Meurtre à la mosquée
Chapitre 7
Roxanne raccompagne Stéphanie vers la sortie. En
enfilant son manteau, la jeune interprète soupire :
-C’est la première fois que j’aie à travailler avec la
police.
-Et alors, comment vous sentez-vous ?
-Je ne sais pas trop; j’ai l’habitude de travailler
avec les réfugiés et mon travail consiste à traduire le plus exactement leurs propos;
mais je sens que continuellement qu’ils marchent sur une sorte d’étroite
frontière entre la vérité à ne pas dire et les mensonges à cacher. Et ici, j’ai
eu la même impression.
-Vous croyez que l’imam a menti ?
-Non… je ne peux pas dire ça ! Mais par exemple, parfois
le ton de sa voix changeait ou encore le rythme de ses paroles n’était plus le
même.
-Dites-moi Stéphanie, si on repasse l’enregistrement,
vous pourriez nous dire où, je suppose ?
-Oui; si ça peut vous être utile.
-Certainement. Voici une voiture qui vous attend; il
est certain que nous allons vous rappeler.
En ouvrant la porte pour la laisser sortir, Roxanne s’aperçoit
que la température a considérablement changé depuis ce matin : la saisit un
vent froid et perçant qui fait virevolter les flocons. Le sol est glacé. En
repassant vers le hall d’entrée elle voit que la foule des supporters de l’imam
Murama s’est légèrement clairsemée, température aidant, mais ils sont encore
nombreux, serrés les uns contre les autres, des hommes surtout mais aussi
quelques femmes, à attendre sa sortie.
Près de la porte elle voit son père en grande
discussion avec l’imam et Nawaz Zardai. Paul semble exaspéré et elle sursaute à
son ton presque agressif.
-Monsieur Zardai, je sais que votre religion vous
commande de procéder l’inhumation dans les vingt-quatre heures, mais répétez-lui
ce que je vous dis pour la vingtième à savoir que je ne peux pas vous rendre le
corps de monsieur Mawami avec qu’il y ait eu autopsie; moi, c’est la loi de ce
pays qui m’y oblige, et jusqu’à preuve du contraire, la loi a encore préséance
sur les prescriptions religieuses ! Maintenant, demandez-lui de quitter les
lieux, sinon je n’aurais d’autre choix que de la mettre à l’amende pour refus d’obtempérer.
Quant à vous, je vous ai dit que j’avais encore besoin de recueillir votre
témoignage.
Nawaz Zardai arrive finalement à persuader son imam à
quitter le poste de police, ce qu’il fait visiblement et ostensiblement à
contrecœur. Dès que la porte s’ouvre, une clameur s’élève : ce sont les
acclamations de la petite foule qui faisait le pied de grue à l’attendre depuis
tôt ce matin.
-Bon débarras,
maugrée Paul entre ses dents, mais Roxanne l’entend tout de même.
Durant son interrogatoire, Nawaz Zardai répétera, dans
un mélange de français et d’anglais, avoir reçu un appel de l’imam vers vingt
heures trente; l’imam était en panique, ces propos étaient à moitié incohérents
mais il a compris qu’il s’était passé quelque chose avec Amir Mawami, qu’il
était blessé gravement, qu’il y avait du sang. Alors il est accouru le plus vite
possible et il n’a pas que constaté que Amir Mawami était mort affalé sur la
chaise de son bureau, très probablement d’une mort violente. Dès qu’il a vu la
scène il a téléphoné aux services d’urgence.
-Donc si je comprends bien, vous aviez à la mosquée,
la prière du vendredi, et la mosquée était remplie, je suppose ?
-Oui…
-Donc, il est possible que cette attaque envers
monsieur Mawami se soit passée pendant la prière, après qu’il se soit retiré
dans son bureau…
-…C’est vrai; je n’avais pas pensé à ça.
-Il faudrait avoir la liste de toutes les personnes
qui étaient là hier soir.
-Il y avait là la communauté habituelle ! C’est
environ quarante personnes ! Il y avait sans doute quelques personnes absentes,
mais la plupart des membres de notre communauté assiste à la prière du vendredi.
-Savez-vous si Amir Mawami venez à la mosquée pendant
la semaine ?
-Très probablement; il s’occupait de bien des choses.
-Revenons à la séquence des événements; quand vous
êtes arrivé à la mosquée où se trouvait l’imam ?
-Dans le couloir, je crois… Je crois qu’il était
appuyé sur le mur la tête entre les mains.
-Il ne disait rien ?
-Non, je ne crois pas; quand il m’a vu entrer…
-Vous avez donc la clé de la mosquée ?
-Oui, j’ai une clé…
-Il faudra me faire une liste de tous ceux qui ont une
clé.
-Oh, ce ne sera pas long; nous ne sommes que six. Moi,
Amir Mawami, l’imam, le président du Conseil et deux autres membres de la
paroisse.
-Bon, il va falloir interroger tout ce beau monde.
Roxanne intervient :
-Monsieur Zardai, est- ce que la porte d’entrée était verrouillée
?
-Non, justement… Je crois que d’habitude c’est Amir
qui éteint les lumières et les portes, une fois que tout est fini, mais là, il
n’a pas pu le faire.
-Donc, quand l’imam vous a vu entrer… reprend Paul.
-Oui, il n’était plus en panique; il était plutôt dans
un état apathique, amorphe. Il m’a guidé vers le bureau.
-Et il n’y avait personne que lui dans la mosquée ?
-Non, bien sûr.
-Et avez-vous remarqué quelque chose d’inhabituel,
comme une fenêtre ouverte, ou un meuble déplacé, ou encore des traces d’infraction
?
-Non, tout m’a semblé « normal », à part
tout ce sang répandu dans le couloir…
-Et la porte arrière, est-ce qu’il était bien fermée ?
-La porte arrière ? Celle au bout du couloir ? Oui, il
me semble qu’elle était fermée.
-Et est qu’il aurait pu y avoir, par exemple, des
traces humides ou un peu d’eau au bas de la porte.
-Je ne sais pas; je n’ai pas fait attention.
-Qu’est-ce que vous faites dans la vie, monsieur
Zardai ?
-Je suis ingénieur. Je travaille pour une firme
conseil à Gatineau.
-Ça fait loin pour aller au travail…
-Mais en fait, je travaille beaucoup de la maison; tout
se fait par ordinateur, vous savez. Je ne vais à Gatineau qu’une fois par
semaine.
-Parlez-moi de la mosquée… Pourquoi avoir construit
une mosquée à Papineauville ?
-Et bien, c’est simplement que la communauté musulmane
s’est considérablement accrue dans la région ces dernières années. Il y a déjà
une mosquée à Gatineau, mais c’est pour la communauté musulmane chiite et nous
nous sommes sunnites. Les chiites et les sunnites sont deux branches de l’Islam
et il y a parfois des… différences de vue entre les deux groupes. Au Pakistan, mon
pays d’origine 75% de la population est sunnite et 20% environ est chiite, localisés
principalement dans la région du nord-ouest du pays près de la frontière avec l’Afghanistan
qui est un pays à majorité chiite. Mais dans les années 1990 et même 2000 des
tensions entre les deux communautés ont provoqué la mort de plus de 4 000 personnes.
Alors, il a été décidé de construire la mosquée sunnite ici un peu à l’écart; d’ailleurs
les terrains sont beaucoup moins chers ici et les loyers aussi.
-Tous les membres de la mosquée sont Pakistanais ?
-Non, bien sûr ! Il y a des Iraniens, des Libanais,
quelques familles du Yémen, de l’Irak et d’autres de l’Afrique comme des jeunes
étudiants; mais à la base c’est la communauté pakistanaise qui a financé la
construction de la mosquée. C’est d’ailleurs pour ça qu’elle s’apelle Badsahi;
au Pakistan la Badhahi Mosque, comme on dit en anglais est la deuxième plus
grande du pays. Pendant trois cents ans, jusque vers 1980 c’était la plus
grande mosquée du monde entier.
-Dites-nous une chose… demande Roxanne; savez-vous si
Amir Mawami a fait partie des initiateurs du projet de mosquée ?
-Oui, bien sûr; c’est l’un des principaux fondateurs.
Grâce à son commerce, il avait de très nombreux contacts ici et dans bien des
pays, et il a été l’un de ceux qui a été le plus efficace dans nos campagnes de
financement.
-Il est commerçant ? Dans quel domaine ?
-Il importe des vêtements du Pakistan, qui sont très
en demande ici. Il a un magasin ici à Papineauville et un autre à Ottawa je
crois.
-Une dernière question monsieur Zardai, ensuite nous
vous laisserons repartir, et vous remerciant de votre inestimable
collaboraiton. Savez-vous si mousieur Mawami avait des ennemis ?
À cette question, Nawaz Zardai sursaute de façon
presque risible.
-Des ennemis ? Quels genres d’ennemis ?
-Ben vous savez, des concurrents commerciaux… ou alors
des individus chiites, peut-être ?
-Je ne vois vraiment pas de quoi vous voulez parler !
J’ignore si Amir avez des ennemis et s’il en avait, il ne m’en a jamais parlé !
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