mercredi 6 septembre 2017

Un lieu de repos
Chapitre 18
               
                En effet Juliette aura un petit sourire en coin lorsque Paul lui racontera sa journée et surtout la « défection » de Roxanne.
                Il est revenu à Papineauville et a terminé sa journée au poste de police; il faut quand même continuer de s’occuper de plusieurs autres affaires en cours, notamment une épidémie de vol dans les chalets des environs. Il s’agit certainement de filous de la place qui observent les allées et venues de vacanciers et qui attendent que ceux-cu ferment leurs chalets pour la saison froide. Heureusement les gens ne laissent pas beaucoup de richesses derrière eux et la majorité des vils rapportés sont ceux de petits appareils ménagers, comme les micro-ondes, les grille-pain, les cafetières, les téléviseurs… Il y a aussi des horloges, quelques meubles, des bicyclettes. Il faudra surveiller les prochains marchés aux puces, c’est presque toujours là que se retrouvent les biens volés.
                -En tout cas, je trouve qu’elle a vite fait d’oublier son Fabio ! s’exclame Paul assis à table de cuisine de sa Juliette alors que celle-ci lui sert une belle assiettée d’escalopes de veau à l’italienne servi avec des pâtes, avec bien sûr un joli verre de vin. Cette dernière a un petit geste de la main :
                -Et alors ! De toute façon, combien de fois as-tu dit qu’ils n’étaient pas faits l’un pour l’autre ?…
                -C’est vrai, mais elle aurait pu attendre un peu ! Elle vient de rompre avec lui, il y a à peine quatre jours et là voilà qui se laisse prendre aux charmes du premier venu… Je croyais ma fille plus sérieuse que ça !
                -Que veux-tu que je te dise ? Au moins, c’est un policier : ils auraient plus de choses en commun…
                -Et un autre latino en plus !
                -Qu’est ce ça peut bien faire ?... C’est bien au contraire ! Il va adorer qu’elle possède des rudiments d’espagnol… Ta fille aussi a des atouts qui ne sont pas négligeables. Je ne vois pas pourquoi tu montes sur tes grands chevaux ! Et puis, elle est majeure et vaccinée, je te ferai remarquer.
                Paul porte sa fourchette à sa bouche et prend une bouchée de pâtes. Après avoir avalé, il reprend :
                -Je sais, ça ne me regarde pas, mais j’avoue que j’ai été vraiment surpris ! On est partis à Granby pour une histoire de meurtre, peut-être un double meurtre, et elle, sans faire ni une ni deux, se met à roucouler comme si de rien n’était !
                -Ah la la ! Qu’est-ce qu’il y a Paul ? Ça ne te ressemble pas de te mettre en colère contre ta fille chérie comme ça !... Pour moi, il y a autre chose.
                Juliette plante ses yeux dans ceux de Paul.
                -J’ai raison ?
                -C’est vrai; je trouve que je n’avance pas dans cette histoire de possible double meurtre; cette visite à Granby n’a pas donné grand-chose…
-Pourquoi parles-tu toujours de double meurtre ? Pourquoi ne s’agirait-il pas de deux suicides ?...
-Oui, ce n’est pas totalement exclus, mais je n’y crois pas trop. L’autopsie n’a rien pu conclure de définitif : tout ce qu’on a pu déduire c’est qu’ils sont tous les deux morts par balles. Et puis, lui Antoine Meilleur, il venait de gagner sa cause en justice, près de trente-six millions, c’est une somme ! C’est à séparer en 250 ou à peu près, mais quand même, c’est toute une victoire. Et après toutes ces années !...
-Tu dis toi-même qu’il faut creuser toutes les pistes jusqu’au bout… Fais-le aussi pour la thèse du suicide.
-Tu as raison, ma chérie. Tu sais c’est vraiment bon ce que tu as préparé !
-C’est une recette assez simple; je pensais bien que tu aimerais ça.
-Pas une recette Ricardo j’espère !
Juliette ne peut s’empêcher de rire.
-Non, non… Mange donc sans poser de questions.
Paul et Juliette savourent leur repas quelques instants.
-En tous cas, à part l’escapade de Roxanne, je répète que cette visite à Granby n’a rien donné !
Ce en quoi Paul se trompait complètement.
La preuve, le téléphone se met à sonner.

« L’escapade » de Roxanne se déroulait fort bien. Après le départ de son père et des deux autres agents vers Papineauville, elle avait accompagné Miguel au poste de la Sureté du Québec et elle l’avait laissé finir sa journée.
-Pendant de temps, j’irai flâner dans la ville.
-Si jamais il commence à pleuvoir et que tu veux te mettre à l’abri, lui répond Miguel en pointant un ciel menaçant, il y a une belle bibliothèque juste ici à deux pas. Elle est bien équipée. En plus des livres, on peut y louer toutes sortes de films et on a pas mal de choix de musique.
-Ah c’est une bonne idée ! Je vais aller t’y attendre.
-Et moi, je vais quitter le plus tôt possible…
Roxanne ne relève pas la faute de français. Pas cette fois-ci mon beau, mais tu ne perds rien pour attendre…
                En fin d’après-midi, vers 16h30, Miguel, qui s’est déjà mis en civil, retrouve Roxanne à la bibliothèque. Elle était en train d’écouter le disque de Michel Vallières et ne l’avais pas vu entrer.
                -Ah, te voilà ! Je ne t’attendais pas aussi tôt.
                -Tu as trouvé ce que tu voulais.
-Oui, mais en même temps je crois que j’ai dormi un peu.
-Viens on va se promener. Je vais te montrer la ville.
                La ville de Granby s’est construite autour de la rivière Yamaska, dont le nom vient de l’abénaqui et signifie « il y a des joncs au large ». Pendant longtemps, il aura été l’une des rivières les plus polluées et des plus nauséabondes du Québec. Mais depuis trente ans beaucoup d’efforts ont été déployés pour la dépolluer et la rendre plus attrayante. À Granby, on a aménagé les berges avec des espaces verts, des sentiers pour la marche, des aires de repos, à quoi des pistes cyclables qui suivent le trajet de l’ancienne voie ferrée. C’est là que Miguel mène Roxanne.
                -C’est mon coin préféré de Granby. Il y a bien sûr aussi le Parc national de la Yamaska, un peu au nord de la ville, qui est vraiment bien aménagé, mais il faut y aller en voiture; je t’y amènerai un jour.
                -Comment es-tu arrivé ici ?
                -En fait ce sont mes parents qui sont venus il y a une trentaine d’année. Ils étaient des réfugiés de la Colombie, et ils ont fui leur pays. Moi je n’avais que trois ans et mon frère un ! C’est vrai que la majorité des nouveaux arrivants s’installent à Montréal, mais ici il y avait, et il y a toujours, - c’est très surprenant - un très bon système d’accueil de la part des organismes sociaux, et tout s’est bien passé. Ils ont eu de cours de français, on leur a trouvé un appartement, des meubles, un emploi pour mon père. Vraiment les gens d’ici sont très dévoués. Moi je suis allé à l’école du quartier, je me suis fait des amis. Quand j’ai fini mon cours à Nicolet, j’ai été envoyé en Gaspésie. C’était pas mal, mais après quelques années j’ai demandé à être transféré ici, et ça a marché. Je te présenterai mes parents si tu veux; ils vivent toujours à Granby.
                -Hum… hum. Tu étais à Nicolet ? Comment ça se fait que je ne t’ai jamais vu ?
                -Je me souviens de toi; c’est vrai que c’était plus facile pour nous, les garçons, de remarquer les filles, vous étiez si peu nombreuses. Tu ne m’as pas remarqué probablement parce que je n’étais qu’un garçon parmi tant d’autres; et puis nous n’étions pas dans la même classe. Je terminais quand toi tu commençais.
                -C’est quand même dommage.
                -Ça ne fait rien; je suis content de te voir aujourd’hui. Tu vois tout ça ici, il y a dix ans, c’était des broussailles…
                Après la marche sur les bords de la Yamaska et au parc du Lac-Boivin, Miguel invite Roxanne dans l’un des nombreux bons restaurants de la ville.
                -D’accord, je te suis.
                À ce moment son téléphone se met à vibrer.
                -Excuse-moi… Oui, Miguel Del Potro… Pardon ?...  Non, mais…
                Miguel reste silencieux quelques instants et son expression devient très concentrée.
                -Oui… oui… je comprends. Je…
                Il se tourne vers Roxanne : « Il a raccroché. »
                -C’était qui ?
                -C’était un certain frère Honoré…
                -Honoré Lépine ! On l’a rencontré ce matin avec le directeur du collège.
                -Oui, c’est lui. Il m’a dit… c’était assez confus… Il parlait vite et bas, comme s’il ne voulait pas qu’on l’entende. Il a dit au début qu’il voulait parler à ton père, mais finalement il m’a demandé de lui faire un message : il a dit que le directeur Jean-Yves Galarneau n’a pas dit toute la vérité; il n’était pas au collège la fin de semaine dernière, la fin de semaine du meurtre. Et il m’a dit de demander à sœur Gisèle où il était !
                -Ils étaient ensemble ?
                -Je ne sais pas; c’est possible. Subitement, il a raccroché.

                -Il faut que j’appelle mon père… immédiatement.

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