lundi 18 mai 2015

Le crime du dimanche des Rameaux
20

                « Comme ça, c’est ici que l’accident a eu lieu ?
                -Oui, madame; il a glissé sur une plaque de glace, pis il est tombé dans l’fossé.
                -Donc, si je comprends bien, il est arrivé par là, de l’est, ça c’est l’est, n’est-ce pas ?
                -Ouais…
                -Puis il roulait dans ce sens-là et vers ici il y avait de la glace et il a dérapé ?
                -Probablement.
                Ils ont roulé environ douze kilomètres pour ce rendre là. Roxanne regarde attentivement, essayant d’enregistrer dans son cerveau tous les détails du lieu, l’état de la route, les courbes, le paysage; c’est un coin passablement désert, constate-t-elle. Elle ne voit pas d’habitations dans les environs. Il y a quelques nuages; les arbres des collines se balancent doucement sous la brise. Elle entend des oiseaux chanter
                -C’est lui qui a appelé ?
                -Je suppose que oui; il d’vait avoir son cell; c’est Picard qui a répondu et c’est moi que le boss a envoyé avec le towing.
                -Tus as bien du rire de lui.
                -Ben, en fait, j’voulais pas trop rire… mais il faut l’faire quand même : pas un chat sur le chemin, de la glace normale, un hiver normale, une journée normale, pis se ramasser dans l’fossé, ça prend ben un gars d’la ville ! Il n’avait pas l’air fier de lui.
                -Une journée normale, ça veut dire qu’il n’y avait pas de tempêtes, ni de vent, de poudrerie ?
                -Une belle journée d’hiver !
                -Pourquoi tu dis que la glace était normale ?
                -Ben, c’est que quand j’t’arrivé avec la remorqueuse, j’suis arrivé dans le même direction, pis j’ai pas remarqué qu’y avait ben d’la glace dans l’chemin; parlez-moi du rang des Saules, ça en hiver, c’est pas allable, c’est toujours bloqué; mais le chemin Vinoy, j’ai rarement vu ça.
                -Peut-être qu’il allait trop vite.
                -Ouais, ça doit être ça. Ou alors il faisait pas attention.
                -Dis-moi donc comment était placée la voiture; comment tu l’as trouvée ?
-Elle était là à moitié couchée sur le côté, à quelques pieds des arbres; la neige avait pas amorti les chocs.
-Il n’y a plus de traces.
-Non, c’était il y plus d’un mois, c’était encore l’hiver à c’moment là.
-Il y a une chose que je ne comprends pas, peut-être que tu peux me l’expliquer. J’ai lu dans le rapport que le côté gauche était défoncé. Je me serais plutôt attendu que ce soit le côté droit, vu qu’il est tombé dans le fossé à droite de la route.
-Je sais pas comment il a fait son compte. Peut-être qu’il a tourné sur lui-même pis qu’il a accroché quelque chose, mais qu’il a terminé son rallye dans l’fossé.
-Qu’est-ce qu’il faisait quand tu es arrivé ?
-Rien; il devait guetter mon arrivée, parce que  de loin quand il a entendu le moteur du towing, il m’a fait signe d’arrêter.
-Et il n’y avait personne d’autre dans le coin.
-Non, non, il était tout seul !
-Je suppose que le pasteur a embarqué avec toi quand tu as remorqué sa voiture.
-Ben oui.
-Comment il était ?
-Comment ça, comment il était ?
-Oui, est-ce qu’il fait quelque chose ? Est-ce qu’il a dit quelque chose ?
-Pas grand-chose; il semblait comme pas là. Comme j’ai dit, il devait pas être fier de lui. Ah oui, je souviens, il a fermé les yeux, pis il est resté à jongler. Moi, j’ai essayé de lui poser quelques questions, mais il répétait juste par oui ou non. Et puis quand on est arrivé, il m’a demandé de le débarquer chez lui; il a dit qu’il avait besoin de se reposer, qu’il passerait au garage demain pour l’estimation; j’ai dit que c’était correct pis je l’ai débarqué au presbytère; pis il m’a dit merci. Moi j’ai continué jusqu’au garage avec la voiture.
-Merci Guy, on va rentrer maintenant.

Les visites aux « femmes » du pasteur n’avaient pas donné pas grand-chose. Paul commençait à en avoir un peu marre. Au moins, ça lui faisait mieux connaître ce coin là de son district, à aller comme ça de gauche à droite. Les jumelles Godin étaient deux vieilles filles qui avaient toujours vécu ensemble une vie assez monotone; elles étaient en mal de sensations fortes dans leur vie et il était évident qu’il était impossible que le pasteur St-Cyr ait pu « succombé à la tentation » cette nuit de tempête de l’hiver dernier. Si elles n’avaient pas dormi de la nuit, ce n’était pas qu’à cause de leur imagination. La veuve DeMerritt était une sorte de « vieille dame indigne » qui rejetait toute convention sociale; elle avait presque soixante-dix et faisait son jogging tous les matins d’hiver, et du vélo en été. Elle parlait fort, gesticulait et avait un humour assez décoiffant… tout un phénomène ! mais encore une fois, Paul ne pouvait imaginer le pasteur se vautrer dans le lucre et la luxure avec elle. Il avait trouvé la coiffeuse chez elle, le salon étant fermé le lundi. Elle lui avait offert une tasse de café (instantané !), qu’il avait refusée; une jolie femme, certes, cette Suzanne Guimond, bien mise, avec de belles manières, habituée à travailler avec le public, mais sans ni l’éducation, ni la culture de Sébastien St-Cyr; ils étaient à peu près du même âge. Une candidate potentielle pour une aventure , mais rien dans sa conversation n’avait pu mettre la puce à l’oreille de Paul… Il avait terminé son « enquête » avec la maîtresse d’école, qu’il avait retrouvée sur l’heure du midi; Florence Anctil lui avait dit ne connaître qu’à peine le pasteur, toute étonnée de se voir mêlée à cette histoire, même si elle s’en désolait. La piste de « chercher la femme » est donc à abandonner définitivement. Il faudra trouver un autre mobile. Paul regarde sa montre : il est maintenant passé une heure de l’après-midi; il décide qu’il est temps d’aller casser la croûte. Il fait quelques pas en direction de la Grosse marmite.
Il reste Micheline, la serveuse du bar… Une jolie femme qui se présente bien, attirante, un peu trop maquillée, mais il y a des hommes qui aiment ça. C’est à peu près sûr qu’elle cache quelque chose. Mais quoi ? Quel a été son véritable rôle ? Et comment l’aborder de manière efficace ? Sans attirer les soupçons, sur son conjoint ce fameux « Popeye » Lui, il ne semble pas commode.
Et cette Jessica ? Elle m’intrigue; elle semblait vraiment affectée par l’accident du pasteur. Mais elle n’a que quinze ou seize ans. Y a-t-il eu une amourette entre elle et le pasteur ? Quel est son rôle dans cette histoire? Ah, et puis il faut que j’appelle Roxanne pour lui parler de Nancy. Quelle est cette vérité qu’elle n’a pas toute dite ?
Paul sort son téléphone pour appeler sa fille. Juste à ce moment-là, comme pour faire exprès, il sonne.
-Paul Quesnel.
-Salut chef, c’est Yannick.
-Alors, tu as trouvé quelque chose ?
-Oui, peut-être. J’ai commencé par fouiller son téléphone. J’ai retracé tous les appels sortants depuis les trois derniers mois, environ 300, 294 pour être exact. Une moyenne de trois par jour. Normal. Ça n’a pas été trop difficile de faire les recherches, mais écoutez bien ça chef, êtes-vous bien assis ? Tous les appels sont, disons, « explicables », aux bureaux de l’Église à Ottawa, à des paroissiens, à ses parents, plusieurs coups à une certaine Nancy Fournier de Noyan, des commandes de fournitures de bureaux… tous les numéros, disons, concordent, tous sauf un, qui ne marche pas dans les activités d’un pasteur.
-Qu’est-ce que tu veux dire ?
-Il y avait un appel, seul de son genre, qui datait d’il y a cinq semaines; j’ai vérifié et imaginez-vous qu’il a fait un appel à une clinique d’avortement à Buckingham. Surprenant, hein chef ?...
-…!!??

-Chef, chef ? Êtes-vous là ?

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