mardi 11 avril 2017

Un lieu de reposChapitre 2


                Paul Quesnel, directeur du poste de la Sureté du Québec, regarde tout autour de lui l’environnement de la scène du crime; car il s’agit bien d’une scène de crime, et qui étonne d’autant plus dans ce lieu tout à fait improbable : un lieu de repos, un lieu de calme et de tranquillité, propice à la réflexion intérieure, à la méditation. Paul fait quelques pas dans ce qu’il se dit être une sorte de parcours aménagé exprès pour la contemplation; un sentier élégamment sinueux entre les bosquets d’arbres, les parterres de fleurs et les monticules pierreux, agréablement enjolivé des clapotis de la rivière et les gazouillis des oiseaux. Comme si on était dans un autre monde, comme si on avait atteint une autre dimension. À intervalles à peu près réguliers, on trouve un poste d’arrêt avec un banc orienté vers un point de vue particulier. Ces « stations » sont aménagées de telle sorte qu’elles sont cachées l’une de l’autre, isolées les unes des autres; la distance et les courbes du sentier font qu’à partir d’un de ces arrêts on ne peut voir ni le précédent ni le suivant… et donc d’où on ne peut être vu. À chacun de ces arrêts, on peut lire sur des panneaux une pensée ou une recommandation : « Je rends grâce pour les beautés de la nature »; « Je respire profondément; cet air qui rentre et qui sort me purifie »...  
                Paul se trouve devant le septième de ces « stations » l’une des plus éloignées du point de départ et d’arrivée, qui se situe près du petit monastère des sœurs de SNMJ. Sur le banc en question, se trouvent deux cadavres, un homme et une femme. Par terre il y a un pistolet; un RG70, probablement de calibre 3. L’arme du crime ? L’autopsie le déterminera. Les cadavres sont à demi-couchés l’un par-dessus l’autre, la femme, à gauche sur le banc, affalée sur les genoux de l’homme, et l’homme à son tour le torse tombé sur le corps de la femme, les bras ballants. Chacun à une blessure à la tempe droite, presque au même endroit, une blessure par balle. Le sang a coulé des deux blessures, sur les corps, sur le banc et finalement sur le sol. La tache de sang sur le sol n’est pas très étendue; l’herbe semble en a absorbé une bonne partie. Les deux corps sont encore humides de rosée. Ça s’est probablement passé hier dans la soirée, ou en fin d’après-midi.
                Il est à peine neuf heures, mais déjà le soleil réchauffe l’air et fait s’évaporer la rosée, ce qui crée pendant quelques instant une légère nuée autour des corps. Ils sont vêtus pour la saison, en chandails et pantalons. À part les blessures à la tête, ils ne semblent pas porter d’autres marques de violence.
Le premier appel d’urgence a été lancé vers huit heures et quart en ce lundi matin. Paul était en route et il se dirigeait vers bureau quand on l’a averti qu’un appel d’urgence parlait de deux morts à Plaisance, au monastère de SNJM. Il s’y est rendu donc directement. Les premiers agents étaient déjà sur place en train de délimiter la scène du crime et d’éloigner les personnes présentes. Ces personnes sont en fait, six cyclistes dont les agents prennent les coordonnées, et les cinq sœurs de la petite communauté. Il y a aussi deux autres locataires.
Paul décide de prendre leur déposition tout-de-suite; il viendra examiner les lieux en détails unes fois qu’il saura ce qui s’est passé… quitte à faire des interrogatoires plus poussés plus tard. Paul a aussi appelé son homologue de Gatineau pour faire venir l’équipe technique et scientifique; il aura besoin de son expertise.
                Les agents ont rassemblé les gens près de leurs voitures. Paul voit trois couples en tenue de cyclistes : Martin Brison et Alexandra Châteauneuf, Diana Gonzalez et Frédérique Tousignant, et Emma Wilson et Jean-Jacques Bérubé, tous de Gatineau. Ils ont l’air passablement secoués, tout équipés qu’ils sont pour une véritable randonnée : casques et vêtements de sports, cuissards, gants; leurs vélos sont munis de bouteilles d’eau miroirs, de garde-boues, de porte-bagages auxquels sont suspendues de sacoches bien pleines.
                -Vous pouvez aller loin comme ça ? commence Paul.
-Oui, nous sommes sur notre retour vers Montréal.
-Bonjour, je suis l’inspecteur Quesnel de la Sureté du Québec. Commençons pas le commencement : qui d’entre vous a fait la découverte ?
                -En fait, c’est surtout moi.
                -Et vous êtes…
-Alexandra Châteauneuf…
                -Très bien; venez nous allons nous assoir dans la voiture et vous allez me raconter ce que vous avez vu.
Une fois dans la voiture, un crayon à la main Paul reprend : « Bon, racontez-moi ce que vous savez, madame Châteauneuf… »
                -Pas grand-chose en fait. Nous devions partir pour notre prochaine étape, on devait se rendre jusqu’à Montebello à travers les routes secondaires…
-Jusqu’à Montebello, environ soixante kilomètres…
-Oui, c’est ce qu’on fait chaque jour à peu père; notre destination finale est Montréal. Et chaque jour, on essaye toujours de partir assez tôt le matin, surtout les journées de soleil pour éviter les grosses chaleurs. Et au moment de partir, après le petit déjeuner, la sœur Gisèle nous a dit de passer par le Sentier des pèlerins, parce que ça valait le coup d’œil, et c’est vrai que c’est très beau. Comme il y a une sortie au bout du terrain qui donne sur la route, nous n’aurions pas besoin de revenir sur nos pas. Nous marchions à côté de nos vélos, et juste au moment où on allait prendre la sortie…
-Prenez votre temps… Qu’est-ce qui s’est passé ?
-Juste au moment où nous allions prendre la sortie j’ai jeté un dernier coup d’œil sur ce bel endroit et j’ai vu un drôle de forme, comme une forme humaine… couchée, affaissée. C’était caché à travers les branches, et je me suis demandé ce que ça pouvait être. Et quand je me suis approchée, j’ai vu… j’ai vu…
-Vous avez vu le corps de deux personnes mortes.
-Oui ! C’était horrible ! J’ai crié vers les autres et ils se sont approchés… Et là, on ne savait pas quoi faire… je crois que c’est Jean-Jacques qui a téléphoné au 911.
-Et qu’avez-vous fait ensuite ?
-On est juste restés groupés près de la sortie et on a attendu la police.
-Merci, madame; nous allons sortir maintenant et j’aimerai que vous me montriez où est-ce que vous étiez exactement. Nous ne nous approcherons pas des corps inutilement, je vous le promets.
Paul fait passer Alexandra sous le cordon de sécurité et celle-ci le mène à son tour à un endroit bien précis.
-Voilà, c’est ici que j’étais quand j’ai voulu jeter un dernier coup d’œil…
-Et le banc avec les corps est en arrière de ces petits arbres… Je vois… Merci beaucoup, madame Châteauneuf.

Le deuxième était son mari, Martin Brisson. Paule est resté au même endroit pour bien reconstituer les événements.
-Nous sommes des gens à la retraite ou en semi-retraite, nous sommes des amis des longue date, nous habitons sur la Rive-Sud de Montréal; moi et Alexandra Longueuil, et Diana et Frédérique à Saint-Hubert. Emma et Jean-Jacques habitaient aussi à Saint-Hubert, mais il y a deux ans, à la retraite de Jean-Jacques, ils se sont achetés une maison à Saint-Hilaire, une belle maison. Nous aimons tous faire du vélo, et chaque année depuis trois, quatre ans… c’est ça, oui, ça fait faire notre quatrième excursion, on organise un circuit de vélo. Partir de la Rive-Sud, c’est très pratique. La première année on est allés à Sherbrooke en dix jours, ce n’est pas trop difficile, les routes sont assez faciles. Ensuite, on est allés à Québec, et puis on a fait les Laurentides, la Piste du Petit-train-du-Nord; et cette année on est allés à Ottawa, par la rive sud pour aller en passant par Vaudreuil, Hawkesbury, Orignal, etc, et là nous sommes sur le chemin du retour. Il nous reste trois étapes avant de revenir chez nous.
-Quand Alexandra a crié, où est-ce que vous étiez ?
-J’étais… juste ici ! dit Martin en montrant un endroit tous près du passage dans les sous-bois qui mène à la route.
« J’ai laissé mon vélo sur place et je suis allé voir moi aussi. J’ai pris Alexandra dans mes bras, qui était comme dans un état de choc. Ça se comprend. Jamais on imaginerait trouver des cadavres dans un endroit comme ici.
-C’est vous qui avez appelé le 911 ?
-Non, c’est Jean-Jacques. Lui et Emma étaient déjà engagés dans la sortie, mais ils ont rebroussé chemin quand ils ont entendu Alex. Diana et Frédérique étaient passés en premier et ils étaient déjà rendus sur la route et quand ils ont entendu nos cris. Frédérique a laissé Diana surveiller les vélos et il est revenu en courant, et lui aussi a tout vu.
-Merci monsieur Brisson.
-Est-ce qu’on va pouvoir s’en aller ?
-Oui, bientôt sans doute; je dois parler aux autres.
-C’est que chaque jour nous avons une étape à franchir; on a fait nos réservations à l’avance à chacune de nos étapes. Si on part trop tard, on ne pourra pas rejoindre Montebello et on va perdre nos réservations.

-N’ayez crainte, monsieur Brison; s’il le faut je demanderai à mes hommes de vous amener jusqu’à Montebello.

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