mercredi 3 janvier 2018

Cela se passait près d’un lac
Chapitre 11

Le lendemain, la neige s’est mise de la partie, pour de vrai; les présentatrices des prévisions météorologiques, un petit sourire pincé aux lèvres, répondent aux interrogations des animateurs des bulletins de nouvelles en annonçant, pas une tempête, mais quand même une bonne bordée.
« La neige nous arrive du Mid-West américain, là elle a déjà paralysé les villes de Chicago et de Détroit; on peut voir sur l’image satellite comme la dépression est très étendue. Et comme elle se déplace lentement, elle risque de rester au-dessus de la région un bon moment. La neige va probablement tomber jusqu’à demain après-midi pour une accumulation de vingt à vingt-cinq centimètres dans toute la région de l’Outaouais. Le tout, accompagné d’un vent froid de l’ouest, ce qui signifie… »
Ce qui signifie grésil, poudrerie, visibilité réduite, chaussées enneigées et glacées, dérapages, sorties de route, accrochages et peut-être carambolages, poursuit Paul dans sa tête, pour lui-même dans sa voiture en route pour le travail. La soirée d’hier a été des plus agréables : le veau en cube de sa Juliette était succulent. Roxanne est partie vers 21 heures, et lui et Juliette se sont couchés tout de suite après le Téléjournal… éteignant cependant la télévision avant la météo. C’est pour cela que Paul ronchonne un peu au volant en entendant cette funeste annonce.
Ce qui signifie aussi qu’il devra mobiliser toutes ses patrouilles et les envoyer sur la route pour répondre aux urgences et/ou gérer diverses situations compliquées qui vont survenir, que ce soit des feux de circulation en panne ou encore des personnes à secourir. Ce qui signifie qu’une bonne partie de sa journée va y passer; et ce qui signifie qu’il devra mettre l’enquête sur la mort de Simon-Pierre Courtemanche un peu de côté. Ce qui signifie que rien n’avancera. À moins que…
À moins de demander à Roxanne de s’y consacrer à sa place...

 Paul a fait venir sa fille dans son bureau en fin d’après-midi. Finalement, la journée s’est bien déroulée; il n’y a eu qu’un seul accident majeur un peu avant midi qui a nécessité l’intervention de la police et des ambulances, sur la route 323 un peu après Notre-Dame-de-la-Garde; la neige continue de tomber, il peut le voir par la fenêtre de son bureau, mais la situation générale n’est pas trop catastrophique. Les patrouilleurs sont toujours à l’œuvre sans avoir pris trop guère de répit, mais ça va. Les équipes du soir viennent tout juste de se mettre en route pour prendre le relais. Après avoir passé la journée en communication quasi-continue avec ses troupes, et s’être déplacé d’un écran à l’autre et d’un bureau à l’autre, Paul est un peu échevelé; il a aussi enlevé sa veste et défait les deux premiers boutons de de sa chemise - il ne pourrait certes pas faire une conférence de presse dans cette tenue - ; il offre à sa fille un thé aux agrumes et girofle tout fumant, aux suaves arômes.
-Humm… ça sent bon.
-Oui, j’aime bien ce dosage.
Depuis que sa vessie a commencé à s’émanciper, et depuis également qu’il a rencontré Juliette Sabourin, jeune retraitée qui s’occupait à la foi de la bibliothéque de Lac-des-Plages et d’un petit salon de thé adjacent pendant la belle saison, Paul a graduellement délaissé le café pour le thé.
-C’est ma première vraie pause de la journée… et probablement pour toi aussi. Alors raconte-moi.
-Tout d’abord Miguel te dit bonjour.
-Ah ? Il a téléphoné.
-Non, non, je lui avais envoyé un courriel tôt matin, et j’ai trouvé sa réponse en cour de journée.
Miguel del Potro est le nouvel amoureux de sa fille; il est assistant à la direction au poste de la Sureté du Québec à Granby. Il les avait bien aidés lors d’une enquête précédente, et les deux, Roxanne et Miguel, se sont mutuellement trouvés à leur goût.
Paul avait demandé à sa fille de tout relire les divers rapports derrière lui, de creuser le passé du journaliste, d’aller au fond des choses, notamment pour les frères Couture, toujours considérés comme des suspects.
Roxanne ouvre sa tablette qu’elle a posée sur ses genoux.
-Premièrement le rapport d’autopsie est arrivé : Simon-Pierre Courtemanche est mort par asphyxie. Il avait un gros hématome sur l’arrière de la tête, ainsi que de nombreuses fractures aux bras et aux côtes, mais ce ne serait pas la cause du décès : il a été étouffé… étouffé et non pas étranglé.
-Étrange…
-L’hypothèse la plus probable est qu’on l’a assommé par en arrière et qu’ensuite, une fois inconscient on l’a étouffé avec, par exemple, un coussin, ou alors de façon plus brutale tout simplement en lui bouchant le nez et la bouche. Les fractures ont été infligées après la mort; probablement que lorsqu’on l’a jeté dans le lac, son corps a dû frapper une ou deux la paroi de pierre.
-Je vois… S’il a été assommé par en arrière, c’est peut-être qu’on l’aurait surpris à regarder à quelque part où il n’aurait pas dû.
-Très possible.
-Il faudrait trouver où.
-Une chose à la fois... Ensuite, il y avait ce petit fil, la question des heures supplémentaires. J’ai rappelé Marco Saccetti, le directeur du journal Au Courant. Oui, ça l’a un peu étonné, que Courtemanche demande de travailler d’avantage, mais ça ne l’a pas préoccupé outre mesure. Mais attends… il s’est ensuite souvenu qu’une fois, il y a quelques mois, Zoé Saintonge l’avait vu sortir des locaux de la radio communautaire CHGA, qui se trouvent dans le même édifice à Gatineau. Il y a toujours eu une bonne collaboration et généralement si la radio avait besoin d’un porte-parole, Saccetti y envoyait son assistante, cette Zoé Saintonge. Zoé le lui avait dit, mais il a fini par oublié cet épisode qui n’avait pour lui guère d’importance dans le fond.
-Oui…
-Alors j’ai tout d’abord demandé à parler à Zoé Saintonge qui effectivement m’a confirmé la rencontre impromptue; mais elle non plus n’avait pas fait plus de cas que ça de cette rencontre. Sauf qu’elle se souvenait que c’était un lundi : le lundi qui était le jour de congé habituel de Simon-Pierre Courtemanche.
-Je t’écoute.
-J’ai donc, appelé CHGA et on m’a dit que, oui, Courtemanche, avait travaillé pour eux, sous contrat, comme rédacteur de bulletins de nouvelles. Il venait trois fois par semaine et a fait ça une bonne partie de l’année depuis le printemps dernier, donc quelque chose comme sept ou huit mois.
-Il avait donc un deuxième emploi…
-Ça en a tout l’air… Mais autre chose de plus gros encore que j’ai découvert : il avait un conjoint.
-Qu’est-ce que tu dis ?
-Je me suis dit, après les révélations de sa fille, que ça vaudrait la peine de voir s’il avait quelqu’un dans sa vie, et pour ce faire une visite dans sa maison serait le meilleur moyen de le découvrir. J’ai donc fait un petit tour chez lui sur l’heure du midi. Je n’ai pas fait une fouille exhaustive, recherche d’empreintes, d’ADN, etc, je me promets de le faire demain, dès la première heure. Je voulais juste voir s’il vivait avec quelqu’un d’autre; et en fouillant dans la corbeille à papier, j’ai trouvé une enveloppe avec la bonne adresse mais que ne lui était pas adressée, mais à un certain Jasmin Vincelette…
-Pas vrai…
-…Que j’ai facilement retrouvé par une simple recherche sur internet. Et il n’habite plus avec Simon-Pierre Courtemanche, non, il a déménagé à Ottawa. Pourquoi ? Je ne sais pas ? Est-ce qu’il y a eu rupture ? Probablement. Quand aurait eu lieu la rupture ? Je ne sais pas mais c’est récent.
-Il faut aller le voir; il doit savoir quelque chose… Beau travail, ma belle. Je suis fier de toi.
-Oh, ce n’est pas tout…
-C’est déjà beaucoup !

-Attends, tu vas voir. On va peut répondre à ta question du lieu où il a peut-être été surpris. J’ai vraiment cherché à savoir s’il y a un lien quelconque entre Courtemanche et les frères Couture, mais je n’ai rien trouvé; rien du tout. Le seul petit lien très ténu, c’est Yannick qui me l’a trouvé. Je suis allée voir Yannick pour lui demander ce qu’il avait trouvé dans l’ordinateur de Courtemanche. Beaucoup de matériel pour son travail, des copies d’articles, des ébauches, des liens sur les événements d’actualité; rien dans ses courriels d’inhabituel. Mais, cet automne, il a consulté googlemaps pour explorer la région et particulièrement le village de Brébeuf. Pourquoi ? Je ne sais pas. Mais à Brébeuf, un petit village reculé où il ne se passe pas grand-chose, il y a tout de même un bar de danseuses nues… un bar où Normand Couture a déjà été portier il y a quelques années. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire