lundi 9 mars 2015

Le crime du dimanche des Rameaux
10

Le deuxième témoin que Roxanne fait entrer dans la salle communautaire est Laurent Groulx.
-C’est un accident j’vous dis.
-Prenez le temps de vous asseoir, monsieur Groulx, et dites-nous ce qui vous fait dire ça ?
-Quand je suis venu au presbytère avec monsieur Joliat, la porte était barrée. On a sonné, une fois deux fois, pas de réponse. Moi j’ai la clé. Alors j’ai ouvert la porte. Dedans, on a encore appelé le pasteur, mais personne n’a répondu. Ça s’comprend, il était tombé en bas de l’escalier dans le sous-sol, pis il était inconscient. J’ai demandé à Bertrand d’appeler vite vite l’ambulance… C’était terrible à voir !
-Vous dites que vous avez sorti vos clés; comme ça la porte était verrouillée ?
-Oui, c’est ça que j’vous ai dit. On a essayé d’ouvrir la porte Bertrand pis moi, mais c’était barré.
-La porte d’en avant était barrée, mais ça ne veut pas dire que celle d’en arrière l’était aussi.
-…Euh, c’est vrai, j’avais pas pensé à ça, mais pour moi c’est quand même un accident.
-Dites-moi, monsieur Groulx, est-ce que quelqu’un d’autre que vous a la clé du presbytère ?
-…C’est important ?
-Je ne sais pas. Sans doute que non, mais je demande comme ça.
-Ben… heu, Raymond, c’est le concierge, lui aussi a des clés mais ça change rien. Il fait son travail… mais vous savez, il ne faut pas trop lui en demander. C’est un bon gars, mais il est un peu « lent », mettons. Il n’a rien à voir là-dedans.
-C’est très possible; alors, quand vous avez ouvert la porte de presbytère, vous avez appelé le pasteur Saint-Cyr ?
-Oui, mais il pouvait pas répondre; il était tombé dans l’escalier.
-Quel est votre rôle dans l’église monsieur Groulx ? demande Paul d’en arrière.
Monsieur Groulx se retourne sur sa chaise et toise Paul comme s’il le voyait pour la première fois : «Moi ? Je suis le président du Conseil de paroisse.
-Qu’est-ce que ça fait un conseil de paroisse ?
-Le Conseil ? Ben, le conseil, c’est comme le bureau d’administration; on s’occupe des finances, des bâtiments, des événements spéciaux… les baptêmes, les mariages, les funérailles; il faut régler les problèmes quand ils arrivent.
-Il y a combien de membres ? Paul se déplace pour s’asseoir en face de lui.
-On est six membres; il y a un trésorier, un secrétaire, pis moi je suis le président, depuis maintenant treize ans.
-Pis vous, vous êtes le président; c’est un rôle important !
-Important ! Mettez-en ! Il faut voir à tout !
-Je suppose que le pasteur siège sur le conseil.
-Évidemment ! Ensemble on gère les affaires de l’église.
-Ça fait combien de temps que vous êtes président du conseil, monsieur Groulx ?
-Ça fait quatorze ans, pis avant ça j’ai été conseiller pendant six ans.
-Donc, monsieur Groulx, moi je ne connais pas bien ça alors vous allez m’aider
à comprendre. Vous êtes arrivé à l’église ce matin comme d’habitude, comme tous les dimanches matin… C’est ça ?
-Oui, c’est ça.
-Pis là, les gens arrivaient les uns après les autres pour la messe; à quelle heure elle est la messe ?
-Dans une église protestante, on dit pas une « messe », on dit plutôt un « culte » ou encore célébration.
-Un « culte » ? Bon ben, j’aurais appris quelque chose aujourd’hui, merci. Donc à quelle heure elle est le « culte » à l’église de Noyan ?
-À dix heures et demie.
-Donc les gens arrivaient, pis on était rendu proche dix heures et demie, mais le pasteur ne se montrait pas. Jusque là je ne me trompe pas ?
-Non, non c’est ça.
-Alors en votre qualité de président du conseil vous avez décidé d’aller sonner à la porte du presbytère.
-Oui, c’est ça que j’ai dit.
-Dites-moi une chose monsieur Groulx. Vous connaissez pas mal tout le monde dans la paroisse pis vous devez connaître leurs habitudes : est-ce qu’il y quelque chose qui vous a semblé bizarre ou différent ce matin ? Par exemple, est-ce qu’il y avait plus de monde, ou moins de monde que d’habitude ?
-Non, j’ai rien remarqué.
-Ça peut être juste un détail, comme une personne qui serait arrivé plus tôt que d’habitude ou quelqu’un qui vous a semblé un peu nerveux ? Prenez votre temps pour y penser.
-Non, non, j’ai rien vu d’anormal.
-Par exemple, tout à l’heure quand je suis arrivé, il y avait toute une foule autour de l’église. Auriez-vous vu ou entendu quelque chose qui vous aurez surpris ?
-Non, non, les gens parlaient de l’accident. Pis moi, j’avais autre chose à faire que d’écouter les gens.
-Ou mettons quelqu’un que vous auriez vu et qui n’aurait pas du être là ?
-Non, j’vous dis, j’ai pas fait attention pis tout était normal.
-Très bien… Juste en passant comme ça, monsieur Groulx, qu’est-ce que vous avez-fait hier, mettons vers l’heure du souper ?
-Moi ? L’après-midi, je suis allé jouer au golf à Notre-Dame-de-la-Croix, pis ensuite je suis rentré chez nous !
Roxanne reprend le déroulement de la matinée.
-Monsieur Groulx, je voudrais revenir à votre entrée dans le presbytère. Je crois que vous étiez avec monsieur Bertrand Joliat qui un membre du conseil. Pourquoi lui ?
-Ben, comme vous avez dit, c’est un conseiller; pis les autres étaient occupés. Aline Auclair, la trésorière, était là, mais comme c’est une femme, vous comprenez… J’ai préféré demander à Bertrand.
-C’est vous qui lui avez demandé de vous accompagner; pourquoi donc ?
-Ben, euh, c’est normal; je ne voulais pas y aller tout seul; je voulais un témoin en cas qu’il y aurait eu quelque chose, pis finalement j’ai bien fait après ce qui s’est passé.
-Oui, en effet c’est plus prudent. Et selon vos dires, une fois à l’intérieur, vous avez appelé, sans réponse, vous n’avez rien vu dans le salon ni dans la cuisine et vous avez vu le corps de Sébastien Saint-Cyr étendu inerte en bas de l’escalier du sous-sol ?
-C’est exactement ça !
-Et ni vous ni monsieur Joliat vous avez touché à quoique ce soit dans le presbytère ?
-Ben non, bien sûr que non !
-Alors finalement, vous avez dit à monsieur Joliat d’aller appeler le 911 tandis que vous restiez près du corps du pasteur, c’est ça ?
-Oui, c’est ça; je n’me sentais pas capable de le laisser tout seul. Alors j’ai dit à Bertrand : "C’t épouvantable ! Le pasteur St-Cyr est tombé en bas des escaliers. Vite va demander à quelqu’un d’appeler le 911, moi je vais rester ici." Pis j’suis resté jusqu’à ce que les ambulanciers arrivent. Quand ils l’ont vu, ils m’ont demandé de sortir et d’empêcher les gens d’entrer. Après ça, la police est arrivée; pis plus tard, je les ai vus sortir la civière. C’est vraiment épouvantable...
-Merci beaucoup, monsieur Groulx, dit Paul en lui serrant la main. Ce que vous nous avez dit va nous être très très utile, ça va beaucoup nous aider. Et je vous félicite pour votre travail. Bien sûr, je vous demande de ne pas vous éloigner trop dans les jours qui viennent, on aura probablement encore besoin de vous.
-OK, si vous voulez.
Au moment où Laurent Groulx met la main sur la porte, Paul l’interpelle :
-Oh ! Juste une dernière question monsieur Groulx : pensez-vous que quelqu’un dans la paroisse aurait pu en vouloir au pasteur pour une raison ou pour une autre ?
-Ben non, pantoute; tout le monde s’entendait bien avec lui.
-Merci; à bientôt.
Il sort.

Paul et Roxanne se regardent.
-Il a menti.
-Oui, je sais, pas en tout mais en bonne partie.
-Il a quelque chose à cacher.
-Viens, on va aller casser la croûte; je commence à avoir faim… quelle heure il est ? Presque deux heures déjà !
-Il faudrait aussi envoyer les autres se restaurer aussi.

-C’est vrai.

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