dimanche 17 juillet 2016

Trahisons
Chapitre 8

                Marchant dans les couloirs de l’école Jules-Chiasson, en compagnie de Turgeon, Roxanne se pose la question : vaut-il mieux convoquer les quatre amies ensemble ou les voir séparément ?
                -Qu’est-ce que tu en penses ? demande-t-elle à son partenaire.
-Tu le sais, ensemble elle vont moins se méfier de la police, elles vont sentir plus fortes; elles auront donc moins d’inhibitions, donc possibilité qu’elles parlent un peu plus. Mais, d’un autre côté, séparément, elles seraient plus malléables, ce serait plus facile de les mettre en face de leurs contradictions.
                -Hmm… tu ne m’aides pas beaucoup !
-Et puis personne n’est accusé formellement jusqu’à maintenant.
-C’est vrai; je crois que je vais faire venir les trois autres et garder Mélissa pour la fin, et l’interroger en fonction de ce que les premières auront dit. C’est probablement plus elle qui a le plus de chance de détenir la clé de l’énigme. Et après tout, personne n’est inculpé de quoi que ce soit. Alors, allons-y pour Sharon, Cynthie et Carinne.
                Le directeur de l’école Raymond Riendeau a mis à leur disposition, le bureau de l’une de ses sous-directrices; le bureau n’est pas immense, mais suffisamment vaste pour pouvoir y disposer trois autres chaises en demi-cercle. Roxanne leur fera face à demi-assise sur le bureau et Turgeon restera légèrement en retrait près de la porte. C’est la première fois qu’elle doit enquêter de cette façon auprès d’une population adolescente. C’est quelque chose de tout nouveau. Comment faire pour être vraiment efficace ? Comment s’y prendre ? Faut-il prendre une attitude « cool » ? Faut-il faire « amie-amie » avec elles ? Faut-il user d’autorité mais toutefois sans les effaroucher ? Faut-il les laisser parler sans leur poser de questions ce qui pourrait les rebuter ?
On cogne à la porte. Roxanne ouvre sur deux jeunes garçons mal dans leurs peaux, qui regardent le bout de ses pieds.
-Oui ?
-Vous êtes la police ?
-Oui. Tu sais certainement que nous sommes là en rapport à la mort de Joannie Lemieux. Et vous qui êtes-vous ?
-Je m’appelle Sylvio; Sylvio Faragón, mais tout le monde m’appelle Farago. Et lui, c’est Timmy; Timmy Cross.
-Vous avez quelque chose à nous dire Sylvio et Timmy ?
-Ben… j’sais pas…
-Si vous croyez que vous savez quelque chose qui pourrait nous aider, il faut nous le dire. Après ça vous vous sentirez mieux.
-C’est que… vendredi passé… dans l’après-midi, sans faire exprès…
-On voulait pas écouter, mais on en entendu Wilfrid pis Alexandre qui parlaient ensemble dans la cour. Nous deux on faisait juste marcher. Mais ils criaient fort alors on a entendu. Pis Alexandre disait : J’vas la faire payer ! J’vas la faire payer.
-Pis Wilfrid, qu’est toujours avec lui, y disait : Ouais, la chienne on va la faire payer !
-Vous êtes sûrs de ce que vous avancez ? C’était bien Alexandre Côté-Lamarre dont vous parlez ?
-Oui, on est certains. Alexandre et Wilfrid, ils font peur à tout le monde. Pis quand on a entendu ça, on savait pas de qui il parlait; mais après ce qui est arrivé à Joannie, on savait plus quoi penser.
-Vous avez très bien fait les garçons, très bien. Vous êtes très courageux; je vous félicite. Maintenant, ne racontez pas à tout le monde que vous êtes venus ici; c’est mieux.
-Non, non. On veut juste vous aider.

Les trois jeunes filles demandées arrivent. Physiquement, elles sont différentes l’une de l’autre, mais Roxanne remarque qu’elles sont toutes trois habillées en fonction des mêmes critères de mode, en pantalon serrés taille basse et haut à manches courtes de couleurs vives. Leurs soutien-gorges mettent en valeur leurs jeunes poitrines. Elles sont toutes trois bien coiffées et maquillées avec soin, avec fond de teint, rouge à lèvre et baume à paupières assortis. Elles portent de nombreux bijoux : chaînes au cou, bracelets, bagues, pendants d’oreilles et même, pour l’une, petite perle dans la lèvre inférieure. Deux d’entre elles mâchent de la gomme, l’autre non, probablement à cause de son appareil dentaire d’orthodontie. L’une d’elles a un tatouage sur le bras gauche, un fin bouquet fleuri de trois couleurs, bleu, vert et rose. Elle les invite à prendre place.
                -Merci de venir nous parler. Je suis l’officière Roxanne Quesnel-Ayotte et voici l’agent Jean-Daniel Turgeon. Vous savez probablement pourquoi nous sommes ici.
                -C’est en rapport avec la mort de Joannie.
                -Toi, c’est Cynthia, n’est-ce pas ?
                -Non, moi je suis Carinne.
                -Pardon ! Donc, toi tu es Cynthia ?… oui… et toi, Sharon. Bon j’y suis. Oui, nous sommes là à cause de la mort de Joannie…
-Qui a fait ça ?
-Honnêtement nous n’en savons rien encore, mais j’espère que vous allez nous aider. Comment ça s’passe à l’école ?
-Qu’est-ce que tu veux dire ?
-Bien… comment est l’atmosphère dans l’école ? Comment se comporte les élèves entre eux ? Est-ce que l’entente est bonne ? Est-ce qu’il y a de la violence, de l’intimidation ?
-Jules-Chiasson, c’est d’la marde !
-Ça vaut même pas d’la marde. Tout l’monde a juste envie de sacrer son camp d’ici.
-C’est pas une bonne école ?
-C’est pas ça; c’est une bonne école, mais c’est plein de gangs; la gang de Lachute, la gang d’Argenteuil, la gang de football…
-Et Joannie, est-ce qu’elle faisait partie d’une gang ?
-Ben, la notre, c’t’affaire !
-Mais vous, vous étiez de bonnes amies de Joannie, n’est-ce pas
                Soudain Sharon interpelle Roxanne…
-Pourquoi vous avez pas fait venir Mélissa Lemieux ? Elle la connaissait aussi, Joannie.
-Mélissa est trop secouée pour l’instant; elle a encore besoin d’un peu de temps pour se remettre. Elle ne pourrait pas m’être utile. J’aime mieux vous parler à vous tout de suite pour commencer à ramasser le plus d’informations possible. Alors parlez-moi de Joannie. Vous la connaissiez bien, n’est-ce pas ? Vous étiez amies avec elle ?
Les trois filles hésitent; se regardent.
                -Oui; on peu dire ça.
-On a été souvent ensemble.
                -Parlez-moi d’elle; comment elle était ?…
                -Ben, en fait elle était correcte, on s’entendait bien, mais depuis septembre, il s’était passé quelque chose.
                -Quelque chose ?
                -Oui, elle avait… comme changé.
-Elle était différente
                -On était moins amies. C’est elle qui voulait ça !
                -En quoi elle était différente ?
                -Elle était… elle était devenue trop… sérieuse.
                -Ben, c’est pas qu’elle était plus sérieuse, c’est qu’elle faisait les choses plus sérieusement.
                -C’est pareil, Sharon !
                -Je ne comprends pas.
                -Ben, par exemple, avant on faisait souvent nos devoirs ensemble, pour s’aider; pis cette année, ça l’intéressait plus. Elle prenait l’autobus, s’en allait chez elle, pis…
-Pis quoi ?
-Pis rien justement; quand on l’appelait sur son cell, elle n’avait jamais de temps pour nous autres.
-À la fin, on ne l’appelait plus.
-Une autre choses, en secondaire 5, c’est toujours comme ça, y a des garçons qui apportent de la bière sur l’heure…
-Hey parle pas de ça !
-Tu sais Cynthia, je suis ici pour enquêter sur la mort de Joannie, sur rien d’autre. Tou ce que vous pourrez me dire pourra m’aider.
-Ben sur l’heure du midi les gars de secondaire 5 apporte de la bière; c’est interdit, mais tout le monde le fait, depuis toujours. On se retrouve au parc, pis on passe la bouteille. Mais là elle ne voulait pas. Pourtant, avant, elle en prenait avant, en secondaire 4.
-Pis même toute l’année passée on avait parlé que cette année en 5, on pourrait vraiment le faire.
                -Pis, la drogue, c’était la même chose.
-Vous prenez de la drogue à l’école ?
                -Vous êtes une policière, vous devez savoir ça !
                -Et Joannie n’en prenait pas.
                -Elle ne voulait plus en prendre. Pas pareil.
-Est-ce qu’elle allait dans les partys ?
-Dans les partys, elle s’amusait, elle dansait, mais jamais elle ne prenait de l’alcool.
-Elle disait non.
-Elle refusait l’alcool, même un petit verre, même une petite bière, c’était comme un joke qu’on faisait derrière son dos.
-Et aussitôt que quelqu’un sortait de la drogue, elle s’en allait. Elle ne chialait pas, elle ne se fâchait pas, mais elle se poussait.
-De toute façon, elle avait arrêté de venir.

-Comment qu’elle était avec les garçons ?

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