lundi 14 novembre 2016


Meurtre à la mosquée

Chapitre 2

À peine huit minutes, après le coup de téléphone de Nawaz Ayub Zardai au 911, la sirène de deux autos-patrouille se fait entendre. Le service d’urgence avait transmis l’appel au poste de la Sureté de Québec. Le policier qui avait répondu avait tout-de-suite fait signe à Roxanne Quesnel-Ayotte était l’officière de garde ce vendredi soir-là. La mosquée de Papineauville n’est qu’à quelques pâtés de maison du poste de police. Juste le temps de faire aller les gyrophares et les voilà arrivés. Comme il s’agissait vraisemblablement d’un homicide, les policiers étaient à deux voitures de police; Roxanne était montée avec Daniel Turgeon et elle avait demandé aux agents Isabelle Dusmenil et Sébastien Grenier de monter dans l’autre. Et comme ne fallait pas laisser le poste de police sans aucune voiture disponible et par mesure de précaution, elle avait aussi alerté les deux autres équipes qui étaient en patrouille dans la région et leur faisant dire s’en revenir au poste de Papineauville et de se tenir prêtes à leur venir en aide.
Nawaz est déjà dehors, sur le parvis. Il fait signe aux policiers.
-C’est vous Nawass… Nawaz… Ayub... Zardai ? Excusez-moi, ma prononciation ne pas être très bonne.
-Ça ne fait rien. Oui, c’est moi qui ai téléphoné. Venez vite ! le corps dans le bureau en arrière du bâtiment. Nous allons passer à travers la mosquée.
Roxanne et Turgeon le suivent à l’intérieur; elle indique aux deux autres de rester dehors et d’empêcher quiconque de pénétrer dans la mosquée. La mosquée a pignon sur une rue qui longe le centre d’achat, ce qui est fort pratique pour y parvenir; la communauté a été obligée de négocier un arrangement avec les propriétaires du centre d’achat pour utiliser quelques places de stationnement les vendredis. Une entente qui sera bientôt temporairement suspendue alors que le magasinage des Fêtes débutera la semaine prochaine. La mosquée est un bâtiment assez conventionnel avec une façade sans grand éclat si ce n’est la double porte principale élégamment ouvragée. La seule chose qui la différencie vraiment, c’est son minaret dans le coin doit de la façade, qui n’est pas très élevé, réglementations municipales obligent, mais qui nul ne peut s’empêche de remarquer tant il semble incongru dans cet environnement urbain.
-C’est vous qui avez trouvé le corps ? demande Roxanne à leur guide
-Non, c’est l’imam Murama. Moi, je suis venu à son appel.
-Pourquoi il n’a pas appelé la police lui-même ?
-Je crois qu’il était un peu paniqué.
-Où se trouve le corps ?
-Venez, je vais vous montrer.
Une fois la double porte franchit, on arrive dans un hall qui fait toute la largeur du bâtiment; certainement l’endroit où les gens se déchaussent, ou se dévêtent en hiver. À droite au fond de ce hall d’entrée, Roxanne aperçoit un escalier au fond qui monte au balcon. Il y a aussi une autre porte face à l’entrée principale, probablement pour rentrer dans la salle principale, mais Nawaz les dirige plutôt vers la gauche où un couloir prolonge à angle droit le hall d’entrée. Au bout de ce couloir se trouvent deux portes qui se font face. En jetant un coup d’œil à droite, Roxanne, s’aperçoit qu’ils ont longé la salle principale; elle un peu plus longue que large, haute de deux étages, on n’y voit pas beaucoup de meubles, mais des tapis sur le sol. Une niche dans le coin à droite opposé à l’entrée presque qu’en face de la porte par où regarde Roxanne, d’où l’imam fait ses prêches. Rapidement elle voit une petite colonnade qui soutient le balcon.
-Voici la salle de prières, confirme Nawaz; et voici l’imam Muhammad Ali Murama, c’est lui qui a trouvé le corps.
L’imam se tient très droit immobile, comme prostré, tout seul dans la salle, la tête basse, les avant-bras croisés sur sa poitrine. Il lève à peine les paupières à l’arrivée des policiers. Il semble les saluer d’un hochement de tête, mais Roxanne se dit que ce geste pourrait bien faire simplement partie de ses incantations. Ce qui surprend le plus Roxanne ce sont le traces de pas ensanglantés.
En leur indiquant l’autre direction, Nawaz prévient les policiers :
-Attention, il y a du sang dans le couloir; l’imam a beaucoup marché. Mais à part ça je crois que "les lieux du crime", comme on dit, sont restés intacts.
Roxanne écarquille les yeux; elle et son coéquipier ne peuvent que se rendre compte, en effet, que l’imam « a beaucoup marché » : le couloir est rouge, rouge de sang, de traces de pas qui semblent aller dans toutes les directions.
-Ici, c’est le centre culturel, reprend Nawaz Zardi. Nous longerons la bibliothèque à droite et la salle d’étude et à gauche ce sont les bureaux administratifs. Le corps est dans le deuxième bureau là où la porte est restée ouverte.
-Restez ici, je vais longer les murs et marcher le plus possible sur les côtés pour ne pas rendre les lieux pires qu’ils le sont, dit-elle.
En marchant sur le bord du mur pour ne pas marquer les sol de ses empreintes, Roxanne se rend jusqu’à la porte en question. Devant, elle s’arrête. En voyant le corps ensanglanté, lâchement écrasé sur sa chaise, elle a petit un mouvement de recul incontrôlé et laisse échapper une exclamation.
-Vite, Turgeon appelle une ambulance. Et appelle Samuel, qu’il vienne avec son appareil de photo. Moi, j’appelle mon père, il faut qu’il vienne tout de suite.

-Allo, papa ? C’est moi. Il faut que tu viennes à la mosquée, tout de suite !
Juliette a commencé à faire lire à Paul les classiques de la littérature mondiale, des Raisins de la colère aux Misérables, en passant par 1984, La vie devant soi, Cent ans de solitude, Don Quichotte, L’Étranger et Germinal, et lui en échange il fait son éducation cinématographique. Au moment de l’appel de Roxanne, ils étaient bien gentiment en train de regarder L’arbre aux sabots, le chef-d’œuvre de Ermanno Olmi, une bouteille de vin sur la petite table du salon de sa maison de Plaisance.
-Papa, tu sais que je ne te dérangerai par pour rien.
-Oui, j’arrive…
Il raccroche.
-Je suis désolé, Juliette; l’autre femme de ma vie a besoin de moi !

Le corps est affalé sur la chaise, la tête pendant affreusement en arrière; la bouche est restée grande ouverte comme si elle voulait aspirer tout l’air possible, les gras ballant. Il a une large blessure à l’abdomen, d’où suinte encore le sang. Le bureau n’est pas très grand, les murs sont de couleur ocre; une fenêtre dans le mur arrière donne sur une petite cour et l’on voit, plus loin, les lumières de quelques maisons de l’autre côté. Le soir d’automne est tombé. Il y a un ordinateur sur le bureau, encore allumé; des papiers jonchent le bureau, un tiroir est resté ouvert. En plus de la chaise sur laquelle git la victime, Roxanne en voit deux autres dans le coin près de la fenêtre. Il y a plusieurs affiches sur les murs, des inscriptions qui lui semble en arabe, des illustrations, la photo de ce qui semble être une mosquée au Moyen-Orient.
Son père arrive qui regarde la scène à son tour. On entend la sirène de l’ambulance dans la nuit.
En faisant bien attention où elle pose les pieds Roxanne va constater, ce dont elle ne doute pas, que cet homme est mort.
En pointant la porte à l’extrémité du couloir, Paul demande à Nawaz :
-Je suppose que cette porte donne sur l’extérieur, n’est-ce pas ?
-Oui, c’est ça.
-Turgeon dit aux ambulanciers de contourner le bâtiment et de passer par ici; je vais leur ouvrir la porte.
Roxanne intervient : « Mais dit leur d’attendre un peu, il faut prendre les photos avant.

Samuel arrivera quelques instants plus tard, et photographiera la scène sous toutes les coutures; puis les ambulanciers s’occuperont du corps. Devant la mosquée; il y a déjà un petit attroupement de curieux attirés par les gyrophares.
               
-Savez-vous de qui il s’agit ? demande Paul à Nawaz Ayub Zardai.
-Oui, bien sûr; c’est Amir Mawami, le gestionnaire de la mosquée et du centre culturel. C’est un membre bien en vue de noter commuanuté.
C’est vous qui avez trouvé le corps ?
-Non, c’est l’imam Muhammad Ali Murama.
-Bon, on va aller le voir.
L’imam Murama est toujours prostré dans la salle de prières. À leur arrivée, il regarde par en-dessous désemparé.
-Bonsoir, imam. Dites-moi ce qui s’est passé…
-Attendez, monsieur l’inspecteur, je vais traduire. L’imam ne parle pas le français, et pas beaucoup l’anglais.
-Vous dites qu’il ne parle ni le français, ni l’anglais, mais comment on va faire pour l’interroger ? C’est lui le principal suspect.
-Mais je peux traduire si vous voulez.
-Non, je ne peux me fier sur ce que vous dites. Vous faites partie des témoins dans cette affaire. Il me faudra un traducteur autorisé. Pour l’instant qu’il reste ici.
Il se tourne vers Roxanne :

-Peux-tu me trouver ça ? Vous, monsieur Nawaz… dites-moi vous ce que vous savez. Mais attention, je dois vous avertir que vous n’êtes pas obligé de répondre et que tout ce que vous direz pourra se retourner contre vous.

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