Meurtre à la mosquée
Chapitre 1
- ہے بھگوان، کیا ایک کہانی، کیا ایک کہانی، کیا ایک آفت!
کیا ایک تباہی! یہ ممکن نہیں ہے. کوئی یہ ممکن نہیں ہے. اسے اس سے کیا جا سکتا تھا
جو کون ہے؟ آہ، اللہ ہم پر رحم کرے
Ainsi se lamente, à hauts cris
et moult gesticulations, l’imam Muhammad Ali Murama de la mosquée Badshahi de
la rue Provencher à Papineauville. Il vient de trouver le corps de son
trésorier Amir Mawami poignardé à mort dans son bureau et baignant dans son
sang. L’imam ne peut en croire ses yeux : une vision d’enfer - ou du jahannam, ce lieu qui possède sept
portes et qui est destiné aux mécréants comme châtiment suprême. Complètement
désemparé, il crie, il lève les bras, les rabaisse, les relève en vociférant;
il agrippe sans ménagement le corps inanimé et le secoue comme pour lui faire
reprendre vie miraculeusement avec force imprécations. Il laisse retomber le
corps de son gestionnaire et sort dans le couloir poursuivant ses jérémiades
les bras levés.
- اہ لارڈ, تاریخ, کیا کیا, آفت! کیا آفت! یہ ممکن نہیں ہے. کوئی یہ ممکن نہیں ہے. ہے جو کہ سکے کہ گیا ہے? اہ افسوس ہے کہ اللہ تعالی نے امریکہ کے
(Ah Seigneur, quelle histoire, quelle histoire, quelle catastrophe !
Quelle catastrophe ! Ce n’est pas possible. Non ce n’est pas possible. Qui
est-ce qui a bien pu faire ça ? Ah, qu’Allah ait pitié de nous !!)
C’est un homme élancé, à la peau
légèrement olivâtre, à la barbe bien taillée. Dans la mi-trentaine, il prend
soin de sa personne, il se garde en bonne santé, même s’il a dû s’adapter à un
nouveau régime alimentaire. Homme cultivé et d’éducation académique solide, là,
il se sent dépassé. Il va et revient à grands pas complétement désorienté, les
bras en l’air, l’air hagard, les yeux écarquillés, tout le long du couloir à
pas pressés de ses longues jambes dans sa djellaba battante. Son turban blanc déjà
tout de travers commence à se défaire. Un
meurtre dans une mosquée ?! Non, vraiment ce n’est pas possible ! Ma mosquée,
la voila souillée par le sang ! Jamais, jamais je n’aurais cru ça possible !
Dans quel monde vivons-nous ?
Soudain, l’imam Murama s’arrête
en regardant les traces sanglantes que laissent ses semelles d’un bout à l’autre
couloir, traces qu’il répand davantage à chacun de ses passages. Que peut-il faire
? Que peut-il bien faire ? Samir était son homme de confiance depuis qu’il est
imam à la mosquée Badshahi, il y a presque deux ans. C’est à lui qu’il fait appel
dans toute situation d’urgence. Quelle ironie, c’est à lui qu’il aurait demandé
d’intervenir dans une telle situation ! C’est sur lui qu’il se repose en toute
occasion qui n’est pas du domaine religieux. C’est sur lui qu’il se fie pour
toutes les questions d’intendance, d’entretien de la mosquée, ce qui le laisse
libre, lui, de s’occuper des besoins spirituels et de l’accompagnement de ses
ouailles; ce qui lui laisse le temps de préparer les prêches des cérémonies du
vendredi comme celle qui vient juste d’avoir lieu. Il venait de terminer la
cérémonie et, à la porte de la mosquée, il avait dit au revoir et bonsoir à la trentaine
d’hommes de tous âges qui y ont assisté. Les femmes, et les jeunes filles, il
ne leur serrait pas la main; elles quittaient la mosquée aussi discrètement
qu’elles y venaient et rejoignaient leurs maris et pères sur le trottoir. Et
c’est là en revenant à son bureau pour parler des affaires de la soirée qu’il a
trouvé le corps poignardé de son trésorier, dans une mare de sang qui s’étend
maintenant presque sur tout le plancher du bureau et qui continue de s’étendre.
Oui, il s’en souvenait, il
l’avait bien vu s’esquiver au milieu de la cérémonie, mais il n’y avait pas
prêté attention, car c’était bien là dans les habitudes d’Amir; il y avait
toujours quelqu’un à voir, quelqu’un à rencontrer, des détails de dernières
minutes, des problèmes à régler; il voyait à tout; il lui était indispensable.
L’imam Murama ne s’était même pas étonné de ne pas le voir pour les bonsoirs et
les salutations d’usage après la cérémonie; il s’était dit que quelque chose le
retenait dans son bureau comme cela arrivait de temps en temps. Il reprend son
va-et-vient toujours braillant, vociférant, gesticulant du bureau au couloir et
du couloir au bureau. Que peut-il bien faire ? Qu’est-ce qui a bien pu se
passer ? Il reprend le corps dans ses bras, mais le relaisse tomber en un geste
de rageuse impuissance. Il s’essuie sur ses mains sur sa djellaba, ce qui n’a
que pour effet de n’y mettre encore davantage de sang.
- ہے. کوئی یہ ممکن نہی…
Il ne peut téléphoner à la
police, il ne serait en être question et puis d’ailleurs il serait bien
incapable de la joindre, ni appeler les secours, ni même faire le numéro
d’urgence 911; il ignore qu’un tel service existe. Il est arrivé à la mosquée
de la rue Provencher, il y a maintenant presque deux ans directement en
provenance du Pakistan, invité par la communauté Badshahi et s’est attelé immédiatement
à sont travail à temps plein. Et c’est corps et âme qu’il s’est consacré à son
objectif de consolider, de mettre sur pied cette communauté naissante qui
essayait tant bien que mal de s’organiser, de se structurer. Il avait bien eu
un prédécesseur mais qui était parti précipitamment pour New-York après
quelques semaines seulement. Oui, il s’est attardé de toute son énergie, de tout
son temps, à cette noble tâche de rendre viable une nouvelle communauté de
fidèles; et les résultats commencent à se faire voir. Sa jeune femme, Gunda,
s’occupe de lui préparer ses repas; elle voit au quotidien aux tâches ménagères;
il n’a pas besoin de se soucier des détails de la vie quotidienne. Et avec leur
deuxième enfant en route… Et il a, ou plutôt avait, Amir qui s’occupait de
toute l’intendance de la mosquée. Il lui était indispensable ! Tout son univers,
depuis qu’il est arrivé à Papineauville s’est réparti entre la mosquée, sa
maison, à quelques coins de rues, et les diverses résidences des membres de sa
mosquée. Il n’a guère pris le temps de visiter la ville, de connaître son
nouveau pays, de faire connaissance, de prendre le pouls de la société. Il est
allé quelques fois à Montréal pour des réunions au Islamic Centre of Québec ou à Ottawa pour des rencontres avec les
officiels de son organisation religieuse.
Déjà près d’une heure qu’il se
lamente, qu’il gémit, qu’il geint, sortant et rentrant du bureau marchant à pas
rapides dans le couloir jusqu’à la porte qui mène à la salle principale de la
mosquée, sans savoir quoi faire, totalement décontenancé; près d’une heure
qu’il se récrimine et pleurniche. Il commence à être fatigué, la tête lui
tourne, et cette odeur de sang quie se répand partout.
- آفت! کیا ایک تباہی
Il faut bien faire quelque chose. De guerre lasse, de
retour dans la salle principale de la mosquée, il s’affale par terre appuyé
contre un pan de la porte, la tête entre ses genoux osseux. Il ne peut quand
même pas sortir et crier à l’aide dans la nuit.
Soudain il arrête de se lamenter. Il se décide enfin à
appeler l’un des membres les plus fidèles de la communauté. Voilà ce qu’il va
faire. Où est sa liste de numéros de téléphone ? Il sort son téléphone
cellulaire et trouve l’application qui le mène à son bottin personnel. Surtout,
à tout prix, éviter le scandale. Surtout ne rien dire aux autres. Surtout ne
pas appeler la police. Surtout…
Il trouve le numéro téléphone et
le compose. Ses doigts poisseux et collants du sang de son trésorier mort
l’obligent à recommencer plusieurs – surtout qu’il a souillé son écran de
tâches de sang qu’il doit essuyer avec sa manche – jusqu’à enfin pouvoir
composer la bonne suite des numéros. Ça sonne. Pourvu qu’il soit à la maison. Pourvu qu’il soit chez lui.
-Salam…
D’une voix saccadée, haletant,
ahanant, l’imam Murama lui décrit ce qu’il voit dans le bureau.
ایک جسم، سمیر کے جسم میں توسیع ...... پیٹ میں چھرا
مارا ... اور باقی خون، تمام خون ہر جگہ بہہ. آو، آو. مجھے کیا کرنا نہیں جانتے! یہ
خوفناک ہے، اللہ کی رحمت ہو سکتا، کیا ایک آفت! اللہ ہم پر رحم فرمائے. یہ خوفناک
ہے. وہ مر چکا ہے، وہ مر گیا. انہوں نے میری مسجد، میری مسجد میں اس کو مار ڈالا!
(Un corps, le corps de Samir… étendu… poignardé dans
le ventre… et tout ce sang, tout le sang qui coule partout. Venez, venez. Je ne
sais pas quoi faire ! C’est affreux, qu’Allah ait pitié, quelle catastrophe !
Qu’Allah ait pitié de nous. C’est affreux. Il est mort, il est mort. On l’a
tué, dans ma mosquée, dans ma mosquée !)
Nawaz Ayub Zardai ne comprend
pas tout distinctement ce que l’imam lui raconte, mais il perçoit la terreur dans
sa voix. Il lui demande de répéter et lorsque finalement il comprend,
immédiatement, il lui dit qu’il va raccrocher, qu’il vient le plus vite
possible, de ne pas bouger et de l’attendre.
- جی ہاں، میں آپ کی توقع.
(Oui, oui, je vous attends.)
Nawaz ne peut en croire ses
yeux. Amir Mawami est étendu de tout son long, les jambes arquées, un bras
replié au-dessus de sa tête, ce qui lui donne une allure un peu grotesque,
contre son bureau de travail; il a les yeux grands ouverts; et tout ce sang
répandu partout, toutes les traces rouges de pas dans le couloir, ce sang sur
la djellaba de l’imam et ce sang sur le bureau, sur les papiers éparpillés, sur
le plancher, sur la porte, sur les murs, sur les tapis du couloir. Il ne peut
réfréner une exclamation :
- ہے بھگوان، ils l’ont saigné à
mort.
-Mais qu’est-ce qu’on va faire ?
Qu’est-ce qu’on va faire ? reprend l’imam Mussama d’une voix tremblante.
Il n’y a pas à dire, il est bel et bien mort, se dit Nawaz
en se penchant sur le cadavre essayant de toucher le moins de choses possibles.
Et comme si l’imam suivait ces pensées : « Il
est mort, Nawaz, il est mort. »
-Oui, et non seulement il est mort mais il a été
poignardé. Ce qui veut dire que quelqu’un l’a tué.
-C’est affreux, c’est épouvantable ! Qui a bien pu
faire ça ? Mais qui a bien pu faire ça ?
-Il faut appeler la police.
-Non ! Pas la police, pas la police ! Ça va faire tout
un scandale.
-On ne peut faire autrement, imam. Il s’agit un meurtre;
si on ne le déclare pas, ça sera pire.
-Non, n’appelez pas la police; ce serait une
profanation.
-Imam, on ne peut pas se débarrasser d’un cadavre
comme ça. On est au Canada ici. C’est impossible !
-Qu’Allah aie pitié de nous ! Qu’Allah aie pitié de
nous !
Nawaz sort won téléphone. L’imam ne réagit plus,
atterré, amorphe, apathique. C’est trop d’émotions. C’est trop d’émois pour
lui. Nawazil pitonne 911.
-Services d’urgence, bonsoir.
-Oui, euh… je voudrais avoir la police.
- Est-ce qu’il y a eu un accident ?
-Oui, on vient de commettre un meurtre à la mosquée.
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