lundi 12 décembre 2016

Meurtre à la mosquée
Chapitre 6

Après l’avoir débarrassée son manteau qu’elle a accroché dans le vestiaire, Roxanne guide Stéphanie Aubut à travers les couloirs du poste de la Sureté du Québec vers le bureau de son père. Elle s’arrête; de façon surprenante la porte en est fermée. Elle cogne discrètement.
-Oui, entrez.
-C’est moi chef, dit Roxanne en franchissant le seuil; je vous amène l’interprète que nous m’aviez demander de trouver.
-Ah oui ! Faite-la entrer.
Tous les membres du personnel du poste de la Sureté du Québec de Papineauville, agents et employés de soutien, savent bien que Roxanne est la fille de leur directeur, et cela ne gêne aucunement leur travail; mais père et fille ont convenu d’éviter de le montrer ouvertement lors des enquêtes afin d’éviter tout risque que cette situation puisse influencer les témoins ou encore comme ici, quiconque appelé à collaborer.
Pendant que Roxanne se tient légèrement à l’écart, à l’arrière du bureau, Paul invite Stéphanie à s’assoir. Durant quelques instants, il la regarde de pied en cap, puis de la tête au pied, puis de bas en haut à nouveau d’un air dubitatif. Roxanne reste un peu surprise de cette façon un peu inhabituelle de faire. Décidément, il agit bien bizarrement ces derniers temps; je me demande bien ce qu’il a. Il y certainement quelque chose qui le préoccupe. J’espère qu’il ne s’agit de Juliette…  
-Vous avez l’air jeune…
Et sans laisser le temps à Stéphanie de réagir, Paul poursuit : « Mais bon, on va faire avec ce qu’on a sous la main, comme dirait l’autre. Voici l’histoire en résumé. J’ai ici en cellule un imam musulman qui a trouvé une victime, morte, dans les bureaux de sa mosquée, hier soir. Une histoire qui est passée aux nouvelles hier soir et qui repassera probablement aux nouvelles ce midi. Nous ne pouvons pas le garder plus de vingt-quatre heures sans motif valable; c’est pour ça que nous voulons l’interroger maintenant, et aussi pour calmer toute la smala que vous avez-vous en face du poste. Êtes-vous prête ?
-Oui, ça devrait; j’espère seulement qu’il parle un ourdou que je peux comprendre.
-Comment ça ? Vous n’êtes pas interprète ?
-Oui, bien sûr; mais toute langue, comme pour le français, possède différentes versions, et certaines peuvent être plus difficile que d’autres.
Paul se contente de pousser un soupir de découragement.

Stéphanie Aubut est conduite dans une petite salle au fond du couloir, où attendent déjà deux autres personnes en uniforme, un homme et une femme.
-Je vous présente Stéphanie Aubut, notre interprète… Les agents Daniel Turgeon et Isabelle Dumesnil; ils sont responsables de la sécurité et du bien-être de notre imam.
-Bonjour.
-Bonjour.
-Allez le chercher. Dans quel état est-il ?
-Ce qu’on peut dire, patron, c’est qu’il n’est pas de bonne humeur. Il a récriminé une bonne partie de la nuit…
-Et ce matin, il a refusé de manger parce que sa nourriture n’était pas halal. Il n’a pris qu’un jus d’orange.
-Ah, c’est vrai, il a droit à son régime hallal; j’avais oublié. Une autre affaire encore…. Allez le cherchez et amenez le dans la salle d’interrogatoire 1.
Au bout de quelques instants, les deux agents reviennent accompagnés de l’imam Murama. Il ne porte pas les menottes mais il a les yeux vides et l’air épuisé.
-Salam aleikoum, dit Stéphanie.
-Aleikoum salam, répond machinalement l’imam, mais soudain, il s’arrête et lève les yeux de surprise sur Stéphanie.
-Dites-lui de s’assoir ici.
-(…)
-Demandez s’il comprend que nous sommes de la police et que nous voulons lui poser quelques questions sur ce qui s’est passé hier soir dans sa mosquée.
Stéphanie traduit, et aussitôt l’imam se met à parler avec empressement tout en gesticulant des bras et de la tête; Stéphanie essaye tant bien que mal de traduire au fur et à mesure.
-Il dit qu’il n’a rien fait et qu’il n’y est pour rien, et qu’il ne sait rien; qu’il n’était pas là quand c’est arrivé et que c’est une catastrophe, un grand malheur, que c’est la volonté d’Allah, qu’il ne sait pas se qui s’est passé, il est innocent, qu’il ne sait rien…
-Wo, wo, wo ! Comment on dit « Silence ! » en arabe ?
-Pas en arabe en ourdou…
-Tichý
-Titchi, répète maladroitement. Dites-lui de ne répondre qu’aux questions qui lui seront posées.
-(…)
Mais avant même que Stéphanie ait terminé sa question, l’imam recommence le même manège.
-Il dit qu’il ne sait rien, qu’il n’a rien fait, il est innocent, il n’a rien à dire à la police; il n’était même pas là quand c’est arrivé; tout ce qu’il veut c’est de s’occuper de sa mosquée; il veut retourner à la mosquée et qu’Allah est grand et Mouhumad est son prophète !
-On arrivera à rien de cette façon !
Roxanne intervient :
-Madame Aubut, dites-lui de garder le silence quelques instants et qu’il vous écoute.
-…
-Dites-lui que s’il nous écoute, nous le ramèneront à sa mosquée le plus rapidement possible.
-…
-Maintenant dites-le que nous sommes de la police. Dites-lui juste ça.
-… Il demande s’il peut rentrer chez lui.
-Dites-le qu’il ne pourra retourner chez lui après seulement quelques questions.
-…
-Seulement s’il répond aux questions que nous allons lui poser. S’il n’a rien à se reprocher, tout ira bien.
-… Il dit qu’il n’a rien fait.
-Dites-lui de répondre aux questions, gâteau ! s’exclame Paul.
-Je lui ai déjà dit; pas la peine de crier.
-Je n’ai pas crier, mais faites-lui comprendre une fois pour toute doit qu’il répondre à nos questions, sinon on le ramène en cellule.
Stéphanie soupire et lève les yeux au ciel; elle prend un autre ton et essaie de calmer l’imam Murama. Elle lui explique gentiment qui elle est, et ce que les policiers désirent.
-Bon demandez-lui de s’identifier, juste de dire son nom.
-…
-Imam Muhammad Ali Murama.
-Demandez-lui de donner le nom de sa mosquée et son adresse.
-… Mosquée Badshahi, 55 rue Provencher.
-Bon; maintenant : à quelle heure il est arrivé à la mosquée hier.
-À dix heures du matin.
-Est-ce qu’il était seul ?
-Non, le raah numaa du Centre culturel était là.
-C’est quoi ça un raah numaa.
-C’est une sorte de superintendant, celui qui s’occupe du bâtiment.
-Bon ; est-ce qu’il y avait d’autres personnes à ce moment-là à 10 hrs le matin.
-Oui, il y avait quelques autres personnes dans Centre culturel qu’il a saluées.
-Bon, on avance; qu’il nous dise ce qu’il a fait de sa journée, mettons jusqu’à midi.
-…
-Il a ouvert son courrier, regardé ses courriels, et il a fait sa prière de mi-journée qui s’appelle adh-dhour. a
-Bon, et l’après-midi ?
-L’après-midi il a surtout travaillé à la préparation de la cérémonie du soir, le salat-ul-joumou'a.
-OK on avance; à quelle heure est cette cérémonie
-À 19hrs.
-Bon, ça va bien; demandez-lui à quelle heure est arrivé Amir Mawami.
-…
-Comme d’habitude le vendredi soir Amir Mawami est arrivé vers 16 heures environ, trois heures à l’avance.
-À 16 heures ? Pourquoi est-ce qu’il arrive à 16 heures ?
-...
-Parce qu’il est, lui, le raah numaa de la mosquée; en fait c’est le trésorier-sécrétaire et il arrive à l’avance parce qu’il a toujours beaucoup de travail : régler les comptes, payer les factures...
-C’est quoi le budget d’une mosquée.
-L’imam dit qu’il ne le sait pas.
-Bon, demandez-lui s’il a vu quelque chose d’anormal ou d’inhabituel hier soir durant la célébration.
-Il dit que non.
-Est-ce qu’il y avait des gens qui étaient là pour la première fois, par exemple, des étrangers en visite ?
-Il dit que non.
-Est-ce qu’il a remarqué s’il y avait des absents, des gens qui sont toujours et qui n’étaient pas là hier soir.
-Il dit que non.
-Et pendant la célébration, est-ce qu’il entendu du bruit dans les bureaux ou dans les couloirs ?
-Il dit que non.
                -Il dit que non, il dit que non ! D’après lui il ne s’est rien passé tout était normal et on perd notre temps !
                -Je ne fais que répéter ses réponses, moi !
                -Veuillez excusez l’impatience de l’inspecteur Quesnel, madame Aubut, mais il y a eu un vrai meurtre et on voudrait bien trouver une piste.
                -Demandez-lui ce qui s’est passé à la fin de la cérémonie.
                -Après la célébration, il a salué les gens qui partaient; il a parlé avec les uns et les autres. Et quand il était seul il est allé retrouver son « gérant » dans le bureau.
                -Et alors ?
                -C’est là qu’il l’a vu affalé sur sa chaise avec tout ce sang qui coulait de son torse. Il a essayé de le réveiller, mais il n’a pas pu. Il ne savait vraiment pas quoi faire; c’est un grand malheur, c’est un grand. Finalement au bout de quelques minutes il a appelé Nawaz Ayub Zardai, un autre homme bien impliqué dans la communauté.


                -Bon, qu’est-ce qu’on fait ? On le relâche ou le garde ?
                -Il n’y a qu’une seule chose à faire : le relâcher; on ne peut pas le garder.
                -Madame Aubut, demandez-lui s’il a un avocat ?
                -Non, il n’en a pas; est-ce qu’il devrait.
                -Oui, madame Aubut, dites-lui qu’il doit se trouver un avocat le plus tôt possible. Pour l’instant on va lui faire signer sa déposition et on le laissera repartir chez lui mais qu’il ne peut quitter la ville sans en avertir la police.
                -…
                -Il répète qu’il n’est coupable de rien !

                -On va reparler à ce monsieur Zardaï. Madame Aubut, vous êtes libre pour l’instant; on vous rappellera si où a de nouveau besoin de traduction.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire