lundi 4 mai 2015

Le crime du dimanche des Rameaux
18

                -Dis-moi donc, papa… Où est-ce que t’étais hier soir ? J’ai essayé de t’appeler et ça ne répondait pas !
                En partant de chez lui ce lundi matin-là, Paul Quesnel savait que la réunion de planification hebdomadaire ne serait pas comme les autres : il fallait faire le bilan des événements de Noyan, exposer le mieux possible ce qu’on avait trouvé et où on en était rendus; il fallait décider de la suite des événements et confier des tâches aux uns et aux autres. En fait c’était surtout le travail de Roxanne qui était tout à fait capable de le faire, mais il savait que cet « accident » de Nyaon, c’était une affaire sérieuse. Sa conviction était faite, il n’en avait pas encore la preuve mais il en avait la ferme conviction : la chute du pasteur dans l’escalier du presbytère n’était pas accidentelle, on l’avait poussé intentionnellement; ça s’appelait « tentative de meurtre ». Il fallait trouver le ou les coupables.
                Il s’était levé tôt, même s’il s’était couché tard; il voulait arriver au poste le plus tôt possible pour préparer la rencontre. Il commençait à mettre ses idées en ordre quand il s’est fait apostropher de la sorte par sa fille. Elle était entrée en coup de vent dans son bureau avec encore son sac à la main, et sans même prendre le temps de lui dire bonjour elle lui avait demandait où il était hier soir.
                -Bonjour à toi aussi, ma chère fille. Je suis content de savoir que tu t’inquiètes de la santé de ton vieux père.
                -Veux-tu bien…
                -Bon, bon… C’est vrai, je t’avais dit que je rentrais à la maison quand on s’est quittés devant l’église hier après-midi alors que tu partais pour l’hôpital et effectivement je suis parti pour Plaisance. Mais à mi-parcours, j’ai rebroussé chemin et finalement je suis retourné à Noyan.
                -Pourquoi ?
                -En deux mots, je suis allé au bar et j’avais éteint mon téléphone. Mais écoute, patiente un peu, je vais tout raconter pendant la réunion.
                Les autres en effet arrivaient dans la salle de réunion et s’installaient sur les chaises. Roxanne salue Turgeon, qui l’avait accompagné à Noyan et qui avait assuré la garde. Presque tout le monde était là : l’équipe de jour et l’équipe de nuit. L’équipe du soir serait mise au courant plus tard. Seule Jacynthe Hosttelter, l’adjointe-administrative assurait la permanence.
                -Bonjour à tous ! Prenez place.
-Bonjour… Bonjour chef !
-Installez-vous confortablement, ne restez pas debout : la réunion de ce matin va être un peu spéciale. Nous avons toute une affaire sur les bras, vous êtes probablement au courant de l’essentiel : une tentative de meurtre à Noyan sur la personne du pasteur de l’endroit.
Un frémissement parcourt le corps de police : ce n’est pas tous les jours que le chef emploie ces mots. Paul laisse les exclamations et les commentaires se calmer.
-Comme c’était Roxanne qui était de service hier, je lui laisse raconter l’histoire.
-En gros, il y a eu un appel d’urgence au 911 vers 10h30 hier matin pour un accident qui s’était produit dans une résidence de Noyan. La résidence était en fait le presbytère et la victime le pasteur de l’église du village. À l’arrivée des ambulanciers, il gisait dans une mare de sang inconscient et passablement amoché avec possiblement une fracture de la cervicale. Il a été conduit à l’hôpital de Buckingham et il n’est pas sorti d’affaire. L’ « accident », ou la « tentative de meurtre » comme l’a dit Paul, a eu lieu samedi dans la soirée, probablement entre 19h et 21h. Après inspection des lieux, des indices démontraient clairement qu’un ou des individus étaient présents dans le presbytère samedi dans la soirée et tout porte à croire que ce et ces individus ont été impliqués dans l’« accident », même si toutes les portes de la maison étaient verrouillées. Après avoir assuré les lieux, et merci aux agents Turgeon, Gazaille et Petitclerc  pour leur aide, nous avons interrogés trois témoins et l’un deux avait un comportement qui nous poussent à nous demander s’il a eu un rôle à jouer dans cette affaire. Les trois témoins étaient les deux personnes qui ont découvert le corps le dimanche matin Laurent Groulx (c’est lui qui est suspect) et Bertrand Joliat. Laurent Groulx, en passant, en tant que président du Conseil de paroisse  possède un double de la clé du presbytère. L’autre personne est quelqu’un qui est venu de lui-même, le maire de Noyan, Simon Abel. Tout le village est en émoi, mais comme c’est une communauté un peu repliée sur elle-même, il pourrait s’avérer difficile de recevoir des témoignages. J’ajouterai qu’en fin d’après-midi, je suis allée prendre des nouvelles de la victime à l’hôpital et j’y ai rencontré une femme, Nancy Fournier…
Paul regarde sa fille attentivement.
-… qui, sans être sa conjointe, entretient une relation amoureuse avec la victime. Son aide sera extrêmement précieuse; elle sera l’une des rares personnes qui nous offrira toute sa collaboration pour résoudre cette affaire
Il reprend la parole.
-Le plus urgent, c’est d’analyser le téléphone et l’ordinateur de la victime. Yannick tu t’en charges. Ensuite, il faut fouiller dans les archives pour voir qui, à Noyan, a un casier judiciaire ou qui a eu des démêlées avec la justice, mettons des trois dernières années. Il y a notamment un certain « Popeye » qui devrait être facile d’identifier qui paraît assez louche. Caro et Langlois je vous mets là-dessus. Il faut aussi continuer de surveiller le site; Gazaille et Petitclerc  vous irez remplacer Marc-Antoine. Puis, il faut retourner interroger quelques personnes, notamment le groupe de jeunes qui se réunissait régulièrement dans le presbytère ainsi que toute une série de femmes qui auraient peut-être eu des relations particulières avec la victime. Peut-être qu’il s’agit tout bonnement d’un triangle amoureux.
-Non, je ne crois pas !
Paul se retourne vers sa fille.
-Je crois qu’il y a autre chose. Mais bon, ça demeure encore des hypothèses.
-Bon, on verra plus tard. Pour le reste, voici vos affectations pour la semaine.

Une fois la réunion terminée, Paul suit Roxanne dans son bureau.
-Alors, raconte…
-Non, toi d’abord.
-Si tu veux...
-Un café ?... Non, tu as dis que tu essayais de diminuer.
-Oui, mais le prendre un café avec ma fille est quand même un plaisir qui l’emporte sur la crise émancipatrice de ma vessie… Comme je te l’ai dit je suis retourné à Noyan. Je suis allé au bar Chez Lemay, le rendez-vous de tous ceux qui veulent boire et s’amuser. Je me suis dit que j’y avais peu de chances de retrouver les gens que nous avions croisés à l’église le matin, et bien des chances de glaner quelques commentaires à chaud. Tu sais que quelques verres d’alcool délie bien des langues. Le dimanche soir, le bar ouvre à seize heures jusqu’à deux heures du matin. Mais j’ai attendu vers dix-huit pour entrer. C’est bien entretenu; on ne se cache pas pour passer les joints, mais bon, ce n’est pas un repère de truands. Et comme je le prévoyais je n’ai vu personne des gens qui auraient pu m’avoir vu le matin. Sauf, à un moment donné, j’ai vu le maire, ce Simon Abel, entrer. Il n’a rien pris, à boire je veux dire, mais il a eu une longue conversation avec celui qui semble être le tenancier-propriétaire; ils semblaient bien se connaître, mais dans un petit village tout le monde se connaît. Je m’étais assis à une table dans u coin et je ne pouvais pas les entendre. À la suite de quoi, il est reparti aussi vite qu’il était venu.
« J’ai aussi vu ce fameux Popeye dont on a souvent mentionné le nom au cours de la journée. Je ne le connaissais pas mais dès qu’il est entré sa gang de chums l’a interpelé. Bien des gens voulaient lui offrir à boire mais il n’a presque rien pris. Un bonhomme baraqué, gros bras tatoués, qui parle fort; suffisamment fort pour que je l’entende bien. Il était avec quelques-uns de ces amis et qui le pressaient de questions. Il leur a juré tous ses grands dieux que ce n’était pas lui, mais que « un jour, il irait serrer la main à celui qui l’avait fait ». Il est possible qu’il sache quelque chose, ou qu’il se doute de quelque chose. Est-ce qu’il était là samedi soir ? C’est possible.
« Enfin, j’ai bien observé l’une des serveuses, une certaine Micheline dont le nom était revenu aussi au cours des conversations. Elle a fait son travail comme il se doit, mais comme absente; mon intuition me dit sait et qu’elle cache quelque chose. »
-Hum, hum… Intéressant. Ce que je vais te dire et que je t’aurais dit hier soir si tu avais répondu, est aussi intéressant.
Paul sourit de la tendre moquerie.
-Je ne crois pas au triangle amoureux; je crois qu’il y a autre chose. J’ai eu une longue conversation avec Nancy Fournier, et elle est vraiment capable de nous aider. Oui, c’est bien la Nancy de la partition, et crois-moi, ces deux là étaient en amour par-dessus la tête. Ils sortent ensemble depuis le début de l’hiver, surtout à Montebello, ils ont même venus à Montréal une fois, mais parfois, lui, il allait dormir chez elle. Comment ils ont fait pour garder les amours secrètes ? Je ne le sais pas; faut croire que même dans un petit milieu on peut avoir son jardin secret si on sait s’y prendre. Toujours est-il que d’après ce qu’elle m’a dit toutes ces histoires de joli cœur coureur de jupons et de conquêtes amoureuses, ce sont des rumeurs et de la médisance. Sébastien Saint-Cyr avait un entregent si nouveau, si spontané pour les gens de Noyan, que les hommes ont cru qu’il faisait du charme à leurs femmes. Et la jalousie a fait le reste. Je la crois.
-Humm… Si on élimine le triangle amoureux, qu’est-ce qu’il reste comme motif ? On sait que ça n’allait pas très bien entre le pasteur et son Conseil, qu’il faisait trop de changements dans les habitudes, que Laurent Groulx voulait même le voir partir, mais est-ce que c’est un motif suffisant pour essayer de le tuer ?
-Je ne sais pas. Mais j’ai pensé à une chose. On sait que quelqu’un ou plusieurs personnes sont venues le voir. Supposons qu’ils voulaient juste lui donner un avertissement, qu’ils sont venus le trouver pour lui donner un conseil…
-Ou lui faire une offre qu’il ne pourrait pas refuser.
-Oui, et supposons encore que la rencontre ne ce soit pas passer comme prévu; qu’il ait réagi, qu’il se soit débattu, qu’il y ait eu des menaces, peut-être même une altercation, et que durant la « bagarre » il soit tombé en bas de l’escalier. Les autres auraient eu peur et seraient repartis sans demander leur reste en le laissant là.
-C’est pas bête. Rappelle-toi l’insistance de Laurent Groulx pour nous persuader que « c’était un accident ». Certainement qu’il était là samedi soir. Probablement avec ce Popeye qu’il avait pris avec lui en renfort. On va leur demander leurs alibis à ces deux là.
« Et il y a autre chose : Nancy m’a dit que Sébastien avait déjà eu un accident, il y a quelques semaines. Il roulait dans un rang de la région et il est tombé dans le fossé.
-Pas mal; bien joué ma fille. Il faudra creuser ce filon.

-Je m’en occupe. Toi, tu ne t’ennuieras pas aujourd’hui papa : tu commences par faire la tournée des femmes.

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