lundi 7 novembre 2016

Meurtre à la mosquée
David Fines

Chapitre 1
                - ہے بھگوان، کیا ایک کہانی، کیا ایک کہانی، کیا ایک آفت! کیا ایک تباہی! یہ ممکن نہیں ہے. کوئی یہ ممکن نہیں ہے. اسے اس سے کیا جا سکتا تھا جو کون ہے؟ آہ، اللہ ہم پر رحم کرے
                Ainsi se lamente, à hauts cris et moult gesticulations, l’imam Muhammad Ali Murama de la mosquée Badshahi de la rue Provencher à Papineauville. Il vient de trouver le corps de son trésorier Amir Mawami poignardé à mort dans son bureau et baignant dans son sang. L’imam ne peut en croire ses yeux : une vision d’enfer - ou du jahannam, ce lieu qui possède sept portes et qui est destiné aux mécréants comme châtiment suprême. Complètement désemparé, il crie, il lève les bras, les rabaisse, les relève en vociférant; il agrippe sans ménagement le corps inanimé et le secoue comme pour lui faire reprendre vie miraculeusement avec force imprécations. Il laisse retomber le corps de son gestionnaire et sort dans le couloir poursuivant ses jérémiades les bras levés.
                - اہ لارڈ, تاریخ, کیا کیا, آفت! کیا آفت! یہ ممکن نہیں ہے. کوئی یہ ممکن نہیں ہے. ہے جو کہ سکے کہ گیا ہے? اہ افسوس ہے کہ اللہ تعالی نے امریکہ کے
                (Ah Seigneur, quelle histoire, quelle histoire, quelle catastrophe ! Quelle catastrophe ! Ce n’est pas possible. Non ce n’est pas possible. Qui est-ce qui a bien pu faire ça ? Ah, qu’Allah ait pitié de nous !!)
                C’est un homme élancé, à la peau légèrement olivâtre, à la barbe bien taillée. Dans la mi-trentaine, il prend soin de sa personne, il se garde en bonne santé, même s’il a dû s’adapter à un nouveau régime alimentaire. Homme cultivé et d’éducation académique solide, là, il se sent dépassé. Il va et revient à grands pas complétement désorienté, les bras en l’air, l’air hagard, les yeux écarquillés, tout le long du couloir à pas pressés de ses longues jambes dans sa djellaba battante. Son turban blanc déjà tout de travers commence à se défaire. Un meurtre dans une mosquée ?! Non, vraiment ce n’est pas possible ! Ma mosquée, la voila souillée par le sang ! Jamais, jamais je n’aurais cru ça possible ! Dans quel monde vivons-nous ?
                Soudain, l’imam Murama s’arrête en regardant les traces sanglantes que laissent ses semelles d’un bout à l’autre couloir, traces qu’il répand davantage à chacun de ses passages. Que peut-il faire ? Que peut-il bien faire ? Samir était son homme de confiance depuis qu’il est imam à la mosquée Badshahi, il y a presque deux ans. C’est à lui qu’il fait appel dans toute situation d’urgence. Quelle ironie, c’est à lui qu’il aurait demandé d’intervenir dans une telle situation ! C’est sur lui qu’il se repose en toute occasion qui n’est pas du domaine religieux. C’est sur lui qu’il se fie pour toutes les questions d’intendance, d’entretien de la mosquée, ce qui le laisse libre, lui, de s’occuper des besoins spirituels et de l’accompagnement de ses ouailles; ce qui lui laisse le temps de préparer les prêches des cérémonies du vendredi comme celle qui vient juste d’avoir lieu. Il venait de terminer la cérémonie et, à la porte de la mosquée, il avait dit au revoir et bonsoir à la trentaine d’hommes de tous âges qui y ont assisté. Les femmes, et les jeunes filles, il ne leur serrait pas la main; elles quittaient la mosquée aussi discrètement qu’elles y venaient et rejoignaient leurs maris et pères sur le trottoir. Et c’est là en revenant à son bureau pour parler des affaires de la soirée qu’il a trouvé le corps poignardé de son trésorier, dans une mare de sang qui s’étend maintenant presque sur tout le plancher du bureau et qui continue de s’étendre.
                Oui, il s’en souvenait, il l’avait bien vu s’esquiver au milieu de la cérémonie, mais il n’y avait pas prêté attention, car c’était bien là dans les habitudes d’Amir; il y avait toujours quelqu’un à voir, quelqu’un à rencontrer, des détails de dernières minutes, des problèmes à régler; il voyait à tout; il lui était indispensable. L’imam Murama ne s’était même pas étonné de ne pas le voir pour les bonsoirs et les salutations d’usage après la cérémonie; il s’était dit que quelque chose le retenait dans son bureau comme cela arrivait de temps en temps. Il reprend son va-et-vient toujours braillant, vociférant, gesticulant du bureau au couloir et du couloir au bureau. Que peut-il bien faire ? Qu’est-ce qui a bien pu se passer ? Il reprend le corps dans ses bras, mais le relaisse tomber en un geste de rageuse impuissance. Il s’essuie sur ses mains sur sa djellaba, ce qui n’a que pour effet de n’y mettre encore davantage de sang.
                - ہے. کوئی یہ ممکن نہی…
                Il ne peut téléphoner à la police, il ne serait en être question et puis d’ailleurs il serait bien incapable de la joindre, ni appeler les secours, ni même faire le numéro d’urgence 911; il ignore qu’un tel service existe. Il est arrivé à la mosquée de la rue Provencher, il y a maintenant presque deux ans directement en provenance du Pakistan, invité par la communauté Badshahi et s’est attelé immédiatement à sont travail à temps plein. Et c’est corps et âme qu’il s’est consacré à son objectif de consolider, de mettre sur pied cette communauté naissante qui essayait tant bien que mal de s’organiser, de se structurer. Il avait bien eu un prédécesseur mais qui était parti précipitamment pour New-York après quelques semaines seulement. Oui, il s’est attardé de toute son énergie, de tout son temps, à cette noble tâche de rendre viable une nouvelle communauté de fidèles; et les résultats commencent à se faire voir. Sa jeune femme, Gunda, s’occupe de lui préparer ses repas; elle voit au quotidien aux tâches ménagères; il n’a pas besoin de se soucier des détails de la vie quotidienne. Et avec leur deuxième enfant en route… Et il a, ou plutôt avait, Amir qui s’occupait de toute l’intendance de la mosquée. Il lui était indispensable ! Tout son univers, depuis qu’il est arrivé à Papineauville s’est réparti entre la mosquée, sa maison, à quelques coins de rues, et les diverses résidences des membres de sa mosquée. Il n’a guère pris le temps de visiter la ville, de connaître son nouveau pays, de faire connaissance, de prendre le pouls de la société. Il est allé quelques fois à Montréal pour des réunions au Islamic Centre of Québec ou à Ottawa pour des rencontres avec les officiels de son organisation religieuse.
                Déjà près d’une heure qu’il se lamente, qu’il gémit, qu’il geint, sortant et rentrant du bureau marchant à pas rapides dans le couloir jusqu’à la porte qui mène à la salle principale de la mosquée, sans savoir quoi faire, totalement décontenancé; près d’une heure qu’il se récrimine et pleurniche. Il commence à être fatigué, la tête lui tourne, et cette odeur de sang quie se répand partout.
- آفت! کیا ایک تباہی
Il faut bien faire quelque chose. De guerre lasse, de retour dans la salle principale de la mosquée, il s’affale par terre appuyé contre un pan de la porte, la tête entre ses genoux osseux. Il ne peut quand même pas sortir et crier à l’aide dans la nuit.
Soudain il arrête de se lamenter. Il se décide enfin à appeler l’un des membres les plus fidèles de la communauté. Voilà ce qu’il va faire. Où est sa liste de numéros de téléphone ? Il sort son téléphone cellulaire et trouve l’application qui le mène à son bottin personnel. Surtout, à tout prix, éviter le scandale. Surtout ne rien dire aux autres. Surtout ne pas appeler la police. Surtout…
                Il trouve le numéro téléphone et le compose. Ses doigts poisseux et collants du sang de son trésorier mort l’obligent à recommencer plusieurs – surtout qu’il a souillé son écran de tâches de sang qu’il doit essuyer avec sa manche – jusqu’à enfin pouvoir composer la bonne suite des numéros. Ça sonne. Pourvu qu’il soit à la maison. Pourvu qu’il soit chez lui.
                -Salam…
                D’une voix saccadée, haletant, ahanant, l’imam Murama lui décrit ce qu’il voit dans le bureau.
ایک جسم، سمیر کے جسم میں توسیع ...... پیٹ میں چھرا مارا ... اور باقی خون، تمام خون ہر جگہ بہہ. آو، آو. مجھے کیا کرنا نہیں جانتے! یہ خوفناک ہے، اللہ کی رحمت ہو سکتا، کیا ایک آفت! اللہ ہم پر رحم فرمائے. یہ خوفناک ہے. وہ مر چکا ہے، وہ مر گیا. انہوں نے میری مسجد، میری مسجد میں اس کو مار ڈالا!
(Un corps, le corps de Samir… étendu… poignardé dans le ventre… et tout ce sang, tout le sang qui coule partout. Venez, venez. Je ne sais pas quoi faire ! C’est affreux, qu’Allah ait pitié, quelle catastrophe ! Qu’Allah ait pitié de nous. C’est affreux. Il est mort, il est mort. On l’a tué, dans ma mosquée, dans ma mosquée !)
                Nawaz Ayub Zardai ne comprend pas tout distinctement ce que l’imam lui raconte, mais il perçoit la terreur dans sa voix. Il lui demande de répéter et lorsque finalement il comprend, immédiatement, il lui dit qu’il va raccrocher, qu’il vient le plus vite possible, de ne pas bouger et de l’attendre.
                - جی ہاں، میں آپ کی توقع.
(Oui, oui, je vous attends.)

                Nawaz ne peut en croire ses yeux. Amir Mawami est étendu de tout son long, les jambes arquées, un bras replié au-dessus de sa tête, ce qui lui donne une allure un peu grotesque, contre son bureau de travail; il a les yeux grands ouverts; et tout ce sang répandu partout, toutes les traces rouges de pas dans le couloir, ce sang sur la djellaba de l’imam et ce sang sur le bureau, sur les papiers éparpillés, sur le plancher, sur la porte, sur les murs, sur les tapis du couloir. Il ne peut réfréner une exclamation :
                - ہے بھگوان، ils l’ont saigné à mort.
                -Mais qu’est-ce qu’on va faire ? Qu’est-ce qu’on va faire ? reprend l’imam Mussama d’une voix tremblante.
Il n’y a pas à dire, il est bel et bien mort, se dit Nawaz en se penchant sur le cadavre essayant de toucher le moins de choses possibles.
Et comme si l’imam suivait ces pensées : « Il est mort, Nawaz, il est mort. »
-Oui, et non seulement il est mort mais il a été poignardé. Ce qui veut dire que quelqu’un l’a tué.
-C’est affreux, c’est épouvantable ! Qui a bien pu faire ça ? Mais qui a bien pu faire ça ?
-Il faut appeler la police.
-Non ! Pas la police, pas la police ! Ça va faire tout un scandale.
-On ne peut faire autrement, imam. Il s’agit un meurtre; si on ne le déclare pas, ça sera pire.
-Non, n’appelez pas la police; ce serait une profanation.
-Imam, on ne peut pas se débarrasser d’un cadavre comme ça. On est au Canada ici. C’est impossible !
-Qu’Allah aie pitié de nous ! Qu’Allah aie pitié de nous !
Nawaz sort won téléphone. L’imam ne réagit plus, atterré, amorphe, apathique. C’est trop d’émotions. C’est trop d’émois pour lui. Nawazil pitonne 911.
-Services d’urgence, bonsoir.
-Oui, euh… je voudrais avoir la police.
- Est-ce qu’il y a eu un accident ?

-Oui, on vient de commettre un meurtre à la mosquée.

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