lundi 4 juillet 2016


Trahisons
Chapitre 6

Paul lancera les recherches immédiatement. En ce lundi matin, dès vers onze heures, une équipe d’une dizaine d’agents, qu’il dirige personnellement, est à l’œuvre. Il a fait délimiter un large périmètre de sécurité tout autour du pont de la Chute Albert : les habitants de Ripon ne peuvent s’en approcher à moins d’un demi-kilomètre. Il a fait bloquer le chemin de l’Ancien-Moulin dans les deux sens; les seules personnes autorisées à emprunter la route bloquée sont les habitants de la deuxième portion du chemin de l’Ancien-Moulin, qui se termine en cul-de-sac. Les autres habitants de Ripon qui demeurent au sud du village qui ne pouvent plus emprunter leur chemin habituel plus court doivent faire un long détour, pour se rendre chez eux, par la route 343, puis la rue principale, et ensuite la route de l’Ancien-Moulin. Mais personne vraiment ne se soucie de ces désagréments : c’est tout un spectacle que de voir ce déploiement de forces policières, les gyrophares allumés, les agents qui vont et viennent, toute l’agitation de la préparation d’une battue. C’est du jamais vu à Ripon !
Roxanne aussi est venue; elle reste à l’intérieur du poste de commande, en compagnie de l’agent chargé de coordonner toutes les communications. Paul est aux commandes de l’opération. Il est dans son élément; il sait comment agir, comment déployer ses hommes (et ses femmes), comment contrôler une foule. Il se retourne et il lui semble que toute la population de Ripon s’est agglutinée derrière les rubans jaunes délimitant la zone d’investigation jouant du coude et l’épaule pour avoir la meilleure vue. Certains ont même grimpé aux arbres; d’autres essayent de contourner le ruban par les bois, mais sont vite interpellés. Comme c’est un jour d’école, ce sont surtout des adultes; les seuls jeunes présents sont ceux qui ne vont plus à l’école. Ils en auront des choses à raconter aux autres, à leurs cadets qui les écouteront verts de jalousie !
Les parents de Jessica sont là, Benoit Lemieux et Carolyne Carrier. Paul leur a téléphoné avant de venir avec sa troupe; il leur a donné rendez-vous et les a installé dans une roulotte aménagée. Il leur a expliqué le processus, la suite des événements, ce qu’ils allaient faire. Il leur a exposé les deux scénarios possibles : soit ils ne trouveront rien, soit ils se pourraient qu’ils trouvent le corps de leur fille. Ils sont là avec un de leur fils. Le père, et de nombreux amis de la famille, voulaient participer aux recherches, voulaient leur donner un coup de main.
-On connaît mieux le terrain que vous !
                Paul a du se faire très persuasif pour les en dissuader; il aura toutes les difficultés du monde à leur faire comprendre que cela nuirait aux recherches et à la découverte de possibels indices.
Il répartit ses hommes en deux équipes qui longeront chacune une berge de la Petite Rouge, le plus loin possible, avançant minutieusement à la recherche du moindre indice. Chacune est équipée d’une petite caméra; Roxanne peut suivre tous leurs déplacements du poste de commandement. Les deux équipes fonctionne de la même façon : un agent marche en avant à une distance d’une cinquantaine de maître qui ne fait qu’une simple reconnaissance générale et les trois autres ensuite, qui recherchent les indices plus intensément, sur le sol, mais aussi dans les arbres et les buissons, où pourrait se trouver une mèche de cheveux, un morceau de tissu, un bout de fil; ils portent attention aux branches brisées, aux fleurs écrasées, même à l’herbe piétinée.
Mais les recherches, en fait, ne dureront pas longtemps. Moins d’une heure après le début des recherches, l’un des deux hommes d’en avant, celui sur la rive droite, envoie un appel : il a retrouvé le corps d’une jeune fille.
-Je le vois; il est pris dans des racines basses. Je vois une partie du torse et les membres qui flottent à la surface de l’eau mais la tête et un bras sont submergés.
Bien entendu les autres agents de police poursuivent leur recherche dans l’espoir de trouver quelque chose.
Lorsque Paul demande aux agents de préparer la civière et de se rendre sur place, une sorte d’onde sourde parcourt; les chuchotis s’amplifient, s’intensifie en une rumeur méchante.
La caméra s’approche.
Roxanne regarde ce corps empêtré dans les racines à l’air libre d’un hêtre. Elle a probablement séjourné dans l’eau depuis vendredi soir, deux jours et demie, se dit-elle, depuis vendredi soir. Elle voit les deux agents s’approcher. Avec des bottes-salopettes, ils se mettent à l’eau. Délicatement, ils la dégagent. Elle n’a presque plus visage humain. Tous les agents portent des gants et travaillent en essayent d’abîmer le lieu le moins possible. On la couche sur le brancard qu’on vient d’apporter et on la recouvre d’une bâche noire. Les hommes reviennent transportant le corps entre les arbres, jusqu’à la route. Paul a fait étendre une grande toile à la sortie du bois pour cacher le tout de regards trop curieux, pour que personne ne puisse prendre une photo qui se mettrait à circuler dans les réseaux sociaux. Ce qui fait redoubler les protestations et les récriminations. Roxanne qui est sortie du poste de commandement se tient à côté de lui. Probablement qu’elle est tombée ou qu’on l’a fait tomber au pont; probablement qu’elle a flotté, dérivé depuis la chute, depuis le pont. Paul va jeter un coup d’œil, et on le met dans le fourgon mortuaire qui aussitôt s’en va vers Papineauville.
-Il faut aller avertir ses parents.
Paul et Roxanne se sont entendis pour y aller à deux. Ils vont les rejoindre dans la roulotte.
-Bonjour; vous savez que je suis : je suis l’officier supérieur Paul Quesnel; je suis le chef du poste de la Sureté du Québec à Papineauville. Je suis vraiment désolé, j’ai une mauvaise nouvelle…
-Vous l’avez retrouvée !!
-Oui…
-Elle est morte, c’est ça ??
-Je suis vraiment désolé.
Les parents sont dévastés, ils s’effondrent sur leurs sièges s’agrippant l’un à l’autre. Le fils est également en plein désarroi.
-On veut la voir.
-Oui, vous pourrez la voir; vous devez venir la voir pour l’identification, mais on va la conduire à Papineauville à la morgue. On va la préparer et ensuite vous pourrez la voir. Nous allons vous y conduire et on vous ramènera bien sûr. Et il faudra sans doute pratiquer une autopsie.
Soudain, la mère à une crise de nerfs.
-Noooon, pas ma fille, pas ma fille !!
Elle pointe son doigt vers son mari.
-J’vas tuer, j’vas tuer.
À l’abri des regards, on les amène dans une voiture. Une psychologue les accompagnent.
-Bon, dit Paul; à partir de maintenant, on va tout reprendre à zéro.

Roxanne regarde s’éloigner la voiture; elle a un regard noir, son regard des mauvais jours. C’est l’heure la plus triste de la journée la plus triste de sa vie.
 Il va falloir bien sûr déterminer la cause de la mort, était-elle morte avant d’avoir séjourner dans l’eau ? Est-elle morte noyée ou a-t-elle été tuée avant ? Pourra-t-on déterminer si elle est tombée d’elle-même ou si on l’a poussée ? A-t-elle des blessures ? Des contusions ? A-t-on employé une arme ? Et laquelle ? Pourra-t-on retrouver son téléphone cellulaire ? C’est sûr qu’il va falloir aller faire un tour à son école.
-Je vais le trouver celui qui a fait ça, c’est garanti, quand bien même que ce serait le pape !
                L’annonce de la découverte du corps a causé un gigantesque émoi dans la foule qui s’est répercuté dans tout le village pour atteindre dans toute la communauté des alentours. Tous les parents de jeunes enfants ont été atterrés en apprenant la nouvelle, comme ceux de Mélissa. À l’école secondaire de Lachute, tout le monde a rapidement été au courant; déjà, le matin, un texto annonçant l’arrivée en force de la police a été relayé par tous les jeunes de Ripon dans toute l’école. Puis en début d’après-midi, la nouvelle de la découverte du corps de Joannie, avant même l’annonce officielle dans les médias, a mis l’école en ébullition.
-Attendons la confirmation, ont tenté de tempéré les profs et la direction.
La confirmation viendra à 13 heures. Devant toute cette surexcitation, l’agitation et le tumulte général, la direction n’a eu d’autre choix que de suspendre les classes.
Mélissa que son père est venue cherchée, abrutie par la nouvelle, est restée sans voix, durant tout le trajet de retour. Chez elle, blanche d’épouvante, elle est montée sans un mot dans sa chambre sous les yeux ahuris de sa mère; elle est restée enfermée dans dans sa chambre, dévorée par le chagrin. Sa mère est venue frapper plusieurs fois mais elle n’a pas voulu ouvrir, répondant seulement qu’elle ne voulait pas qu’on la dérange.
Alexandre aussi est resté terré chez lui comme un chien galeux. Son ami Wilfrid, essayera de lui téléphoner pour lui parler, sans succès. Timmy et Farago Farago de même; il se retrouveront pour parler de ce qu’ils savent et qu’ils ne veulent pas s’avouer.
Quant à lui, Timothée Bellavance, le jeune pasteur de l’église évangélique de la Sanctification en apprenant la nouvelle à la radio, restera abasourdi, pétrifié; il était chez lui en train de finir son repas avec sa femme Francine. Longuement, celle-ci le regardera sans dire un mot.
-Qu’est-ce que tu vas faire ?

-Je ne sais pas; je ne sais pas.

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