lundi 5 janvier 2015

Le crime du dimanche des Rameaux

            (Avertissement : Ce chapitre a été écrit sous le coup de l’inspiration sans révision ni correction. Veuillez donc faire preuve d’indulgence pour les fautes et les erreurs de frappe.)

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                Au milieu du 19e siècle, pratiquement tout l’espace le long du Saint-Laurent, tant sur sa rive sud qu’au nord, avait été colonisé. Les forêts avaient disparues, le territoire avait été défriché, les plaines labourées puis ensemencées; les récoltes étaient bonnes. De vastes seigneuries comme celles de Joly de Lotbinière du côté sud ou celle de Berthier au nord permettaient de répondre aux besoins alimentaires de populations entières.
                Le problème était que la population continuait de s’accroître, et l’espace vital commençait à manquer. Sur la rive sud on ne pouvait pas aller beaucoup plus loin. Non seulement il n’y restait plus beaucoup de terre en friche, mais un grand nombre de familles « loyalistes » (c'est-à-dire fidèles à la couronne britannique) étaient venues des colonies du sud s’installer dans ce qui s’appelait alors les « Eastern Townships » sur des terres que leur avait généreusement et magnanimement octroyées le roi George III, troisième monarque de la famille de Hanovre, à la suite de l’indépendance des treize colonies, connues maintenant sous le nom des « États-Unis d’Amérique ». Ces Loyalistes étaient venus se réfugier juste au-delà de la frontière dans l’espérance inébranlable de pouvoir revenir et de reprendre possession de leurs biens mobiliers et immobiliers, très bientôt et le plus tôt possible. Mais ce retour ne se fera jamais. Il y avait donc toute une population anglophone qui occupait et dominait l’espace dans toute la région sud du fleuve géant jusqu’à la nouvelle frontière.
                Pour résoudre le problème du manque d’es pace et de terres, le gouvernement du Haut-Canada avait donc ouvert le « Nord », une immense région toute en hautes collines et en rivières : les Laurentides, qu’on nommait de manière beaucoup plus imagée « Les Pays d’en haut ». On enverra dans cette nature sauvage et vierge d’une beauté saisissante dans ce « neigeux désert où vous vous entêtez à semer des villages » comme le chantera un siècle plus tard, le grand poète parmi les grands, des générations de petites gens harnacher les cours d’eau et dompter la terre et devenir agriculteurs de pères en fils (et les femmes et les filles suivaient). Hélas, c’était une terre tout-à-fait impropre à la culture, ingrate et improductive, pauvre en nutriment et richissime en cailloux de toutes tailles, qui étaient d’ailleurs parmi les plus vieux de la terre.
                La plupart de ces gens, célibataires ou couples, provenaient des familles trop nombreuses déjà établies le long de la vallée du Saint-Laurent. Mais d’autres avaient immigré des « vieux pays », de la France, de la Belgique, de la Suisse, de l’Irlande. Quelques mois avant l’année 1870, quelques-unes de ces familles d’immigrants attendaient patiemment sur les terrains du manoir de Montebello, domicile du seigneur de la Petite-Nation, Louis-Joseph Papineau, que le maître des lieux ait statué sur leur sort.
                Le père de Louis-Joseph, qui s’appelait Joseph, avait acquis la seigneurie, le long de la rivière Outaouais, en deux transactions en 1801, puis en 1803, du Séminaire de Québec à monseigneur de Laval en avait fait don en 1680. Les deux principales rivières de la seigneurie étaient la Petite-Nation et la rivière du Lièvre.
                Joseph Papineau avait fait construire, comme convenu, un moulin, puis une scierie, des habitations, des étables; un magasin général avait ouvert. Il avait engagé une centaine de bucheron de la Nouvelle-Angleterre dont une trentaine s’installera à demeure dans la région. Joseph vendit sa seigneurie à son fils Louis-Joseph en 1817, l’année du mariage de celui-ci. Cet homme de loi et d’ambition qui deviendra l’un des chefs de file de la Rébellion des Patriotes de 1837-38 poursuivit le développement de la seigneurie, particulièrement durant la dernière partie de son existence. Libéral, libre-penseur, visionnaire, il n’hésite pas à ouvrir ses terres à tous les hommes de bonne volonté, juifs, protestants, anglophones, au grand dam (et un peu par provocation) des curés catholiques et de leurs supérieurs.
                Ainsi, il a reçu des familles venues de loin et a écouté leurs doléances. D’origine huguenote, elles n’ont trouvé nulle place où s’installer; depuis leur arrivée dans le Nouveau-Monde, on n’a fait que les rejeter et les repousser toujours plus loin et avec toujours plus de hargne. Les temps étaient difficiles pour les minorités religieuses dans une France redevenue royaume avec Louis-Napoléon.
                Depuis quelque temps, Papineau désire établir un nouveau village à la limite extrême nord de sa seigneurie. Ces familles – elles sont cinq – qui ont fui les royales persécutions  vont lui en fournir et le prétexte et le moyen. Il les enverra donc défricher un nouveau territoire, planter de nouvelles cultures et faire progresser la civilisation à 40 kilomètres sur le bord d’un cours d’eau qui s’appellera bientôt la « Petite-Rouge » (en opposition avec la « Rouge » à l’Est la majestueuse rivière de tous les possibles dans laquelle elle se jette). Papineau veut mettre toutes les chances de son côté. C’est pour cela que doivent attendre les familles – les Dagenais, les Abel, les Demeritt, les Brouillet et les Joliat – sur les terrains du domaine : Papineau est en grande consultation avec son intendant. Il veut envoyer avec ces Huguenots au moins une demi-douzaine d’autres familles prêtes à tenter l’aventure.
Finalement, six autres jeunes couples partiront : Godin, Besson, Desjardins, Fournier et deux Groulx, les frères Jacques et Émile et leurs épouses. Ça leur prendra trois jours pour arriver à destination guidés par l’intendant, et quelques hommes d’escorte, qui s’est occupé des denrées, des bêtes ainsi que du transport des outils et des machines agricoles nécessaires à un établissement durable. Pour les Européens, c’est l’aboutissement d’une interminable odyssée; c’est l’arrivée tant attendue dans la Terre promise. Ils ne peuvent s’empêcher de chanter des psaumes au grand étonnement des « Canadiens ». « Que Dieu se montre seulement, Et l’on verra dans un moment… »
La toute première chose à faire est la construction des maisons, qui sont en fait plus des cabanes en bois rond de même que le défrichage des premiers terrains. La saison est trop avancée pour les semailles, mais on commence tout de même un jardin et au moins la terre sera prête pour le printemps prochain. On vivra sur les provisions fournies par le seigneur. On ne pourra jamais assez le remercier. Mais les colons ne pourront jamais le faire vraiment : Papineau mourra l’année suivante.
Après les maisons, on veut bâtir les bâtiments communs, ce n’est pas la matière première qui manque : des entrepôts, un poste de commerce, une salle commune, puis une école, une église…
Une église ? La construction d’une chapelle fait naître une certaine perplexité dans la communauté. Si les couples catholiques-romains sont en plus grand nombre, les protestants, du fait de leurs progénitures sont bien plus nombreux en nombre d’individus. Une église catholique serait logique disent les uns; un temple protestant va de soi, rétorquent les autres. On n’en vient pas aux coups, mais l’acrimonie est au cœur de chacun. Si bien que pour éviter que la zizanie vienne tuer dans l’œuf cette tentative de cohabitation et d’installation, on s’accorde finalement qu’on construira une église au premier religieux qui leur rendra visite.
Et au printemps suivant, averti de cette possibilité de nouvel établissement, l’évêque de Québec envoie un prêtre dans ce petit hameau du nord de la Petite-Nation. Ça tombe bien, une petite fille est née en mars, premier enfant d’Émile Groulx et de sa femme Azélie. Les parents veulent la nommer Julie, du nom de la femme de leur maître Louis-Joseph. Le curé célèbre sa première messe et cérémonie de baptême en plein air sous un soleil radieux de cette fin juin. Il gesticule à qui mieux-mieux pour se débarrasser des moucherons et mouches noires qui le déconcentrent et déconcertent tout à la fois, et empêtré dans ses oripeaux sacerdotaux, il fait penser, aux yeux de ses ouailles, à un cocasse épouvantail.
Le pauvre curé, enragé et rendu fou par les bestioles de tous genres qui l’ont dévoré une bonne partie l’été, se sentira obligé de repartir avec armes et bagages avec le retour de l’un des convois de ravitaillement. Même s’ils partagent la mine déconfite de leurs compagnons papistes, les huguenots ne se réjouissent pas moins de ce départ imprévu.
L’hiver passe. Et le printemps revient sans que ne revienne quelque religieux que ce soit. Puis, au milieu de l’été, survient un être bizarre : un grand homme efflanqué portant une hotte – il a fait tout le voyage depuis Montebello à pied avec sa hotte sur son dos –, et dans cette hotte des livres ! Mais pas n’importe quels livres : des Bibles ! C’est un « colporteur » de la Mission évangélique canadienne-française, un protestant. S’il reste on lui bâtira une église… et prêchant et évangélisant, il reste.
Quelques années plus tard, en 1875, quand est venu le temps de trouver un nom pour ce nouveau village, qui comptait alors quatre-vingt personnes – à  majorité protestantes, plusieurs s’étaient convertis et les autres non – certains des plus fervents voulaient le baptiser « la Nouvelle-Genève »… pour se raviser en optant plus modestement pour Noyan, du nom de la ville natale de Jean Calvin en Picardie, le grand réformateur français.
Ce qui fait Noyan a eu son église protestante sans que n’y soit jamais construit d’église catholique de son histoire (c’est d’ailleurs la seule municipalité du Québec de ce genre) entouré des plusieurs villages catholiques : Notre-Dame-de-la Croix, Pierreville, Saint-Julien… Et Noyan peut s’enorgueillir de toute une lignée quasi-ininterrompue de pasteurs, fervents et enflammés, qui ont fait vibrer les murs de bois et les vitraux de son église.
Sébastien Saint-Cyr était le dernier en liste, quelque cent quarante ans plus tard. À la fin de ses études et après son ordination dans l’Église unie, on lui a proposé d’aller occuper le poste de pasteur à Noyan.

* * *


Moins d’un an après le début de son ministère, le matin du dimanche des Rameaux, on a retrouvé Sébastien Saint-Cyr sans vie dans son presbytère, lourdement affalé par terre comme s’il avait été jeté au bas de l’escalier qui mène au sous-sol.

3 commentaires:

  1. Cher David
    Bravo pour ce nouveau défi !
    Yvette

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  2. Salut David.
    Remarquable discipline et canalisation de créativité : bravo!
    Et tu sembles y avoir pris goût aussi, avec ce nouveau projet.
    Denis

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  3. Bravo jeune homme.
    L'aventure la plus fascinante en ce domaine est celle de deux auteurs profs de littérature : Boileau-Narcejac. Chacun écrivait un chapitre et à la fin de son chapitre mettait l’autre auteur dans le pétrin.
    Ce sont vraiment des maîtres du suspense. Voir Les Diaboliques, Les visages de l’ombre, Et mon tout est un homme etc.
    Meilleurs vœux,
    André

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