lundi 28 novembre 2016

Meurtre à la mosquée
Chapitre 4

                En raccrochant le téléphone après sa conversation avec Stéphanie Aubut, en ce samedi matin, Roxanne savait qu’elle ne lui avait pas parlé sur le ton le plus aimable. C’est son père aussi qui l’avait énervée ! Même le lendemain matin encore elle ruminait sa mauvaise humeur contre lui et c’est cette pauvre jeune femme qui en avait subi les conséquences. Elle se promettait bien de parler à son père entre quatre yeux le plus tôt possible et subito pronto et ipso facto.
Ça ne lui était pas arrivé très souvent de se fâcher contre son père depuis qu’elle faisait partie de ses effectifs au poste de Papineauville. Il y a un trois ans et demi quand un poste d’adjointe s’était ouvert à Papineauville; de Saguenay où elle travaillait, elle avait postulé sans le dire à son père, et elle avait obtenu le poste. Il en était resté sans voix pendant une bonne partie de la semaine qui avait suivie, sans pouvoir y croire vraiment. Au fond de lui, elle le savait, il était immensément fier, et c’était un immense bonheur que de pouvoir travailler au quotidien avec sa fille ! Il la chérissait au plus haut point.
Paul avait aussi deux fils, qui travaillaient tous deux dans le domaine minier, l’un en Alberta et l’autre en Abitibi. Alexandre, l’ainé, avait étudié en géologie et à la fin de ses études, était parti dans l’ouest tenter sa chance. Il savait que les salaires y étaient considérablement supérieurs. Il travaillait pour Petrocorp, dans l’exploitation de sables bitumineux. Son deuxième fils, Xavier, avait rencontré une fille de l’Abitibi, et il était maintenant facteur à Rouyn-Noranda. Il les voyait peu, particulièrement son Alexandre exilé dans l’Ouest, pour les vacances, les temps des Fêtes, mais c’est surtout qu’il ne savait trop de quoi leur parler. Avec le divorce d’avec leur mère Monique, la vie familiale en avait pris tout un coup et les choses s’étaient inexorablement dégradées. Aujourd’hui, quand ils le voyaient toute conversation avec ses garçons tombait à plat, ce qui les frustrait et les uns et les autres.
Avec Roxanne, c’était tout à fait le contraire : ils pouvaient s’entretenir des heures durant de ce qui les passionnait tous deux : leur travail de représentant de la justice et de l’ordre. Comme on dit, ils étaient sur la même longueur d’ondes ! Surtout que maintenant, son amoureuse de Juliette, une bibliothécaire à la retraite, ne se privait pas de se mêler à leurs conversations, à poser des questions, à demander des éclaircissements sur tel ou tel point, et même parfois, à les surprendre par son intuition.
Roxanne se disait qu’elle aussi appréciait au plus haut point de pouvoir travailler avec son père au quotidien; c’était une source de grande satisfaction. Il se répétait combien elle était privilégiée et combien elle apprenait à ses côtés. Mais là, elle ne savait pas ce qui lui avait pris ! Déjà l’entendre lui demander aussi impérativement de s’occuper de trouver un ou une traductrice qualifiée, l’avait bien surprise. Ce n’était pas dans ses manières de faire. D’habitude, il la consultait, il lui demandait son avis; rarement il lui imposait une tâche de cette façon cavalière !
À cela s’était ajoutée cette conférence de presse improvisée ! Non mais, qu’est-ce qu’il lui avait pris ? Jamais il ne l’avait envoyée ainsi à l’abattoir affronter les journalistes, et surtout sans aucune préparation ! Elle avait dû obtempérer, à contrecœur, et c’est en maugréant entre ses dents qu’elle était partie affronter la troupe de journalistes qui trépignaient d’impatience dehors à la limite des cordons de sécurité. Surtout que l’heure de tombée approchait pour les bulletins de fin de soirée.
Sortant de la mosquée, Turgeon lui indique de se diriger vers la droite. Elle voit du coin de l’œil de nombreux curieux essayant de voir et de comprendre ce qui a pu se passer. Dans le lot mouvant et remuant de journalistes, elle reconnait en première ligne, Simon-Pierre Courtemanche, probablement arrivé avant les autres, un petit homme à moustache, le journaliste des faits divers d’Au courant, l’hebdomadaire de la région de l’Outaouais; elle sait qu’il fait son travail honnêtement, cherchant consciencieusement à bien informer son public le mieux possible. Sans reconnaître exactement les autres journalistes, (la plupart étant des hommes; Roxanne ne voit qu’une seule femme), Roxanne remarque aussi sur les caméras le logo des diverses chaines de télévision. Il y a une légère bousculade; en jouant du coude les membres de la presse se pressent autour d’elle comme une marmaille turbulente et chahutant sans vergogne. Une multitude de bras tenant une aussi grande multitude de micros se tend vers elle jusqu’à l’entourer de toutes parts. Tout le monde parle à la foi. De la main, elle demande le silence et commence sur un ton neutre qu’elle veut le plus possible assuré :
-Bonsoir à vous, Je suis Roxanne Quesnel-Ayotte de la Sureté du Québec et voici ce que nous pouvons vous dire pour l’instant : un appel a été logé aux services d’urgence vers vingt heures trente de soir vendredi, pour un incident à la mosquée Bashahi à Papineauville. Cet appel a immédiatement été transféré au poste de la Sureté du Québec de Papineauville et les agents sont arrivés sur les lieux quelque huit minutes après. Ils ont trouvé un corps inanimé dans une des salles du bâtiment, un corps inanimé et qui portait de marques évidentes de coups. Une ambulance a été appelée le décès a été constaté. Pour l’instant, ce décès est considéré comme une mort suspecte et une enquête a été ouverte.
À peine veut-elle reprendre son souffle que la première question fuse :
-Connaissez-vous l’identité de la victime ?
-Vous comprendrez que nous ne pouvons vous révéler l’identité de la victime parce que nous devons contacter ses proches en pre….
-Est-ce que le corps a été retrouvé dans le salle de prière ?
-Ce que nous pouvons dire pour l’instant, pour ne pas nuire à l’enquête, c’est qu’il a été retrouvé à l’intérieur de ce bâtiment en arrière de nous qui abrite une mosquée et un centre culturel musulman.
-Est-ce qu’on a retrouvé l’arme du crime ?
-Comme je l’ai dit, une enquête a été ouverte et nous en sommes à l’étape de récolter le plus grand nombre d’indices.
-Est-ce que l’imam Murama est considéré comme suspecte ?
Roxanne se tourne vers Simon-Pierre Courtemanche, celui qui vient de poser cette question. Elle pense sans rien en dire qu’il est bien renseigné.
-L’imam Murama est pour l’instant considéré comme un témoin important étant donné que selon toute vraisemblance c’est lui qui a découvert le corps. Nous allons bien sûr procéder à son interrogatoire et ses réponses vont certainement permettre à l’enquête de progresser.
-Est-ce que c’est lui qui a appelé les services d’urgence ?
Et ainsi de suite durant une bonne vingtaine de minutes. Quand enfin le flot de questions s’est tari et que les journalistes sont repartis soit pour écrire un article soit pour terminer leur reportage, Roxanne n’avait qu’une seule envie : retrouver son père pour lui dire et l’étrangler allégrement !... Mais ça devra attendre.

Lorsque la voiture de police qui était venue la chercher la dépose dans le stationnement, Stéphanie Aubut ne s’attendait certainement à voir une telle cohue à son arrivée au poste de la Sureté du Québec de Papineauville, environ une heure et demi plus tard après sa conversation avec Roxanne : il y avait là au moins une cinquantaine de personnes qui gesticulaient, se bousculaient, vociféraient, s’invectivaient et parlaient toutes à la fois dans un désordre parfait et une cacophonie inénarrable. Certaines femmes, le voile sur la tête criaillaient les bras dans les airs et d’autres se frappaient la poitrine. Les hommes lançaient des menaces le poing levé. Le poste de police débordait : il y avait des gens partout, des femmes, des hommes, des enfants, dedans, dans le hall d’entrée dehors, sur le trottoir, dans la rue. Et tous ces gens parlaient un mélange confus et incompréhensible polyglotte dans lequel elle percevait de l’arabe, de l’ourdou, du pendjabi et probablement du pachto. Parfois, on entendait une exclamation en anglais.
Tous ces gens sont des membres de la communauté musulmane venus protester contre le sort infligé à leur imam. Hier soir, pendant que son équipe relevait les indices dans la mosquée et le centre culturel, Paul s’est retrouvé, devant un dilemme : il ne pouvait remettre l’mam en liberté sans avoir eu au préalable son témoignage, et en même temps il ne pouvait l’interroger sans l’aide d’un traducteur professionnel et indépendant. Il s’est finalement résigné à amener l’imam au poste pour une nuit qu’il devra passer en garde à vue. Apprendre par l’entremise de Nawaz Ayub Zardai qu’il serait fait « prisonnier » a alors mis l’imam dans tous ses états. Il n’en était pas question ! Il n’avait rien fait ! Le calmer devenant une tâche impossible, Paul a finalement dû demander à ses agents, ce qu’il déteste faire, de le maîtriser et de l’empoigner pour l’amener dans la voiture et le conduire au poste. Tout cet épisode attristant l’avait mis de mauvaise humeur, et lui faisait entrevoir une enquête dure, longue et pénible, et délicate. Lorsqu’ils avaient pu finalement faire le point avec Roxanne, un peu plus tard, ils avaient conclu qu’il ne fallait pas trop élaborer et que c’était mieux d’attendre au lendemain.
Le lendemain, ils avaient chacun des tâches urgentes à accomplir : Paul était s’enquérir de l’humeur de l’imam Murama et Roxanne s’était plongée dans les répertoires du Gouvernement. Quand elle était venue lui dire sur le pas de sa porte qu’elle avait trouvé une traductrice d’ourdou, Paul l’avait remercié et ce fut tout.
Stéphanie se disait qu’elle aurait bien de la peine à se frayer un chemin au travers une telle densité de foule.
L’un des policiers la conduit vers une porte dérobée et la fait entrer dans le poste. Roxanne lui tend la main.
-Bonjour, je suis Stéphanie Aubut, on m’a téléphoné, il y a une heure.

-Oui, madame, c’est moi qui vous ai appelée; on va avoir besoin de vos services. Venez le directeur Quesnel vous attend.

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