lundi 25 septembre 2017

Un lieu de repos
Chapitre 21

                Ce matin-là en se rendant au travail au poste de la Sureté du Québec de Papineauville, Paul Quesnel ne pensait pas y retrouver un visage familier.
                -Tiens !? Simon-Pierre Courtemanche ! Mon journaliste préféré ! Ne me dis pas que tu m’attendais ?
                Paul s’adresse par un petit homme qui porte des petites lunettes cerclées de fer, moustachu et bedonnant d’une quarantaine d’années, Simon-Pierre Courtemanche. Depuis toujours, il est journaliste des faits divers d’Au courant, l’hebdomadaire de la région de l’Outaouais. En fait, pour un hebdomadaire régional, les « faits divers » recouvrent tout autant la vie politique, judiciaire et celle de groupes sociaux comme les Chevaliers de Colomb et le Cercle des fermières tout autant que l’inauguration de nouveaux établissements commerciaux ou que les désastres naturels. Paul le connaît bien; il sait qu’il est doué d’un bon sens de l’intuition; et surtout Paul considère sait être discret, jamais envahissant, et qu’il fait son travail honnêtement, cherchant autant que possible à bien informer son public sans pour cela harceler outre-mesure les autorités. Simon-Pierre Courtemanche est aussi un passionné des réseaux sociaux. Il se vante d’avoir 2 000 amis sur son compte Facebook, « plus que n’importe quel maire de la région. »
                -Et bien oui justement, j’aurai quelques petites questions pour vous…
                -Et quel bon vent t’amène ? Il me semble que tu te fais rare ces temps-ci…
                -C’est vrai; je n’peux pas vous en parler trop, mais je suis sur un coup fumant, un reportage qui va faire du bruit, je vous le garantis. Et c’est pour bientôt !
                -En attendant, qu’est-ce que je peux faire pour toi ce maint ?
                Simon-Pierre Courtemanche n’hésite pas une seconde, sa question était visiblement déjà prête.
                -Est-ce que c’est vrai que vous embarquez les bonnes sœurs asteure ?
                Paul ne s’attendait pas à cette question. Il réfléchit durant deux secondes.
                -Comment tu sais ça d’abord ?
                -Voyons, monsieur le directeur, vous savez bien que dans mon métier, il s’agit de tout savoir… mais, je peux bien vous le dire à vous : j’ai des bons informateurs. Alors, c’est vrai ou c’est pas vrai ?
                -C’est vrai. Hier soir, j’ai demandé à sœur Gisèle Saint-Germain de la communauté des Saints-Noms-de-Marie-et-de-Jésus de nous suivre au poste; c’est relié, comme tu peux t’en douter, à cette affaire des deux morts suspectes retrouvées sur le terrain de la communauté à Plaisance.
                -Est-ce qu’elle considérée comme suspecte ?
                -Non; elle est accusée de faux témoignage et d’entrave à la justice. Elle devrait comparaître aujourd’hui au Palais de justice de Gatineau et devrait vraisemblablement être relâchée sous certaines conditions. Tu sais comment ça marche.
                -Est-ce que vous projetez d’arrêter d’autres sœurs de la communauté.
                -Non, pas pour l’instant.
                -Et avez-vous des pistes qui pourrez vous mener à la résolution de cette affaire ?
                -Il y a plusieurs pistes, en effet, que nous devons vérifier, mais ce ne sont que des suppositions. Mais l’une d’elle, comme tu le sais, nous a menés dans la ville de Granby, en Estrie.
                -Et là-bas, à Granby, avez-vous aussi procédé à une arrestation ?
                -Heu… Oui, en effet; suite à différents témoignages, nous avons aussi procédé à la mise accusation d’une autre personne, et pour le même motif : faux témoignage et entrave à la justice.
                -Une autre religieuse ?
                -Plutôt un autre religieux.
                -Il semblerait bien que tous les religieux sont des menteurs.
                -Simon-Pierre Courtemanche ! Je t’interdis d’émettre de tels commentaires ! Ça ne te ressemble pas.
                -Bon, bon. OK… je retire ce que j’ai dit, votre honneur.
                -Bon, maintenant, tu vas m’excuser mais je dois aller commencer ma journée qui va certainement être bien occupée.

                À Granby aussi la journée a commencé tôt. Dès huit heures du matin, Roxanne se retrouve dans le bureau de Miguel del Potro, le directeur-adjoint, autour d’une tasse de café, pour faire le point. La veille, ils avaient récolté la déposition d’Honoré Lépine, le sous-directeur du Collège des garçons, qui soutenait formellement que son directeur Jean-Yves Galarneau était absent le soir des deux morts suspectes à Plaisance.
                -Vous savez, avait-il ajouté à la toute fin, toute cette histoire de poursuite et de procédures judiciaires nous a passablement affectés. Tout le monde est sur les nerfs au collège, la direction, les professeurs, le personnel; et bien sûr les autres frères de la communauté qui nous en veulent énormément, à cause de cette somme énorme qu’il faudra payer. Depuis deux ans, Jean-Yves Galarneau a mis beaucoup d’énergie dans cette histoire; il est vraiment à bout. Ménagez-le si vous pouvez Mais ce n’est pas une raison de mentir ! Je veux que la vérité se fasse. Je sais que de nos jours les religieux n’ont pas bonne réputation dans le public, mais moi je suis honnête. Je ne sais pas si frère Jean-Yves est relié d’une quelconque façon aux morts de Plaisance, mais on doit découvrir la vérité.
                Ils avaient cependant gardé en détention préventive pour la nuit, le directeur même du collège : le témoignage d’Honoré Lépine avait été corroboré par celui de sœur Gisèle de Plaisance, il était bel et bien à Plaisance le soir des morts suspectes de Madeleine Chaput et Antoine Meilleur; et il était devenu le suspect numéro un. Ainsi, ce matin, Miguel et Roxanne, préparaient l’interrogatoire.
                Toujours hier soir, après le départ du sous-directeur, la question du séjour de Roxanne s’était posée.
                -Tu peux venir chez moi si tu veux. Tu pourrais rencontrer mes parents.
-Tu habites chez tes parents ?
-En fait, c’est plutôt mes parents qui habitent chez moi. J’ai acheté une maison sur la rue Fairmount, de l’autre côté de la ville, il y a trois ans. En fait c’était l’ancienne résidence du pasteur de l’église anglophone de l’Église unie, mais ça fait de nombreuses années qu’elle n’est plus utilisée. L’église l’a louée pendant des années, mais elle a été mise en vente et je l’ai achetée. La maison avait besoin de pas mal de rénovations, mais mon père est assez bon bricoleur pour s’en occuper. Mes parents vivent au sous-sol qui a été transformé en logement. Ils adorent cet arrangement; ils disent que comme ça, ils pourront ainsi voir leurs petits-enfants tous les jours… quand j’en aurai.
Miguel avait laissé partir un petit rire franc.
-Mais ça n’a pas l’air d’être pour tout de suite. Viens les voir, ça leur fera plaisir.
-C’est gentil mais je préfère aller à l’hôtel… J’enverrai la note à mon père.
Roxanne rit à son tour.
-Je ne peux te laisser l’appartement de service car il est déjà occupé.
-Non, non; l’hôtel ira très bien. Mais j’ai besoin de m’acheter des objets de première nécessité. Je n’ai même pas de linge de rechange !
-On peut aller chez Jean Coutu, ou alors chez Walmart qui… ferme dans quinze minutes !
-Tu vas chez Walmart toi ?
-Non, pas souvent ! Mais là, c’est un cas de force majeure. Prenons ma voiture !
En effet, Roxanne avait trouvé tout ce dont elle avait besoin au géant américain de la surconsommation : brosse à dent, dentifrice, pyjama et petite culotte; elle avait aussi pris une bouse supplémentaire. Puis Miguel l’avait conduite au Motel Maska. Ils s’étaient dit bonsoir en se souriant.
Roxanne avait bien dormi dans un lit trop mou, même si ça lui avait pris un peu de temps pour s’endormir; pourtant ça avait été une longue journée.

Ce matin, Miguel est revenu la chercher. Ils sont en compagnie de Sébastien Geiser, l’officier qui était de garde la nuit dernière. Il leur explique :
-Oui, comme je vous le dis, très tôt, c’était juste après six heures, il a demandé à faire un coup de téléphone.
-Ça c’est vraiment embêtant…
-Il avait le droit; il n’y avait rien de noté à son dossier.
-C’est vrai, je ne l’ai pas spécifié hier soir ! Je ne sais pas où j’avais la tête !
-Ce n’est pas grave Miguel; ne te sens pas coupable.
-C’est ma faute ! Et tu ne sais pas à qui il a téléphoné, Sébastien ?
-Non, il n’a rien dit. Et nous n’avons pas le droit de récolter ces informations sans une directive d’un juge.
-Je le sais…
-Je peux juste dire que ça a duré une bonne quinzaine de minutes; et que ce n’était pas son avocat.
Roxanne intervient :
-Il a peut-être téléphoné à sœur Gisèle…
-Oui, c’est possible…. Ah ! ce que je m’en veux !
-Arrête de culpabiliser ! C’est fait, c’est fait !
Roxanne reprend : « Je crois qu’on devrait téléphoner à mon père pour lui demander ce qu’il en pense. »
-Oui, c’est vrai; il pourra nous aider pour la suite des événements.
-Il faut que Galarneau nous dise exactement ce qu’il a fait à Plaisance…
-Oui, et s’il peut prouver qu’il n’y est pas resté pour la nuit.
-Je pense à quelque chose : je pense qu’on devrait essayer de mettre mon père en écoute.

-Bonne idée ! Ce doit être faisable. J’appelle William mon technicien. Je reviens tout de suite. 

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