lundi 11 septembre 2017

Un lieu de repos
Chapitre 19
                Le coup de téléphone d’Honoré Lépine, suivi de celui de Roxanne à son père aura été comme un électrochoc dans l’enquête des deux morts suspectes au Repos du Pèlerin. Suffisant pour la résoudre ?
                Juliette voit son Paul tout concentré au téléphone; tout ouïe de ce qui lui raconte sa fille, il fronce les sourcils sur fort qu’une ride horizontale, qu’elle n’avait pas encore remarquée se forme sur le haut de son nez entre les deux yeux.
                -Voilà ce que vous allez faire : vous allez retourner tout de suite au collège pour y chercher Honoré Lépine; il faut absolument obtenir sa déposition écrite. Vous l’amenez au poste et…
                -…
                -Mais je sais que ce n’est pas de ta juridiction, mais Miguel est sur son territoire lui; il peut lui faire une sommation…
                -…
                -Il n’est plus en service ? Mais c’est l’un des assistants du directeur Arpin; il peut se remettre en service sans problème, qu’il demande une affectation à celui qui est le responsable en ce moment. Il faut y aller immédiatement. Battre le fer quand il est chaud, comme on dit. Et en même temps mettez la main sur le directeur Galarneau, et faites-lui un interrogatoire en règle; il faut lui faire sortir tout ce qu’il ne nous a pas dit cette après-midi... Moi, de mon côté je file vers Plaisance pour dire de mots à sœur Gisèle Bourque; elle aussi a certainement des choses intéressantes à raconter.
                -…
                -Qu’est-ce que tu dis ? Tu veux me passer Miguel ?
                -…
                -Ça va, ça va; je vais lui parler.

                -Capitaine Quesnel, j’ai peut-être une suggestion. Oui, nous allons tout-de-suite au collège retrouver Honoré Quesnel et en même temps essayer de coiffer Jean-Yves Galarneau, mais j’attendrai à demain pour l’interroger.
                -…
                -Pourquoi ? Et bien pour la simple raison que pour l’instant nous ne savons pas exactement sur quelle piste il faudra diriger les diriger; avant qu’on arrive vraiment à lui faire admettre quoi que ce soit, on peut tâtonner longtemps. Je crois que le plus urgent est de recueillir le témoignage de sœur Gisèle à Plaisance et une fois qu’on aura sa version on pourra mieux confronter le directeur Galarneau.
                -…
                -Vous trouvez que c’est une idée intéressante ? Merci capitaine...
                -…
                -Oui, je pense que Roxanne est d’accord avec moi.

                Avec un petit soupir, Juliette se dit qu’elle devra s’en accommoder, elle qui espérait passer une soirée en tête à tête avec son Paul de policier : Paul a repris le téléphone pour préparer sa visite impromptue au centre de retraite des sœurs des Saints noms de Jésus et de Marie. Elle sourit de la transformation qui vient de s’effectuer chez lui en quelques instants : alors que pendant le repas il était préoccupé, songeur, presque absent, alors qu’il semblait même prêt à baisser les bras, il est maintenant tout énergie et détermination. Sentant qu’il reprend les choses en mains, il est résolu à aller jusqu’au bout de cette histoire et de ne ménager aucun effort.
Après un appel au poste pour organiser une patrouille qui l’accompagnera, il téléphone au Sanctuaire des SNJM.

-Oui, bonsoir.
Paul reconnaît la voix calme de la religieuse de garde le soir au centre de retraite.
-Bonsoir sœur Annette. Ici le directeur du poste de la Sureté du Québec à Papineauville, Paul Quesnel. Vous vous souvenez de moi sans doute ? Je suis venu avec mon équipe chez vous il y a quelques jours quand on a découvert les deux corps sans vie dans le Sentier du pèlerin.
-Ah oui, bien sûr; comment peut-on oublier une telle histoire ?
-Écoutez, sœur Annette, j’ai besoin de voir sœur Gisèle ce soir même; il y a des développements dans l’enquête et j’ai besoin de vérifier quelques détails. Pourriez-vous me mettre en communication avec elle ?
-C’est que, monsieur l’inspecteur, après le repas du soir ce sont les complies… Les complies, c’est la dernière prière de la journée, avant d’aller dormir. Normalement on devrait la faire après le coucher du soleil, mais certaines de nos consœurs vieillissent et elles ont besoin d’aller se coucher plus tôt…
-Si vous ne pouvez pas me mettre en communication avec elle, pouvez-vous dire à sœur Gisèle, dès que les complies seront terminées, que j’arriverais d’ici quarante minutes.
-Oui, je lui dirais.
-Demandez-lui de m’attendre dans son bureau. Je connais le chemin et j’irai là-bas directement.
-Vous ne voulez pas que lui dise la raison de votre visite ?
-Ma sœur, essayeriez-vous de me tirer les vers du nez ?
-Bien sûr que non !
-Dites-lui, comme je vous l’ai dit, qu’il y a du nouveau et j’ai besoin de préciser quelques détails.
-Bien, je vais lui faire le message. Bonsoir, monsieur l’inspecteur.
-Bonsoir, ma sœur.

Sur le coup, Paul avait pensé aller à l’ermitage en force, mais il s’est ravisé et, finalement, il n’y va en prenant seulement avec lui la toujours fiable Isabelle Dumesnil. Daniel Casgrain restera au poste prêt à rapidement intervenir au besoin.
L’après-midi, en faisant le point, il avait informé son équipe des piètres résultats de l’intervention au Collège de Granby. En quelques mots donc, en route vers Plaisance, Paul met son officière au courant de derniers coups de téléphone de Miguel et de Roxanne.
-Tu vois, il faut savoir si oui ou non, Jean-Yves Galarneau était à Plaisance avec elle le soir des morts suspectes, et si oui, pourquoi elle nous a caché une information si importante ?
-Pour le protéger ?
-C’est ce que nous allons découvrir.

Au monastère des SNMJ, Paul se stationne le plus près possible de la porte, et d’un pas décidé se dirige vers l’arrière du bâtiment. Il se doute bien des visages le regarde derrière les rideaux de la salle commune et de chambres. En s’avançant vers la porte, il peut voir du coin de l’œil, et avec un sourire en coin le pavillon des sœurs encore tout éclairé. Là aussi, ce doit être comme une fourmilière.
-Tu viens avec moi et tu enregistres, rappelle-t-il à Isabelle.
Il cogne et ouvre la porte sans attendre la réponse.
Sœur Gisèle est bel et bien là derrière son bureau à les attendre. Les mains croisées bien posées sur dessus de son bureau, elle a son air distingué de prestance digne et de contrôle de soi qui lui est caractéristique, mais un bref instant, Paul croit voir une légère inquiétude dans son regard.
-Bonsoir.
-Bonsoir, sœur Gisèle, je vois que vous avez eu mon message.
-Bien sûr ! Sœur Annette m’a dit que vous aviez « quelques détails à préciser ». Est-ce qu’il fallait absolument le faire ce soir ?
-Sœur Gisèle, je vous rappelle qu’il s’agit de deux morts suspectes et que parfois oui, dans ce genre d’enquête il faut parfois agir vite. Ceci dit, voici l’officière Dumesnil qui enregistrera notre entretien et qui vous fera ensuite signer votre déposition.
-Suis-je accusée de quelque chose ?
-Non… Vous n’êtes accusée de rien, mais à ce stade-ci de l’enquête, je dois porter mon attention sur tous les détails et la procédure exige que cet entretien soit enregistré.
-Ah oui ?
-C’est aussi, en quelque sorte, pour vous protéger; ainsi nous ne pourrons pas, ultérieurement, déformer vos propos ou bien vous faire dire ce que vous n’avez pas dit.
-Et bien soit; quels « détails » dois-je clarifier ?
-Vous savez certainement que moi et mon équipe nous sommes allés à Granby et que nous y avons rencontré le directeur du Collège, frère Jean-Yves Galarneau, ainsi que le sous-directeur frère Honoré Lépine…
Paul fait une légère pause.
-Je me doutais bien que vous iriez y faire une visite, cela allait de soi.
-Très bien; ceci établi, Jean-Yves Galarneau nous a appris que lui et vous, vous vous connaissiez depuis plusieurs années, que cela datait de votre noviciat, et qu’au cours des années vous aviez développé une grande amitié entre vous deux.
Paul remarque une légère, très légère crispation dans les traits du visage de son interlocutrice.
-Ce que vous dites est vrai. Nous avons une grande estime l’un pour l’autre.
-Et nous avons également appris que, le soir des deux morts suspectes, c’est-à-dire dimanche soir dernier, Jean-Yves Galarneau n’était pas à Granby; non il était à Plaisance, ici même !
Cette fois-ci sœur Gisèle ne peut empêcher ses doigts de se tordre.
-S’il était ici, vous ne pouviez pas le savoir, ma sœur.
-C’est vrai, Jean-Yves était ici. Il était arrivé au milieu de l’après-midi, alors que la plupart des pensionnaires sont dehors, ou alors ne sont pas encore arrivés. Personne ne l’a vu arrivé; il est venu dans notre pavillon et nous avons passé le reste de la journée ensemble.
-Il savait que Madeleine Chaput et Antoine Meilleur seraient là; vous le lui aviez dit ?
-Oui, il le savait; je le tenais informé de chacune de leur visite.
-Et pourquoi est-il venu ? C’est qui lui aviez dit de venir ?
-Non, pas du tout ! Je crois… Il m’a téléphoné le matin même… Il était dans tous ses états. Il bafouillait au téléphone. Je n’arrivais pas à le calmer. Quand il m’a dit qu’il voulait me voir, je lui ai d’abord dit non, de ne pas venir. Mais il ne voulait rien entendre. Et à contrecœur, je lui ai dit de venir, mais de venir me trouver au pavillon des sœurs de ne pas passer par la réception. Quand il arrivé ici, il était dans un état de surexcitation qui m’a fait peur.
-Qu’est-ce qu’il voulait exactement ?
-Je crois… Il voulait confronter monsieur Meilleur et lui dire ses quatorze vérités. Il voulait lui dire à quel point il leur avait fait du mal, à lui et à tous sa communauté. Trente-six millions de dollars ! Ça mettait le collège en faillit, ça mettait toute la communauté en faillite. Tous ces pauvres frères qui avaient travaillé toute leur vie sans jamais recevoir de salaire se retrouvaient aujourd’hui sans rien ! Sans revenus, sans régime de retraite, sans même de lieu où aller, car il faudra évidemment vendre les bâtiments pour récolter une telle somme.
-Pourquoi avoir caché sa visite ?
-Pour le protéger. Quand on a découvert les corps le matin, je me suis tout-de-suite dit qu’on le soupçonnerait, c’était trop évident.
-Et bien, malgré tout; maintenant je le soupçonne de ce double meurtre.

-Mais ce n’est pas lui ! Il m’a quitté vers 21 heures; il était plus calme. Je l’ai accompagné jusqu’à sa voiture et je l’ai vu repartir pour Granby.

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