lundi 16 mars 2015

Le crime du dimanche des Rameaux

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                Laurent Groulx sortit de la Salle communautaire et referma la porte derrière lui. En descendant les quelques marches de l’escalier de ciment, il poussa alors un énorme soupir. Comme il était soulagé ! Le poids qu’il avait eu sur les épaules !! Finalement, il trouvait qu’il s’en bien tiré. Il avait réussi à démontrer aux policiers que la chute du pasteur Saint-Cyr était bien un accident. La tension avait été énorme au moment où ils l’avaient fait venir. Il devait faire attention à chacune de ses réponses, tout en ayant l’air naturel. En même temps qu’il savourait son soulagement, Laurent Groulx ne se sentait pas complètement à l’aise. La policière qui semblait être la responsable, était bien jeune pour l’inquiéter, mais le vieil inspecteur n’était pas un singe à qui on peut apprendre à faire des grimaces. Celui-ci, en le renvoyant, l’avait invité à garder contact avec lui… Oui, c’est ça, il faudra bien que je trouve une occasion pour lui parler de toutes les « aventures » de Sébastien Saint-Cyr, de toutes ses conquêtes : les jumelles Godin, la veuve DeMerriit, Suzanne Guimond la coiffeuse, Florence Anctil, la maîtresse d’école; pis Nancy !! la cerise sur l’sunday ! C’est une belle catin, celle-là … Mais, immédiatement Laurent Groulx se dit que c’était un terrain glissant. S’il commençait la litanie des « conquêtes », il faudrait qu’il parle de Micheline, la femme de Popeye, et là, ça pouvait devenir dangereux.
                Il y avait encore une vingtaine de personnes sur la place de l’église faisant cercle autour de Bertrand Joliat à qui on a du demander de raconter et de reraconter son interrogatoire en long et en large. Laurent Groulx entend celui-ci le héler.
                -Laurent !! Laurent !!
Il s’approche du groupe.
                -Alors qu’est-ce que t’en penses ?
                -Qu’est-ce que vous voulez que j’vous dises ?
                -J’comprends pas pourquoi la police poses toutes ces questions ?
                -Qu’est-ce qui vous ont demandé à vous ?
                -Ils voulaient savoir comment ça c’était passé. Moi, j’ai dit que c’était un accident. Ils voulaient savoir comment ça marche une église. Là-dessus, ils savaient pas grand-chose. Ils m’ont demandé de ce que j’avais fait hier. Ils m’ont demandé si j’avais remarqué quelque chose d’anormal. Mais… y avait rien d’anormal ce matin ? Avez-vous remarqué quelque chose nous autres ?
                -Non, non, mais c’est bizarre, déduit Maurice Besson le quincailler, on dirait qu’ils cherchent quelque chose.
                -Qu’est-ce qu’ils peuvent bien chercher ? Pis y avait d’anormal dans le presbytère non plus. Oh, pis moi, j’ai juste hâte qu’ils s’en aillent tous.
-Qu’est c’est qu’ils font faire asteure ?
Laurent Groulx malgré son désir de savoir ce que vont faire en effet les policiers n’a pas très envie de poursuivre cette discussion.
-En tout cas, j’suis vraiment fatigué. J’rentre chez nous.
Bertrand Joliat remarque : « En tout cas, il faudrait avoir une réunion d’urgence du Conseil de paroisse le plus vite possible.
                -Oui, dès demain matin, il faudrait convoquer les autres : Aline, Gerry, Jean-Jacques, Chantal et Daniel. Je suppose qu’Il faudra communiquer avec le consistoire, pis informer le synode aussi. J’sais pas ce qu’il faut faire dans ces cas-là; c’est jamais arrivé. C’est quoi la suite ? Est-ce qu’on va nous envoyé un intérim ? Je suppose qu’on va nous poser plein de questions.
                -Il faudrait appeler sa famille. Il doit bien avoir un numéro en cas d’urgence.
                -Oui, réponds Laurent Groulx déjà assis dans sa voiture. Si je me souviens bien, c’est ses parents qu’il faut appeler, on sait ben qu’il n’avait pas de femme dans sa vie…
Cette réflexion déclenche quelques ricanements convenus.
-…mais j’sais pas c’est à qui à l’faire. À la police ou à nous autres ?
                Laurent Groulx démarre sa voiture et fait un signe de la main. Il rentre chez lui; il a mal à la tête. Tout le village est en ébullition. Il passe devant une maison aux volets bleus près de la plage qu’il regarde avec des gros yeux. Il a très envie de s’y arrêter et d’aller parler à son neveu, mais sa femme doit être encore là. Elle ne doit partir pour aller trabailler chez Ben que vers 16h30. Il rage. Il dit entre ses dents :
-Non, mais qu’est c’est qu’il lui a pris de venir se promener comme une espèce d’imbécile à l’église ? N’importe qui aurait pu le voir !... Il faudra que je parle à() aussi.
À la maison, sa femme Lorraine a gardé son diner au chaud. Il lui raconte en gros ce qui s’est passé.
-Va donc te reposer maintenant. La journée n’est pas finie.
-Je l’sais. J’espère vraiment qu’ils vont bientôt s’en aller.


Vers 17h00, Laurent Groulx, après une petite sieste durant laquelle il aura davantage réfléchi que dormi,  sortira de chez lui; il reprendra sa voiture et se dirigera vers la maison aux volets bleus, la maison de son neveu, Popeye. Il stationne à côté du gros 4 par 4; un imposant berger allemand aboie au bout de sa laisse.
-Tais-toi, champion !
Laurent Groulx rentre par la porte arrière comme s’il était chez lui. Popeye est devant la télévision.
-Mon oncle ! Enfin ! Qu’est-ce qui… ?
Mais Bertrand Groulx lui coupe abruptement la parole.
-Pose pas d’questions ! C’est pas l’temps. Éteints ça, pis là tu vas m »écouter. Non, mais peux-tu ben m’dire qu’est c’est qui t’est passé par ls tête ? Qu’est c’est qu’il t’as pris de venir te promener comme ça comme un imbécile ?
-Mais, mon oncle, tout le village était là, c’était normal…
-Ouais, pis tout le village peut faire le rapprochement aussi ! T’sais, les gens sont pas fous. Depuis deux semaines que tu vantes partout dans l’village d’avoir mis le pasteur à sa place quand il est venu voir ta femme ! Depuis deux semaines que tu vantes que tu la fait repartir sans demander son reste ! "Pis là, j’y dis que moi j’étais sont mari !" C’est comique, hein ? Les gens vont faire un plus un !
-Penses-tu, mon oncle ?
-Ben, qu’est-ce tu penses ! Maudit qu’t’as pas d’jugeotte des fois !
-De toute façon, j’ai rien fait !
-Ça change rien ! Si quelqu’un s’ouvre la trappe, pis s’ils découvrent que t’étais au presbytère hier soir, on est tous dans un beau pétrin !...
Popeye reste un peu sonné.
-Qu’est c’est qu’on va faire d’abord !
Laurent Groulx regarde son neveu; il s’est un peu calmé.
-Bon, cette après-midi j’ai pris l’temps de réfléchir. Vaut mieux pas prendre de risque. Pour l’instant la police pense que c’est un accident. Il faut qu’ça reste comme ça. Il faut pas qu’ils entendent parler de  ta chicane avec lui, pis des menaces que tu lui a faites. Toi, tu vas parler à Micheline pis tu vas lui dire de tenir ça mort. J’pense pas que la police viendra lui poser des questions, mais si jamais ils arrivent à elle, il faut qu’elle dise que quand le pasteur est venu icitte, y’a pas eu de chicane. Toute c’est bien passé. Oui, t’as dit que c’était toi le mari, mais tu l’as dit parce que c’est la vérité, pas pour provoquer l’autre. As-tu compris ?
-Oui, j’pense; il faut qu’elle dise que toutte s’est bien passé.
-Bon, pis toi, il faut que tu dises la même chose. Si jamais t’as affaire à la police, tu leur diras que t’as fait le fanfaron, mais que c’était juste pour te vanter; qu’il y avait rien de vrai là-dedans.
-Mais pourquoi  pas juste dire, qu’y s’est passé ? Qu’y est jamais venu chez nous ?
-Réfléchis donc, Lucien ! Tout le monde le sait qu’y venu chez vous; si tu racontes un mensonge, ça sera pire !
-OK, OK.
Quand son oncle l’appelait par son vrai nom, c’est sûr qu’il n’était pas de bonne humeur.
-Pis, il faut jamais dire qu’on était là samedi soir. Si quelqu’un te pose une question ou te dit quelque chose, tu dis que tu sais rien, que t’étais chez vous à regarder la partie de hockey.
-OK, j’ai compris, mon oncle.

-Bon, bon; j’pense que tout va bien aller. Moi, il faut maintenant que j’aille parler à Raymond pour qu’il dise la même chose.

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