mardi 31 mars 2015

Le crime du dimanche des Rameaux

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Après les interrogatoires, Paul et Roxanne sortent de la salle communautaire pour rejoindre les autres policiers afin d’aller manger. Mais, sur le seuil, un homme âgé, à l’allure décontractée, les accoste subitement, comme s’il les attendait.
-D’habitude, Noyan est un petit village sans histoire !! Bonjour, je me présente, je suis Simon Abel, le maire de Noyan.
-Bonjour monsieur Abel.
-Bonjour.
-Ben oui, on m’a téléphoné pour me dire qu’il y avait eu un accident au presbytère. Quand j’ai vu les lumières de la police, hey, deux voitures ! pis ensuite une ambulance, là j’me suis dit qu’il y avait du se passer quelque chose de grave. Qu’est-ce que vous pouvez me dire ?
-On n’en sait probablement pas beaucoup plus que vous : le pasteur est bien mal tombé dans son escalier et il a été conduit à l’hôpital de Buckingham. Qu’est-ce que vous, vous pouvez nous dire qui pourrait nous aider ?
-Vous dire ? Mais sur quoi ?
-Bien, sur Noyan, sur ses habitants, sur leur façon de vivre…
-Bah, j’sais pas trop. Les Noyannais, c’est des gens  sans trop d’histoire. On n’est pas ben ben riches. Ben des jeunes sont partis vivre en ville. Il n’y a pas beaucoup de divertissements. On fait c’qu’on peut avec la plage aménagée, nos clubs de sport, baseball et soccer l’été, pis le hockey l’hiver. L’été, on a un peu de touristes qui passent à cause de la base de plein air Du fond des bois vers Pointe-à-la-Croix et le Club de chasse de Brookhill; c’est de plus en plus populaire. Des fois, c’est un peu plus olé-olé du côté de chez Lemay, le vendredi soir par exemple…
-Qu’est-ce que vous voulez dire ?
-Ben, j’sais pas trop. Il y a grandes distractions pour le monde ici, pis certaines personnes s’ennuient; alors qu’on a s’ennuie on boit un peu, pis des fois avec l’alcool, on finit par parler fort. Jean-Claude, le propriétaire du bar, doit ben appeler la police une ou deux fois chaque été; mais là au presbytère, je ne sais pas trop quoi penser. Je ne connaissais pas trop le pasteur Saint-Cyr. Moi, je ne fais pas partie de ses ouailles, comme on dit; premièrement j’suis catholique, pis de toute façon moi, je ne vais pas à l’église. Tout ce que je peux dire c’est que les gens avaient l’air de l’apprécier. C’est ben malheureux ce qu’il lui ait arrivé.
-Qu’est-ce que vous pensez de lui ?
- Bah, j’sais pas trop. J’pense qu’on s’est parlé une ou deux fois seulement depuis qu’il est arrivé à Noyan. Comme j’ai dit, les gens semblaient l’apprécier.
-Vous avez l’air jeune pour être maire du village !
- Ben, j’sais pas trop. J’ai quand même trente-neuf ans. Mon père avait été maire avant moi pendant vingt-six ans, mais il y a trois ans, il a finalement pris sa retraite, pis personne d’autre voulait se présenter. Alors moi j’ai dit oui, pis je lui ai succédé.
-Je suppose que vous connaissez pas mal tout le monde à Noyan.
-Oui, pas mal. C’est mon rôle après tout !... Il faut ben ! Pis vous vous avez rencontré le monde que vous vouliez ?
-Deux personnes.
-Oui, j’sais, Bertrand Joliat, pis Laurent Groulx. Lui, par exemple, il connaît pas mal tout le monde !
-Comment ça ?
- Ben, j’sais pas trop; d’abord, il est plus vieux que moi, mais c’est surtout qu’il il brasse des grosses affaires. C’est lui le propriétaire du garage, pis quand le gouvernement a refait la route il y a une quinzaine d’années, le nouveau trajet passait pas mal sur le terrain du garage, ce qui fait qu’il a gagné le Jack pot ! Ensuite, il a fait construire des chalets tout autour du lac sur des terrains qu’il avait achetés. Le chemin du Lac au bout du chemin Paradis, c’est tout à lui ça. Il loue les chalets l’été; pis il a construit plusieurs autres maisons dans le nouveau développement sur le chemin Vinoy. Chaque mois il collecte des loyers.
-Monsieur Abel, pouvez-vous nous conseillez un restaurant où on pourrait aller manger.
-Il y a trois restaurants à Noyan en plus de bar chez Lemay : un bon, un moyen et un autre. De quoi avez-vous envie ?
C’est Arianne qui répond :
-Ben, j’sais pas trop !… L’heure des brunchs doit être finie. Essayons celui qui est le plus familial.
-Alors, allez donc À la grosse marmite, vous aurez ben du choix.
-À très bientôt monsieur Abel.


Comme il n’était plus indispensable que les agents Gazaille et Petitclerc restent sur place, Roxanne les avait renvoyés au poste à Papineauville. L’agent Turgeon, Félix de son prénom, resterait sur place, pendant qu’elle et son père allaient manger.  
                À l’origine, « La Petite Marmite » était un restaurant spécialisé dans la gastronomie suisse. Il y a une vingtaine d’années, un jeune couple, sans enfant, Jean-Claude Rochat et sa femme Emmanuelle, étaient venus ouvrir un nouveau restaurant à Noyan. Ils avaient racheté une vieille grange, et l’avaient aménagée, mais la cuisine suisse… Il faut croire que les origines européennes de la moitié des habitants ne se percevaient plus dans leur sens gustatif. Les Rocaht étaient reparti et le restaurant avait été racheté par Armand Pinard et le nom avait été changé en « La grosse marmite ». L’hiver, il servait de relais (très populaires) pour les motoneigistes en route vers Mont-Laurier. L’été, c’était un restaurant familial avec un parc pour enfants dehors, avec balançoires et des dinosaures gonflables; il y avait des tables sur la terrasse.
                À cette heure-ci, le restaurant est à moitié vide, mais leur arrivée, tous les regards des clients se tournent vers eux. Certains membres du personnel, derrière le comptoir, se font du coude. Une jeune serveuse vient leur porter le menu.
                -Un café ?
                -Oui, merci.
                -Pas pour moi. Je prendrais plutôt de l’eau.
                -Très bien; j’vous apporte ça.
                -Quoi ? Le café te rend nerveux ? demande Roxanne à son père.
-Non… J’essaye de diminuer ma consommation de café parce que ma vessie est sur la voie de l’indépendance totale.
Roxane hésite entre sourire et faire la moue, comprenant bien la pas très subtile allusion politique de son père.
Paul prend un Club sandwich; Roxanne une salade de thon.
La serveuse revient avec les plats.
-C’est la première fois que la police vient manger ici.
-Tu sais, la police a des espions partout ! On avait entendu parler de l’excellent service et des serveuses qui sont super-fines.
-Oh ! vous… vous faites des farces.
Un jeune homme en tablier, probablement un plongeur, s’approche en les interrompant.
-Bonjour, la police ! Pis, avez-vous trouvé des indices ? Des empreintes digitales ? Des objets compromettants ? Du rouge à lèvres sur un verre ?
-Je ne comprends pas. Qu’est-ce que vous voulez dire ?
-Ouais, c’était un secret pour personne que le pasteur aimait bien les femmes.
-Denis, arrête ! Tu sais pas d’quoi tu parles.
-Qu’est-ce que ça veut dire ?
- Allez le demander aux jumelles Godin. Pis à la veuve Demeritt ! Pis allez voir la coiffeuse Sonia; pis la maitresse d’école, celle des premières années ! Y’était ben intéressé. Pis Michelin; pis Jess…
-Denis arrête, j’t’es dit !
La serveuse a mis sa met sur la bouche du jeune homme.
-Je sais c’que dit ! reprend-il en se dégageant. Même toé, Vanessa, il t’faisait toujours de l’œil quand il venait manger ici ! Pis t’haïssait pas ça, Hein ?
-C’est même pas vrai, il était gentil avec tout le monde. Oh ! et pis va donc vider tes tables. Excusez-le ! Il déparle. J’sais pas ce qu’il lui a pris !
-C’est pas grave.
-Ben, excusez-moi. J’dois aller m’occuper des autres tables.

                Pas loin de là, un homme est assis à une autre table. Quand il a vu entrer les deux agents, il s’est arrêté de manger, la fourchette entre les lèvres. Il écoute très attentivement et essaye d’entendre ce qui ce dit dans cette conversation, tout en se faisant tout petit pour rester caché de la vue de Paul et de sa fille. À la vue de la police, il s’est senti nerveux, et sa nervosité a  redoublé quand il a entendu mentionner le nom de sa fille. Qu’est-ce qu’ils cherchent ? Qu’est-ce qu’ils ont découvert ? Et qu’est-ce qu’ils savent à propos de l’accident ? Est-ce qu’ils vont remonter jusqu’à moi ?

                -Excellent, ce club-sandwich, vous féliciterez le chef de ma part.
                -J’y manquerai pas. Oh ! Merci pour le pourboire !
                -C’était mérité… Au revoir, Vanessa.

                Revenus au presbytère, ils ont envoyés Turgeon manger à son tour.
-Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
                -Je dois apporter l’ordi et le téléphone à Yannick pour qu’il en fasse le ménage. Et toi ?
                -Moi, en attendant le retour de Turgeon, je vais commencer mon rapport; et ensuite je crois que je vais aller faire un tour à l’hôpital, voir si je ne peux en apprendre un peu plus.
                -Oui, bonne idée. Tu m’appelleras s’il y a du nouveau.
                -À plus tard, papa.
                Elle lui envoie un petit bec de la main, et lui, il lui fait un clin d’œil.


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