lundi 19 décembre 2016

Meurtre à la mosquée
Chapitre 7

Roxanne raccompagne Stéphanie vers la sortie. En enfilant son manteau, la jeune interprète soupire :
-C’est la première fois que j’aie à travailler avec la police.
-Et alors, comment vous sentez-vous ?
-Je ne sais pas trop; j’ai l’habitude de travailler avec les réfugiés et mon travail consiste à traduire le plus exactement leurs propos; mais je sens que continuellement qu’ils marchent sur une sorte d’étroite frontière entre la vérité à ne pas dire et les mensonges à cacher. Et ici, j’ai eu la même impression.
-Vous croyez que l’imam a menti ?
-Non… je ne peux pas dire ça ! Mais par exemple, parfois le ton de sa voix changeait ou encore le rythme de ses paroles n’était plus le même.
-Dites-moi Stéphanie, si on repasse l’enregistrement, vous pourriez nous dire où, je suppose ?
-Oui; si ça peut vous être utile.
-Certainement. Voici une voiture qui vous attend; il est certain que nous allons vous rappeler.
En ouvrant la porte pour la laisser sortir, Roxanne s’aperçoit que la température a considérablement changé depuis ce matin : la saisit un vent froid et perçant qui fait virevolter les flocons. Le sol est glacé. En repassant vers le hall d’entrée elle voit que la foule des supporters de l’imam Murama s’est légèrement clairsemée, température aidant, mais ils sont encore nombreux, serrés les uns contre les autres, des hommes surtout mais aussi quelques femmes, à attendre sa sortie.
Près de la porte elle voit son père en grande discussion avec l’imam et Nawaz Zardai. Paul semble exaspéré et elle sursaute à son ton presque agressif.
-Monsieur Zardai, je sais que votre religion vous commande de procéder l’inhumation dans les vingt-quatre heures, mais répétez-lui ce que je vous dis pour la vingtième à savoir que je ne peux pas vous rendre le corps de monsieur Mawami avec qu’il y ait eu autopsie; moi, c’est la loi de ce pays qui m’y oblige, et jusqu’à preuve du contraire, la loi a encore préséance sur les prescriptions religieuses ! Maintenant, demandez-lui de quitter les lieux, sinon je n’aurais d’autre choix que de la mettre à l’amende pour refus d’obtempérer. Quant à vous, je vous ai dit que j’avais encore besoin de recueillir votre témoignage.
Nawaz Zardai arrive finalement à persuader son imam à quitter le poste de police, ce qu’il fait visiblement et ostensiblement à contrecœur. Dès que la porte s’ouvre, une clameur s’élève : ce sont les acclamations de la petite foule qui faisait le pied de grue à l’attendre depuis tôt ce matin.
-Bon débarras, maugrée Paul entre ses dents, mais Roxanne l’entend tout de même.

Durant son interrogatoire, Nawaz Zardai répétera, dans un mélange de français et d’anglais, avoir reçu un appel de l’imam vers vingt heures trente; l’imam était en panique, ces propos étaient à moitié incohérents mais il a compris qu’il s’était passé quelque chose avec Amir Mawami, qu’il était blessé gravement, qu’il y avait du sang. Alors il est accouru le plus vite possible et il n’a pas que constaté que Amir Mawami était mort affalé sur la chaise de son bureau, très probablement d’une mort violente. Dès qu’il a vu la scène il a téléphoné aux services d’urgence.
-Donc si je comprends bien, vous aviez à la mosquée, la prière du vendredi, et la mosquée était remplie, je suppose ?
-Oui…
-Donc, il est possible que cette attaque envers monsieur Mawami se soit passée pendant la prière, après qu’il se soit retiré dans son bureau…
-…C’est vrai; je n’avais pas pensé à ça.
-Il faudrait avoir la liste de toutes les personnes qui étaient là hier soir.
-Il y avait là la communauté habituelle ! C’est environ quarante personnes ! Il y avait sans doute quelques personnes absentes, mais la plupart des membres de notre communauté assiste à la prière du vendredi.
-Savez-vous si Amir Mawami venez à la mosquée pendant la semaine ?
-Très probablement; il s’occupait de bien des choses.
-Revenons à la séquence des événements; quand vous êtes arrivé à la mosquée où se trouvait l’imam ?
-Dans le couloir, je crois… Je crois qu’il était appuyé sur le mur la tête entre les mains.
-Il ne disait rien ?
-Non, je ne crois pas; quand il m’a vu entrer…
-Vous avez donc la clé de la mosquée ?
-Oui, j’ai une clé…
-Il faudra me faire une liste de tous ceux qui ont une clé.
-Oh, ce ne sera pas long; nous ne sommes que six. Moi, Amir Mawami, l’imam, le président du Conseil et deux autres membres de la paroisse.
-Bon, il va falloir interroger tout ce beau monde.
Roxanne intervient :
-Monsieur Zardai, est- ce que la porte d’entrée était verrouillée ?
-Non, justement… Je crois que d’habitude c’est Amir qui éteint les lumières et les portes, une fois que tout est fini, mais là, il n’a pas pu le faire.
-Donc, quand l’imam vous a vu entrer… reprend Paul.
-Oui, il n’était plus en panique; il était plutôt dans un état apathique, amorphe. Il m’a guidé vers le bureau.
-Et il n’y avait personne que lui dans la mosquée ?
-Non, bien sûr.
-Et avez-vous remarqué quelque chose d’inhabituel, comme une fenêtre ouverte, ou un meuble déplacé, ou encore des traces d’infraction ?
-Non, tout m’a semblé « normal », à part tout ce sang répandu dans le couloir…
-Et la porte arrière, est-ce qu’il était bien fermée ?
-La porte arrière ? Celle au bout du couloir ? Oui, il me semble qu’elle était fermée.
-Et est qu’il aurait pu y avoir, par exemple, des traces humides ou un peu d’eau au bas de la porte.
-Je ne sais pas; je n’ai pas fait attention.
-Qu’est-ce que vous faites dans la vie, monsieur Zardai ?
-Je suis ingénieur. Je travaille pour une firme conseil à Gatineau.
-Ça fait loin pour aller au travail…
-Mais en fait, je travaille beaucoup de la maison; tout se fait par ordinateur, vous savez. Je ne vais à Gatineau qu’une fois par semaine.
-Parlez-moi de la mosquée… Pourquoi avoir construit une mosquée à Papineauville ?
-Et bien, c’est simplement que la communauté musulmane s’est considérablement accrue dans la région ces dernières années. Il y a déjà une mosquée à Gatineau, mais c’est pour la communauté musulmane chiite et nous nous sommes sunnites. Les chiites et les sunnites sont deux branches de l’Islam et il y a parfois des… différences de vue entre les deux groupes. Au Pakistan, mon pays d’origine 75% de la population est sunnite et 20% environ est chiite, localisés principalement dans la région du nord-ouest du pays près de la frontière avec l’Afghanistan qui est un pays à majorité chiite. Mais dans les années 1990 et même 2000 des tensions entre les deux communautés ont provoqué la mort de plus de 4 000 personnes. Alors, il a été décidé de construire la mosquée sunnite ici un peu à l’écart; d’ailleurs les terrains sont beaucoup moins chers ici et les loyers aussi.
-Tous les membres de la mosquée sont Pakistanais ?
-Non, bien sûr ! Il y a des Iraniens, des Libanais, quelques familles du Yémen, de l’Irak et d’autres de l’Afrique comme des jeunes étudiants; mais à la base c’est la communauté pakistanaise qui a financé la construction de la mosquée. C’est d’ailleurs pour ça qu’elle s’apelle Badsahi; au Pakistan la Badhahi Mosque, comme on dit en anglais est la deuxième plus grande du pays. Pendant trois cents ans, jusque vers 1980 c’était la plus grande mosquée du monde entier.
-Dites-nous une chose… demande Roxanne; savez-vous si Amir Mawami a fait partie des initiateurs du projet de mosquée ?
-Oui, bien sûr; c’est l’un des principaux fondateurs. Grâce à son commerce, il avait de très nombreux contacts ici et dans bien des pays, et il a été l’un de ceux qui a été le plus efficace dans nos campagnes de financement.
-Il est commerçant ? Dans quel domaine ?
-Il importe des vêtements du Pakistan, qui sont très en demande ici. Il a un magasin ici à Papineauville et un autre à Ottawa je crois.
-Une dernière question monsieur Zardai, ensuite nous vous laisserons repartir, et vous remerciant de votre inestimable collaboraiton. Savez-vous si mousieur Mawami avait des ennemis ?
À cette question, Nawaz Zardai sursaute de façon presque risible.
-Des ennemis ? Quels genres d’ennemis ?
-Ben vous savez, des concurrents commerciaux… ou alors des individus chiites, peut-être ?

-Je ne vois vraiment pas de quoi vous voulez parler ! J’ignore si Amir avez des ennemis et s’il en avait, il ne m’en a jamais parlé !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire