Meurtre à la mosquée
Chapitre 5
Dans son bureau, Paul attendait
impatiemment cette traductrice/interprète que Roxanne devait lui trouver. Il se
sentait énervé, irrité, mécontent. Il avait mal et peu dormi la nuit dernière. Rarement
une affaire ne l’avait autant déstabilisé. Bien sûr dans ce métier, il faut
apprendre à gérer son stress, à contrôler ses émotions; on ne peut se permettre
de se laisser manipuler par la colère ou encore moins la peur. Il faut agir et
penser de la façon la plus rationnelle possible, pragmatiques, en se basant sur
les faits, et parfois sur l’intuition bien sûr. On se doit d’éviter toute
impulsivité malsaine. Cela ne veut pas dire que les policiers et les policières
sont dénués de tous sentiments humains, bien au contraire; ils ressentent ce
que toute autre personne du grand public ressent mais ils et elles se doivent
de rester maître de leur personne le plus possible, pour leur propre bien-être
tout autant que la meilleure justice soit rendue.
Avec le temps, Paul pouvait se
dire qu’il avait bien géré ses émotions au cours de sa carrière. Mais en ce
samedi matin, il se demandait s’il n’était pas en train de perdre pied. Depuis
la veille les éléments perturbateurs s’étaient accumulés à vitesse grand V. Tout
d’abord ce meurtre dans un endroit aussi inconvenant qu’une mosquée, il n’avait
encore jamais vu une telle chose. Ensuite une scène de crime également incongru :
un homme qui avait visiblement été poignardé de sang froid dans un simple
bureau bien ordinaire, et surtout tout ce sang répandu pas à pas sur le
plancher, dans le couloir et presque jusqu’aux portes d’entrée. Puis cet imam
semi-hystérique, quasi-incontrôlable que rien ne semblait pouvoir arrêter de
crier, de maugréer, de grogner… et, de surcroît dans une langue dont il ne saisissait
pas le moindre mot. Que pouvait-il bien raconter dans son charabia
incompréhensible ? En voulait-il contre le sort ? Contre la fatalité ? Contre
le travail de la police ? Paul ignorait même s’il avait été témoin de quoi que
ce soit, s’il pourrait l’aider un tant soit peu à la résolution de ce crime.
Tout ça avait fait naître chez Paul un état de malaise et d’irritation qui n’avait
pas disparu.
Et la soirée ne s’était pas
terminée ainsi, et les causes de frustration non plus, loin de là. Une fois le
périmètre de sécurité mis en place de façon plus étanche, une fois le cadavre
emporté à la morgue, une fois l’équipe technique installée à la recherche du
moindre indice, il avait dû se rendre dans la famille de la victime pour faire
l’annonce de sa mort violente. Nawaz Ayub Zardai, l’homme qui avait appelé les
services d’urgence et qui avait réussi tant bien que mal à raisonner l’imam et
lui faire comprendre qu’il devrait rester en garde à vue pour une nuit le temps
de trouver un interprète qualifié, lui avait spécifié le nom de la victime Amir
Mawami, le trésorier de la mosquée et du centre culturel.
Il demeurait à quelque minutes
de là sur la rue des Pigeons dans la partie ouest de la ville. Paul sait que c’est
délicat d’annoncer ce genre de nouvelle, et que ce le sera d’autant plus dans
ce contexte particulier, mais il faut bien qu’il le fasse. Il est parti avec l’agent
Turgeon et monsieur Zardaï qui leur servira d’intermédiaire. La voiture s’arrête
devant un duplex de construction récente d’un seul étage. On franchit une
petite grille Il y a un terrain gazonné sur le devant qui ne semble pas
entretenu régulièrement, des chaises en rotin et quelques jouets en plastique sur
la galerie.
-Allons-y, dit-il aux deux
autres.
-D’après moi, la famille est certainement déjà au
courant qu’il s’est passé quelque chose à la mosquée, ajoute Nawaz Zardai; ce
genre de nouvelles vont vite dans la
communauté.
-Oui, vous avez raison.
Paul laisse son interlocuteur
sonner à la porte, et à peine celui-ci a-t-il sonné que la porte s’ouvre à
toute volée ce qui fait bruyamment sonné le collier de clochettes qui y est
suspendu. S’en suit une vive conversation entre lui et une demi-douzaine de
personnes, jeunes et adultes, qui ont l’air de le bombarder de questions tous à
la fois. Tandis que Turgeon reste sur le pas de la porte, Paul s’approche :
-Dites-leur de se calmer et de
nous laisser entrer.
La tapage assourdissant baisse à
peine de volume. La maison comme telle est spacieuse, mais l’espace est occupé par
de boîtes de cartons posées pêle-mêle de ci de là les longs de murs des
couloirs, d’objets de toutes sortes, une espèce de surprenant bric-à-brac comme
si on se préparait à une gigantesque vente de garage. L’entrée mène au salon où
ce sont les meubles qui sont recouverts de vêtements, de foulards, de tissus… Mais
ce qui frappe Paul surtout, c’est l’odeur qui règne dans la maison qui semble
avoir tout imprégné jusqu’aux tapis et les murs, et qui le saisit immédiatement :
un âcre mélange de renfermé, de sueurs humaines, et surtout d’épices :
curry, cardamone, cumin, cannelle, paprika… et quoi d’autre ? L’odeur est si
intense qu’il a la tête qui tourne légèrement.
Paul pénètre dans le salon face à cette meute
suragitée; assise sur l’un des fauteuils, il aperçoit femme en sari violacé en
pleurs poussant en hululements strident et perçants. Probablement la veuve.
-Est-ce qu’ils comprennent le français ?
-Les enfants oui, ils le comprennent et ils le
parlent. Pour les adultes, ça dépend.
Enfin… la loi
101 aura servi à quelque chose.
Paul élève la voix : Écoutez-moi ! Écoutez-moi !
Un semblant de silence s’installe, dans lequel domine
les lamentations de la femme assise dans le fauteuil.
-Je m’appelle Paul Quesnel et je suis le chef de
police de Papineauville…
-Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce qui s’est passé
? Notre père est-il mort ?
-Laissez-moi parler ! Pour répondre à votre question,
il y a une attaque à la mosquée… Bashahi, qui a fait une victime et oui, votre
pour l’instant nous croyons que cette victime est Amir Mawami, mais…
Paul ne peut continuer. Le tapage de cris, de pleurs,
de lamentations, d’exclamations, reprend avec une intensité renouvelée. Paul
essaye de se faire entendre au-dessus du brouhaha.
-Écoutez-moi ! Nous avons besoin d’une personne de la
famille qui devra venir à la morgue pour l’identification.
À sa grande surprise, un jeune homme l’a entendu et
lui répond calmement :
-Moi, je vais y aller. Je ne crois pas que ma mère
soit en état d’y aller, alors je peux vernir à sa place.
Il pointe la femme en sari violacé. Paul se dit qu’en
effet il est impossible de lui parler pour l’instant alors qu’elle semble être dans
un état hystérique total.
-Et quel est votre lien avec monsieur Mawami ?
-Je suis son fils aîné, Hamza. Je n’habite plus chez
mes parents; je suis marié et je demeure avec ma femme dans la maison juste à côté.
Je suppose que ça vous prend une personne majeure ?
-Oui, en effet. Alors allons-y. Que faites-vous
monsieur Zardaï ? Voulez-vous qu’on vous raccompagne ?
-Nous, je crois que je vais rester ici.
À la morgue, l’identification ne prendra guère de
temps. L’équipe chargée de l’autopsie avec préparé le corps. Hamza n’avait pas
hésité : « Oui, c’est bien mon père, Amir Mawami », a-t-il sut
en baissant légèrement les yeux.
Dans le couloir, vers la sortie, Hamza demande :
-Quand pourrons-nous récupérer le corps ?
-Il s’agit d’une mort violente, il faudra donc
procéder à une autopsie. Je dirais : pas avant deux jours.
-Mais… mais, notre religion nous demande de procéder
aux funérailles dans les vingt-quatre heures !
-Peut-être, mais la loi nous oblige à pratiquer une
autopsie dans tous les cas de mort suspecte; et je ne peux changer la loi.
-Il nous faut procéder à l’ensevelissement dans les
vingt-quatre heures qui suivent le décès, c’est ce que nous prescrit le Coran !
Paul sent sa tension monter d’un autre cran :
-Monsieur Hamza, je suis désolé. Adressez-vous à un
tribunal si vous le voulez, mais moi je ne peux vous rendre le corps de votre
père avant qu’on y ait fait une autopsie !
-Que va dire ma mère ? Et mes oncles ? Et l’imam
Murama ?
-Vous savez, l’imam Murama ne dira pas grand-chose,
car il doit rester en garde à vue jusqu’à demain.
Le retour s’était effectué dans un lourd silence.
-Et maintenant ? demande Turgeon, qui cherche à ne pas
trop brusquer son chef.
-On retourne au poste, et en vitesse. Partons d’ici.
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