lundi 12 janvier 2015

Le crime du dimanche des Rameaux
            (Avertissement : Ce chapitre a été écrit sous le coup de l’inspiration sans révision ni correction. Veuillez donc faire preuve d’indulgence pour les fautes et les erreurs de frappe.)

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Paul Quesnel était le responsable du poste de la Sureté du Québec à Papineauville. Il aimait son travail. Il était né dans la région, en fait à Plaisance le village voisin, et avait étudié dans la grande ville de Gatineau – à cette époque elle s’appelait Hull. Il occupait son poste depuis plus de vingt ans. On lui avait souvent offert de travailler dans une grande ville, à Hull ou à Montréal. Mais il avait fait un séjour quelque mois à Sherbrooke et il avait tellement passé son temps à lutter contre le crime organisé et les gangs de motards, notamment les Hell’s Angels, qu’il en avait vite eu sa claque. C’était dangereux, mais ce n’était pas juste le danger qui l’avait rebuté, ni le stress. C’était la fade impression de ne jamais pouvoir en venir à bout. C’était toujours à recommencer; on arrêtait cinq revendeurs de drogues et dix autres apparaissaient dans la semaine; surtout qu’il était presque impossible de coincer les gros trafiquants. Avec les Hell’s, c’était pareil. Le recrutement ne leur posait aucun problème; leur banque de « prospects » semblait inépuisable. Qu’est-ce qui pouvait bien attirer les jeunes hommes dans cette vie de criminalité, de violence et de meurtres ? Pour Paul Quesnel c’était un vrai mystère. Plus il avait côtoyé, et combattu, les gangs criminalisés, plus il avait l’impression du côté des perdants. Il avait préféré partir avant de faire une dépression et était revenu dans la région de son enfance. Oui, il était bien à Papineauville, il n’avait pas à se plaindre. Quand il devait résoudre un crime, un vol, une infraction, il sentait qu’il faisait quelque chose d’utile, que grâce à lui, la justice prévalait. Paul Quesnel croyait en la réhabilitation, en la récupération des fautifs. Il avait suivi une formation en justice réparatrice qu’il avait utilisé une petite demi-douzaine de fois en vingt ans.
Une fois, il s’en souvenait la caisse populaire avait été dévalisé. Grâce aux caméras de surveillance, on avait pu identifier les trois jeunes hommes qui avaient commis le vol, trois jeunes d’Ottawa, et on avait facilement mis le grappin dessus. Une autre fois, un homme désespéré, nouvellement séparé de sa femme, s’était barricadé en menaçant de s’en prendre à ses enfants. Il y avait eu un sérieux accident de motoneige, une collision frontale, qui avait fait deux morts et une blessée grave, la femme était restée paraplégique; et l’été d’avant, deux pêcheurs s’étaient noyés au Lac-Simon.
Paul Quesnel  avait dépassé la mi-cinquantaine. La retraite pointait. Il aimait son travail. Il avait vu deux policiers mourir en service, mais lui n’avait jamais été sérieusement blessé. Certains après-midis il en remerciait le ciel à demi-voix dans son bureau vitré de la rue des Chênes d’où il pouvait voir une bonne partie de la municipalité de Papineauville. Le territoire à couvrir était très étendu. Presque deux mille cinq cents kilomètres carrés, vingt-sept villages et municipalités. Il avait assez à s’occuper. Il avait trois équipes de patrouilleurs en permanence et trois voitures de réserve; un groupe d’une quarantaine d’hommes, et de femmes, qu’il connaissait chacun et chacune personnellement; à qui il fallait ajouter le personnel administratif, une douzaine de personnes, secrétaires, réceptionnistes, archivistes, statisticien, informaticien.
Mais ce dont Paul était le plus fier, c’était de travailler avec sa fille, Roxanne. Paul avait aussi deux fils, mais les deux travaillaient dans le domaine minier, l’un en Alberta et l’autre en Abitibi. Le premier, Alexandre, avait étudié en géologie et à la fin de ses études, était parti dans l’ouest tenter sa chance. Il savait que les salaires y étaient considérablement supérieurs. Il travaillait pour Petrocorp, dans l’exploitation de sables bitumineux. Son deuxième fils, Xavier, avait fini son CEGEP et s’était fait engagé par Postes Canada. Il avait alors rencontré, dans un bar, une fille de l’Abitibi qui étudiait en médecine dentaire, et il était maintenant facteur à Rouyn-Noranda. Ni l’un ni l’autre n’avait des enfants.
Roxanne, elle, sa fille ainée, avait voulu étudier à l’institut de techniques policières à Nicolet avant de se spécialiser par une maîtrise en enquêtes criminelles à l’université de Montréal. Une décision qui avait surpris toute la famille ? Avait-il été son modèle ? Et il y avait trois ans, quand un poste d’adjointe s’était ouvert à Papineauville, elle avait postulé sans le dire à son père, et avait obtenu le poste. Pour Paul, ça avait été toute une surprise ! Travailler avec sa propre fille !
Paul savait qu’il n’avait pas été un « père parfait ». Lui et sa femme Monique avait divorcé alors que les enfants étaient encore petits, à une époque où la garde partagée n’était pas aussi systématique. Il avait des « droits de visite », une fin-de-semaine sur deux, et durant les vacances estivales et à Noël. Mais bien des fois une urgence se déclarait la fin-de-semaine et il devait faire garder les enfants ou encore les ramener, honteusement, chez leur mère. Heureusement qu’avec l’âge ils avaient pu se garder tous seuls et Roxanne la grande sœur s’occupait très bien de ses deux jeunes frères, Alexandre et Xavier. Ce n’était pas lui qui avait choisi les noms de ses enfants mais Monique. Ils s’étaient aperçu qu’ils avaient chacun un « x » dans leur nom et cela leur plaisait beaucoup. Quand ils lui faisaient une carte d’anniversaire ou pour la fête des pères, ils s’amusaient à signer « X X X » et c’était à la fois comme une conjuration, un code mystérieux, secret, presque inquiétant, qui lui seul aurait pu déchiffrer et résoudre, et à la fois trois becs de complices adorables qui lui étaient destinés, rien qu’à lui.
L’adaptation de Roxanne à son nouveau  poste n’avait été facile. Tout d’abord, c’était une femme; ça n’avait pas beaucoup d’importance pour les autres policiers – les mentalités changeaient tranquillement dans la police – mais cela avait intrigué bien des gens. Ils ne savaient pas trop comment réagir, surtout les hommes !, devant une femme, une jeune femme de surcroît, d’un mètre soixante-dix avec une queue de cheval qui représentait l’autorité en matière policière et pénale. Bien des victimes demandaient à témoigner devant une « vraie police ».
Ensuite, le fait qu’elle soit jeune, trente-et-un ans, n’arrangeait pas les choses. Elle faisait plus jeune que son âge avec un visage poupon, une personne si douce qui n’aurait pas fait de mal à une mouche. On ne la prenait pas toujours au sérieux. Mais elle était habituée, et savait fort bien comment surmonter l’impression qu’elle laissait et puis, à force, son sérieux et efficacité avaient fini par convaincre la population.
Enfin, tous les deux son père et elle avaient appréhendé le fait de travailler ensemble dans le même poste régional de la SQ. Ils n’étaient complètement opposés mais ils étaient quand même de deux générations différentes. En fait, qu’ils se connaissaient peu l’un l’autre, Paul ayant été un père absent, et Roxanne une fille déterminée qui ne lui avait pas demandé ni sa permission ni ses conseils pour faire carrière, les avait sans doute beaucoup aidés, plus qui ne le croyaient. Cela leur avait évité bien des aprioris. Ils s’étaient mutuellement découverts. Paul la regardait travailler avec une certaine admiration bien dissimulée et était fréquemment surpris de sa vivacité d’esprit et de son intuition. De l’autre côté, Roxanne s’était bien promis de ne jamais être la copie de son père et pourtant elle avait trouvé que, par rapport aux autres hommes de sa génération qu’elle avait côtoyés ces dernières il était loin d’être le plus stupide et sans le lui dire elle apprenait beaucoup en l’observant et profitait grandement de son expérience.
Ce dimanche matin-là était le dimanche des Rameaux mais ça ne voulait absolument rien dire à Paul Quesnel. Il n’est jamais allé à l’église, sauf pour se marier, et ce n’est pas une expérience qui l’aura marqué. Ses enfants ne sont pas baptisés et ils s’en portent très bien. Il était chez lui dans sa maison entre Papineauville et Plaisance en train de prendre son premier café de la journée. Il avait trouvé cette maison une dizaine d’années auparavant et il l’avait achetée, avec les bâtiments de ferme, du fils d’un vieil homme qui venait de mourir. Les enfants n’en voulaient croyant que ce n’était qu’une ruine. C’est vrai qu’il avait du faire une bien des rénovations, du sous-sol au grenier en passant par les fenêtres et les galeries, mais tranquillement la maison était devenue très habitable et très confortable. Et la vue imprenable qu’il avait sur l’Outaouais, il ne s’en lassait pas; il pouvait voir l’Ontario de l’autre côté sur une vingtaine de kilomètres  de  Autre avantage : elle était située à une minute de la nouvelle autoroute 50. De là il pouvait rouler vers l’ouest, attraper l’autoroute 5 vers le nord qui se poursuivait en route 105 jusqu’à Grand-Remous. Là il faisait halte pour boire un café et faire le plein d’essence. De Grand-Remous, si la route était belle et s’il roulait bien, il était à Rouyn en trois heures.
Paul se sentait en bonne santé, ne forme; il savait qu’il buvait trop de café; il devrait diminuer. Ça faisait partie de ses bonnes résolutions chaque année (heureusement qu’il n’a jamais commencé à fumer), mais il ne savait pas comment faire. Il s’était récemment acheté une nouvelle machine Nespresso, qui faisait le café à partir de dosettes. On pouvait mettre toutes les saveurs possibles et imaginables : capuccino, noisette, vanille française, latte machiato, irish coffee, viennois, colombien, praline aux pacanes, citrouille et épices, green moutain à la cannelle, riche, corsé, mélange nantucket…
De sa fenêtre il voit les eaux l’Outaouais qui coule. Aujourd’hui il va faire un peu de ménage dehors. L’hiver est bel et bien terminé et il doit ramasser les branches cassées sur le terrain, passer le râteau pour bruler les feuilles de l’automne dernier; retourner la terre du potager. Sortir et installer le tuyau d’arrosage. Son téléphone cellulaire se met à sonner. Il n’est même pas onze heures. Il voit s’afficher le numéro de Roxanne; il sait que c’est elle qui est de garde au poste, mais elle ne l’appellerait chez qu’en cas d’urgence. De vraie urgence.
-Oui, allo ?

-Papa ?... C’est moi; je crois que je vais avoir besoin de toi. 

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