lundi 11 juillet 2016


Trahisons
Chapitre 7

                La semaine qui a suivi la découverte du corps de Jessica Lemieux noyée dans la Petite Rouge a probablement été la pire de toute l’histoire du petit village de Ripon. Les émotions étaient à leur comble, le désarroi était généralisé, l’incompréhension et la perplexité tenaillaient chacun des habitants, les jeunes en premier et les adultes tout autant. Toute vie « normale » était interrompue; personne ne pouvait s’activer à son quotidien comme si de rien n’était. On parlait de cette affaire à toute heure du jour et de la nuit, dans les maisons, dans les cours, dans la rue, dans les magasins. À la quincaillerie Lemieux, le travail a cessé. Une pancarte collée sur la porte dit qu’elle est « Fermée temporairement ». Les employés ont été avertis de rester chez eux. Les quelques clients qui y viennent regardent en vain à travers la porte sans pouvoir percevoir le moindre signe de vie.
Une atmosphère lugubre règne également à la résidence familiale Roy-Delorme, celle de Joannie. Ses parents ont attendu quelque peu à la morgue de Papineauville. Puis Paul est venu les chercher. Un simple drap blanc recouvrait le corps de leur fille. Quand l’employé de la morgue a soulevé le drap, pas de doute, c’était bien elle, leur petite fille, leur fille chérie, leur trésor. Vision horrible ! Ni le père ni la mère n’ont pu retenir leurs cris et leurs sanglots de désespoir. Et maintenant, il leur fallit s’occuper des funérailles, des funérailles de leur petite fille. Où et quand serait-elle exposée ? Quand aurait lieu la cérémonie ? Quelle lot choisir dans le cimetière ? Et quelle pierre tombale ? Quel cercueil leur conviendrait ? Quels bouquets de fleurs ? Quels vêtements choisir ? Fallait-il faire imprimer des petits signets ? Avec quelle photo de Joannie ? Combien de voitures dans le cortège ? Quel sera le meilleur buffet ?
Comme dans un était second, les parents prennent une après ces décisions, sans vraiment s’apercevoir de tous ces gens, amis, voisins, connaissances, qui vont et viennent dans la maison en un constant tohu-bohu étourdissant.  

-C’est l’autopsie qui révèlera si oui ou non elle est morte noyée, donc si elle vivante ou déjà morte quand elle est tombée à l’eau.
Paul faisait un exposé de la situation à l’équipe concernée dans son bureau.
-C’est maintenant un cas de mort suspecte. Ça m’étonnerait que l’autopsie puisse déterminer si elle a été poussée ou non, même si on découvre des fractures aux avant-bras, il sera probablement difficile de dire si c’est parce qu’elle a voulu se protéger ou si c’est à cause de la corde du courant. Mais tout ce que l’autopsie pourra nous dévoiler sur son état physique avant cette chute nous sera utile… Le périmètre autour de la chute a été agrandi pour inclure le lieu de la découverte du corps; il faut passer ça au peigne fin. Je t’en charge, Dandonneault, et ton équipe. Je vous rejoindrais le plus tôt possible.
« Maintenant la question du téléphone cellulaire. On sait qu’elle l’avait quand elle est partie de chez elle le vendredi soir, mais on ne l’a pas trouvé sur elle. La question est : est-ce qu’on le lui a enlevé ? Est-ce qu’elle l’a perdu au moment de sa chute ou dans la rivière ? Les quatre hommes de la section de Jean-Daniel Turgeon, c’est votre boulot. Vous me fouillez minutieusement le fond de la rivière en commençant par la chute.
-Et moi ? demande Roxanne.
-Toi, je t’envoie à l’école de Joannie; elle doit être en ébullition. Je sais qu’on a envoyé une équipe spéciale de psychologues et de travailleurs sociaux pour aider les jeunes à s’exprimer et à passer à travers. Avec leur aide, tu collecteras le plus d’informations possibles sur Joannie, auprès de ses amies notamment. Prends Isabelle avec toi.

                 
                La polyvalente Jules-Chiasson à Lachute, construite dans le années 1970, est un bâtiment terne et plat, composé d’un rez-de-chaussée et d’un étage, sans saveur et sans odeur, aux murs parsemés de graffitis. Il y a bien eu ces dernières années un gros effort fait pour la rendre plus attrayante en améliorant l’aménagement extérieur : un vaste espace vert agréable et relativement bien entretenu, l’entourait d’un écrin de verdure et de nature; malheureusement, le gazon était strié de cicatrices grises des nombreux raccourcis qu’empruntaient les élèves et souvent de nombreux déchets – verres en plastique, contenants en styromousse, feuilles de papier… – se retrouvaient sous les arbres ou autour des marches des divers escaliers. Ce qui contrastait avec le fait que l’école s’était donnée une vocation environnementale avec programmes précis de compostage et surtout de récupération de papier, des piles, des cartouches d’imprimantes, anciens ordinateurs, cellulaires, etc…
                Le directeur en est monsieur Raymond Riendeau, un homme qui frôle la soixantaine d’années, donc une personne avec l’expérience nécessaire pour bien s’acquitter de ses responsabilités, en en même temps qui doit prendre sa retraite l’année prochaine et qui a hâte d’y arriver.
                -Oui, votre demande est légitime, mademoiselle, mais vous devez comprendre le niveau d’émotion de nos étudiants. Ils sont plus de 500 ! De cinq niveaux, sans compter les cheminements particuliers. On a fait appel à la commission scolaire pour des avoir l’aide de psychologues supplémentaires. Tous les étudiants qui le veulent peuvent aller les consulter pour leur parler, et plusieurs en profitent pour ne pas aller en classe, et plusieurs autres ne se sont même pas présentés ce matin. De toute façon, l’horaire des cours a été suspendu. Il était impossible à notre corps professoral de dispenser quelque enseignement que ce soit dans un tel contexte.
                -La mort de Joannie est considérée comme suspecte; nous devons trouver des informations qui nous permettront de l’éclaircir, par exemple, pourrait-il s’agir d’un suicide ? Ou un meurtre ?
                -D’un meurtre ?
                -Toutes les hypothèses sont examinées, il nous est primordial de pouvoir rencontrer les camarades de classe de Joannie, de même que ses professeurs.
                -Pour ses professeurs vous devriez commencer par son titulaire, Pascal Samson. Il pourra aussi vous dire qui étaient les amis proches de Joannie.
               
Sans être ouvertement efféminé, Pascal Samson est manifestement homosexuel.
                -Non ! Joannie ne se serait jamais suicidé. Elle était une bonne élève, elle travaillait bien; elle aimait l’école, elle aimait la vie; je pense même pouvoir dire qu’elle aimait sa vie. Le matin elle semblait toujours de bonne humeur; le professeur titulaire passe les vingt premières minutes de la journée avec son groupe, pour une petite mise en train, pour échanger les information de la journée, pour faire la liste des absences. Le groupe titulaire de secondaire cinq est important, car ce sont les plus vieux de l’école. Il faut leur accorder une certaine importance. Joannie n’était pas celle qui se faisait le plus remarquer mais d’après ce que j’ai pu voir, elle s’intégrait bien au groupe.
-Parlait-elle aux autres ?
-Oui, il me semble bien qu’elle parlait à tout le monde; elle participait aux discussions en tout cas. Elle ne semblait pas chercher à s’isoler, si c’est ce que vous voulez savoir; en tout cas je ne l’ai jamais vue se disputer avec d’autres élèves.
-Avait-elle changé récemment ?
-Changer ? À moi, il ne m’a rien paru de tel. Mais je ne suis ici que depuis deux ans; certainement que d’autres la connaissent mieux que moi, par exemple madame Tessier, une des professeurs de français qui est ici depuis… disons depuis plusieurs années et qui connaît tout le monde.

                -Si Joannie avait changé cette année ? Oui, c’est vrai, elle avait changé. Je la connais depuis qu’elle est arrivée en secondaire un. Avant, c’était une jeune fille « normale » qui s’intéressait aux garçons, à la mode. Cette année, oui elle était différente, comme plus adulte, plus mature; plus réservée, plus sûre d’elle-même aussi. Plus discrète aussi, il me semble, moins expansive. Oui, probablement qu’elle se livrait moins facilement. C’est vraiment terrible ce qui lui est arriver
                -Savez-vous ce qui a pu provoquer ce changement ?
                -Non, j’avoue, que je n’ai pas cherché à savoir. L’année dernière, elle avait eu des problèmes, des petites choses avec son père, qui la couvait trop. Mais vous savez, elle n’est pas dans mon groupe titulaire, j’en ai assez de miens ! Et je ne l’ai pas en français cette année. Je me dis que oui, elle avait changé, surtout parce que vous me posez la question. Une fois, par exemple, en début d’année, je l’ai croisée dans le couloir; elle m’a dit simplement bonjour comme il faut poliment, sans plus. Je lui ai demandé comment ça aller, ce qu’elle avait fait l’été, dernier, mais elle a répondu évasivement, comme s’il y avait quelque chose qu’elle cachait, alors qu’elle avait toujours été spontanée, expansive avec moi.
                -Saviez-vous vous qu’elle s’était impliquée dans une secte protestante ?
                -Non, je ne le savais pas, je l’ignorais; on ne s’est pas parlé beaucoup depuis le début de l’année. Vous pensez que c’est relié ?
                -Je ne sais pas, D’après vous qui étaient ses meilleures amies ?

                -Ah, ça c’est facile. Bien sûr Melissa Lemieux, puis Sharon Guidon, et deux autres Cynthia St-Viateur et Carinne Valois. Elles formaient un groupe uni.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire