lundi 20 juin 2016

Trahisons
Chapitre 4

-Raconte-moi ce que tu as fait vendredi soir.
Roxanne et Turgeon avaient examiné attentivement les alentours de l’arbre en question, un érable probablement centenaire, près du pont de la chute Albert sur le Chemin-de-l’Ancien-Moulin, sans trouver quoi que ce soit de concluant à part de l’herbe qui pouvait sembler avoir été par les pieds d’une personne. À cet endroit, le chemin faisait une large courbe, en même temps qu’il commençait à descendre rapidement. Le pont lui faisait franchir les remous bouillonnants de la Petite Rouge, ensuite le chemin remontait lentement et continuait vers le sud. La rivière, elle, poursuivait son périple plus vers le sud-ouest. Oui, l’herbe pouvait avoir été piétinée autour de l’arbre, mais il n’y avait aucune trace de pas vraiment identifiable. S’ils espéraient trouver un quelconque indice comme un papier mouchoir souillé, ils en furent quittes pour leurs efforts.
 À la suite de quoi, ils s’étaient rendus à la résidence de Marjorie Desjardins, la mère d’Alexandre de l’autre côté de Ripon, à l’embranchement du rang des Hirondelles.
C’est elle qui est venue ouvrir la porte.
-Bonjour madame; je suis Roxanne Quesnel-Ayotte, officière de la Sureté du Québec. Vous devez être au courant de la disparition de Joannie Delorme.
-Bien sûr ! Tout le village le sait ! C’est ben épouvantable. Pensez-vous que c’est un kidnapping ?
-Nous n’en savons rien pour l’instant; un avis de recherche a été lancé et nous attendons des nouvelles. Pour l’instant, nous ramassons des informations…
-Pensez-vous que c’est une fugue ? Ça, ça s’peut, vous savez. Après tout, avec Joannie…
-Qu’est-ce que vous voulez dire par là ?
-Oh, rien… mais depuis qu’elle s’était embarquée dans cette secte, ça n’allait pas bien avec ses parents, avec son père surtout. J’vous garantis qu’il n’aimait pas ça, mais qu’est-ce qu’il pouvait bien faire ?… Il ne pouvait pas l’attacher. C’est eux qu’ont dû l’enlever pis qui la gardent cachée !
-Est-ce qu’Alexandre est ici ? Nous voudrions lui poser quelques questions…
-Alexandre ?? Qu’est-ce qu’il a fait ?!
-Rien bien sûr, mais nous essayons de ramasser le plus d’information possible sur Joannie, et à ce qu’on m’a dit, il est son petit ami. Il doit bien la connaître. Ils devaient passer du temps ensemble et peut-être qu’elle lui a fait des confidences; tout ce qu’il pourra nous dire sur elle pourra nous aider.
-Il n’est pas ici pour l’instant !
-Savez-vous où je pourrais le trouver ?
-Je ne sais pas; il est peut-être chez son ami Wilfrid.
-Est-ce qu’on peut l’appeler sur son cellulaire ?
-Oui, ça devrait.
-J’aimerais ça le voir aujourd’hui; vous pouvez assister à la rencontre, bien sûr.

-Alexandre, tu dois bien la connaître Joannie, vous sortiez ensemble. Est-ce qu’elle t’as raconté quelque chose récemment…
-Sur quoi ?
-Je ne sais pas… Sur le fait qu’elle ne s’entendait pas bien avec son père par exemple, ou qu’elle voulait quitter sa famille.
-Non, non; elle m’a rien dit de ce genre-là.
-Est-ce qu’elle te semblait déprimée ces derniers temps ?
-Déprimée ? Non ! Au contraire, elle était toujours de bonne humeur !... Avec tout l’monde !... Sauf ave moi !
-Sauf avec toi ? Elle n’était pas ta « blonde » ?
-Ça c’était avant !
-Raconte-moi ce qui s’est passé vendredi soir…
-Vendredi soir ?? Rien, rien; je suis revenu chez moi après l’école et je suis resté ici pas mal toute la soirée.
-Joannie venait de t’annoncer que c’en était fini de votre couple; ça a du te bouleverser, non ? Tu n’étais pas trop déprimé ?
-Comment vous savez ça ?...
-Est-ce que c’est vrai ?
-Oui… c’est vrai elle m’a dit qu’elle voulait casser. Ça faisait presqu’un an quand sortait ensemble.
-Elle t’a dit pourquoi ?
-Ben non ! C’est ça qui est pire ! Elle ne m’a pas donné de raison; elle m’a dit qu’elle avait ses raisons, que ça ne pouvait plus continuer comme ça, qu’on n’était pas faits pour être ensemble; qu’on pouvait se voir comme amis, mais pas plus; elle ne voulait plus sortir avec moi, pour aller danser ou au cinéma. C’était fini ! Je ne comprenais pas pourquoi !
-Quand est-ce qu’elle t’a dit ça ?
-Le jour même, vendredi. On était dans la parc en avant de l’école. J’avais été la trouver à la cafétéria, mais elle m’a dit qu’elle avait quelque chose d’important à me dire. Alors on est sorti; juste devant l’école il y a un espace vert avec des arbres comme un parc. Ce là qu’on est allés.
-Elle t’a annoncé ça sans aucun signe avant-coureur ?
-Non, rien.
-Tu ne doutais de rien ?
-Non, je savais rien !... Ben, en fait quand j’y ai pensé après, depuis l’été elle n’était plus la même; elle s’était distancée. On se voyait moins; c’est vrai que moi j’étais plus souvent avec mes chums, Wilfrid, Timmy, Farago, pis la gang de gars de secondaire cinq, mais je l’aimais toujours.
-Et tu n’as pas essayé d’aller la voir le vendredi soir ? Par exemple, pour vous expliquer, ou pour t’excuser ?
-Non, non ! J’suis resté ici !
-Tu étais ici, chez vous, toute la soirée ?
Pendant quelques instants Alexandre regarde sa mère qui le retourne son regard.
-C’est vrai, je suis sorti. J’étais tellement en à l’envers, j’comprenais rien, ça pouvait pas finir comme ça ! Je l’aimais encore ! On avait vécu de tellement belles affaires ensemble. Je suis allé chez elle, mais je ne l’ai pas vue.
-Elle n’était pas là ?
-Pour dire vrai, oui, je l’ai vue, mais j’ai marché jusqu’à chez elle, je l’avais pas appelée et au moment où j’arrivais chez elle, de loin, je l’ai vue sortir. Là j’ai figé ! Je savais plus quoi faire ! Elle s’en allait vers la rue du Moulin. Je me doutais ben qu’elle devait s’en aller voir son amie Mélissa. C’était vrai. Alors, je sais pas ce qui m’a pris, je l’ai suivie, sans me faire voir. Je l’ai suivie de loin; je savais où elle allait; elle allait chez Mélissa. Mais là, au moment où elle est arrivée au pont, elle a appelée Mélissa qui l’attendait. Elle s’étaient donné rendez-vous parce que Mélissa l’attendait.
-Oui… Ensuite ?
-Ben là Mélissa s’est retournée…
-Oui. Mélissa s’est retournée…
-Oui ! Pis elle presque m’a vu ! Pour dire vrai, je ne sais pas si elle m’a vu; j’étais quand même assez loin, en haut de la côte. Mais comme j’étais déjà au bord du chemin, et je me suis vite caché derrière un arbre. Mais je les entendais pas. Elles étaient pas loin, mais la chute faisait trop de bruit. Pis là j’ai eu peur; non : j’ai eu honte. Alors je suis pas resté et je suis parti et je suis revenu chez nous. C’est la vérité j’vous jure !
-Où était Mélissa quand Joannie l’a appelée ?
-Elle était sur le pont, elle était appuyée sur le rebord; je crois qu’elle regardait la chute.
-Tu te souviens de ça; pourtant il faisait presque nuit et tu étais loin ?
-Non, je l’ai vue, j’vous jure; j’étais en arrière de Joannie et je l’ai vue sur le pont.
-Est-ce que tu pourrais me montrer quel arbre derrière lequel tu t’es caché ?
-Ouais; j’pense bien.
-On va y aller dans quelques instants. Avant ça, une dernière question : pendant que tu marchais en suivant Joannie, as-tu vu des voitures passer ?
-Des voitures ? Ouais, deux, trois…
-Dans quel sens elles allaient ?
-J’pense qu’il y a eu au moins une qui s’en allait et une ou deux autres qui sont entrées dans le village.
-Et puis quand tu es revenu, est-ce que tu as vu des voitures ?
-La même chose, deux ou trois. J’ai pas fait attention.
-Il n’y a aucune de ces voitures que tu as reconnue ?
-Heu… Une de celles que j’ai vu quand je suis parti, j’pense que c’était celle de monsieur Rochon; pis en revenant une autre, celle de Gilbert; un des frères de Mélissa.
-Bon allons au pont de la chute Albert, maintenant; tu nous montreras où tu t’es caché. Vous pouvez venir madame Desjardins, si vous le voulez.

-Certain que j’vas venir.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire