lundi 16 octobre 2017

Cela se passait près d’un lac

Chapitre 1

Le petit village Saint-Henri-de-Wentworth est l’un des lieux les plus discrets du Québec. En fait, le village comme tel n’a rien de spectaculaire avec quelques dizaines de maisons construites sans style et selon ls moyens du bord. On y trouve un dépanneur, une station-service et un terrain de camping sur le chemin du lac Farmer. Non, ce qu’il y a à voir, c’est ce qui vient après le village, un magnifique endroit que peu de gens connaissent. C’est vrai que comme il n’y a pas de route majeure, on ne vient pas souvent dans cette région incertaine des Basses-Laurentides toute faite de capricieuses collines en saute-mouton, toute en cours d’eau turbulents, en rivières en cascades qui relient une myriade de petits lacs. Une région idéale pour les gens qui aiment le calme et la solitude, idéale pour les amoureux de la nature.
Pierre Dansereau, le père de l’écologie au Québec, y avait séjourné plusieurs fois dans le années 1940 et 1950 alors qu’il enseignait, avant même que le terme existe, l’écologie à l’Université de Montréal. Alors que son étude sur l’érablière laurentienne lui vaut une certaine notoriété, le Service de biographie du Québec, qu’il vient de fonder, cherche à acquérir des terrains boisés afin de les conserver tels quels, pour s’en servir de terrain d’études pour de nombreuses recherches sur le développement des forêts du Québec.
C’est dans cette région qu’est déniché l’endroit idéal, justement au bout du chemin du Lac Farmer, une belle et grande forêt qui n’a jamais été touchée, bordée à l’ouest par un grand lac, lui aussi resté à « l’état sauvage », sauf pour le « Chalet de jésuite ». Aucun développement que ce soit n’y est autorisé, aucun aménagement, aucune coupe de bois.
Les jésuites s’étaient installés sur le bord ce qui allait devenir le lac Dansereau au début du siècle dernier. C’était la belle époque où chaque famille québécoise fournissait à l’Église catholique-romaine (en existait-il seulement d’autres ?) une fille religieuse et un fils curé. Les jésuites possédaient déjà des résidences dans la région, et ils avaient construit sur le bord du lac, une cabane en bois rond, cabane qu’ils avaient agrandie avec le temps, pour devenir un grand chalet d’une vingtaine de chambres; il y avait même eu pendant une certaine époque des petites cabines une peu dans la forêt. On pouvait y loger dans les belles année une bonne soixantaine de personnes.
Dès le début, les jésuites avaient été impliqués dans cette aventure d’une forêt à préserver dans son état naturel; le Service de biographie du Québec avait trouvé eux des alliés sûrs et convaincus.
Les cabines individuelles avaient été fermées puis graduellement démolies. Les jésuites n’avaient conservé que le chalet principal qui faisait face au lac. Chaque année il fallait y faire des réparations et des rénovations, pour ceux qui y venaient vantaient la beauté du site et la valeur inestimable de ce lieu de repos.
L’hiver, le chalet était fermé. Pendant longtemps, il n’y avait pas de chemin. Il fallait tout transporter à dos d’homme depuis la route; c’était la tâche des novices et des jeunes jésuites et il l’accomplissait avec joyeuse détermination. Aujourd’hui on pouvait se rendre en voiture jusqu’au chalet, mais il y avait trop de neige et on n’y allait pas.

On descend au lac par quelques marches de bois; les jésuites ont construit un quai qui s’avance un peu à partir duquel on peut plonger, et un autre pour accoster; il y aussi un bâtiment pour ranger les gilets de sauvetage les rames, le matériel de pêche; de petites salles pour se changer derrière des rideaux.
Sur son canot, au milieu du lac le père Jean-Marc Bouchard des jésuites contemplait le magnifique environnement; il ne pouvait s’en lassait. Du coin de l’oreille, il precevait, en ce matin d’automne, le bruit coutumier et dérangeant d’un moteur de bateau qui provenait… du lac voisin, le lac Croche, qui n’appartenait plus à la forêt protégé qui communiquait avec le lac Dansereau par une petite rivière vers le sud. Pendant longtemps les castors y avaient construits des barrages mais on avait réussi à les déloger avec des épouvantails.
Des chalets, il y en avait quelques-uns sur le bord de lac voisin Croche, mais les propriétaires avaient de tout temps tenu à préserver la discrétion du lieu. Sauf que depuis deux ans, ils devaient subir les assauts assourdissants d’un bateau à moteur qui détonnait affreusement; c’était une atteinte sans égale à la quiétude et à la beauté des lieux, au caractère presque sacré de l’endroit. On savait bien ce que s’était : c’était le bateau les fils Couture. Le vieux monsieur Paul-Émile Couture était décédé il y a quelques années et avait laissé son chalet sur les bords du lac Croche en héritage à ses enfants. Deux fils, Marc-André et Normand avaient racheté la part des autres. Ils avaient cru voir le potentiel des lieux, mais ils avaient déchanté devant les restrictions de toutes sortes contre le développement domiciliaire, les interdictions de toutes sortes, les nombreux règlements, contre le droit de chasser, le droit de circuler en véhicule motorisé en forêt. Mais comme il n’y avait aucune clause spécifique quant à la circulation en bateau sur le lac, « Un terrible oubli ! » selon leurs voisins, ils en avaient profité; et, depuis lors, l’été, ils sortaient leur bateau et effectuaient quasiment à la journée longue d’assourdissantes randonnées.
Leurs voisins se plaignaient et s’étaient plaints avec force. On avait voulu leur intenter un procès, mais les chances de succès étaient trop faibles, on avait abandonné l’idée. On avait alors modifié le règlement, et il était maintenant interdit de circuler en bateau à moteur sur le lac; mais comme on ne pouvait rendre le règlement rétroactif, on vivait une situation paradoxalement des plus injustes : personne ne pouvait faire du bateau sur les lac… personne d’autre qu’eux, les frères Couture qui jouissaient d’un droit acquis, et dont ils jouissaient allégrement.
-Tout ça est bien désolant se disait, le père Jean-Marc Bouchard en glissant doucement sur les eaux calmes du lac.
Il savait que ce serait sa dernière semaine au chalet. Il faudrait bientôt le fermer pour l’hiver. En cette fin novembre, on avait eu de la neige, quelques centimètres qui était restés sur le sol. Presque tout avait été rangé; on avait mis les tables et les chaises dans le sous-sol, on avait rentré le barbecue. Les canots, les chaloupes aussi étaient en leurs lieux d’hibernation.
Pendant de nombreuses années, l’été, le père Marc avait fait sa baignade matinale; tous les matins, beau temps mauvais temps. L’eau était fraîche, environ 22 degrés, mais si bonne. Il traversait le lac dans le sens de la largeur; 400 mètres aller, 400 mètres retour. À l’âge de 75 ans, il avait dû arrêter de se baigner seul; il devait avoir quelqu’un pour être avec lui, un autre frère généralement. Mais maintenant, il avait remplacé sa baignade par une ballade en canot. Il aimait regarder le reflet des arbres colorés dans l’eau; iI aimait écouter les oies, et les voir s’envoler, les geais, les hérons; parfois, il pouvait voir quelque truite bien grasse venir fouiner à la surface de l’eau.
Comme Dieu a créé un monde merveilleux; un monde de beauté et d’harmonie ! Oui dans ces moments-là, il se sentait proche du Dieu Créateur. Il rentrait sa pagaie, il fermait les yeux et il se mettait à méditait. Il priait en de mots d’action de grâces pour tous bienfaits dont Dieu nous comble chaque jour, à tout instant; il priait en mots d’intercession pour les autres, pour les gens qui souffraient, pour les victimes des violence et des guerres, pour les enfants qui souffrent de la famine et de privations; il priait en mots de confession pour tous les maux dont les humains affligent la terre, pour leur inconscience, pour toutes les façons dont ils maltraitent cette belle planète bleue si mal en point.
Pendant sa prière, le père Bouchard laisse son canot dévier.
Que tu es grand, que tu es beau ! Et que tu es si bon ! Merci pour cette belle vie que m’as donnée de vire.
Le fond du canot frotte un rocher qui affleure à la surface. Le canot a pénétré dans l’une des baies latérales. Le père Bouchard empoigne sa pagaie pour revenir vers le centre du lac puis jusqu’au quai du chalet. En tournant, il voit quelque chose flottant dans l’eau comme une amas de branchage, mais en s’approchant il voit que c’est autre chose.
-Qu’est-ce que c’est qu’ça ?
C’est comme des vêtements… ce sont des vêtements. C’est un corps qui flotte à la surface !
-Un noyé !
Le père Jean-Marc Bouchard s’approche en quelque coups de pagaies. Oui, c’est bel et bien le corps d’un homme qui s’est noyé. Il est vêtu d’un léger blouson couleur caca d’oie. Le père Bouchard le retourne tranquillement. Son visage est presque blanc, crevassé, rongé, ravagé; les yeux sont disparus, mangés par les poissons. Quelques mèches de cheveux très noirs sont plaquées sur les joues.

-Seigneur ! Mais je connais ce visage !

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