ?
                -Brisée ? Comment ça ?
                -Ben quand je suis arrivé, j’ai sonné deux fois, puis je n’ai pas eu de réponse !
                -C’est parce que j’étais dans l’garage. J’étais après mettre mes pneus d’hiver sur mon truck. Alors avec le bruit d’la drill, j’ai pas rien entendu.
                -Qu’est-ce que vous avez comme véhicule ?
                -Moi ? Un Ford F-150 ?
                -Un F-150 !? C’est pas un p’tit bazou ! Vous pis votre frère, vous m’avez l’air de deux gars qui aiment les moteurs !?
                -Mettez-en; en plus du bateau pis de nos trucks on a chacun un ski-doo, pis deux quatre par quatre.
                -J’comprends que vous voulez déménager; le monde des autres chalets doivent pas trop aimer ça entendre tous ces bruits de moteurs. J’suis sûr que ça fait pas leur affaire. J’ai pas raison ?
                -Mets-en !! C’est toutte des fraichiés; tout l’temps en train d’chialer ! Tout l’temps en train de s’plaindre ! Ils ont même essayé de faire changer les règlements contre nous-autres; mais ça a pas marché parce qu’on a des droits acquis; faut les respecter. C’est grâce à mon oncle Paul-Émile.
                -Qu’est-ce qui faisait dans la vie, Paul-Émile ?
                -Y était entrepreneur dans la construction dans le boutte de Mont-Laurier.
                -Oui… Pis vous ?
                -Quoi, pis moé ?
                -Vous, vous faites quoi dans la vie ?
                -Pendant plusieurs années j’ai été chauffeur de truck, mais il y a deux ans j’ai eu un accident de travail en débarquant un trailer. Alors j’suis sur la CSST. Comme sideline, j’suis doorman dans un club à Montréal... Hey ! Stoolez-moi pas à la police, hein!
                Normand Couture, tout fier de sa blague, éclate d’un gros rire retentissant et lançant sa tête en arrière. Paul se joint à lui.
                -Non, non ! La police, j’men occupe !
                Nouvel éclat de rire tonitruant de son interlocuteur.
                -Pis Marc-André, lui, qu’est-ce qu’il fait dans la vie ?
                -Il travaille comme manutentier à l’entrepôt de Loblaw’s à Lachute. Voulez-vous l’atte… Heu.. j’sais pas à quelle heure il devrait revenir.
                -Non… non… c’pas grave. J’aurai certainement l’occasion de la rencontre une autre fois, car je vais sûrement avoir besoin de revenir.
                -Revenir chez nous ? Pourquoi ?
                -J’veux dire : revenir dans le coin. Là, on est dans l’étape de récolter des indices et dépendamment de ce qu’on aura trouvé, on va certainement devoir revenir pour des investigations plus précises. Peut-être qu’on va devoir fouiller tous les garages, les remises, les cabanons…
                -Ouais… ouais…
                Paul ouvre la porte de sa voiture.
                -Bon; on se reverra Normand Couture.
                -Ouais… ouais…

                Paul démarre.

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